mardi 15 février 2011

Oui, on sait, tu l'aimes, ton Othon, mais quand même !

Plus je creuse sur les empereurs romains et plus je suis étonnée par certains articles sur lesquels je tombe. Vous avez aimé la psychanalyse sauvage de Tibère ? vous allez adorer le gars qui se fait le défenseur naïf et acharné d'Othon !


Laissez-moi vous présenter ledit Othon : en 68, Néron se suicide ; arrive au pouvoir Galba. Mais Galba est vieux et, surtout, on se rend assez vite compte qu'il est tout à fait à côté de la plaque : après avoir promis des sous aux soldats pour les avoir de son côté, il refuse de payer et leur parle comme si la république n'était pas finie depuis presque un siècle. Bref : c'est une catastrophe.

Arrive Othon : c'est un ancien camarade de débauche de Néron, tombé ensuite en disgrâce et envoyé comme gouverneur en Lusitanie (l'actuel Portugal), à cause d'une histoire avec Poppée, la maîtresse de l'empereur. Il était en effet marié avec elle, soit vrai mariage, soit mariage de complaisance, et Néron l'a soupçonné d'"être devenu l'amant de sa femme". D'où un exil caché sous une légation, qui n'avait trompé personne, mais qui s'est soldée par un excellent gouvernement de la province en question.

Othon, lui, comprend que Galba est has been, que les prétoriens (entre autres) râlent de plus en plus fort et qu'il va bien falloir que le nouvel empereur choisisse un héritier, pour essayer de calmer tout cela. Mais Galba, mal comprenant jusqu'au bout, choisit quelqu'un d'autre et ça finit mal : pour faire bref, Othon se fait proclamer empereur par les prétoriens et Galba est assassiné, dans des circonstances assez atroces, sur le forum. 

Voilà donc Othon empereur. Les réactions sont diverses : certains, en particulier le peuple, sont ravis, parce qu'ils adoraient Néron (oui, oui, Néron était loin d'être détesté de tous !) et qu'ils voient son descendant dans le nouveau princeps ; les autres craignent qu'il ne revienne à ses vices de jeunesse et sont nettement moins enthousiastes, sans oser le montrer trop ouvertement, toutefois, la manière dont Galba a été tué ayant suffisamment marqué les esprits. 

Pendant ce temps-là, les légions de Germanie, qui, au moment de la mort de Néron, étaient en train de mater une révolte gauloise, mécontentes de voir les empereurs se faire sans leur avis, reconnaissent comme le leur Vitellius, leur général (avec lequel la tradition historiographique n'est pas tendre non plus : grosso modo, elle présente comme préférant s'empiffrer dans les banquets que faire des choses utiles à l'Empire). 

Les négociations ayant échoué, tout le monde se prépare à la guerre. Les armées de Vitellius entrent en Italie, rencontrent celles d'Othon, qui perdent ; à la surprise générale, Othon décide de ne pas faire couler plus de sang romain et se suicide. Je dis bien "à la surprise générale", car, avec toute sa réputation de vices, de comportement efféminé, etc., personne ne s'attendait à une telle prise de responsabilité. 

(Buste d'Othon ; source : Wikipedia Commons)



Maintenant que vous connaissez un peu mon homme, voyons un peu ce qu'en dit le Cher Collègue Pris de Passion et s'en prend violemment à Tacite. Je vous résume ses arguments et je vous donne mes réponses étonnées, donc, bien sûr, c'est partial (et partiel). Mais pas tant que ça quand même.

Cher Collègue : Othon ne peut pas être mauvais ! Il ne peut pas être mauvais ! La preuve, quand il était jeune, il a été prêt à tout pour défendre sa bien-aimée contre les Griffes du Vice !

Bibi : Vous faites allusion à l'anecdote de Suétone, où on voit Néron bloqué à la porte d'Othon, qui refuse de lui rendre celle qu'il lui a "prêtée" ? 

CC : Oui ! parfaitement ! Quelle grandeur d'âme ! quel courage !

B : Vous êtes au courant qu'on ne la trouve que chez Suétone, qu'il adore ce genre de petite histoire, quitte à les "arranger" un peu, et que, chez Tacite, c'est Poppée elle-même qui machine pour faire envoyer son "mari" en Lusitanie ?

CC : Quelle grandeur ! quel courage ! quel romantisme !

B : Oui, bon, on va passer au reste. Othon distribuait de l'argent aux soldats bien avant que Galba choisisse d'adopter quelqu'un d'autre...

CC : Mais oui, mais c'était innocent ! Il voulait passer par les liens du sang, pas par le sang tout court ! Et ce salaud de Tacite dit qu'il pensait déjà à l'assassinat !

B : C'est vrai qu'il écrit "par espoir d'adoption ou pour préparer une action" ; je sais bien que facinus, en latin, est souvent interprété comme "mauvaise action", mais son sens, c'est "action" tout court. 

CC : Et regardez Plutarque ! Il dit qu'Othon était déjà considéré par tout le monde comme le successeur de Galba ! 

B : Oui, mais Plutarque cherche des figures d'hommes d'Etat qui correspondent à son idéal philosophique et, si Tacite a tendance à noircir les choses, lui a aussi tendance à les arranger. Et puis, comment expliquez-vous que Galba en ait choisi un autre, si tout le monde voulait que ce soit Othon ? Il était has been, mais quand même ! 

CC : Et le récit du père de Suétone assurant qu'il pâlissait affreusement à la seule évocation du sang ! 

B : Attendez, là, je vous arrête. Tout le monde sait 1) que le père de Suétone était particulièrement en admiration devant Othon et 2) qu'il a prétendu être là lors du suicide d'Othon alors que c'était matériellement impossible. Donc, comme source solide, il y a mieux. 

CC : Salaud de Tacite ! Où est ton honnêteté intellectuelle ? Il est allé jusqu'à raconter que les gens craignaient qu'Othon retombe dans ses vices! C'est faux ! C'est archi faux !

B : Qu'est-ce qui vous permet de dire cela ? Parce que, logiquement, si je me mets à leur place, je serais un brin inquiète de voir arriver au pouvoir un gars qui a suivi Néron dans toutes ses débauches et accepté d'assez bonne grâce que le peuple l'appelle ainsi. 

CC : Moi, je vous dis, il aurait mieux fait de choisir la tradition positive ! C'était elle, la vraie !

B : Et, comme elle est positive, bien sûr, ce n'est pas la peine de la questionner comme l'autre...