mardi 10 avril 2012

Premier colloque

En ce moment, faire de la bibliographie me rend grognon (cf. l'article précédent) et donc je ne suis pas très motivée pour bosser, alors que, outre cela, j'ai aussi les plans des récits sur Tibère, Claude et Néron à faire, ainsi que mes énooooooormes recherches lexicographiques que je n'ai pas commencées (en même temps, il faut d'abord que je fasse le plan, en en profitant pour repérer tous les termes). Par conséquent, en attendant de Retrouver le Feu Sacré, il me paraît temps de raconter mon fameux colloque de décembre, surtout que j'ai une intervention à la fac de Bologne qui se profile pour le 27 avril prochain, ce qui me fera un deuxième sujet de post (non, ne me remerciez pas de tant de bonheur).

Ledit colloque de décembre était très large chronologiquement (de l'Antiquité à nos jours) et géographiquement parlant (trois intervenants ont abordé ce qui se passait en Afrique, ce qui permet de parler de colloque international : la classe), mais, surtout, il était organisé par des historiens. Chers gens qui ne connaissez pas les historiens, laissez-moi vous les présenter (en faisant des généralisations abusives et absurdes, bien sûr, d'autant que c'était mon premier colloque avec des historiens) : 

1) les historiens sont cools : là où nous autres, lettres classiques, sommes souvent "prout" et protocolaires, eux sont détendus du bulbe et se la pètent rarement ; d'ailleurs, vestimentairement, ça se voit : on trouve nettement plus de "néo-babas" chez eux que chez nous et le Taux de Cravates est assez bas.

2) les historiens transcendent les disciplines : comme la leur est divisée en quatre périodes, ils ont l'habitude d'aller voir ce que les autres font dans des domaines très différents du leur, histoire de voir si ça ne peut pas les aider pour leur propre pratique (chez nous (i.e. en France ; les Anglo-Saxons sont beaucoup plus détendus avec ça), c'est "tu fais du grec ? reste chez les Grecs ; tu fais du latin ? reste chez les Latins") ; ils ne trouvent donc pas absolument saugrenu que vous disiez penser à aller voir du côté de la sociologie ou de la narratologie pour voir comment ça fonctionne là-bas (toute ressemblance avec un cas connu...).

3) les historiens ne sont pas perturbés outre mesure par la nouveauté : comme leur discipline a beaucoup évolué (détachement d'une conception "littéraire" ; confrontation avec la sociologie ; Ecole de Annales ; structuralisme ; ego-histoire ; etc.), leur rapport à la tradition est, là aussi, nettement moins pesant ; chez nous aussi, on est très intéressé par les nouveautés, mais la réaction "instinctive" est souvent de commencer par freiner des quatre fers (cf. ce qui est arrivé à Vernant, Vidal-Naquet et consorts).

4) les historiens sont conviviaux : parfois un peu trop, même ; souvent, pour nous caricaturer, j'explique que les hellénistes mangent des sushis, tandis que les latinistes sont plutôt pâté-cornichons (en règle générale, les gens comprennent très bien ce que je veux dire, c'est marrant...) ; les historiens, eux, toujours pour caricaturer, c'est refaisons le monde autour d'une bouteille (ou deux, ou trois) jusqu'au bout de la nuit (selon une Légende Urbaine Universitaire, la palme reviendrait aux archéologues) ; mais, comme ils sont cools, ils sont quand même debout à huit heures, droits comme des i et sans gueule de bois apparente, pour écouter attentivement les premières communications de la matinée (là où, vous, si vous pouviez vous allonger sous les chaises pour roupiller, vous le feriez sans hésiter et ce alors que vous êtes allée vous coucher à 22h30 parce que vous étiez claquée, quand eux sont rentrés vers 2h du matin).



Ça, c'est donc pour le contact colloquiesque avec la population historienne. En ce qui concerne ma propre prestation, je retiendrai quelques points importants pour l'Avenir :

1) Chef a raison (comme d'habitude), une lecture qui dure pile vingt minutes chez moi ne donne pas vingt minutes devant un parterre de chercheurs ; il doit y avoir une faille temporelle, un ralentissement induit du cerveau, mais il a fallu que je fasse du trapèze volant pour ma troisième partie. Point positif : mes capacités en trapèze volant se sont améliorées. Point négatif : le président de séance a quand même été gentil et m'a laissée dépasser de dix minutes. Point réconfortant ; je n'étais pas la seule. Point moins réconfortant : est-ce que ça veut dire que ça ne s'améliore pas avec l'Expérience ?

2) les talons et le chignon, ça marche sans doute sur les étudiants, mais, dans un colloque, ça ne cache absolument pas que vous êtes une Bleue (et puis ça vous tatoue sur le front "je suis en lettres classiques"). Point négatif : ben.. euh... deux jours à avoir l'impression très nette d'être une schroumpfette (surtout quand, à table, ça parle publication de thèse, postes de maîtres de conf' et dents du premier gamin). Point positif : quand vous faites du trapèze volant en bout de 18 min 30, le président de séance est gentil avec vous et, au premier rang, les organisateurs vous font la mine du prof encourageant un étudiant méritant.

3) changer une présentation NéoOffice à l'arrache en Powerpoint vous expose à des surprises (Microchiottes de merde !). En l'occurrence, mon texte ne s'adaptait plus à la taille de mon écran, ce qui fait que mes derniers exemples présentés avec amour sont passés à la trappe en pleine intervention. Point positif : gestion du stress (presque) nickel. Point négatif : début du trapèze volant accéléré.

4) tant qu'on y est, TOUJOURS vérifier AVANT l'intervention que tout est ok avec powerpoint et ordinateur : cela permet de faire buguer le système à la pause et pas juste avant de passer. Point positif : le président de séance vous aime bien d'avoir été prévoyante et est plus indulgent sur le temps. Point négatif : vous passez pour une grosse snob à gueuler pendant une demi-heure sur ces PC de m*****, en répétant frénétiquement que tout allait bien sur votre Mac. 

5) éviter d'énoncer des lapalissades, même en transition rapide, sinon on se fout ensuite gentiment de votre gueule en résumant votre intervention. Point négatif : vous confirmez votre statut de noob à tous ceux pour qui ce n'était pas encore évident. Point positif : comme vous avez bugué genre "c'est du lard ou du cochon ?" en entendant ça, vous pouvez espérer vous attirer l'indulgence du public.

Pour le reste, j'ai vraiment eu de la chance : c'était extrêmement bien organisé, très sympa, enrichissant, tout remboursé et j'ai connu beaucoup de gens très intéressants, dont une prof d'histoire romaine qui a poussé la gentillesse jusqu'à m'envoyer des remarques et relire la version écrite de ma communication. 

Il reste à voir si j'aurai retenu quelque chose, dans trois semaines, à Bologne.


lundi 2 avril 2012

Articlologie 6 : le farfelu

C'est l'histoire d'un gars, il se lève un matin et se dit : « Tiens ! et si je prenais le contre-pied de tout le monde sur la mort de Claude, en racontant qu'il n'a pas été empoisonné ? Ah ouais, ce serait divertissant ! »

Attention : le récit qui va suivre est nécessairement orienté, parce que je ne suis pas une partisante de la thèse de la mort accidentelle de Claude (même si j'ai quand même une opinion nuancée).

Le 13 octobre 54, lors d'un banquet, à l'instigation d'Agrippine, sa femme (et nièce), un plat de champignons est présenté à l'empereur Claude, dont c'est le plat préféré. Agrippine est inquiète : elle a réussi à se faire épouser, puis à faire adopter son fils, Néron, et, enfin, à convaincre Claude de le présenter comme héritier, alors qu'il a lui-même un fils, Britannicus, un peu plus jeune, né de sa précédente femme, Messaline (oui, Claude n'a jamais eu beaucoup de pot avec les femmes). 

Ce qui intéressait surtout Claude, dans ces manoeuvres, c'était de s'associer plus étroitement encore au grand général Germanicus. Celui-ci était son frère, mais comme Claude était bègue, boîteux et de pensée parfois trop érudite pour ne pas être un peu obscure, les gens ne les associaient pas, ce qui faisait qu'il ne profitait pas de sa réputation. Or Agrippine était sa fille et Néron son seul descendant mâle (après Caligula : oui, Germanicus, lui, n'a pas eu beaucoup de pot avec ses descendants ; mais comme il est mort avant, il ne l'a jamais su) : épouser l'une et adopter l'autre était donc fort futé.

Sauf qu'il semblerait que Claude ait quand même fini par avoir des remords vis-à-vis de son fils naturel et tenu un discours assez peu cohérent. Agrippine voit alors arriver le moment où les choses vont se gâter, ce qui la pousse, ce fameux 13 octobre au soir, à lui proposer des champignons préalablement empoisonnés. Je vous épargne les détails techniques assez peu ragoûtants sur les effets physiques du poison sur Claude (qui, en plus, était rond comme une barrique, ce qui n'arrangeait rien). Toujours est-il que Claude meurt, ce qu'Agrippine cache jusqu'à ce que tout soit prêt pour la proclamation de Néron. Quelques mois plus tard, c'est Britannicus que Néron élimine, parce que le gamin arrivait à l'âge où il allait être apte à faire de la politique et Agrippine s'en servait pour faire pression sur son fils (oui, chez les Julio-Claudiens, les femmes ne sont pas exactement des potiches).

On a beaucoup écrit sur le récit que Tacite a fait de cette mort (cf. Annales XII 66.1-69.3). On a notamment montré qu'il était fait sur le modèle de la mort d'Auguste (même idée de dissimulation de sa mort jusqu'à ce que tout soit prêt pour l'avènement de son fils adoptif ; comme ter repetita placent, on a aussi le même schéma, en 117, à la mort de Trajan et l'avènement d'Hadrien) et qu'il avait sans doute influencé le récit de la mort de Britannicus (plus ou moins le même déroulement dans les effets physiques produits par le poison). Voilà pour les schémas historiographiques (la question étant : pourquoi faire toutes ces relations, quel intérêt pour la narration, le sens d'ensemble, quelles répercussions sur le reste, etc. Mais, là, si tout se passe bien, ma thèse devrait proposer quelque chose). 

Pour la dimension historique, comme vous vous en doutez, il y a ceux qui sont d'accord avec ça et ceux qui ne sont pas d'accord, dont mon farfelu. Ce dernier argue qu'Agrippine et Néron n'avaient, à ce moment-là, jamais été plus haut et qu'ils n'avaient donc aucun intérêt à ce que Claude meure, d'autant qu'il n'avait rien fait du tout pour changer les choses (sauf que Tacite et Suétone disent bien qu'Agrippine est passée à l'action avant même qu'il puisse commencer à faire quoi que ce soit) ; pour lui, cette histoire d'empoisonnement a été inventée par les ennemis de Néron (sauf que Tacite et Suétone montrent bien que tous les détails de l'empoisonnement ont été immédiatement connus, d'autant que tout le monde se foutait ouvertement de Claude, qu'il y a accord là-dessus entre tous les auteurs contemporains, etc.).

Le fait est que, sa thèse, c'est celle d'un empoisonnement accidentel. Il explique les choses ainsi : au lieu de servir des cèpes à Claude (le terme latin est boletus), on lui aurait servi soit des amanites phalloïdes, soit des amanites tue-mouche. Et là, mon sang de campagnarde habituée dès l'enfance à ramasser des champignons, avec en plus un sixième sang pour trouver des trompettes de la mort (ce qui, lors des promenades dans les bois, m'a longtemps conféré dans la famille un statut assez semblable à celui des cochons dénicheurs de truffes dans le Midi) n'a fait qu'un tour. Laissez-moi vous faire le tableau : Claude, grand amateur de champignons, aurait donc été capable de confondre ça



avec ça



ou ça



Houston ? we do have a problem.

De l'utilité pour un chercheur de ne pas passer toute sa vie en bibli ou de considérer Internet (et en particulier Wikipédia) comme son ami (le monsieur en question citait les noms des champignons en latin, ce qui dénotait assez peu de familiarité avec ce sujet, outre la manière dont il s'exprimait à ce propos). Différencier les cèpes des phalloïdes et des tue-mouches, c'est le B-A-BA du petit ramasseur de champignon (ça et "si tu ne le connais pas, mets-le dans un sac plastique à part pour qu'il ne contamine pas les autres")

Ceci dit, il faut bien que je reconnaisse que cet article soulève un certain nombre de questions (il y a, de fait, manifestement des manipulations autour de l'histoire du revirement envers Britannicus). Par ailleurs, il semblerait que le latin ait un peu tendance à appeler boletus n'importe quel champignon (je prends des gants, j'attends de tomber sur le Saint-Graal de la mycologie antique) et qu'un champignon très apprécié des empereurs romains ait été l'oronge, appelé aussi, pour cette raison, "amanite des Césars".



Avouez que ça ressemble quand même pas mal à une amanite tue-mouche, les points blancs sur le chapeau en moins, donc il est éventuellement possible de confondre, surtout une fois cuisinée. La question est : est-il possible que ça ait été le cas pour Claude, qui les appréciait beaucoup ?