Comme, cette semaine, je n'ai (presque) pas été malade, je n'ai pas vu le temps passer et je me retrouve aujourd'hui à me dire "Ah zut, c'est dimanche, j'ai oublié de faire une note de blog...!"
Pour tout vous dire, ma tactique de passer "scientifiquement" par un moteur de recherche pour mes occurrences s'est révélée fort peu satisfaisante, ne serait-ce que parce qu'un certain nombre de cas intéressants passaient au travers. J'ai donc fini par me résoudre à relire intégralement mon corpus (ce ne sera, après tout, que la troisième fois en trois ans), ce qui me prend pas mal de mon temps (cher livre sur les rumeurs dans l'Antiquité qui te trouves quelque part à la BNF, tu ne perds rien pour attendre).
Evidemment, je commence à avoir un peu l'impression de le connaître par coeur, surtout quand je réagis d'une certaine manière en lisant un passage et que je me rappelle d'avoir réagi de la même manière la fois d'avant... et la fois encore d'avant. En particulier, il y a toujours un moment, quelque part vers la fin du livre XII des Annales, où je serais prête à tuer ma mère pour qu'on tue Claude (maman, si tu me lis, je plaisante bien sûr). Et quand j'arrive à la mort de Claude, je ricane toujours comme une bêtasse devant les pudeurs de violette de la traduction Wuilleumier. Vous allez donc avoir droit à un post porno ET scatologique (cachez votre joie, je sais qu'elle est grande).
Soyons clairs dès le début : Wuilleumier est un grand. Mais il est des traditions liées aux éditions Budé et à leur lancement dans les années qui suivirent 1918 ("Continuons de damer le pion à ces Allemands, vingt dieux !") qui veulent qu'on "glisse" élégamment sur tout ce qui est sexuel, scatologique et autre, en utilisant un mot fort usé dont personne ne connaît le sens (cas 1) ou reformulant souvent un texte latin tout à fait explicite (cas 2).
Je suis tombée sur un cas 1 lorsque je préparais la version écrite de mon intervention à Clélia pour la revue Lalies. Etant donné que j'ai fini par décider de tout traduire, j'ai eu des problèmes avec le mot spintria. Il apparaît dans le contexte de la retraite de Tibère sur l'île de Capri, qui a donné lieu à toutes sortes de fantasmes, en particulier sexuels. Je vous laisse imaginer (ou pas : tout est dans Suétone), mais disons que DSK et Iacoub, à côté, sont de mignons collégiens découvrant la sexualité.
Les spintriae, donc, sont un type de jeunes gens fort bien de leur personne que Tibère aurait fait venir sur l'île dans le but d'assouvir toutes ses perversités. Gaffiot est bien embarrassé pour traduire ce mot et suggère un rapprochement avec le grec sphincter, tout en proposant "débauché, pédéraste". Je ne vous expliquerai pas ce qu'est un sphincter, duquel il s'agit très probablement ici et ce que cela implique sur ce que faisait et/ou subissait le spintria. Budé a fait encore plus fort, il n'a pas traduit, mais j'ai eu des versions où j'ai trouvé "giton". Je pense que c'est un mot que vous pouvez hurler aux passants dans la rue : ils penseront que vous êtes fou, mais ils ne se sentiront nullement insultés (enfin, ça dépend de comment vous le leur hurlez, bien sûr).
Pour ma part, après moultes recherches sur comment on appelait vulgairement UN prostitué, j'ai fini par choisir "putassier", ce qui n'a apparemment pas choqué ma relectrice.
Pour ma part, après moultes recherches sur comment on appelait vulgairement UN prostitué, j'ai fini par choisir "putassier", ce qui n'a apparemment pas choqué ma relectrice.
(Capri, c'est fini...! ces falaises quasi impossibles à escalader sont une des raisons pour lesquelles Tibère a choisi cette île : il voulait être peinard ; photo par Oki W ; source : FlickR)
Mon dernier cas 2 était aujourd'hui et, comme à chaque fois que je relis ce passage, il m'a fait me marrer en douce. Nous sommes un plein assassinat de Claude (oui, parce qu'il y a un moment où Agrippine finit enfin par l'assassiner), à qui on a fait manger des champignons empoisonnés. Lesquels champignons ont eu pour conséquence immédiate de "aluum soluere". Aluus, c'est le ventre, l'estomac ; on utilise aussi ce terme pour désigner le lit d'un fleuve. Soluere, c'est ce qui a donné "dissoudre" en français.
A ce stade, l'état physique de Claude me paraît assez clair : pour appeler un chat un chat, il a été pris de diarrhées subites et massives (soluere, souvenez-vous) ; on sait d'ailleurs par Suétone qu'il a été torturé par la douleur toute la nuit, avant de mourir au petit matin - Agrippine voulait un poison lent, c'était réussi ; Néron n'aura pas cette "délicatesse" avec Britannicus, le fils de Claude. Et là, je ne sais plus pourquoi, je jette un coup d'oeil à la traduction Budé : "un dérangement du corps semblait l'avoir secouru".
Qu'en termes galants ces choses-là sont dites...
Soluere est plutôt employé ici au sens de relâcher ou libérer
RépondreSupprimerPour ton cas n°1, tu as été voir dans
RépondreSupprimer- la bibliographie des membres du groupe de recherche Efigies, auquel tu devrais t'intéresser dans la mesure où tu as pas mal affaire à des histoires de fesses dans tes textes historiques : il n'y a qu'eux en France actuellement pour faire des analyses vraiment fines sur le genre et la sexualité antiques (en Grèce et à Rome) :
http://efigies-antiquite.perso.neuf.fr/
En fouinant un peu dans "Bibliographie sélective" tu trouveras peut-être quelque chose sur les spintriae. Sinon, pose tout simplement la question sur leur ML.
- A connaître aussi : Michel Dubuisson, "Lasciva Venus. Petit guide de l'amour latin", La Différence, 2011, qui traite seulement du vocabulaire des rapports sexuels proprement dits. Mais je ne suis pas sûr que tu y trouves quelque chose, notamment parce que ce paresseux hétérocentriste traite uniquement des rapports entre partenaires de sexes différents (certes, il montre dans son intro qu'il sent bien que cette exclusion n'est pas justifiable scientifiquement, mais ça ne l'a pas empêché de la faire, ce qui revient au même : paresse hétérocentriste, vous dis-je).
http://www.youtube.com/watch?v=6xAAxFHoguM
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