lundi 16 juin 2014

Le Retour de l'Article Tapé à la Machine

J'ai beau être considérée comme vieille par certains de mes étudiants (c'est un des avantages et des inconvénients du fait de passer du Bon Côté du Bureau), je n'ai jamais connu les machines à écrire. 

Quand j'ai eu quatorze ou quinze ans, mes grand-parents maternels m'ont offert mon premier ordinateur portable, un PC pesant trois tonnes, que j'ai chéri et conservé jusqu'à mon année de M1, lorsque j'ai été obligée de mettre une bouteille d'eau pleine derrière l'écran pour qu'il reste ouvert. C'est là où je suis passée au Mac, jusqu'au Caius Plinius Secundus que j'ai maintenant.

J'ai donc toujours eu l'habitude de lire des textes tapés sur ordinateur, y compris dans les ouvrages que j'ai eu à écluser aux divers stades de mes études. Il y a quelques années, je suis tombée sur une thèse reliée entièrement tapée à la machine, avec des trous pour ajouter à la main les mots grecs. C'était fort divertissant, sachant que cet ouvrage est ensuite devenu un grand classique et que j'avais donc très probablement entre les mains sa toute première version, avant une diffusion éditoriale. C'est un des avantages (et des inconvénients) de la bibliothèque d'Ulm : on déniche parfois des exemplaires assez improbables.

Mais là, avec ce supplément à une revue de 1995, sincèrement, je ne m'y attendais pas, d'autant que la plupart des articles étaient tapés à l'ordinateur. Je me suis toutefois assez vite rendue compte que la typo était peu cohérente, voire complètement anarchique : des polices différentes, des tailles différentes, des espacements différents. Hmm.

Et soudain : surprise ! des articles tapés à la machine. Avec les mots latins soulignés à l'ancienne, parfois à la main. Celui que je devais lire était même un must du genre : à la machine, non justifié (nécessairement) et... avec des indications manuelles sur les changements typographiques à apporter avant l'impression finale.

Clairement, l'auteur considérait cette version comme plus ou moins un brouillon à améliorer formellement et comptait sur les éditeurs pour effectuer les modifications. Sauf que ceux-ci 1) avaient manifestement l'intention de relier tels quels les articles qu'on leur avait envoyés ; 2) n'ont encore plus manifestement pas eu le temps de faire un quelconque travail d'édition. À cela, j'ajouterais que je les soupçonne de ne pas avoir eu non plus celui de jeter un coup d'oeil auxdits articles, sans quoi les indications typographiques ne leur auraient pas échappé.

En bref, un article qui, au-delà de son contenu, en dit aussi beaucoup sur la façon dont l'ensemble de l'ouvrage a vu le jour.

(Mémento des signes de correction ; photo par Kzer ; source : Wikipedia Commons)

lundi 9 juin 2014

Attendre

S'il y a bien un truc que je déteste, c'est attendre que d'autres que moi fassent quelque chose. Dans une queue de trois kilomètres, je peux éventuellement réussir à prendre mon mal en patience, mais envoyer un mail et attendre une réponse, assez rapidement, je trouve ça insupportable.

En ce moment, entre autres, comme beaucoup de doctorants, j'attends un signe éventuel pour un contrat d'ATER l'an prochain.

Le système d'attribution des postes est assez opaque, du moins dans ma discipline. À part la publication des appels à candidature sur Altaïr (et encore : certaines facs ne s'en donnent pas la peine, dont toutes les facs parisiennes), rien n'est public. Qu'on ne sache pas quand est la réunion de classement et quel en est le résultat avant qu'il soit validé par les divers conseils me paraît assez normal : ça fait partie de la tambouille interne de l'université et il serait gênant que des informations circulent avant que les choses soient définitivement fixées.

Par contre, après, je regrette franchement l'absence de publication des classements. Seuls les heureux élus sont contactés ; les autres attendent indéfiniment. L'année dernière, quelques universités m'avaient renvoyé une des enveloppes timbrées demandées dans le dossier, pour m'informer de mon classement ou non. Je n'ai pas reçu beaucoup de ces missives, mais c'était déjà quelque chose : je savais si j'avais des chances dans l'absolu, en cas d'épidémie de peste bubonique ou en aucun cas du tout.

Cette année, un nombre plus grand d'universités est passé par une application électronique, ce qui est vraiment TRÈS BIEN (je ferai un de ces quatre un bilan matériel de ma campagne d'ATER). Les autres ont aussi majoritairement arrêté de demander une enveloppe timbrée (une seule l'exigeait). Mais, du coup, je n'ai absolument aucune idée de si mon dossier a été retenu et, si oui, dans quelle position. Dans d'autres disciplines, les classements sont diffusés sur le net plus ou moins officieusement ; dans la mienne, non.

Alors j'attends.

L'année dernière, j'avais été contactée si tôt que je n'avais même pas eu le temps de commencer à stresser (j'aurais dû, vu les problèmes que j'ai eus ensuite avec le Rectorat). Cette année, j'ai tenu un jour. Le lendemain, j'ai envoyé des mails pour savoir ce qu'il en était dans Fac n°1 (celle où je fais ma thèse) et Fac n°2 (celle où je suis ATER cette année).

Il est tôt, rien n'est évidemment encore définitif et j'ai une fâcheuse tendance à toujours m'attendre au pire, mais il me faut quand même bien dire que ça ne sent pas très bon.

Fac n°1 m'a classée deuxième ou troisième, je n'arrive pas à comprendre exactement, pour cause d'informations contradictoires, et Chef n'était pas à la réunion. Si je suis troisième, c'est foutu : j'imagine fort mal une université accepter trois ATER de latin/grec, même si elle en avait besoin. Si je suis deuxième, c'est possible, mais ça se saura tard et ça a l'air mal engagé.

Fac n°2 a recruté quelqu'un pour reprendre le poste de la personne, partie à la retraite, que je remplaçais cette année. Ce nouveau prof étant, pour un an encore, à l'Institut universitaire de France, il bénéficie d'un horaire de cours réduit, avec un financement pour engager quelqu'un qui fasse les heures restantes. Il y en a plus que pour un 1/2 ATER, moins que pour un ATER complet. Toute la question est de savoir si ces crédits peuvent, précisément, passer sur la ligne budgétaire ATER et/ou si Fac n°2 a l'intention de le faire. Et Chef n'avait pas l'air très optimiste là-dessus non plus.

Bref, la situation est l'inverse de l'année dernière. L'année dernière, j'avais un poste d'ATER et j'ai dû suer sang et eau pour avoir mon détachement. Cette année, j'ai mon détachement en poche et pas de poste d'ATER.

Si je croyais à la pensée magique, je me mordrais presque les doigts de m'être mise en règle avec le Rectorat.

mercredi 14 mai 2014

Vive la somatisation

Dans les premiers jours de mai, j'avais fini avec joie mon chapitre 5 (sur 8). Il me restait à vérifier des points bibliographiques, le relire pour améliorer la formulation et écrire une conclusion digne de ce nom, mais quand même : pluie de coeurs, dance de la victoire. Je dois rendre en septembre, j'ai encore quatre mois devant moi, trois chapitres à rédiger : si j'arrive à en faire un par mois, à moi le mois d'août à relire en suffoquant dans la fournaise d'un insupportable été parisien.

Le chapitre suivant, le 6 donc, le dernier de ma deuxième partie, porte sur le portrait général des empereurs, étudiés un à un. Une sorte de récapitulation de points déjà traités avant, sous un autre angle, et une prise de hauteur vis-à-vis des forces s'exerçant sur le texte.

J'ai donc ouvert mon cahier de thèse, j'ai écrit Tibère, j'ai fait un beau cercle tout autour et j'ai commencé mon associogramme. Des idées sur Tibère, j'en ai plein. À la pelle. Mais, ce jour-là, j'avais l'impression que tout ce que je faisais était forcé, peu original et vraiment, vraiment pas satisfaisant. J'avais l'impression qu'il me manquait quelque chose. J'étais dans un train, je me suis dit que les conditions n'étaient pas optimales et que ça irait mieux lorsque j'aurai sous les yeux ma biblio, histoire de me remettre en tête les différents points de vue. Cette partie de ma bibliographie, je l'ai lue il y a assez longtemps maintenant et j'en suis à un point où j'ai l'impression que tout se mêle un peu dans un joyeux fouillis : je sais que cette idée n'est pas de moi, mais je galère à trouver dans quel ouvrage j'ai bien pu la pêcher, nom d'un publicain mal embouché.

(Tête de thésarde ne trouvant pas l'article qu'elle cherchait ; photo par Peter M. ; source : FlickR)


Une fois rentrée chez moi, je me suis précipité sur la biblio, j'ai associé des références à mon associogramme, j'ai fait un plan. Puis je me suis lancée dans mon brouillon. Je le trouvais assez rapide, mais ça pouvait encore aller et j'étais contente d'être enfin prête à entamer ce chapitre. Il faut savoir que je suis un vieux diesel, en ce qui concerne la rédaction : si je ne suis pas tout de suite hyper concentrée, je mets une bonne demi-heure à chauffer ; si je n'ai pas fermé Firefox, c'est encore pire. Mais une fois que je suis lancée, c'est bon.

J'ouvre donc un nouveau fichier, j'ajuste les paramètres que j'ai oublié de prendre en compte lorsque j'ai créé mon modèle (je me serais jetée dans un lac avec un poids aux pieds quand j'ai découvert que mes notes de bas de page étaient en interligne 1,5), j'ai jeté sur le papier quelques idées d'introduction et c'est parti.

L'intro était courte, mais, finalement, je n'avais pas grand chose à dire, à part : "Nous allons maintenant passer au portrait général de chaque empereur". Par contre, j'ai commencé à vraiment galérer au moment d'attaquer la première sous-partie : Tibère. J'avais beau avoir mon plan et mon brouillon sous les yeux, je n'étais pas satisfaite : j'ai changé l'ordre des éléments deux mille fois, je ne citais que des articles scientifiques et pas des extraits de mon corpus, quand j'en cherchais je perdais un temps précieux, etc. Le soir, j'avais un mal de crâne léger, mais certain, qui m'a poursuivie et épuisée les deux jours suivants.

Au bout de trois jours de ce traitement-là, j'ai fini par m'agacer : les cours sont finis à Fac n°2, donc je devrais profiter à fond du temps que j'ai devant moi pour avancer et voilà que je ne fous pas grand chose, à force de réécrire, refaire des associogrammes, voire un nouveau brouillon, et ne pas y arriver plus qu'avant.

(Un aperçu de l'intérieur de mon cerveau ; source : Wikipedia)


J'avais de moins en moins l'impression de maîtriser mon sujet (après cinq chapitres et avant les trois derniers, c'était un comble), ce qui fait que j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de relire systématiquement toutes mes notes sur les articles et ouvrages que j'avais consultés sur le sujet. Et c'est LÀ que je me suis rappelé quelque chose que j'avais laissé de côté il y a au moins un an et demi, en me disant que je le finirais plus tard.

Quand j'ai commencé ma thèse, je me suis mise, entre autres, à relire attentivement les oeuvres de mon corpus, en me concentrant sur les passages parallèles entre les deux auteurs. J'ai ainsi obtenu une liste par empereur, que je me suis mise à analyser point par point : recopiage des passages, commentaire, recopiage des passages, commentaire, etc. Ensuite j'ai fait mon plan et je me suis rendue compte que ce travail me servirait pour des chapitres du milieu de ma thèse : je me suis donc dit que j'allais le mettre de côté et me concentrer sur la préparation du matériel pour les premiers chapitres (mes relevés d'occurrences, par exemple).

Ouais.

Sauf qu'évidemment, ce truc m'est complètement sorti de l'esprit (et ce alors que je l'ai partiellement repris pour mon chapitre 4, qui porte sur les scènes-type) et je me retrouve maintenant coincée au seuil de mon chapitre 5, parce que, sur ce point, mon subconscient a décidé de boire des mojitos les orteils en éventails.

("Salut ! je suis ton subconscient ! Ici, il fait trop beau et trop chaud, donc je ne vais pas rentrer de si tôt ; plein de poutous et profite bien du froid parisien !" ; photo par Enrico Gualandi ; source : FlickR)


Nous sommes donc le 14 mai et je viens à peine de finir mes analyses pour Tibère. J'avance vite, mais il est évident que je n'aurai pas fini mon chapitre avant la fin du mois, car il me reste encore Claude et Néron à faire dans leur intégralité et j'ai un article à rendre et une communication à venir.

Mais voyons le bon côté des choses : j'ai arrêté d'avoir mal au crâne.

lundi 12 mai 2014

Avant / après

Un lundi avant la fin des cours

7h30 : réveil et petite demi-heure de Pilates, histoire de contrer les méfaits de la position assise sur ma pauvre carcasse.

8h : douche.

8h30 : petit-déjeuner.

9h30 : heure de thèse.

10h30 : impression des textes à photocopier pour les cours de la journée.

11h : départ pour Fac n°2.

11h50 : arrivée à Fac n°2, prière à tous les dieux de l'Université pour que les photocopieuses de la salle des profs marchent => les photocopieuses marchent.

12h : premier cours magistral de la journée.

13h : sandwich en préparant les CM de la semaine prochaine.

15h : deuxième cours magistral de la journée.

16h : troisième cours magistral de la journée.

17h30 : trajet de retour, souvent en discutant avec ma collègue de latin, qui finissait à la même heure.

18h20 : back home ; violoncelle pour ne pas emmerder les voisins jusqu'à trop tard.

19h : préparation des interrogations pour les cours de langues du lendemain.

20h : découverte d'un paquet d'interrogations de la semaine précédente, perfidement restées planquées, non corrigées, dans un coin de mon trieur.

20h : éponge jetée, préparation du repas, dîner.

22h : suite et fin de la correction des interrogations, relevé des notes.

23h30 : salle de bain.

minuit : dodo.




Un lundi après la fin des cours

7h : réveil pénible parce que Monsieur a une répétition tôt ce matin.

7h30 : réveil en sursaut : merde ! j'étais censée préparer le petit-déjeuner pendant sa douche !

7h45 : petit-déjeuner.

8h15 : départ de Monsieur ; je décide finir un article de Libération.

8h45 : merde ! il est déjà presque 9h ! Pilates pour contrer les effets de la position assise sur ma pauvre carcasse.

9h10 : douche.

9h30 : heure de thèse.

10h30 : go ATER ! candidature n°10

11h15 : candidature n°11

12h : candidature n°12 ; ah zut, ils doivent envoyer un lien d'activation qui n'est pas encore arrivé, je vais imprimer, remplir et scanner les annexes, ce sera déjà ça de fait.

12h30 : "Suite à une panne informatique majeure, votre bureau de Poste sera fermé toute la journée."

12h50 : envoi des candidatures 10 et 11 dans un autre bureau de Poste.

13h : courses.

13h30 : déjeuner.

15h : suite et fin de la rédaction de mon intervention pour le séminaire doctoral Paris-Pise.

18h15 : violoncelle, histoire de ne pas emmerder mes voisins en soirée.

19h : répétition à voix haute de mon intervention, pour voir si elle sonne et tient dans les temps impartis ; retouches ; paufinage de l'exemplier.

20h30 : envoi des deux pdf à qui de droit.

20h45 : dîner.

23h : note de blog.

23h30 : salle de bain.

minuit : dodo.


Ma vie est tout à fait passionnante et ce n'est pas prêt de s'améliorer...

vendredi 11 avril 2014

Candidater ou ne pas candidater à l'ENS Lyon...

... that is la question.

Vraiment.

La campagne d'ATER pour l'an prochain a commencé et les annonces publiées ou à venir s'entassent petit à petit sur Altaïr. Cette année, je suis nettement moins stressée qu'il y a un an. Je suis déjà passée par là et c'est ma dernière année de thèse : l'objectif étant de soutenir en décembre pour les qualifications de janvier, je dois rendre en septembre ; cela signifie que, si tout va bien (et tout va encore relativement bien), j'aurai fini ou presque fini ma thèse à la rentrée, qu'elle soit scolaire ou universitaire. C'est donc moins "grave" si je pars dans le secondaire, ce qui fait que je suis beaucoup moins fébrile : je n'ai, par exemple, pas candidaté à Toulouse, alors que je l'avais fait l'année dernière.

Certaines annonces parues en ligne mériteraient d'ores et déjà de figurer dans un bêtisier : latin-philo temps plein "Santé, société, humanité" pour une faculté de médecine (bien que ce ne soit pas du tout idiot) ou encore grec "Sciences de l'agriculture". Soit ce sont des blagues, soit ça sent le poste à moutache à plein nez.

[Parenthèse explicative pour les gens normaux : un poste à moustache est un poste pour lequel une annonce est publiée (c'est un obligation légale, du moins pour ceux de maîtres de conférence et de professeurs), alors que l'université en question sait déjà, à l'avance, qui elle va prendre. Parfois, l'intitulé du poste est très large ("Littérature latine"), parfois, au contraire, il est si précis qu'il ne peut correspondre qu'à une seule personne... qui se trouve comme par hasard être celle que l'université avait déjà en tête : la vie est bien faite, non ? C'est comme si l'intitulé était : "Nous cherchons quelqu'un qui ait des moustaches d'une douzaine de centimètres de long, blondes, bien fournies et tombant en pointe juste sous la ligne de mâchoire."]

(Astérix, candidat idéal à ce poste à moustache)


Parmi ces annonces, une de l'ENS de Lyon, pour un poste en latin, dont on ne sait ni s'il est vacant (c'est-à-dire ouvert sans aucun doute en septembre) ou non, ni s'il est plein ou demi (le double d'heures, mais aussi un salaire substantiellement plus élevé).

Je suis restée en arrêt. Pas parce que mes oreilles se dressaient, mais parce que, tout à coup, je me suis demandé si j'avais envie d'enseigner là. À Lyon ou dans une ENS en général, d'ailleurs. C'est d'autant plus paradoxal que je suis moi-même ulmienne.

Je ne connais rien à l'ENS Lyon, à part que leur concours recrute des gens qui sont déjà spécialisés (là où celui d'Ulm est beaucoup plus généraliste, même si c'est moins le cas que lorsque je l'ai passé, il y a presque dix ans). Des échos que j'en ai, j'imagine une structure dynamique, sympathique, dans un cadre agréable, avec des conditions d'enseignement optimales. Un peu comme Ulm, donc.

Enseigner à des gens qui ont déjà un bon, voire un très bon niveau de latin, qui sont déjà relativement familiarisés avec la culture, la littérature, l'histoire et la mentalité latines, c'est un luxe.

Pouvoir parler des dernières avancées de la recherche sur l'Antiquité, voire même présenter en détail mon domaine de recherche à ceux qui seront très probablement mes collègues dans quelques années, c'est un rêve.

Cela montrerait aussi que je suis capable d'un enseignement de pointe, dans un CV contenant de nombreuses interventions de "vulgarisation".

Mais en réalité, la question, c'est : est-ce à ce genre de public que je veux enseigner ?

J'aime l'idée d'une fac avec un enseignement de latin ouvert à tout le monde, les bons comme les mauvais, les débutants comme les aguerris ; une fac que les étudiants des Grandes Écoles fréquentent, de toute façon (du moins, en lettres).

J'aime aussi me creuser la tête pour adapter mon propos au niveau des étudiants que j'aurai en face de moi, chercher comment expliquer simplement et de manière compréhensible des choses compliquées et/ou à la pointe de la recherche (cette année, dans Fac n°2, alors que j'avais devant moi des étudiants qui n'étaient absolument pas des spécialistes, je n'ai en aucun cas fait un enseignement "low cost" et ça n'a pas posé problème).

Par ailleurs, je me demande aussi si c'est une bonne stratégie pour avoir un poste plus tard. D'abord, si ce poste est effectivement ouvert, il y a de fortes chances pour que ce soit quelqu'un de Lyon, qu'ils connaissent, qui soit privilégié (c'est souvent comme cela que les choses se passent, au moins au niveau ATER). Ensuite, les ENS sont sans aucun doute ouvertes sur les universités, mais elles représentent aussi quand même un monde à part. Être ATER dans une fac "normale" (sans mauvais jeu de mots), c'est aussi rester pleinement dans l'université ; je me demande si un poste en ENS ne risque pas d'être "contre-productif" pour s'y insérer, malgré l'élite, le prestige et le haut niveau des cours dispensés. Pour un étudiant, oui, sans aucun doute ; mais pour une apprentie-chercheuse telle que moi, qui voudrait décrocher ensuite un poste de maître de conférence et continuer dans la recherche...?

lundi 7 avril 2014

Ras le bol généralisé

Il y a des jours comme ça où, sans vraiment savoir pourquoi, on en a un peu ras le bol de tout.

On se lève avec le génocide au Rwanda et la France qui continue à faire comme si elle n'avait rien à se reprocher dans cette histoire.

On continue avec l'impression d'aller beaucoup trop vite dans la sous-partie qu'on est en train d'écrire.

On poursuit avec la question "Postuler comme ATER à l'ENS Lyon ou non ?"

L'après-midi prend un tour décisivement irritant quand ta classe de khâgneux décide de sécher ton cours pour réviser son concours, alors que la correction de leur dernier examen blanc n'est pas terminée ; heureusement trois d'entre eux viennent te prévenir, ce qui fait que tu annules le cours, tout en ayant quand même envie de les scalper tous purement et simplement.

Enfin, la journée se termine en beauté par une lettre du Rectorat, faisant comme si tu ne leur avais pas envoyé un courrier avec accusé de réception pour leur dire que tu ne VEUX PAS une affectation pour l'an prochain et que tu n'as fait UN voeux que parce que EUX t'ont dit de le faire malgré leur propre circulaire.

Je trouve que c'est un soir à me mettre au kick-boxing.


C'est ça ou les envoyer tous se faire foutre pour devenir prof de Pilates en Italie.


Ah non, merde : Monsieur ne veut pas retourner s'installer dans son pays.


Barmaid à Bali, c'est bien aussi.

jeudi 27 mars 2014

Expo Auguste au Grand Palais

Comme annoncé dans le précédent message, j'ai vu l'actuelle expo Auguste au Grand Palais, qui a ouvert le 19 mars et fermera le 13 juillet. Je n'ai pas visité la version parisienne, mais j'ai la version romaine, en décembre dernier. C'est normalement la même, étant donné que l'ensemble est le fruit d'une collaboration entre Le Louvre et le Museo Nazionale Romano de Rome. Ceci dit, il est possible qu'il y ait eu quelques modifications : les monuments romains n'étaient pas évoqués au Quirinal, parce que les Romains les ont sous les yeux, donc il est possible que quelque chose là dessus ait été ajouté pour Paris ; de même, le descriptif sur le site de la RMN parle d'une villa gauloise dont je ne me souviens absolument pas à Rome.

Par conséquent, si vous y êtes allés et que vous constatez des différences par rapport à ce que je raconte, n'hésitez pas à commenter (même si vous n'avez pas constaté de différences, d'ailleurs) !



La première chose à dire, c'est ALLEZ VOIR CETTE EXPOSITION ! Elle est vraiment bien. Le titre français est nettement plus grandiloquent que le titre italien (qui se réduisait à un simple Augusto, mais il faut dire qu'ils ont aussi une autre exposition de référence sur le sujet, à l'époque fasciste, donc ils ont voulu faire un parallèle-opposition, souligné par l'article d'E. La Rocca dans le catalogue), mais, en même temps, il est plus proche du contenu de l'expo.

Celle-ci porte sur la figure d'Auguste, i.e. sur la construction de son image historique, de son vivant, notamment via son discours politique et le programme iconographique de son règne. L'exposition de Rome s'ouvrait ainsi très justement sur le moment où Auguste meurt, puis passait sa vie en revue, pour finir sur sa divinisation. De salle en salle, on passait par une présentation de l'ensemble de la famille impériale, avec une excellente galerie de portraits ; la lutte contre Marc-Antoine ; le jeu sur l'astrologie ; le renouveau culturel permis par le retour de la paix, avec ses propres thèmes, notamment celui du retour de l'Âge d'or ; etc.

C'était vraiment très bien fait : les commentaires étaient ciblés et intelligents, la présentation soignée et les thèmes des salles bien conçus. Pour une fois, les commissaires se sont aussi mis à la place des non-spécialistes, en mettant à la disposition du public... des loupes, afin de pouvoir vraiment observer les monnaies et les intailles présentées. Parce que, vous, je ne sais pas, mais moi, lorsqu'on me dit « Sur cette pierre semi-précieuse, on distingue parfaitement un capricorne », j'ai beau plisser les yeux et aggraver ma myopie, je ne vois pas grand chose et j'en suis réduite à faire confiance à la personne qui m'a dit ça (ou au cartel situé à côté).

(Un des plus beaux portraits d'Auguste, que vous verrez dans cette exposition ; photo : Bibi, au Musée du Capitole)


Les quelques critiques que je ferai tiennent sans aucun doute au fait que je travaille sur la manière dont les Romains ont représenté leurs empereurs. J'ai ainsi trouvé dommage que le processus conscient et soigneusement conçu d'élaboration d'un "mythe Auguste" par Auguste lui-même ne soit pas plus souligné. Dans la galerie de "portraits de famille", rien n'était dit, par exemple, sur le fait que tous les membres de la famille impériale, petit à petit, sont représentés de la même manière (c'est très visible pour les cheveux, notamment). Il y a, en particulier, un buste de Tibère, réalisé au moment de son adoption : non seulement il a été sculpté de manière à ressembler à Auguste (alors qu'il n'avait aucun lien biologique avec lui), mais en plus on lui a enlevé vingt ans, pour le représenter comme un jeune homme, alors qu'il est à l'époque d'âge déjà mûr ! Le catalogue contient bien un article par le spécialiste de cette question, l'Allemand Paul Zanker, mais il aurait été bien d'expliquer cela. À vrai dire, je pense que centrer l'exposition entière sur cette question aurait même été passionnant, en parlant très clairement de propagande et de culte de la personne : soit les commissaires n'étaient pas intéressés par cela, soit ils ont eu peur de paraître rébarbatifs au public (même si je suis convaincue qu'il était possible de rendre tout cela parfaitement accessible).

Autre point "éternelle grincheuse", la salle sur "la vie quotidienne à l'époque d'Auguste". On croirait qu'il est impossible de faire une exposition sur l'Antiquité sans aborder systématiquement la vie quotidienne. Le Musée Maillol en est même devenu un spécialiste. Même chose, j'imagine que c'est dans l'idée que ça "parlerait" plus au public : « Ouais, comme ça, ils feront le parallèle avec leur propre vie, ce sera plus concret ! » C'est franchement sous-estimer le public non spécialiste (pour ne pas dire "populaire", même si je crains que ce ne soit lui, en particulier, qui soit visé), en partant du principe qu'il est idiot et incapable, par exemple, en cette période d'affiches électorales collées sur tous les murs, de saisir pourquoi Auguste prend bien soin de se faire représenter toujours à son avantage. Sans compter que, bien évidemment, ce n'est pas le quotidien d'un habitant d'insula qui est mis en scène, mais bien celui des classes supérieures ; là, le résultat visé, c'est « c'est trop cool, y a des bijoux en or ! »

Fin du point "j'en peux plus de ces marronniers".

Donc, allez-y ! Un des commissaires est un grand chercheur italien (E. La Rocca), c'est une très bonne expo et le catalogue, tout en restant assez scientifique, est, à mon avis, compréhensible du grand public (par contre, le calque sur une couverture dorée, c'est chic et cool, mais aussi hyper fragile, donc chiant à transporter et à consulter) !

jeudi 13 mars 2014

Dilemme professoral

Oui, je sais, ça fait cinq mois.

Mais ceux qui ont bouclé une thèse une fois dans leur vie me comprendront. Surtout s'ils ont, comme moi, bénéficié d'un contrat d'ATER temps plein. Avec de vrais bouts de cours magistraux dedans. Pour ceux qui ne sont pas passés par là, disons que, lorsque j'arrive à bosser une heure sur ma thèse tous les jours, ce n'est déjà pas mal, alors, entre mon sommeil et ce blog, j'ai choisi, désolée.

C'est seulement maintenant que j'arrive un peu à sortir la tête de l'eau, d'où ce retour en presque fanfare. C'est que je ne vous ai pas oubliés, vous, les trois pelés et un tondu qui passez encore par ici. J'ai quand même accumulé plein d'idées de notes, dont la plus futée serait (ou sera, mais je ne veux rien promettre, vu ce qui s'annonce pour les prochains mois - juste une info, quand même : j'ai été prise à la FIEC !!!) un post sur l'expo Auguste, qui va s'ouvrir au Grand Palais et que j'ai vue à Rome en décembre (oui, j'étais à Rome en décembre). Bref, ça va venir.

Côté thèse, j'en suis aux 2/3 de mon chapitre 4 (sur 7) et j'ai l'impression de pédaler dans la semoule tout en travaillant très beaucoup.

Il était donc temps que je me remette la tête sous l'eau et reprenne du retard dans ma préparation de cours en revenant ici. Typiquement, c'est avec une question sur la gestion de mes cours.

Je viens de découvrir que deux étudiantes, dont je pensais qu'elles avaient arrêté le latin, sont en fait inscrites à mon cours. Au bout de six semaines (sans compter les vacances), vous imaginez mon ahurissement quand j'ai entendu une autre étudiante, qui, elle, est toujours là, me demander si elle pouvait prendre des feuilles pour elles.


(Prof de latin découvrant par hasard l'inscription de deux étudiantes après six semaines de cours)

Le soir même, j'avais un mail commun des deux absentéistes, m'expliquant le pourquoi du comment de leurs "nombreuses absences" ("disparition totale" serait plus juste, de mon point de vue), s'excusant de ne pas m'avoir prévenue et me promettant moults justificatifs. Le fait est qu'elles ont eu de fort bonnes raisons de sécher. Mais cela n'explique pas pourquoi les problèmes de l'UNE ont entraîné l'absence des DEUX et, surtout, sur six semaines, faut pas déconner.

OUI, MAIS VOILÀ : quand j'étais en L3 (vous savez, du temps des Ages Farouches), j'étais censée assister à un TD de grec. Et dire que le niveau de ce TD était bas, c'est être encore en dessous de la réalité. Il faut dire qu'il était suivi d'une heure de renforcement sur la base du volontariat, donc il était plein de grands débutants avec des lacunes diverses, variées et assez étendues (la réponse à votre question « Mais qu'est-ce que tu foutais là ? » est : parce que j'avais cours ailleurs à l'heure des autres TD).

Au bout de deux semaines de ce traitement, j'allais à ce cours comme à l'échafaud et devais faire des efforts surhumains pour ne pas sauter sur la table en dansant la Carioca quand quelqu'un ne reconnaissait pas le nominatif d'un mot courant.

(Attention : ne pas savoir décliner logos en L3 peut avoir des effets surprenants sur certains de vos camarades de TD)

Et puis, au troisième cours, la prof a dit, en me regardant droit dans les yeux : « S'il y en a qui sont très bons et qui préfèrent travailler tout seuls, ils peuvent ne venir que de temps en temps ou juste aux partiels, je corrigerai leurs copies. » Inutile de dire qu'elle ne m'a ensuite revue que quatre fois dans l'année. Je sais qu'elle s'en est ensuite mordue les doigts, mais elle a tenu sa parole et m'a toujours corrigée sans rien dire. Je pense que je lui en serai éternellement reconnaissante.

Mes deux étudiantes sont plus ou moins dans ce cas-là. Ce n'est pas que leur niveau est bien plus haut que celui de l'ensemble du groupe, mais elles travaillent quand même sérieusement leur grammaire latine et récupèrent les notes de leur camarade présente. Sauf qu'il ne s'agit pas d'un arrangement entre nous, étant donné que je n'étais pas au courant. Bref, je suis coincée entre "le règlement, c'est le règlement et il ne faut pas déconner : envoyer un mail prend deux minutes ; en plus, vis-à-vis de la fac, ce n'est pas très réglo" et "ne sois pas si psychorigide, pense à Mme Machin à la Sorbonne et PAIE TA DETTE PAR JUPITER !!!"

M'enfin, quand même, faut pas déconner.