jeudi 22 décembre 2011

Onze ans de néo-péplums : panorama critique

Il y a déjà un bon moment (diantre, plus d'un an, à vrai dire !), j'avais rédigé ici un billet consacré à l'Antiquité au cinéma, et en particulier à la réception critique des péplums, à ce qu'on leur reproche - parfois à tort - et aux usages pédagogiques qu'on peut en faire (on reste dans l'univers universitaire, tout de même).
En réalité, avant de dériver vers ces considérations plus générales, j'avais en tête, au départ, de dresser une liste des péplums sortis depuis en gros l'an 2000, en disant sur chacun d'eux quelques mots qui permettraient de se faire une idée synthétique de la démarche artistique, du résultat, de la critique, etc. Idée en apparence simple, mais en réalité assez compliquée à mettre en œuvre, d'où le retard pris par la chose. Mais puisque j'ai (ou qu'en tout cas je prends) un peu de temps pendant ces quelques vacances, il est temps de remettre le fer sur la forge et de voir un peu ce que je peux faire là-dessus. Voici donc un essai de panorama des péplums sortis depuis une grosse dizaine d'années, avec quelques amorces d'analyse et des éléments de critique pour chacun.

Un mot de définition

Avant tout, il faut dire un mot sur la définition du péplum. En effet, le péplum n'existe pas. C'est en tout cas ce qu'affirme Claude Aziza dans son Guide de l'Antiquité imaginaire (Belles Lettres, 2010, p.75-77) : en dehors du thème très général de l'Antiquité - qui pose lui-même problème, puisqu'on parle parfois de péplums pour des films se déroulant pendant la Préhistoire ou le Moyen âge -, en dehors de ce thème très général, donc, les films désignés par cette étiquette relèvent de genres très divers, allant du film historique à la fantasy pure, de la réflexion politique à la comédie ou à l'érotisme. Pire, le terme a eu (voire, a encore) des connotations péjoratives, qui tendent à niveler sous un même a priori défavorable des films qui, si certains sont effectivement mauvais (quel genre n'a pas les siens ?), sont loin de mériter tous de tomber sous le coup d'un pareil préjugé.
Je n'ai aucune envie de renoncer à employer le mot "péplum", d'abord parce que je l'aime bien, et ensuite parce qu'il a le mérite d'inscrire ces nouveaux "films à l'antique" (expression que recommande Aziza) dans la continuité d'une histoire longue du cinéma qui s'avère parfois pertinente pour comprendre l'esthétique ou les codes de ces films, du moins dans le cas des grosses productions américaines. Notez aussi que l'expression "néo-péplum", que j'emploie dans le titre du billet, est une pure invention de ma part et non (à ma connaissance) une expression couramment employée. Néanmoins, Aziza a raison sur le fond, et ses avertissements sont très salutaires : nous voici prévenus qu'il serait dangereusement réducteur de croire pouvoir rassembler ces films au sein d'un même genre au sens fort du terme, avec les mêmes codes ou une même esthétique - il apparaîtra très vite que non, et c'est en partie le but de ce billet que d'attirer l'attention sur la diversité des démarches esthétiques que cache l'exploration d'un même thème. Gardons ainsi en tête que le terme "péplum" n'a qu'une pertinence thématique très générale : des films qui se déroulent dans une Antiquité réaliste ou fantasmée.
Accessoirement, pour des raisons de brièveté, et parce que je suis loin d'avoir tout vu, je m'en tiendrai à l'Antiquité gréco-romaine et aux films sortis au cinéma, en excluant les téléfilms, séries télévisées et films sortis directement en vidéo.

Liste des films


Cliquez sur un titre pour accéder directement à sa critique :
Hercule (Disney, 1997)
Gladiator (Ridley Scott, 2000)
Quo vadis ? (Jerzy Kawalerowicz, 2001) et Vercingétorix : la légende du druide roi (Jacques Dorfmann, 2001)
Troie (Troy, Wolfgang Petersen, 2004)
Alexandre (Alexander, Oliver Stone, 2004)
300 (Zack Snyder, 2007)
La Dernière Légion (Doug Lefler, 2007) et Sa Majesté Minor (Jean-Jacques Annaud, 2007)
Agora (Alejandro Amenábar, 2009)
Le Choc des titans (Louis Leterrier, 2010)
Centurion (Neil Marshall, 2010)
L'Aigle de la neuvième légion (Kevin Macdonald, 2011)
Les Immortels (Tarsem Singh, 2011)

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

Hercule (Hercules, John Musker et Ron Clements, studios Disney, 1997)


Voilà qui commence bien : premier film, premier écart avec la définition de ce petit corpus. Pourquoi diable parler de l'Hercule de Disney, qui n'est pas un film en prises de vue réelles, mais un long métrage d'animation, sorti qui plus est en 1997, trois ans avant le Gladiator de Ridley Scott, qu'on choisit généralement comme le premier signe de la renaissance du péplum ?
D'abord parce que ce dessin animé est une grosse production qui a quelque chose d'un précurseur du renouveau du genre : il a touché un large public, comme tous les classiques Disney, et reste donc un peu dans les mémoires des gens qui vont regarder les péplums des années 2000 (voire participer à leur élaboration).
Ensuite parce que ce film reprend un héros favori des péplums des années 1950-1980 : Hercule (Héraclès pour les hellénophiles), incarné par plusieurs acteurs aux muscles généreux au fil de grosses productions (Les Travaux d'Hercule de P. Francisci, 1958) et de déclinaisons plus ou moins fantaisistes (Hercule contre les vampires de Bava en 1961, Hercule à New-York de Seidelman en 1970...). Le long-métrage de Disney relate la jeunesse d'Hercule et son accession progressive au statut de héros, selon le schéma du "voyage du héros" dressé par Campbell et chéri par de nombreux scénaristes hollywoodiens.
Dernière raison d'évoquer l'Hercule disneyen : la part originale de l'intrigue, qui met Hercule aux prises avec un Hadès machiavélique ambitionnant de détrôner Zeus en réveillant les Titans, dépeints ici comme des créatures primordiales liées aux quatre éléments. Ce thème du réveil des Titans et la figure d'un Hadès hostile ont été repris à la fin des années 2000 par plusieurs néo-péplums. Ces choix scénaristiques, qui font primer la libre invention sur la fidélité au mythe antique (les écarts sont multiples, même si quelques scènes, en particulier le combat contre l'Hydre de Lerne, reprennent directement certains des douze travaux), rattachent le film davantage à la fantasy mythologique qu'à une simple transposition d'un sujet antique.
Le dessin animé de Disney fait le choix de graphismes assez cartoonesques et d'un univers exubérant, plus proche de l'Orient frénétique d'Aladdin que de la majesté du Roi Lion. C'est l'un des derniers classiques Disney à contenir de nombreuses chansons, dont la musique est signée Alan Menken, l'un des principaux compositeurs des bandes originales des longs métrages Disney depuis La Petite Sirène (1989). La chose ne va pas sans (ré)inventions bien inspirées, comme la chanson du Gospel pur, chantée par des Muses afro-américaines en pleine forme, qui ouvre le film, en un acte explicite de dépoussiérage de la vision habituelle de l'Antiquité.

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

Gladiator (Ridley Scott, 2000)

Nous y voilà : Gladiator de Ridley Scott, dont le succès commercial (plusieurs centaines de millions de dollars de bénéfice) et critique (cinq Oscars) a beaucoup fait pour la réapparition de l'Antiquité dans les salles obscures.
Cette fois, nous avons affaire à une grosse production en prises de vue réelles (abondamment complétées par d'impressionnants effets spéciaux, comme il se doit, dont un Colisée numérique du plus bel effet), et nous retrouvons un péplum au sens le plus classique du terme : un film d'aventure qui se déroule dans une Antiquité (romaine) placée sous le signe d'un certain réalisme, qui tient de la volonté d'une illusion réaliste plus que d'une réelle reconstitution, puisque la chronologie des empereurs romains, de l'architecture, etc. est allègrement bouleversée pour les besoins de la cause.
Le scénario, qui met aux prises un général romain avec un empereur romain tyrannique (Commode) et mêle complot politique et scènes d'action, s'inspire librement d'un péplum plus ancien, La Chute de l'empire romain d'Anthony Mann (sorti en 1964 et devenu un classique du genre malgré son échec commercial), et se construit davantage à partir de mythes politiques et historiques déjà anciens (la figure de l'empereur tyrannique ou celle du gladiateur) qu'à partir de faits historiques réels. Scott, qui n'est pas un âne et sait parfaitement ce qu'il fait, a l'ambition d'élaborer une légende et non une reconstitution historique.
Et il faut convenir que le résultat fonctionne très bien, grâce à des personnages marquants (Russell Crowe campe un Maximus Decimus épris de justice et d'honneur, un héros au premier degré, tandis que Joaquin Phoenix incarne un empereur Commode machiavélique, détestable au plus haut point et fascinant de complexité, bref, un méchant réussi) et à une intrigue bien ficelée riche en péripéties et en retournements de situation. La descente aux Enfers de Maximus Decimus, déchu de son rang et privé de sa famille, puis l'histoire de sa vengeance, font penser à celle de Ben Hur (en particulier celui de William Wyler en 1959, avec Charlton Heston dans le rôle-titre), et les valeurs en jeu sont les mêmes : justice, honneur et quête de la liberté politique.
Le soin apporté aux costumes, aux décors et aux effets spéciaux en général, a permis au film de mettre en place une esthétique convaincante, de même que la bande originale de Hans Zimmer, virtuose et efficace (quoique un peu lourde à la réécoute : il est mieux inspiré quelques années plus tard pour la série des Pirates des Caraïbes). Du côté de la réalisation, c'est du beau cinéma d'aventure qui tend vers l'épique sans pour autant esthétiser outre mesure la violence ni donner dans le gore ; il est assez intéressant de comparer le "coup de caméra" de ce film, ou celui de Troie qui boxe à peu près dans la même catégorie, avec les choix opérés dans ce domaine par des films comme 300 ou Les Immortels, qui mettent en place une esthétique complètement différente.

et Vercingétorix : la légende du druide roi (Jacques Dorfmann, 2001)

Je passe plus rapidement sur ces deux films, que je n'ai pas vus ou pas vus en entier. Le premier, sorti en Pologne et à ma connaissance jamais sorti en France, ne m'est connu que par Wikipédia. L'autre, Vercingétorix, une réalisation française co-produite avec le Canada et la Belgique, a été descendu en flammes par les critiques à sa sortie. Je me souviens d'en avoir vu quelques images, assez pour savoir qu'il s'agit d'un film de guerre incluant une part de fantastique, mais je n'ai rien d'assez précis pour en parler en détail.

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

Troie (Troy, Wolfgang Petersen, 2004)

Troie, c'est LE péplum récent que tous les antiquisants ont vu. C'est aussi leur souffre-douleur, en raison de ses très nombreux écarts par rapport à la matière antique dont il s'inspire (le cycle épique de la guerre de Troie). Il a cependant des mérites, dont le premier a été d'exister et d'avoir assez de succès pour achever de convaincre les producteurs (dont l'extrême prudence, pour ne pas dire la couardise, est bien connue) que parler d'Antiquité et de mythologie pouvait leur rapporter des sous. Bref, Troie a transformé sur le terrain grec l'essai de Gladiator en pays romain. Le problème, c'est qu'en termes de cinéma et plus encore de mythologie au cinéma, le résultat laisse effectivement sur sa faim.

Les partis pris du film : une guerre de Troie "historicisée"

La démarche du film est la suivante : prendre pour base l'histoire classique de la guerre de Troie (non pas seulement les événements couverts par l'Iliade, mais l'ensemble de la guerre, de ses origines - l'enlèvement d'Hélène - à sa fin - la prise de Troie) et en relater les grandes lignes dans un film qui se rattache au genre de l'épopée, mais évacue entièrement la part de merveilleux propre aux épopées homériques, au profit d'une lecture "historicisée" du récit qui fait la part belle au politique. On ne voit donc aucun dieu dans Troie, ni aucune créature surnaturelle, et les personnages sont des humains dépourvus de tout pouvoir particulier. Pourtant, les héros de l'Iliade, Achille et Hector surtout, sont là en vedettes. Mais de la conception de l'héroïsme proposée par l'épopée homérique, le film ne retient qu'un message hollywoodien plein de mâle grandeur : l'homme accède à l'immortalité par ses actes qui le font entrer dans la légende. Sur ce point, ce n'est pas si mal, car après tout il y a de ça dans le destin de l'Achille et de l'Hector d'Homère.
C'est le reste qui tient moins la route. Car en dehors de l'éviction des dieux et du merveilleux, le film conserve (très globalement) la trame narrative de sa matière antique... non sans certains paradoxes. L'apparition de la mère d'Achille, Thétis, au beau milieu d'une étendue d'eau, n'a plus le moindre sens puisque le film oublie sa nature de déesse, et la scène tourne au ridicule (on ne sait pas du tout ce que Thétis fait dans cette eau). Un épisode comme le cheval de Troie, en particulier, perd beaucoup (à mon sens) à être repris en dehors de son contexte merveilleux. Et surtout, pourquoi avoir donné à ce cheval, supposé être une offrande à Athéna, l'allure d'un collage de morceaux d'épaves ? On ne le saura peut-être jamais. Le fait est que l'éviction des dieux n'était qu'un début : la vision que donne le film de la religion est terriblement négative. En général, lorsque quelqu'un prie (au hasard Priam ou Andromaque), non seulement ses vœux ne se réalisent pas, mais il (ou elle, ou la personne qui faisait l'objet de la prière) finit par se faire tuer, parfois dès la scène d'après. Je n'ai jamais vu un film aussi athée que ce premier néo-péplum de mythologie grecque. Un comble ! ... mais un choix esthétique possible, qui tiendrait la route si le film avait pris plus franchement ses distances avec sa matière et su proposer une réinterprétation plus complète du mythe antique. Or ce n'est pas le cas.

Un résultat médiocre

Le résultat est un film de guerre vaguement mâtiné d'intrigue politique (elle se résume en réalité à dépeindre Agamemnon comme un politicien cynique, dont la coalition rassemblée sous un prétexte de point d'honneur mais guidée en réalité par des intérêts impérialistes, pouvait rappeler à l'époque la guerre du président Bush contre l'Irak - mais l'allusion reste bien sage). L'intrigue - héritage de son modèle antique - n'est pas sans qualités, notamment dans son absence de manichéisme, chaque camp étant présenté comme également valeureux et également miné par ses propres dissensions internes. Hélas, les dialogues sont frappés au coin de la mode hollywoodienne de la brevitas pontifiante et se résument trop souvent à des échanges de formules creuses déjà entendues et réentendues dans de nombreuses autres grosses productions (et que l'on a ré-réentendues ensuite dans d'autres néo-péplums au cours des années suivantes...).
Quant aux écarts du scénario par rapport aux variantes les plus répandues du mythe antique, certains sont explicables par la volonté de ne pas multiplier les personnages et fonctionnent assez bien (ainsi le film fait d'Hector celui qui tue Patrocle, alors qu'il est avant tout blessé par Euphorbe dans l'Iliade ; Achille, qui meurt dans le cycle épique bien avant la prise de Troie, survit ici jusqu'au moment du sac de la ville). Mais beaucoup d'autres aboutissent à passer sous silence des épisodes intéressants, et les remplacent par des péripéties dont je comprends assez mal l'intérêt.
Par exemple, pourquoi ce guet-apens avec de grosses boules enflammées projetées contre les navires achéens, et pas simplement une attaque particulièrement dangereuse d'Hector menaçant d'incendier lui-même les navires comme dans l'Iliade, ou bien une reprise de la Dolonie, autre épisode de l'Iliade ? Pourquoi faire mourir Ménélas et Agamemnon à Troie ? Pourquoi faire faire une apparition à Enée en faisant de lui un jeune inconnu alors que c'est un fameux chef troyen, et faisant de lui l'héritier d'une "épée de Priam" qui sort littéralement de nulle part ? Autant de questions sans réponse, autant de maladresses qui trahissent un manque de cohérence du projet. Le film se montre par ailleurs très timoré en choisissant de faire de Patrocle un "jeune cousin" d'Achille, et non son amant, alors que cette variante, même si sa présence effective dans l'Iliade fait l'objet de débat parmi les hellénistes, a connu une postérité abondante pendant et après l'Antiquité, et avait tout à fait sa place dans une adaptation du début du XXIe siècle.
Le casting, bardé de stars, a été taillé pour attirer le public : Brad Pitt dans le rôle d'Achille, Diane Kruger en Hélène et Orlando Bloom en Pâris, mais aussi un Eric Bana très convaincant en Hector et Peter O'Toole en Priam. Les décors et les costumes sont soignés, mais quelque peu austères et à la limite un peu fauchés par rapport à ce qu'on aurait pu attendre d'une grosse production. La musique de James Horner fait son travail pour installer une ambiance "archaïque" sans beaucoup de subtilité, en usant et en abusant des ficelles "tribales" (ah, les voix de femmes aux plaintes inarticulées...).
Il faut dire aussi dire un mot de la représentation des combats, qui ne correspond absolument à rien et mélange allègrement tout et n'importe quoi : on voit ainsi Achille et ses Myrmidons former une tortue romaine pendant leur débarquement sur la plage de Troie, ou encore Achille et Hector se battre en maniant leurs lances comme des espèces de bâtons. Quant aux chorégraphies, elles inaugurent un inlassable retour des mêmes procédés que l'on retrouve invariablement par la suite dans les autres néo-péplums : Hollywood doit former davantage de maîtres d'armes, ou ses scènes de combat seront condamnées à être toutes identiques... En termes de réalisation, enfin, Troie se situe dans la lignée de Gladiator par son approche assez classique (académique ?) des scènes de combat, qu'elle filme sans effets gore, ni ralentis ou procédés du même genre, dans une optique plus proche des films d'aventure que des films d'action ou d'horreur.

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

Alexandre (Alexander, Oliver Stone, 2004)

La même année sortait Alexandre d'Oliver Stone, relevant d'un genre encore différent. Oliver Stone ressuscite pour l'occasion le péplum franchement historique, et propose une biographie d'Alexandre le Grand (il trouve un prédécesseur en Robert Rossen, dont le Alexander the Great remonte à 1956). Que de mauvaises critiques j'ai pu lire ou entendre à propos de ce film ! Certes, il est loin d'être sans défaut, mais il faut au moins lui concéder une démarche autrement plus ambitieuse que celle de Gladiator ou de Troie.

Un film ambitieux...

Qu'on en juge. Ptolémée, ancien général d'Alexandre, fait coucher par écrit ses mémoires qu'il dicte à un esclave dans les bâtiments de la bibliothèque d'Alexandrie. Le film, ponctué par la voix off de Ptolémée, jongle hardiment avec la chronologie, alternant une progression générale chronologique et des flashbacks renvoyant à différents moments de la jeunesse d'Alexandre.
Le travail de reconstitution historique, les décors, les costumes, sont spectaculaires et donnent parfois lieu à de superbes images (comme la bataille de Gaugamèles ou les scènes se déroulant à Babylone). Les principaux épisodes de la jeunesse d'Alexandre, comme l'éducation auprès d'Aristote, la relation avec Héphaestion, l'apprivoisement du cheval Bucéphale, les rapports orageux entre Philippe II et la reine Olympias et les rapports tout aussi orageux entre Alexandre et ses deux parents, sont présents et traités de façon parfois très fidèle aux sources antiques (c'est particulièrement flagrant pour ce que j'avais pu lire dans Plutarque au moment de la sortie du film). Les quelques scènes de bataille sont conçues pour rendre aussi lisibles que possible les tactiques employées et montrent un soin certain dans la représentation des techniques de guerre de l'époque, en particulier la fameuse phalange macédonienne. Cependant, un certain nombre d'épisodes sont passés sous silence, et quelques libertés sont prises avec le détail des faits : on reste dans la fiction historique et non dans la pure reconstitution.
A ce travail, caractéristique du genre du film historique, vient s'ajouter une double ambition, sur le fond et sur la forme.
Sur le fond, Oliver Stone prend deux partis clairement énoncés par rapport à la matière biographique sur laquelle il travaille, afin d'en présenter une interprétation personnelle bien définie. D'une part, il fait le choix de sacrifier le détail des événements (certaines batailles décisives ne sont pas représentées) et de s'attarder sur la psychologie d'Alexandre, en particulier dans ses rapports avec ses parents : le film comporte une dimension psychanalytique très développée. D'autre part, il prend acte des incertitudes qui entourent les circonstances de la mort d'Alexandre et prend parti, dans le cadre du film, pour l'une des explications possibles.
Sur la forme, Stone fait des choix de réalisation audacieux, dans ces multiples flashbacks, mais aussi dans la réalisation en général : la vie d'Alexandre devient une sorte de rêve de guerre, une course effrénée qui se termine par le massacre qu'est la bataille de l'Hydaspe contre les éléphants de guerre du roi Poros. Les ambitions d'Alexandre, son vertige de conquête, ou les vertiges des sens, de l'alcool, de la danse, se lisent tour à tour dans les mouvements de la caméra, et le rouge qui envahit l'écran pendant la bataille de l'Indus vient concrétiser à la fois le bain de sang qu'est cette bataille et l'inconscience où sombre Alexandre après avoir été blessé. La bande originale composé Vangelis, avec tout ce qu'elle a de planant, renforce encore cette atmosphère. Le spectateur pense ce qu'il veut de ces multiples choix - et de fait, beaucoup de spectateurs et de critiques ont été troublés, parfois enthousiastes, parfois sceptiques - mais au moins il y a un vrai cinéaste au travail.

...malgré de réelles faiblesses

Outre ces audaces pas toujours bien reçues, un gros défaut, moins contestable et nettement plus gênant, dessert le film : son acteur principal, Colin Farrell. Il est enlaidi par une absurde teinture de cheveux blonde qui ne lui va pas vraiment, mais ce n'est qu'une anecdote à côté du fait qu'il joue ici terriblement mal. Est-ce l'effet de la direction d'acteur ou du jeu personnel de Farrell ? Son Alexandre a l'air cruche, jamais à l'aise, et, lorsqu'il est enfin sûr de lui, recourt à des trucs d'acteur débutant éculés, dont le fameux "hochement de tête avec front plissé" que tous les mauvais acteurs américains casent chaque fois qu'ils veulent paraître intelligents, ou virils, ou pleins d'honneur, ou peut-être un peu tout cela à la fois. Farrell est aussi visiblement mal à l'aise dans les scènes avec Héphaestion (lequel en fait parfois un peu trop dans les regards humides, mais s'en sort globalement mieux).
Le film est par ailleurs inégal, sans doute confus par endroits, et semble avoir été plombé par la critique américaine pour des motifs tenant davantage de la morale que de la critique cinématographique (le fait que Stone ait représenté la bisexualité antique de façon assez réaliste ne lui a hélas pas valu que des félicitations). Mais, malgré ses défauts réels par ailleurs et la piètre performance de Colin Farrell, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce film a été sous-estimé. Il se distingue en tout cas par son ambition et son envergure dans le contexte de films à l'antique souvent beaucoup plus consensuels ou "faciles" dans leurs choix narratifs et esthétiques. Remarquez qu'Oliver Stone a réalisé une version longue du film sortie uniquement en DVD, mais j'ignore ce qu'elle vaut car je ne l'ai pas vue.

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

300 (300, Zack Snyder, 2007)

Nous en arrivons à la troisième grande bombe du box-office après Gladiator et Troie : 300. Et encore une fois, il importe de prêter attention à la nature précise du projet afin de bien comprendre et donc de juger convenablement le film.
Le sujet général de 300 est de type historique : la résistance héroïque de trois cents guerriers spartiates face aux troupes d'invasion du roi perse Xerxès à l'occasion de la bataille du défilé des Thermopyles, pendant la seconde guerre médique, en 480 av. J.-C. Mais 300, contrairement à Alexandre, n'est pas du tout un film historique. C'est une adaptation d'un comic américain (plus précisément d'un roman graphique, c'est-à-dire grosso modo d'un récit autonome plus long que les bandes dessinées américaines classiques) dessiné et scénarisé par Frank Miller et paru chez Dark Horse en 1998, en cinq épisodes rassemblés en une intégrale l'année suivante.

La bande dessinée...

La bande dessinée de Miller n'est pas une fiction historique, mais un récit fantastique librement inspiré d'une base historique. Sans contenir d'éléments merveilleux, il élabore un univers visuel nettement affranchi de la simple reconstitution et qui donne dans le fantastique ou le fantasmatique (un peu comme l'univers exubérant de l'adaptation en BD de Salammbô par Philippe Druillet, sauf que Druillet transpose le roman de Flaubert dans un univers de complète science-fiction). De là des éléments purement imaginaires, comme les piercings dorés du roi Xerxès, la représentation des éphores de Sparte en bossus libidineux, celle des Perses comme des espèces d'assassins enturbannés (les Immortels, soldats d'élite, portant quant à eux des masques et des épées d'allure japonisante), ou encore l'aspect fantastique de certaines créatures présentes dans l'armée perse. Par ailleurs, Miller centre toute l'intrigue sur le roi spartiate Léonidas et sa troupe de trois cents guerriers, en occultant complètement le rôle joué par Athènes et les autres cités grecques pendant cette phase de la guerre. Pouvoirs surnaturels à part, les trois cents apparaissent pratiquement comme un personnage collectif de super héros, dont la glorieuse carrière militaire se termine en martyre, puisqu'ils finissent par succomber sous le nombre (cuisante défaite relatée dans le cinquième et dernier épisode, intitulé toutefois "Victoire").
Frank Miller est un auteur de comics reconnu aux Etats-Unis, auteur de plusieurs chefs-d'œuvre du genre, dont plusieurs ont été adaptés au cinéma. L'une des principales qualités de la bande dessinée 300 réside dans son art achevé du récit visuel, notamment d'impressionnants dessins en pleine page. Le scénario, en revanche, s'il est porté par un souffle épique indéniable, m'a laissé sceptique par sa simplicité manichéenne et par l'idéologie implicite qui gouverne ses choix dans les libertés prises avec l'Histoire (choix que Miller a effectués en pleine connaissance de cause). Un tel univers, où la Grèce est entièrement éclipsée à l'exception d'une Sparte héroïsée dont le gouvernement aristocratique et eugéniste fait de la vie civique une machine de guerre, où les Perses sont décrits comme une foule bigarrée de barbares décadents gouvernés par leurs sens et menés par un roi-dieu tyrannique, où l'apparence dit tout sur les qualités morales (les gentils sont beaux, les méchants sont laids et vice-versa), atteint un degré de fidélité inédit à son sujet dans la mesure où il pourrait être le produit de l'imagination d'un Spartiate du Ve siècle écrivant un texte de propagande pour glorifier sa cité.
Mais nous sommes au XXIe siècle, et héroïser Sparte au XXIe siècle n'a plus exactement le même sens. Rappelons que la cité de Sparte s'est caractérisée par l'un des régimes aristocratiques les plus durs de Grèce, par l'éducation la plus violente et par le pire traitement des esclaves : il est quelque peu embarrassant de choisir cette cité en particulier comme parangon de l'héroïsme. Qui plus est, une telle reprise s'inscrit dans la lignée de nombreux "laconophiles" (admirateurs de Sparte), qui, en majorité, n'ont pas exactement été de fervents partisans de la démocratie. Frank Miller est très loin d'ignorer cela, et ses convictions politiques personnelles l'ont peu à peu rapproché de ce que les Etats-Unis comptent de plus extrémiste en matière de patriotisme violent, pour ne pas dire fascisant. Le dernier comic en date du monsieur, Holy Terror, paru en 2011, qu'il présente comme "un outil de propagande", met en scène un super-héros, le "Réparateur", partant en guerre contre Al-Qaida ; et ce qui aurait n'être qu'un récit médiocre sur le modèle de vieux comics de propagande du type Superman vs. Hitler, ou bien un joyeux défoulement lisible au second degré, s'est avéré un torchon gavé de l'islamophobie la plus primaire. Bref, les choix de 300 en matière de liberté créative ne vont pas sans relents nauséabonds.

...et son adaptation

Revenons-en au film. Zack Snyder est un fan de comics, qui a déjà signé plusieurs adaptations toutes caractérisées par un recours abondant aux effets spéciaux numériques : ses films font partie de ces grosses productions récentes où la frontière entre prises de vue réelle et animation n'existe pratiquement plus, tant les images des acteurs sont lourdement retouchées. L'adaptation de 300 par Snyder se veut très fidèle à l'univers visuel du comic, et en accentue encore la dimension fantastique. Ciels d'encre, contrastes accentués, taches rouges des capes et des gerbes de sang, éclats métalliques des armes et des boucliers : les images du film sont autant de tableaux qui rappellent l'art pompier du XIXe siècle. La réalisation use et abuse des ralentis esthétisants pour donner à voir (admirer ?) les corps des guerriers en plein élan, les corps d'ennemis transpercés, le sang qui gicle*. Certains plans s'inspirent par ailleurs des procédés de mise en scène des jeux vidéo d'action, comme le défilement parallaxe horizontal, qui donne à voir le personnage avançant pour tuer l'un après l'autre des ennemis qui se présentent en face de lui, tandis que le décor défile au rythme de sa course (ces scènes sont reconnaissables au sentiment de profonde frustration éprouvé alors par le spectateur du film, qui cherche en vain la manette de jeu). La bande originale du film, quant à elle, recourt moins à l'orchestre symphonique qu'à la guitare électrique - et il faut avouer qu'une bataille de hoplites sur fond de heavy metal, il fallait le faire.
Le film apporte plusieurs modifications au scénario de la bande dessinée. La reine de Sparte, Gorgô, a un rôle beaucoup plus développé. Et surtout, le film me paraît autoriser davantage de distance critique envers les Spartiates que le comic de Miller : l'introduction donne un tableau très sombre de l'eugénisme spartiate, et un certain nombre de répliques montrent que les Spartiates ne sont pas tellement meilleurs que les Perses qu'ils combattent. Malheureusement, le fond ne change pas beaucoup : même exaltation des Spartiates, mêmes moqueries envers les Athéniens avec "leurs philosophes et leurs amateurs de mecs" **, même manichéisme et même simplisme dans le partage entre des héros à la plastique sculpturale et des méchants invariablement dépeints comme laids, handicapés, monstrueux ou décadents.
Ce film est à mon sens l'exemple typique d'un récit qui peut être regardé et compris de multiples façons différentes selon le niveau d'éducation du spectateur et le type de références culturels dans lequel il a baigné auparavant. On peut le regarder comme un pur divertissement, et y voir soit un horrible nanar, soit un film d'action réussi, indépendamment de son manque complet de subtilité. Mais le contenu du film, comme celui du comic, rend parfaitement possible d'admirer au premier degré la violence qu'il esthétise et l'idéologie guerrière qu'il promeut, voire de le regarder comme un authentique appel à un choc des civilisations. Des spectateurs particulièrement mal informés risquent même de prendre pour argent comptant les déformations historiques auxquelles recourt le scénario pour exagérer le rôle de Sparte au détriment de celui des autres cités. Autrement dit, comme toujours, une mauvaise connaissance de l'Antiquité expose à toutes les récupérations politiques et idéologiques...
Au demeurant, le film a donné lieu immédiatement à d'innombrables parodies, sur Internet (le fameux cri de Léonidas "This is Sparta !" en tuant l'émissaire perse est devenu un "meme") et même en film, puisqu'une parodie québécoise, Spartatouille, est sortie en 2008. De quoi rassurer un peu sur les risques de prendre le film trop au sérieux...

* Le procédé n'est pas nouveau : ce type de ralentis sur des scènes de combat a déjà été utilisé dans les films d'action récents (on pense par exemple au fameux bullet time rendu célèbre par Matrix et qui filmait au ralenti les rafales de mitraillettes - que le héros pouvait d'ailleurs esquiver).
** Je me rends compte en rédigeant cette synthèse que ces néo-péplums adoptent un panel d'attitudes très intéressant en termes d'évocation de la sexualité antique. En l'occurrence, une telle moquerie dans la bouche d'un Spartiate est plus comique qu'autre chose, non seulement parce qu'elle ignore savamment la réalité historique de la sexualité à Sparte, mais surtout parce qu'elle est prononcée dans un film qui a probablement établi un nouveau record du nombre de mâles musculeux demi-nus à l'écran.

La Dernière Légion (The Last Legion, Doug Lefler, 2007)
et Sa Majesté Minor (Jean-Jacques Annaud, 2007)


Je passe rapidement sur ces deux autres péplums de 2007 que je n'ai pas encore vus et dont je ne sais pas ce qu'ils valent.
La Dernière Légion est une assez grosse production, adaptée d'un roman historique éponyme de l'auteur italien Valerio Massimo Manfredi paru en 2003. L'intrigue se déroule dans l'Antiquité tardive et met en scène la chute de l'empire romain ; elle mêle la vie du tout dernier empereur romain d'Occident, Romulus Augustule, à des personnages et à des détails historiques considérés par certains historiens comme des origines possibles du mythe arthurien médiéval. Le film a été très mal reçu par la critique, tant aux Etats-Unis qu'en France.
Sa Majesté Minor est un film français de Jean-Jacques Annaud qui est une sorte de fable mythologique humoristique. Minor, un être mi-homme, mi-cochon, vit en Crète à l'époque "pré-homérique" (donc autour du Xe ou du IXe s. av. J.-C., je suppose). Rejeté par les villageois, il finit par s'aventurer dans une forêt interdite où il rencontre le dieu Pan incarné sous la forme d'un satyre évidemment obsédé par le sexe, qui couche avec lui et le conseille sur la façon de devenir roi. Là encore, le film a été descendu en flammes par la critique.

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

Agora (Ágora, Alejandro Amenábar, 2009)

Agora est le deuxième réel péplum historique des années 2000 après Alexandre. Le film, une réalisation espagnole co-produite avec un studio maltais, évoque en effet la vie d'une astronome du IVe siècle, Hypatie d'Alexandrie, dans le contexte des conflits entre le paganisme et le christianisme qui tend à s'imposer à l'époque. L'intrigue suit parallèlement la vie d'Hypatie, la progression de ses recherches en astronomie, et le destin de plusieurs de ses élèves, divisés par leurs fois religieuses divergentes.

Entre reconstitution historique et réflexion politique...

Par le choix de son sujet (une époque assez peu représentée au cinéma, un personnage inconnu du grand public) le film surpasse aisément en originalité tous les autres dont je parle ici, et c'est là sa première qualité. La deuxième réside dans le traitement de ce sujet, qui accorde une large part aux scènes de vie quotidienne, à l'enseignement d'Hypatie et aux discussions, en limitant la place dévolue aux scènes d'action. Evaluer la fidélité de la reconstitution historique réclamerait une analyse de détail et une connaissance de cette époque bien plus approfondie que ce à quoi je peux prétendre maintenant, mais l'ensemble (vêtements, mobilier, représentation de la bibliothèque d'Alexandrie et des papyri, relations entre maîtres et esclaves, etc.) paraît soigné.
Le respect du détail des événements, en revanche, a suscité davantage de critiques. Cela tient à la nature double du projet d'Amenábar. En effet, le réalisateur n'a pas seulement, voire pas principalement en tête de réaliser une simple biographie d'une astronome antique ; il prend son sujet avant tout comme un prétexte à une réflexion sur le fanatisme religieux, la façon dont il se développe, ses conséquences sur la vie politique et sur l'histoire des idées. Une fois encore, ce péplum se réfère autant aux réalités contemporaines qu'à l'époque dont il traite : Amenábar dénonce vigoureusement le fanatisme religieux, ce qui ne peut que faire penser le spectateur à l'islamisme, mais avec cette torsion intéressante qu'à l'époque dont parle le film, les fanatiques sont chrétiens (plus précisément la confrérie des parabolani qui à l'origine accomplissaient volontairement des tâches ingrates et dangereuses comme les soins aux malades contagieux), ce qui permet d'étendre cette dénonciation aux mécanismes généraux du fanatisme, quelle que soit la religion concernée.

...il aurait peut-être fallu mieux faire la part

Sur le plan précis de cette réflexion politique, le film est une grande réussite, et contient en particulier des scènes de discussion qui mettent en évidence la rhétorique du fanatisme à l'œuvre, ses sophismes, ses amalgames, ses procédés faciles pour impressionner, emporter l'adhésion et galvaniser les foules contre les ennemis qu'il désigne. Mais cette réussite va de pair avec une faiblesse, dans la mesure où la représentation des parabolani et de leurs affrontements avec les païens et les juifs finit par risquer un certain manichéisme : la part de pamphlet politique finit par nuire à la fidélité de la reconstitution historique, ce qui est dommage dans le cas d'une époque très peu connue du grand public, et pour laquelle les sources et ouvrages permettant de connaître le déroulement réel des faits ne sont pas toujours très accessibles pour le premier venu. De même, quelques libertés ont été prises avec ce que l'on sait des travaux réels d'Hypatie : il semble probable qu'elle ne fit jamais la découverte majeure que le film lui attribue dans le dénouement, ce qui n'ôte rien au caractère pionnier de ses recherches. Cependant, une fiction, même historique, reste une fiction, et le film garde ce gros avantage d'attirer pour la première fois l'attention générale sur une époque et un personnage jamais représentés auparavant au cinéma. C'est même une invitation idéale à la découverte d'Hypatie et de l'Egypte du IVe siècle.
En termes de spectacle, le film a su présenter un univers visuel qui n'a rien à envier, en termes de décors et de costumes, à celui des grosses productions, et le jeu des acteurs est satisfaisant (Hypatie est jouée par Rachel Weisz et son père Théon par Michael Lonsdale). La réalisation s'autorise quelques audaces, en particulier les travellings avant et arrière qui, depuis l'espace, plongent vers la Terre jusqu'à la bibliothèque d'Alexandrie. La musique ne m'a pas spécialement marqué, ni en bien ni en mal.

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

Le Choc des titans (Clash of the Titans, Louis Leterrier, 2010)


Le genre du film à l'antique avait eu beau ressusciter depuis dix ans, les amateurs de mythologie n'avaient pas encore eu grand-chose à se mettre sous la dent : Troie, on l'a vu, s'obstinait à un historicisme fade, tandis que 300 donnait plus dans l'action et le gore que dans le merveilleux. Ce n'est qu'en 2010, avec Le Choc des titans, que votre serviteur mythophile eut le plaisir de voir enfin réapparaître dieux et monstres sur le grand écran. Ce n'était pas trop tôt !
Le film fut raillé par la critique mais s'avéra un succès commercial. Il faut en convenir : ce premier retour au vrai péplum mythologique n'a rien de très mémorable. Encore faut-il, là aussi, prendre le temps de bien comprendre la nature du projet, afin de ne pas donner dans le faux procès et de faire au film les bons reproches.

L'aspect remake

Le Choc des titans est à l'origine un péplum réalisé par Desmond Davis et sorti en 1981, l'une des dernières grosses productions américaines du genre avant l'éclipse des années 1980-1990. L'histoire s'inspire librement du mythe de Persée, dont elle reprend les grandes étapes (l'enfance, la capture de Pégase, les Grées, l'affrontement contre Méduse, puis la victoire contre le monstre marin auquel devait être livrée Andromède) qu'elle réagence pour donner plus de cohérence à l'intrigue, non sans ajouter au passage quelques éléments spectaculaires (Méduse est un être mi-femme, mi-serpent ; le monstre marin est un Kraken mi-humanoïde, mi-poisson ; Persée affronte à un moment donné deux scorpions géants qui ne figurent pas dans le mythe antique ; les principaux monstres du film sont qualifiés de "Titans" malgré leur absence complète de lien avec les Titans mythologiques) et quelques personnages entièrement originaux (principalement Calibos, un homme difforme qui doit plus au Caliban de La Tempête de Shakespeare qu'aux écrivains grecs, et Bubo, une chouette-robot fabriquée par Héphaïstos à l'image de la chouette d'Athéna - la question de savoir si le R2-D2 de Star Wars a copié Bubo ou bien a été copié par elle est probablement l'une des controverses les plus passionnées de l'histoire du cinéma). Les effets spéciaux du film ont été réalisés par le fameux Ray Harryhausen, spécialisé dans l'animation de statuettes de monstres en image par image. L'ensemble, tant les acteurs que les effets spéciaux, a inégalement vieilli, mais conserve un charme certain.
Le Choc des titans sorti en 2010 est un remake de celui de 1981, du moins en principe. Garder cela en tête permet de moins s'exaspérer de certains des écarts par rapport au mythe antique : la présence de Calibos et des scorpions géants sont inexplicables autrement, de même que l'apparence de Méduse ou encore le caméo de Bubo dans une scène du film.
Cependant, le remake de Leterrier est tout sauf servile envers sa source : il apporte à son tour beaucoup de modifications à sa matière, la principale étant l'ajout d'un adversaire principal de Persée en la personne du dieu Hadès. Ce n'est plus Zeus (comme dans le film de 1981) mais Hadès qui lâche les Titans, c'est-à-dire surtout le Kraken, contre l'humanité en général et Persée en particulier ; et sa principale motivation est le désir de supplanter Zeus. Hadès cherchant à libérer des Titans monstrueux pour supplanter Zeus : cela ne peut que faire penser à l'Hercule de Disney, même si l'idée reste relativement générique. Autre élément nouveau : Persée se voit remettre une épée qui se change en simple bâton lorsque tout autre que lui s'en empare. Autre péripétie nouvelle : la place accordée aux scorpions géants, qui naissent ici de la main coupée de Calibos, est plus développée, et il faut une alliance originale entre les guerriers de Persée et des djinns du désert pour vaincre puis apprivoiser les monstres, qui deviennent les montures temporaires d'une caravane merveilleuse. Les modifications apportées au mythe sont donc beaucoup plus importantes que dans le film original : si Le Choc des titans de 1981 pouvait encore être qualifié d'adaptation à l'écran d'un mythe antique, celui de 2010 s'en écarte franchement pour basculer dans la fantasy mythologique.
On voit que, dans ce projet hybride, la réappropriation des inventions du film de 1981 n'est pas inintéressante, en particulier la transformation du rôle accordé aux scorpions. On observe aussi la résonance politique de l'apparition des djinns du désert, qui ont l'allure d'êtres ligneux aux yeux brillants, enveloppés dans des voiles bleus comme des touaregs, et dont on ne comprend pas la langue ; la séquence insiste sur la méfiance des Grecs envers ces démons orientaux, mais débouche sur une alliance, au terme de laquelle l'un des djinns ira jusqu'à se sacrifier pour aider Persée dans sa lutte contre Méduse, en se faisant exploser en une gerbe d'énergie bleutée (!). Difficile de ne pas y voir une allusion, consensuelle sur le fond mais résolument ludique dans la forme, à la peur américaine du terrorisme proche-oriental. Regardé au premier degré, c'est aussi une joyeuse rencontre entre mythologies comme on aimerait en voir plus souvent...

Le reste

Voilà pour l'aspect remake. Mais tout cela ne suffit pas à faire un bon film. Qu'en est-il du reste ? Sur le plan visuel, nous assistons enfin au grand retour des dieux de l'Olympe et des créatures mythologiques à l'écran. Si l'Olympe est un peu fade, l'aspect des dieux adopte un parti pris assez convaincant bien qu'éloigné de ses sources : celui de représenter les dieux dans des armures scintillantes tout droit héritées de la série d'animation japonaise Saint-Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque). L'aspect des monstres est quant à lui réussi dans l'ensemble, et très conforme à la mode actuelle du réalisme sombre. Pégase lui-même a abandonné son habituelle couleur blanche pour une robe d'étalon noir. Charon, lui, a fusionné avec son navire pour former une entité de bois hautement antipathique. Si Méduse conserve l'apparence qu'on lui connaissait dans le film de 1981, le Kraken, de son côté, se rapproche de la représentation habituelle des krakens comme des calmars géants en se dotant de tentacules dont ne disposait pas son modèle harryhausenien (c'est probablement un effet du succès du mythe de Cthulhu, création de l'auteur américain H. P. Lovecraft remontant aux années 1930, dont le dieu monstrueux a mis à la mode les humanoïdes à tentacules).
Le seul grand reproche qui a été fait au film sur le plan visuel ne réside pas dans sa réalisation proprement dite mais dans sa conversion à la 3D relief, faite à la va-vite et qui semble avoir rendu certaines scènes pratiquement illisibles (le film est même devenu un exemple-type des ratages que peut entraîner une mauvaise conversion 3D). Mais pour qui regarde le film en 2D, le problème ne se pose pas, sauf dans les effets clinquants du générique, kitschissimes.
Là où le bât blesse, c'est dans le détail du scénario et dans les dialogues. Un parti pris dans la lignée de Troie montre (il y en aura d'autres exemples) le consensus qui paraît régner à Hollywood dans la représentation du paganisme : le héros n'aime pas les dieux, dont le pouvoir lui paraît tyrannique et l'implication dans la justice sur Terre très insuffisante, et la question de savoir s'il va faire ou non quelque chose pour eux constitue donc le grand dilemme qui l'occupe pendant une bonne partie du film. Nous sommes bien entendu à des années-lumière de la mythologie antique, où la question ne se poserait même pas. Mais cela pourrait donner quelque chose d'intéressant si le personnage de Persée et sa relation avec Zeus étaient bien développés. Malheureusement, tout cela reste très schématique. Tout aussi schématique est le personnage d'Io (qui n'a rien à voir avec la vierge puis génisse du même nom) qui finit évidemment avec Persée. Les dialogues sont d'une platitude consternante, frappés eux aussi par la brevitas pontifiante hollywoodienne.
Le jeu des acteurs est probablement ce qui achève de plomber le film. Sam Worthington, en particulier, qui incarne Persée, est d'une inexpressivité qui tient de la prouesse. Quant à la musique, elle fait vaguement son travail d'accompagnement et d'entretien du suspense, mais ne vaut pas grand-chose en elle-même.

(Source de l'image : Wikipédia anglophone.)

Centurion (Centurion, Neil Marshall, 2010)

Voici à présent un film dont Lina vous avait déjà parlé : je vais en dire un mot à mon tour. De nouveau un film à base historique, de nouveau une approche légèrement différente de ce qui s'était fait jusque là. Ici ce n'est pas la reconstitution qui prime, pour la bonne raison que le scénario du film se fonde sur une légende de l'Histoire elle-même née d'une énigme (résolue depuis) : l'absence de toute trace de la neuvième légion romaine, la Legio IX Hispana, après l'année 117. En réalité l'existence de cette légion est encore attestée au cours des années suivantes, mais à une époque les historiens se demandaient ce qu'elle avait bien pu devenir, et l'imagination des artistes s'est à raison emparée de cet excellent sujet de fiction.
Aussi bien le réalisateur, Neil Marshall, ne prétend-il nullement avoir tourné un film historique, mais simplement un film d'action et d'aventure librement inspiré de ce sujet. Dans le film, la neuvième légion romaine est en réalité vite expédiée : elle est massacrée au cours d'un guet-apens (à coups de boules enflammées, comme dans Troie : copie ou source commune ?) par des Pictes, un peuple écossais vivant au delà du mur d'Hadrien alors en cours de construction (du moins dans le film, car en réalité son édification ne commence que quelques années après, en 122). Plutôt que le destin d'une légion entière, c'est celle d'une poignée de survivants romains, dont le centurion du titre, qui intéresse Marshall : le film relate leur périlleux retour vers la frontière de l'empire, dans un pays de nature sauvage, et la chasse à l'homme que mène contre eux une troupe de Pictes implacables menés par une cheftaine assoiffée de vengeance.
Neil Marshall s'est fait connaître par ses films d'horreur, plus précisément de survival horror (un groupe d'humains paniqués doit rester en vie malgré la menace de [insérez ici quelque chose d'horrible]). On pouvait donc craindre un film dans la lignée de 300, avec une Antiquité fantasmée et une complaisante dans la violence... mais ce n'est nullement le cas. De la violence, certes, il y en a, mais elle n'est pas du tout filmée de la même façon, ni présentée de la même façon. Nul paysage lourdement retouché, nul ralenti sur les gerbes de sang, nulle musique de heavy metal : seulement des combats réalistes, dont la brutalité est montrée crument mais n'est en rien exaltée. Si les Spartiates de 300 sont nés pour la guerre et semblent prendre leur pied dans la mêlée, tel n'est pas le cas des légionnaires romains de Centurion. Ils ont faim, froid, sommeil, ils veulent rentrer chez eux et sont terrifiés par la menace omniprésente des Pictes qui connaissent parfaitement ce pays inconnu d'eux, où ils vont mourir les uns après les autres. Bien sûr, il n'y a pas plus de façon de filmer neutre que de style neutre en écriture, mais la réalisation s'en tient, il me semble, aux conventions du film d'aventure, en s'autorisant seulement quelques moments épiques, notamment dans la virtuosité du combat final.
L'essentiel du film tient dans cette chasse à l'homme où les Romains, pour une fois, sont les victimes traquées. Les quelques personnages principaux sont campés clairement, mais sans atteindre des profondeurs psychologiques faramineuses. C'est davantage la cohérence du scénario, ainsi que son dénouement bien trouvé, qui font la qualité du film malgré ses ficelles classiques. Le contexte historique n'est jamais détaillé ni rappelé avec assez d'insistance pour ancrer vraiment l'intrigue dans son époque précise : l'histoire aurait facilement pu prendre place ailleurs, à une autre époque, ou même dans un univers de fantasy. C'est une aventure bien menée, qu'on regarde comme on lirait un (bon) album de Thorgal. Enfin, sans être atteindre la complexité d'Agora, le film contient des éléments de réflexion politique : les vicissitudes d'une puissance impérialiste aux prises avec un peuple recourant à la guérilla peuvent faire penser aux problèmes de la guerre américaine en Irak au moment de la sortie du film ; et, plus généralement, le dénouement amer de l'intrigue montre les valeurs du centurion se heurtant au cynisme du pouvoir qu'il a si âprement défendu.
Si la distribution du film est inégale (Olga Kurylenko en chasseuse picte ne se distingue pas exactement par ses qualités d'actrice), il est porté par son excellent acteur principal, Michael Fassbender, qui confère tout du long une crédibilité parfaite au centurion Quintus Dias. La musique, enfin, est très honorable.
Le film a été méprisé par la critique britannique et à peu près ignoré par la critique française : à tort, car il offre une aventure honnêtement menée et nettement moins prétentieuse que beaucoup de grosses productions aux scénarios autrement plus inanes...

L'Aigle de la neuvième légion (The Eagle, Kevin Macdonald, 2011)

Je passe plus rapidement sur ce film, car je ne l'ai pas encore vu. C'est une chose qui arrive fréquemment au cinéma que de voir deux films traitant à peu près du même sujet mis en production puis distribués en salles à peu de mois d'intervalle. C'est le cas pour Centurion et L'Aigle de la neuvième légion, puisque tous deux se fondent sur le même (ancien) mystère historique. Difficile de savoir si l'un a copié l'autre. Le fait est, en tout cas, que, là encore, le projet de L'Aigle... est un peu différent : il s'agit de l'adaptation d'un roman historique du même nom, publié par Rosemary Sutcliff dans les années 1950 et devenu un classique.


Les Immortels (Immortals, Tarsem Singh, 2011)


Nous en arrivons au dernier en date de ces films à l'antique : Les Immortels, sorti en France en novembre 2011.
Les affiches du film annonçaient fièrement : "par les producteurs de 300" (ce qui pouvait également faire fuir), mais malgré la proximité entre l'esthétique adoptée ici par Tarsem Singh et celle de Zack Snyder dans 300, il y a des différences notables entre les deux projets. Les Immortels n'est pas une adaptation d'œuvre, et le film ne consiste même pas en la transposition d'un mythe antique, comme Le Choc des titans était supposé le faire : c'est véritablement une création originale, qui entre de plein pied dans le champ de la fantasy mythologique (où Le Choc des titans s'aventurait déjà de facto). Le scénario s'inspire en revanche de plusieurs mythes : le héros est Thésée, quelques éléments sont repris de l'affrontement contre le Minotaure, mais l'enjeu principal de l'intrigue réside dans la menace d'une invasion du monde par... les Titans (encore !), emprisonnés sous le mont Tartare, et que le maléfique roi Hypérion tente de libérer afin de provoquer la chute des dieux de l'Olympe.
Le résultat est un film d'aventure très orienté vers l'action et le gore, et où le meilleur côtoie, malheureusement, le pire.

Le meilleur...

En termes de représentation de la mythologie grecque au cinéma, Les Immortels est probablement ce qui s'est fait de plus habile depuis le renouveau du genre. Même si le résultat est loin d'être parfait, on assiste à la reprise d'éléments mythologiques plus proches des sources antiques, une réelle réappropriation de logiques interprétatives propres aux mythographes anciens, et (c'est le plus visible) une volonté de transposer au cinéma les codes de l'épopée antique.
La reprise d'éléments mythologiques proches des sources anciennes est visible dans la représentation des dieux et de leurs pouvoirs, généralement très proche de ce qu'on trouve dans les épopées homériques. Même chose pour la distinction entre la forme immortelle des dieux, sous laquelle ils ne doivent (normalement) pas se laisser voir des mortels, et les divers déguisements qu'ils sont amenés à prendre lorsqu'ils descendant chez les humains. Autre élément pertinent : le choix d'un arc comme enjeu de la quête de Thésée. Certes, la mythologie grecque ignore en général les armes surpuissantes (de telles armes se trouvent plutôt dans la mythologie hindoue par exemple), mais les arcs et les archers y tiennent une place importante, d'Héraclès à Ulysse en passant par Philoctète, entre autres. Voilà qui change agréablement de l'épée de Priam dans Troie ou de celle donnée à Persée dans Le Choc des titans, car la mythologie grecque, contrairement à l'imaginaire médiéval, ne connaît pas la moindre épée notable. Plus ponctuel, l'un des supplices employés par Hypérion, consistant à faire bouillir ses prisonniers dans un taureau de métal creux dont les cris des suppliciés forment le mugissement : c'est une reprise d'un supplice mentionné par les textes antiques à propos d'un personnage historique réel, le tyran sicilien Phalaris d'Agrigente.
Plus surprenante et plus habile est la réappropriation, par les scénaristes, de logiques interprétatives similaires à celles des mythographes anciens lorsqu'ils remanient les récits mythologiques afin d'en élaborer des variantes à leur goût. J'ai parlé du parti pris de Troie "d'historiciser" l'épopée homérique en en supprimant purement et simplement les éléments merveilleux. Les Immortels est ici plus subtil : il fait coexister un cadre général directement transposé de l'épopée homérique, donc propice au merveilleux, et d'autres éléments qui consistent en des réinterprétations "historicisées" de mythes classiques. C'est typiquement le cas pour le Minotaure, qui n'est pas une créature surnaturelle mais un guerrier brutal revêtu d'un masque de taureau et surnommé "la Bête" (cette version est très proche de la variante évhémériste du mythe antique, dans laquelle le Minotaure n'est autre qu'un chef militaire surnommé "le Taureau" en raison de sa brutalité). Même chose pour le Tartare, qui n'est pas ici un monde souterrain mais "seulement" une montagne creuse. Dernier élément du même genre, on assiste à un (bref) affrontement entre Thésée et un homme politique grec, ce dernier défendant une interprétation allégorique des mythes qui leur nie toute réalité concrète : Thésée se fait ainsi expliquer que les dieux et les titans, que l'on voit à l'œuvre depuis le début du film, ne sont que des métaphores : l'effet humoristique est garanti.
Enfin, l'esthétique du film et ses procédés de réalisation, en bonne partie similaires à ceux de 300, sont ici mis au service d'une transposition au cinéma des codes de l'épopée antique. Les nombreux ralentis pendant les combats ont davantage de sens ici, puisqu'on peut les rapprocher de la description extrêmement détaillée des échanges de coups et des blessures dans les épopées homériques. L'exagération de la puissance des coups et la multiplication des victimes sont ici expliquées soit par le statut de héros de Thésée, soit surtout par le rang divin des combattants (en particulier la scène où Arès intervient pour sauver Thésée débordé par ses ennemis, et le combat final entre dieux et titans). De même, les effets d'amplification de la lumière et du son sont abondamment utilisés pour représenter la puissance des dieux, capables notamment de se déplacer à une vitesse supersonique ; Poséidon plonge dans la mer pour provoquer un tsunami, tandis que Zeus fait trembler le sol lorsqu'il vient s'y poser. Un certain nombre de ces procédés empruntent, soit aux films de super héros, soit aux films d'action en général, soit ici encore aux jeux vidéo de combat (on trouve, comme dans 300, des scènes de corps à corps où un combattant seul avance vers la droite et élimine tour à tour les ennemis qui avancent à la file indienne - comme s'ils se déplaçaient le long d'un mur ou bien dans un niveau de jeu en deux dimensions - pour se présenter à lui un par un).
N'oublions pas une référence beaucoup plus explicite encore à l'Antiquité : la présence de quelques dialogues en grec ancien sous-titré, réservés aux échanges entre les prêtresses du village de Thésée.

...et le pire

Jusque là, tout semble promettre un film d'aventure particulièrement judicieux dans sa représentation d'une épopée mythologique "à la grecque". Hélas, tout cela, une fois encore, ne suffit pas à faire un bon film...
Malgré les bonnes idées qu'il contient, le scénario se cantonne malheureusement à un manichéisme consternant, peut-être pire que celui de 300. Nous avons affaire à une lutte du Bien contre le Mal, mais sans aucune des multiples nuances de gris que n'interdisait pourtant nullement un pareil sujet, comme l'avaient montré Le Seigneur des Anneaux de Tolkien et son adaptation par Peter Jackson. Il y a d'un côté Thésée et les dieux, de l'autre Hypérion et son armée, à laquelle viennent s'ajouter à la fin les Titans. Un unique personnage de traître, présenté dès le départ comme mal intentionné, n'ajoute aucune subtilité à l'ensemble.
L'esthétique du film, comme celle de 300, fait scrupuleusement correspondre l'apparence physique des personnages avec leur moralité. Ici encore, plus même que dans le Disney moyen, les beaux sont gentils et les laids sont méchants. Là où l'armée de Xerxès était une masse de barbares gouvernée par un roi-dieu décadent, l'armée d'Hypérion ressemble à un gigantesque club sadomasochiste où tout le monde est masqué, vêtu de cuir et de divers accessoires piquants, tous paraissant attendre la prochaine torture ou la prochaine parole humiliante de leur royal maître. On trouve encore ici et là (notamment dans la scène de la mine de sel) un Orient fantasmé, avec voiles tout à la fois intégraux et affriolants (certes il fallait le faire) et turbans de guerriers louches ; mais c'est davantage une esthétique de la souffrance et de la torture qui domine dans le camp d'Hypérion. Le camp du Bien est tout aussi sexualisé, puisque tous les personnages principaux mâles vont torse nu pour exhiber des formes avantageuses, tandis que les prêtresses vierges sont invariablement des sex bombs. Sur les vêtements des dieux, le doré domine, mais c'est déjà plus explicable.
Il faut concéder au film une ambition visuelle indéniable : celle d'élaborer un univers en bonne partie affranchi de tout réalisme, au profit de décors et de costumes qui seraient à leur place sur une scène d'opéra. Casques et accessoires adoptent des formes parfois visuellement intéressantes (le casque d'Arès surmonté d'une crête de lames d'épées), mais qui sombrent parfois dans le ridicule (le casque insectoïde de Poséidon ou l'espèce de pince de crabe qui surmonte celui d'Hypérion). Même chose pour les décors, qui ménagent des scènes où le souci de la composition de couleurs et de matières l'emporte sur le réalisme et parfois sur toute vraisemblance (ainsi la mine de sel est un désert blanc qui semble s'étendre à l'infini, mais Thésée et Phèdre s'en échappent, semble-t-il, en quelques heures seulement et sans la moindre fatigue). Un plan abondamment montré pendant la promotion du film, et qui montre dieux et titans s'affrontant dans le ciel, filmés d'en bas, en une sorte de fresque de plafond Renaissance, constitue une trouvaille indéniable, mais s'avère malheureusement sous-exploité dans le film.
Pas plus que ses partis pris visuels, le caractère très sombre de l'univers du film n'est pas un défaut en lui-même. C'est après tout une convention de la dark fantasy (un sous-genre de la fantasy) où le héros n'est pas de loin meilleur que ceux qu'il combat. Thésée a beau recevoir une leçon d'héroïsme d'un Zeus déguisé en vieillard, il semble tout oublier ensuite, et lors de son combat final contre Hypérion il semble mû par la seule volonté de vengeance (ce qui le rapproche du gladiateur de Ridley Scott... et du Persée du Choc des titans version 2010, qui cherche avant tout à venger la mort de ses parents tués par un Hadès distrait). C'est là un choix en théorie tout à fait acceptable, lorsqu'il n'est pas rendu intenable par un traitement caricatural.
Le problème, c'est que le film, pour faire court, en fait des tonnes. Ce qui détache le spectateur (en tout cas moi) et finit par provoquer le rire à la place de l'admiration, ce sont en particulier l'excès gratuit de cruauté dont fait preuve Hypérion et la surabondance de violence qui culmine lors de la bataille finale, tout le dernier tiers du film ne proposant pas grand-chose d'autre à admirer au spectateur qu'un ensemble de corps coupés en petits morceaux au milieu d'un mélange de sueur et de bouches crispées en rictus virils.

Malgré ses excès, le film pourrait donc tenir la route sans un autre défaut plus grave encore : les lacunes béantes du scénario, où les personnages agissent parfois sans motivation claire et en fonction d'une psychologie schématique ou inexistante.
Ainsi le "grand méchant" du film, Hypérion, semble exister purement pour le plaisir d'être maléfique. Son motif de haine envers les dieux, la perte de sa famille, paraît bien faible pour expliquer son caractère de psychopathe, et, même en lui accordant la fameuse démesure qui perd tous les grands criminels antiques, on manque cruellement d'informations sur la façon dont il est devenu le tyran qui nous est présenté. L'armée d'Hypérion est composée de soldats appelés les Héraklions, dont on ignore absolument tout, jusqu'à la raison qui les fait appeler ainsi ; rien n'explique comment Hypérion a réuni une armée si impressionnante, ni comment il maintient son pouvoir sur elle. Autant, dans 300, le nom de Xerxès suffisait à expliquer bien des choses, puisqu'il est à la tête d'un puissant empire, autant rien de tel n'est expliqué à propos d'Hypérion. Dernier exemple (d'autres seraient possibles) : le subit changement d'avis de l'oracle Phèdre, qui, de prêtresse contrainte de rester vierge pour préserver ses pouvoirs de vision prémonitoire, se décide subitement à perdre sa virginité avec Thésée (c'est là son seul rapport avec sa tragique homonyme), pour s'enfermer ensuite dans un rôle de cruche passive jusqu'à la fin du film.
Ce qui commence comme un film d'aventure mythologique intéressant tourne ainsi peu à peu au nanar, pour la plus grande déception (ou le plus grand fou rire) des spectateurs. Derrière la part de réel travail apportée au scénario et l'ambition visuelle du projet finissent par percer sa nature réelle, celle d'un produit commercial probablement commandé par les producteurs de 300 pour surfer sur le succès du film de Snyder et des jeux vidéo d'action du type God of War, qui proposent le même genre de fantasy mythologique sombre et gore ; mais ce produit n'arrive même pas vraiment à remplir sa fonction de divertissement, tant son histoire reste étique et son univers visuel boursouflé.
Devant les quelques authentiques trouvailles des scénaristes, je me suis pourtant pris à rêver d'un péplum mythologique qui parviendrait à la fois à se montrer respectueux de l'esprit de la mythologie grecque et à constituer tout simplement un film qui tiendrait debout. Espérons que cela arrive un jour !