samedi 11 février 2012

Guéant et les civilisations, ou l'irresponsabilité suicidaire

Comme beaucoup de gens, j'ai été profondément choqué par les propos de M. Guéant prônant une vision du monde comme divisé en civilisations inégales, et par les soutiens qu'il a reçus de la part des membres de son parti. Ces propos sont honteux à plus d'un titre.

Par la pensée réactionnaire dont ils témoignent, tout d'abord. Qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit ici ni d'un "dérapage", ni d'un "cas" isolé au sein d'un parti dont ces propos ne refléteraient pas la pensée politique réelle. Cinq ans de petites phrases et de dérapages, c'est un peu gros. La véritable direction dans laquelle évolue l'UMP depuis cinq ans n'a fait que se dévoiler progressivement, et ces propos ne sont que les derniers représentants en date d'une volonté politique dont le tout aussi honteux discours de Dakar du président sortant en 2007 (soutenant que l'homme africain n'était "pas entré dans l'Histoire") était l'une des premières expressions. On se tromperait en croyant qu'il ne s'agit ici que d'ignorance, d'absence de maîtrise ou de planification. L'ensemble frappe au contraire par sa cohérence : une pensée réactionnaire est au pouvoir, plus virulente qu'elle ne l'a jamais été à droite.

Par le détournement sciemment organisé de pans entiers de la recherche en sciences humaines, ensuite, et c'est probablement cet aspect des choses qui me révolte le plus. J'ai eu la chance de faire des études longues, d'avoir un bon aperçu de l'histoire au long terme de la France en classe préparatoire, d'étudier des cultures antiques radicalement différentes des nôtres, et de découvrir des cultures lointaines grâce à l'anthropologie, que j'ai aussitôt regretté de ne pas avoir découverte plus tôt tant mes quelques lectures dans ce domaine se sont révélées passionnantes. Tout cela m'a ouvert l'esprit : je suis loin de tout comprendre, mais j'ai l'habitude de ne pas me borner à ce que je connais du monde, et de relativiser (oui messieurs, de relativiser) les valeurs propres à ma culture d'origine. Contrairement à ce que M. Guéant sous-entend avec la plus parfaite mauvaise foi, rien de tout cela ne m'a jamais fait renoncer aux valeurs de la République, ni de la démocratie. Bien au contraire, j'en suis ressorti plus attaché que jamais aux droits humains tels que des organisations comme l'ONU luttent pour les affirmer à l'échelle mondiale, non pas sur le modèle d'une "civilisation supérieure" qu'il s'agirait d'imposer aux autres, mais dans la discussion en quête d'une entente mutuelle, qui est l'unique moyen possible pour concevoir un progrès mondial (comme n'importe quel diplomate et comme même le plus enflammé des militants pour les droits de l'homme vous le diront).

Alors, quand, après avoir lu des auteurs comme Lévi-Strauss, j'entends le parti majoritaire opérer une distorsion complète de leur pensée et une récupération en bonne et due forme au service d'une pensée réactionnaire et xénophobe, j'entends les chercheurs, ceux qui s'y connaissent vraiment, réfuter point par point ce tissu de mensonges, je les approuve, et je me sens, comme eux, profondément révolté. Au nom de quoi ces hommes et ces femmes politiques se permettent-ils d'organiser sciemment une telle désinformation par la voix des médias nationaux ? Au nom de quoi se permettent-ils d'ignorer superbement des siècles de patiente recherche en anthropologie, d'annuler en quelques phrases les efforts colossaux à l'issue desquelles les sciences humaines ont pris conscience de leurs propres préjugés envers les autres peuples et ont réussi à changer d'attitude pour enfin mettre sur pied des sciences de l'homme dignes de ce nom, libérées de tout relent raciste ou colonialiste ? Et au nom de quoi ces gens de pouvoir se croient-ils autorisés à entretenir délibérément l'ignorance et les préjugés les plus nauséabonds au sein de toute la partie de la population qui n'a pas la chance d'avoir accès à ce savoir ?
Plus que jamais, je n'ai qu'une réponse à cela : le savoir n'est pas fait pour circuler parmi les seuls chercheurs, il est fait pour être diffusé le plus largement possible, pour changer les esprits et pour éclairer l'ensemble de la population, classe politique comprise. Lisez, regardez des documentaires, instruisez-vous, renseignez-vous. Ne laissez pas votre monde se limiter aux bornes que ces gens prétendent y imposer. Quand on vous dit : "Vous n'avez pas besoin de savoir cela", méfiez-vous. Quand on vous dit : "Toute une partie du monde est peuplé par des civilisations inférieures qui ne valent pas la peine d'être connues et ne méritent que votre peur et votre mépris", que voulez-vous que je vous dise, sinon : "C'est faux, allez vous renseigner dessus, prenez le temps d'apprendre à les connaître, lisez des livres d'anthropologie, tenez-vous au courant de la recherche et faites-vous au moins votre propre avis !"

La science n'a jamais été autant à la portée du premier venu. Partout se tiennent des conférences pour le grand public, partout on publie des manuels pour étudiants et des livres de vulgarisation scientifique, partout sur Internet les sites des musées (le Louvre, le Quai Branly) et des institutions (l'Ecole des hautes études en sciences sociales, l'INALCO, etc.) regorgent de choses passionnantes. Jamais un individu n'a été aussi proche de tout ce que le monde peut lui offrir de surprenant, de déroutant aussi, mais aussi de stimulant, d'enrichissant. Jamais un humain n'a eu autant de moyens faciles de se renseigner sur la façon dont, partout sur la planète, vit tout le reste de l'humanité. C'est une époque inédite, révolutionnaire sous certains aspects. Les différentes cultures humaines se rapprochent, se confrontent, se découvrent, entrent en émulation les uns par rapport aux autres, s'entraident. L'humanité peut enfin se connaître elle-même. Il faudra bien qu'elle s'accepte telle qu'elle est, sous toutes ses couleurs, dans toute la richesse de ses cultures.

La recherche des moyens de vivre ensemble en paix sur cette planète, dans un environnement à la survie duquel notre survie à tous est étroitement liée, est une recherche qui ne remet en cause aucun des droits fondamentaux auxquels notre culture locale française se dit si attachée ; cette recherche, portée par des gens de conviction issus de tous les coins du globe, a déjà commencé : elle s'appelle ONU, UNESCO, droits de l'homme. Dans cette quête de l'entente entre les cultures, une quête périlleuse mais faisable et qui ne peut que se faire, il n'y a rien à craindre, sinon la crainte elle-même et les rejets violents auxquels elle peut conduire. Les forces de la peur sont à l'oeuvre au sein de toutes les cultures, y compris la nôtre. Elles paralysent, débranchent les cerveaux, changent les lois en armes et la pensée en justification malhabile de préjugés purement émotionnels. Aucun peuple, si civilisé qu'il se targue d'être, n'est à l'abri de ces forces stériles et mortifères, qui ne conduisent nulle part sinon à la guerre.

Or, s'il est indéniable qu'il y a confrontation d'idéologies, débat d'idées et de valeurs, négociation ferme sur la recherche d'un consensus autour de valeurs et de droits communs à toute l'humanité, le rejet en bloc de cultures entières comme inférieures ou négligeables ne mène nulle part. Pire : il revient à nier les libertés fondamentales que nous prétendons défendre. Où est l'égalité entre les hommes si certaines "civilisations" sont "inférieures" à d'autres ? De quel droit une culture s'érige-t-elle en guide de l'humanité entière ? Depuis quand faut-il imposer nos valeurs par le mépris, au lieu d'en discuter dans le respect et la raison avec nos voisins des autres continents ? Depuis quand un tel passage en force est-il même possible ? Quand a-t-il déjà fonctionné par le passé ? Quand n'a-t-il pas mené à la guerre, à des morts stériles, à des destructions qui ont contraint des peuples entiers à se reconstruire péniblement pour ressortir de la pauvreté au lieu de jouir de la prospérité à laquelle chacun ici a droit ?

J'en viens par là au troisième et dernier aspect qui me révolte profondément dans les propos de M. Guéant : son ineptie politique totale. Le gouvernement prétend avoir un projet, une vision, des valeurs pour la France ? La vérité se fait jour dès qu'on y réfléchit une minute, et la réalité n'est pas belle à voir : il n'y a dans de tels propos, dans un tel projet, ni vision pour la France, ni vision à long terme pour le rôle de la France dans le monde, ni le moindre souci de l'avenir du pays et du monde. Brandir le concept de civilisation sans savoir ce que c'est, penser le monde en termes de blocs étanches condamnés à s'ignorer mutuellement ou à s'affronter les uns aux autres, réinstaurer une hiérarchie entre les cultures que d'innombrables peuples, dont le peuple français, ont déjà fermement refusée par le passé (sinon l'ONU n'existerait même pas !), ce n'est pas seulement aligner des affirmations complètement fausses avec cet aplomb propre aux langues que la stupidité débride, c'est aussi conduire un pays entier droit dans le mur.
Comment M. Guéant, M. Hortefeux, M. Ferry, M. Sarkozy imaginent-ils l'avenir du monde ? Quelle est leur réflexion sur les sujets cruciaux que sont la paix dans le monde, la pauvreté, la faim, l'affirmation des droits humains pour tous, la préservation de l'environnement (c'est-à-dire de nous-mêmes) ? Leur arrive-t-il d'imaginer l'expérience de l'altérité autrement plus déroutante que représenterait un hypothétique contact entre l'humanité et des "civilisations" extra-terrestres ?
Non, il n'y a aucune vision, aucun projet, aucune politique digne de ce nom à la tête de ce pays en cette fin de quinquennat. Il n'y a qu'une pensée à courte vue, produit d'une réflexion politique dévoyée, mise au service de petits intérêts, et exprimée dans un style douteux par des politiciens opportunistes qui ne voient leur survie que dans le proverbe "Diviser pour mieux régner". La paresse et l'étroitesse d'esprit les gouvernent : plutôt que de se hausser à la hauteur de leurs responsabilités, ils préfèrent réduire le monde à leurs dimensions. Jamais cela n'a fonctionné pour personne. Les conséquences d'une telle attitude, en revanche, manquent rarement d'être catastrophiques. Un seul terme, au delà des clivages de partis, peut qualifier une pareille attitude : irresponsable et suicidaire.

Quoi qu'il en soit de l'avenir, le futur gouvernement, quel qu'il soit, aura une lourde tâche à accomplir pour restaurer la crédibilité de la France parmi les nations du monde. La honte est sur nous. Après de pareils propos sur les civilisations, comment la France pourra-t-elle siéger à l'ONU, aux côtés des 192 autres pays des Nations unies ? Comment pourra-t-elle participer encore à l'UNESCO, dont le siège est à Paris, alors que de pareils propos niant la dignité humaine la plus basique sont quotidiennement tenus à l'approbation générale du parti majoritaire ? Comment pourra-t-elle prétendre inscrire les éléments les plus représentatifs de sa propre culture au Patrimoine mondial de l'humanité, si elle ne regarde pas elle-même comme égales en valeur l'ensemble des autres contributions qui y sont apportées par les autres pays du monde ?
Allons-nous donc proposer de hiérarchiser les cultures ? Tant que nous y sommes, et avec des fondements théoriques si commodes, n'allons-nous pas demander de rétablir l'esclavage, au nom de cette infériorité naturelle de certaines civilisations ? Non ? Alors que dire ? Comment parler ? Comment nos diplomates parviendront-ils à ne pas rougir, bredouiller et se voiler la face après des propos pareils ? Où est notre dignité, où est la civilisation dans de pareilles phrases ? Nulle part. Il n'y a rien à dire. Il n'y a qu'à se taire. Ou plutôt, il est urgent de faire taire des propos pareils, une fois réfutés, sinon la France entière n'aura plus qu'à prendre quelques vacance sur la face cachée de la Lune histoire de faire oublier le ridicule dont nos politiciens la couvrent devant toutes les nations du monde.
Comment enfin le peuple français pourra-t-il prétendre s'exprimer encore au sein d'institutions si indispensables, qu'il a parfois contribué à créer lui-même, alors que ses porte-paroles foulent aux pieds les droits fondamentaux que ces institutions sont chargées de défendre ?

Il ne s'agit pas ici de clivages politiques. Je gage que nombre d'hommes et de femmes politiques de droite ont été consternés par la ligne idéologique dangereuse et stérile actuellement adoptée par le parti majoritaire. A l'heure qu'il est, j'entends nos diplomates, de droite comme de gauche, sangloter ou s'arracher les cheveux ; j'entends les seuls politiciens dignes de ce nom, ceux qui ont étudié les sciences humaines et pas seulement l'économie ou le marketing, se désoler des abîmes d'imbécillité où de tels propos entraînent le débat politique. J'entends tous ceux qui ont étudié l'histoire sur le long terme s'inquiéter à juste titre, non pas tant pour les mauvais souvenirs que de tels propos rappellent, mais pour les situations inédites et tout aussi dangereuses qu'ils risquent d'amener. Où est passée la droite républicaine, celle qui l'est réellement dans sa pensée et pas seulement dans les limites du cérémonial institutionnel ? Où sont passés les gens de droite qui réfléchissent vraiment ? Qu'attendent-ils pour reprendre le dessus ? Pendant ce temps, la gauche s'indigne à raison. Elle se dit républicaine et elle l'est. Les conséquences d'un tel clivage ne se feront pas attendre longtemps : je doute que la droite y gagne grand-chose. Je ne peux que me désoler de voir resurgir en France une droite antirépublicaine, faite d'hommes si irresponsables aux idées aussi honteuses.

D'ici là, lisez du Lévi-Strauss, ses conférences et ses livres les plus courts sont très accessibles. Race et histoire, par exemple. Ou bien n'importe quel manuel d'introduction à l'anthropologie. C'est une science encore trop peu connue du grand public (comme toutes les sciences humaines), mais qui nous a déjà énormément apporté (... comme toutes les sciences humaines). Et ce ne sont pas quelques grandes phrases imbéciles qui m'empêcheront de tout faire pour inciter les gens à élargir leur vision du monde.
Qu'on se fasse l'avis qu'on veut sur les cultures humaines, sur la situation du monde aujourd'hui, sur la direction dans laquelle il convient d'aller et sur les moyens qu'il faut mettre en oeuvre pour cela. C'est à chacun d'en juger selon ses propres idées. Mais qu'on le fasse en connaissance de cause, en s'appuyant sur une démarche initiale respectueuse des valeurs auxquelles nous prétendons adhérer nous-mêmes, et non pas dans un geste de mépris vaguement habillé de théories creuses.

EDIT : Outre la tribune publiée par des chercheurs en anthropologie sur Rue89, un passionnant entretien du Monde avec l'anthropologue Françoise Héritier (paru aujourd'hui) décortique les propos de Claude Guéant et de Luc Ferry avec beaucoup de clarté.

mercredi 8 février 2012

La prépa vécue par Lina

Je ne voudrais pas répéter ce que j'ai déjà dit ici et là sur ce blog, mais enfin, il me paraît juste qu'après Eunostos, ce soit moi qui m'y colle.

J'ai donc passé trois ans dans la prépa littéraire d'Orléans. En province, donc. Petite prépa, surtout pour la section Ulm, dont l'effectif culmina à respectivement 15 et 17 élèves lors de mes deux khâgnes ; la khâgne Lyon était un peu plus remplie ; les deux hypokhâgnes devaient être entre 40 et 50 élèves, à la louche (je vous ai parlé de mes difficultés à évaluer tout ce qui est distance, poids, effectif, etc. ?). J'ai fait prépa parce que, en 4°, lors des fastidieuses recherches d'"orientation" au CDI, j'étais tombée sur un machin appelé "ENS" et n'avais pas vraiment compris pourquoi le prof de mon collège de campagne à qui j'en avais parlé en toute inconscience m'avait regardée comme une folle. Oui, je sais : j'ai commencé tôt.

Pendant ma première année, je n'avais qu'une obsession : dormir, dormir, dormir. Je ne me suis pourtant jamais couchée très tard pendant ces trois années : il me faut mes huit heures par nuit, sinon je commence à mordre les gens (ou à avoir une migraine qui me transforme en zombie - mais, à l'époque, je mordais les gens : ah, la jeunesse...). Je n'ai souvenir que d'une seule fois où je me suis retrouvée à plus de minuit en train de travailler et j'étais si exténuée que je me suis mise à pleurer tellement je ne comprenais rien - il faut dire que j'avais un commentaire de texte à faire sur "Kubla Khan" de Coleridge, que j'avais renvoyé à la veille pour le lendemain, en présumant trop de mon pourtant assez bon niveau en anglais. Avantage : en prépa, lorsque tu annonces que tu ne te couches jamais après 22h, tout le monde te regarde comme si tu étais Wonderwoman. Inconvénient : avec des potes à la fac', quand tu annonces que tu ne te couches jamais après 22h, tout le monde trouve ça naze.

J'étais donc très fatiguée, mais franchement contente de ce que je faisais. Le prof de géo a même presque réussi à me faire aimer sa matière (ou plutôt : à me faire me rendre compte que ce que j'avais fait jusque là n'était pas de la géo), surtout après cette phrase mythique : "Vous savez, une étoile de mer, c'est plus intelligent que ça en a l'air !" (cours sur le littoral français). Et puis j'ai rencontré Dieu, le prof de latin-français. Voilà, tout est dit.

En khâgne, j'ai continué sur ma lancée : comme la première année, l'ambiance était bonne, meilleure, même, le petit effectif aidant. On était une poignée d'amis, on se connaissait bien, on est allé squatter les réunions Guillaume Budé ensemble (une des dernières conf' de Vidal-Naquet ou comment j'ai cru que j'allais perdre le contrôle de ma vessie lorsque j'ai levé la main pour Poser Une Question). Personne ne préparait le concours en y croyant, mais tout le monde a joué le jeu. Les écrits sont passés, le chouette moment où on n'a cours que le matin alors que les beaux jours s'installent est arrivé, le jour des résultats d'admissibilité, lorsque le prof d'histoire a demandé si quelqu'un pensait avoir quelque chose, personne n'a répondu : je me suis retrouvée admissible, ce qui m'a valu de me faire charrier toute la soirée, lors du repas de classe ("Hé, Lina ! T'es abonnée à l'eau, alors ! Demain, faut que tu aies les idées claires pour réviser !").

Mon année de khûbbe a été à la fois un bon et un mauvais moment. Un bon parce que j'avais déjà fait le programme, je connaissais le processus de A à Z, je savais ce qu'il fallait que je travaille. L'ambiance était toujours aussi bonne, malgré le changement radical de têtes : nous étions deux khûbbes, ce qui était exceptionnel pour Orléans et qui, en même temps, poussait tout le monde à travailler encore plus sérieusement, parce qu'il y avait un vrai enjeu, mais sans pression aucune. J'étais hyper organisée (j'ai tenu mon programme de lecture deux mois ! un record !), ce qui me permettait de passer une partie de mon temps à m'aérer les neurones sur un forum d'aide à la traduction en latin (si, si, je vous jure que c'était une aération !), mais m'a valu, de la part de mon plus jeune frère, avec toute la saloperie de ses quinze ans, le surnom de "la zombie". 

Par contre, je ne supportais plus grand chose, ce qui fait que je suis devenue particulièrement chiante à la maison (en quoi le surnom que j'ai reçu n'était que de très bonne guerre) ; ma mère a toujours affirmé que, s'il avait fallu que je bikhâtte, elle aurait serré les fesses, mais, en vérité, quand je jurais mes grands dieux qu'il était hors de question que je fasse ça, tout le monde était soulagé. Il faut dire que j'ai eu une période particulièrement déprimée en décembre-janvier, qui s'est cristallisée autour du prof d'histoire, dont les cours, pour faire bref, n'étaient pas des cours. Ce que je ne savais pas, c'était que tous les khûbbes dépriment plus ou moins à cette époque-là et que ça s'arrange au printemps - mais comment le savoir quand le dernier khûbbe de votre lycée a quitté l'établissement à peu près au moment où vous y entriez en seconde ? Heureusement, j'ai écrit à mon ancien prof de l'année d'avant parti à la retraite, qui a aussitôt appelé à la maison pour me remonter le moral. J'ai arrêté d'aller en histoire et en histoire ancienne pour travailler ces matières par moi-même, le printemps est arrivé : j'allais beaucoup mieux.

Et puis j'ai été à nouveau admissible (ainsi que l'autre khûbbe et un khârré) et tout le monde a continué à venir en cours et à passer des colles - entre deux parties de pétanque, quand même (la prof de français nous regardait arriver et poser nos boules par terre, pour tirer un sujet, avec un petit regard halluciné). 

Je ne peux pas finir cette note sans donner un dernier exemple significatif de ce que j'ai vécu durant ces trois années : pendant la période entre les écrits et les oraux, la prof d'anglais a dû me faire passer plus d'une dizaine de fois en colle, sur son temps libre, sans être payée, parce qu'on savait toutes les deux que c'était un de mes points faibles (j'aimerais bien vous y voir, moi, à faire un commentaire composé en anglais en une heure) : je suis passée de 6,5 à 14,5.

dimanche 5 février 2012

La prépa vécue par Eunostos

J'ai passé trois ans en classe préparatoire à Paris, dans deux lycées différents : l'hypokhâgne à Claude Monet (13e) puis deux khâgnes à Henri-IV (5e). J'en garde le souvenir de certaines des années les plus intenses et les plus exaltantes de ma vie, et elles ont énormément compté dans ma formation intellectuelle.

Que dire ? Quelques mots sur l'ambiance, je suppose, puisque c'est surtout là-dessus qu'on base les visions monstrueuses qu'on donne parfois de la prépa.
Eh bien, ce que j'ai à dire est d'une grande banalité : non, ça n'est pas toujours horrible, et non ça n'est pas toujours l'idéal non plus... la vérité est que ça dépend des gens. Des élèves, donc de la classe, et des professeurs. L'attitude des professeurs compte énormément, mais l'ambiance de groupe au sein de la classe compte énormément aussi.

Dans l'ensemble, à Monet comme à Henri-IV, je suis tombé sur des professeurs dans l'ensemble compétents, dont quelques-uns étaient même brillants, dont quelques autres étaient en-dessous de la moyenne. Certains étaient très doués sur le plan du cours lui-même mais pas du tout sur le plan humain, d'autres adorables sur le plan humain mais pas vraiment parfaits sur le plan du contenu des cours. Chacun apportait quelque chose d'important. Parfois on ressortait d'un cours avec la cervelle bouillonnante d'idées mais l'impression qu'on ne s'en sortirait jamais, d'autres fois on se marrait en cours grâce à un professeur d'histoire ou de grec terriblement sympathique et qui avait l'art de trouver des formules à la fois drôles et exactes sur le plan pédagogique.

Je n'ai pas vraiment connu de professeur tortionnaire, ni de pression terrible. En hypokhâgne, la pression est installée par le changement d'exigence, et en khâgne la perspective du concours suffit largement. Les professeurs le savent. A Henri-IV, j'ai même été frappé par la relative décontraction d'ensemble (probablement due au fait qu'ils n'ont plus rien à prouver).
Mes pires souvenirs en matière de professeurs sont heureusement liés à des colles faites par un colleur particulièrement sec, que je n'ai pas eu en cours par ailleurs, et qui n'a donc pas suffi à me plomber le moral, de très loin.

On ne dit jamais assez à quel point l'ambiance de classe dépend aussi des élèves qui se trouvent là. D'une année à l'autre, ça peut être le jour et la nuit. J'ai de bien meilleurs souvenirs de ma seconde khâgne que de la première, par exemple - tout simplement parce que "quelque chose a mieux pris", que l'ambiance était meilleure, on discutait, on plaisantait, on s'entraidait beaucoup.

La chose qu'il faut savoir aussi, c'est qu'en prépa chaque élève pense toujours que les autres travaillent plus et mieux que lui, alors que ce n'est pas le cas. Il ne faut pas rester seul mais discuter avec les autres, et savoir relativiser un peu : ce qui marche bien pour un élève ne marche pas pour les autres, et même les élèves en apparence les mieux préparés ne réussissent pas systématiquement mieux. Par exemple, j'ai toujours beaucoup culpabilisé de ne pas faire assez de fiches, alors que certains de mes camarades se promenaient avec des classeurs entiers. Oui mais voilà : je n'ai jamais vraiment réussi à bien assimiler mes manuels/articles/cours avec des fiches, mon truc à moi c'était de prendre plein de notes en cours pour les relire et les compléter à la maison ; pour les lectures, je préférais souligner (au crayon, je hais les Stabilo). Chacun a sa façon d'apprendre et sa méthode qui ne marcheraient pas forcément pour le voisin. Une fois qu'on sait ça, on peut relativiser. Et surtout, discuter avec les autres permet souvent de relâcher le stress - on plaisante énormément en prépa et on part dans des délires d'anthologie sur des sujets totalement obscurs au profane (on retrouve ça en préparant l'agreg, d'ailleurs) - et de voir que les autres ne sont pas mieux lotis que vous. On peut s'entraider, se remonter le moral. Et forger des amitiés durables (voire plus que des amitiés).

Alors les prépas "paniers de crabes" ça existe sûrement aussi. S'il y en a où les professeurs installent volontairement ce type d'ambiance, il faut s'en plaindre et y mettre fin (en plus ça ne sert à rien !). Mais ça dépend aussi de l'ambiance entre les élèves. Un tas de réactions individuelles, plus des effets de groupe. Difficile d'émettre de grandes généralités définitives là-dessus.

Quant à mon pire souvenir de prépa, il n'a rien à voir avec le concours : c'était une bête déception amoureuse. Ça aurait été pareil en fac !

Il ne faut pas confondre les exigences envers les élèves et la "pression" dont on parle tout le temps. Être exigeant avec les élèves, c'est une très bonne chose. Je préfère ça de loin à la première année de fac où on laisse les étudiants brusquement tout seuls (comme s'ils étaient miraculeusement devenus autonomes en décrochant le Bac : la bonne blague !), où 50% s'égayent un peu partout et n'ont pas leur année, et se retrouvent sur le carreau. En prépa, au moins, on vous oblige à bosser, et on vous apprend comment.
Après, qu'il y ait des excès dans certaines prépas, c'est certain, mais il faut arrêter de vouloir jeter le bébé avec l'eau du bain. Les prépas marchent bien, elles ont des défauts : corrigeons les défauts et arrêtons de dire que les prépas en elles-mêmes sont mauvaises.

samedi 4 février 2012

Proposition

L'article de Marie Desplechin me fait toujours cogiter et je me demande s'il ne serait pas intéressant de publier ici des témoignages de préparationnaires et ex préparationnaires.

Voici donc la proposition que je vous fais : quel que soit le type de prépa que vous ayez fait (scientifique, littéraire, économique et sociale), quel que soit le nombre d'années (voire de mois, pour certains) que vous y ayez passés, quelle qu'ait été votre expérience (positive, négative, bof, etc.), quelle qu'en ait été l'issue et quel que soit ce que vous avez fait ensuite, si vous en avez envie,

venez en parler ici.

Venez aussi nous dire où ça vous a menés, ce que vous en pensez. Si vous avez pensé faire une prépa, puis que vous y avez renoncé pour choisir une autre voie, c'est également intéressant.

Il vous suffit de nous envoyer un mail en utilisant l'adresse mentionnée en haut de la colonne de droite (blog.univers.universitaire@gmail.com) avec votre texte en pièce jointe et nous le publierons sur ce blog.

L'idée n'est pas ici de "Rétablir une Vérité", de "Dénoncer des Préjugés" ou je ne sais quoi d'autre, juste de raconter votre expérience, pour que les autres lecteurs puissent en tirer les conclusions qu'ils veulent.

Merci!

vendredi 3 février 2012

Réaction à l'article de Marie Desplechin

Il y aurait beaucoup à répondre à l'article de Marie Desplechin sur les conséquences d'un passage en classes prépa pour le Monde Culture et Idées : choix de témoignages uniquement négatifs, réduction de ceux qui ont apprécié leurs années de prépa aux seuls "très bons", discréditation des aspects positifs mis en avant par ceux qui pèsent le pour et le contre, parisianocentrisme très manifeste (alors qu'il y de grandes différences entre prépas de province et prépas parisiennes - entre prépas parisiennes aussi, d'ailleurs), etc. L'avantage du Monde, c'est qu'ils font leur boulot sérieusement et qu'ils ont donc publié aussi des avis de profs sur le sujet.

On peut aussi s'étonner de voir Mme Desplechin écrire subitement un article dans le Monde à ce sujet : elle a, certes, une formation de journaliste, mais, même si j'avoue ne pas suivre ses diverses activités à la loupe, il me semblait qu'elle était écrivain à plein temps. Alors pourquoi ça, maintenant, tout à coup ? Et à quel titre ?

Oui, il y a beaucoup à dire, mais finalement, le principal ne serait pas dit.

Lycéens envisageant une classe préparatoire, parents de lycéens envisageant une classe préparatoire, personnes s'intéressant, pour une raison ou pour une autre, à ce sujet, oui, en prépa, on travaille beaucoup ; oui, en prépa, on travaille énormément ; oui, la perspective du concours, de tout concours, ceux des Grandes Ecoles et les autres, peut être écrasante, mais cela dépend de la personnalité du préparationnaire ; oui, la charge de travail, la différence parfois abyssale entre les notes qu'on avait jusque-là et les notes qu'on a désormais, les interros, les DM, qui s'accumulent et se succèdent peuvent avoir un poids écrasant, au point qu'on finit par se demander désespérément comment on va bien pouvoir faire, mais ça dépend de la personnalité du préparationnaire ; oui, l'expérience des colles peut être déstabilisante, mais ça dépend de la personnalité du préparationnaire - et de celle du colleur, qui, dans la majorité des cas, ne vise pas du tout à détruire celui qui passe devant lui.

Mais aussi : oui, on peut se rendre compte avec étonnement de la capacité de travail qu'on a et/ou de ses limites ; oui, passer un concours peut avoir quelque chose d'exaltant, qu'on le passe sérieusement ou non (et le "ou non" concerne une très grande partie des préparationnaires français, en particulier en lettres) ; oui, on peut relativiser l'effet "bonnes notes" qu'on a toujours connu et se voir trouver des moyens de faire ce qui nous semblait impossible ; oui, les colles peuvent apprendre à passer n'importe quel entretien, à exposer des idées clairement à l'oral et à argumenter ou nuancer son point de vue en fonction de la réaction de son interlocuteur.

La manière dont on vit la prépa dépend de la personnalité de chacun. Personnellement, j'y ai appris énormément, y compris sur moi-même, je m'y suis épanouïe, j'y ai rencontré des gens formidables, parmi les élèves comme parmi les profs, j'y ai eu des fous rires, j'y ai fait des jeux de mots, j'y ai déliré en agréable compagnie. Au final, j'ai intégré, mais cela n'est finalement pas important : l'important, c'est que ça a été une expérience extrêmement enrichissante. D'un autre côté, un de mes frères a lui aussi fait prépa et il n'a supporté ni l'ambiance, ni le fonctionnement, ni ce qu'on lui enseignait ; il est resté jusqu'à la fin de la première année, en faisant le minimum syndical ; il l'a vécu assez mal, pour différentes raisons, puis il est parti en fac, où il a enfin trouvé sa voie.

La prépa est une sorte de couvercle qu'on pose sur sa marmite personnelle pendant deux ou trois ans. Si vous étiez déjà fragile psychologiquement, cela n'arrangera rien ; au mieux, vos problèmes se mettront entre parenthèses, mais, soyez-en sûrs, ils ressortiront à la fin, que vous intégriez ou non ; au pire, ils s'aggraveront et vous prendrez, je l'espère, la meilleure décision à prendre : quitter la prépa et/ou, surtout, essayer de comprendre ce qui vous arrive.

Mais, si vous allez relativement bien, la prépa ne vous fera rien. Qu'elle vous corresponde ou non, que vous intégriez au final ou non, c'est une expérience dont on peut toujours tirer du positif.

Et, si vous ne vous sentez pas de faire une prépa ou si vous n'en avez tout simplement pas envie, eh bien n'en faites pas et dites-vous bien que ce n'est pas grave : il y a une vie en dehors de la prépa, il y a également d'excellentes formations ailleurs, y compris des formations aussi généralistes (c'est le moment de faire un peu d'autopromo pour ma fac - dont les Portes Ouvertes sont mercredi prochain, soit dit en passant).

Dites-vous bien aussi que, si vous choisissez cette voie, il y a des gens qui s'épanouissent en prépa qui seraient très mal là où vous êtes : c'est la même chose, c'est une question de choix, de choses qui correspondent aux uns et non aux autres.

Dans tous les cas : essayez de vous connaître et de connaître ce qui vous correspond ; si vous vous posez des questions, c'est normal ; si vous vous rendez compte que vous vous êtes trompés, ce n'est pas grave ; si vous vous rendez compte que vous aviez raison, c'est tant mieux.


Ajout d'Eunostos le 4 février : Lina vous propose de venir parler sur ce blog de votre expérience en prépa.

mercredi 1 février 2012

Scène de la vie en bibliothèque

Qui dit semestrialisation au premier semestre dit retour du thésard en bibliothèque au début de février. Comprenons-nous bien : retour du thésard à (plus ou moins) plein temps ; évidemment que j'ai pu y passer ce semestre, sinon je me demande ce que ce sera si j'ai la veine démentielle de décrocher un poste plus ou moins pérenne à la fac lorsque ma bourse de thèse sera finie.

L'animal retrouva donc son milieu (presque) naturel en début d'après-midi et huma l'Odeur Chérie de la salle 2, embrassant du regard les très nombreux rayons, la mezzanine, les marches piégées de l'escalier du milieu (si vous posez le pied trop vers le bord, elles s'inclinent pour accélérer notablement votre chute descente) et les néons lunatiques au milieu des rayonnages (je marche, je marche pas, je marche, je marche pas, non cette fois-ci tu m'as définitivement vexé, va chier). Quelque chose, pourtant, lui semblait changé, quelque chose de subtile, d'imperceptible... 

La thésarde alla chercher ses revues, bénit trois fois Minerve et Mercure de lui avoir réservé le dictionnaire d'allemand pas en caractères gothiques et s'assit religieusement à sa table. Il lui fallut une dizaine de minutes de plus pour se rendre compte de ce qui se passait : contrairement à d'habitude, ses mains n'étaient pas (tout à fait) congelées. Ô joie délirante ! Déferlement d'allégresse ! La bibliothèque a enfin décidé de mettre le chauffage (ou de le hausser ; ou de le réparer ; rayez la mention inutile) ! 

(Il semblerait par contre que cette Indulgence Plénière n'ait pas été étendue à la salle 3, ce qui est fort dommage, car c'est la salle d'histoire ancienne, donc j'y passe aussi une bonne partie de mon Temps ; ceci dit, avoir un Postérieur seulement à moitié congelé est déjà en soi un progrès.)

Radiateur en fonte

Je sais, je sais, vous êtes incrédules. Prenez deux minutes pour vous remettre de vos émotions et lisez la suite.

Car ce nouvel Etat de Choses a aussi ses inconvénients. Environ une demi-heure après, un bruit étrange commença à se faire entendre, assez discrètement tout d'abord : « Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz... » Notre étudiante leva la tête, mais le bruit cessa aussitôt, ce qui rendit son origine presque impossible à identifier.

Dix minutes plus tard, rebelote, un peu plus fort, cette fois : « Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz... » Nouvelle levée de tête, nouvel arrêt du bruit. L'étudiante contempla, cette fois, un peu plus attentivement ses voisins. Celui installé quelques tables plus loin la regarda d'un air de dire "Hé ! ce n'est pas moi !!!" Bon, retour à ce délicieux article en allemand.

Mais le Bruit revint à la charge : « ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ... » 

Cette fois-ci, plus aucun doute : la "chaleur" (et le déjeuner point trop loin) aidant, le gentil vieux monsieur assis devant un ordinateur pour consulter le catalogue s'était tout simplement... endormi, le corps avachi contre le dos de son siège, la tête sur la poitrine. Et c'était tout naturellement qu'il s'était mis à ronfler comme un bienheureux. Au bout de quelques secondes, à peu près tous ceux qui étaient à moins de dix mètres de lui le fixaient, yeux écarquillés ou sourcils froncés.

Environ cinq minutes plus tard, il se réveilla, reprit sa recherche exactement où elle s'était arrêtée. En sortant, il nous fit à tous un grand sourire d'incompréhension, de type "Je ne sais pas exactement pourquoi vous me regardez : j'ai un bout de salade coincé entre les dents ?"

Je me demande si, en fait, la (très) basse température n'était pas pour autre chose que nous "conserver".