dimanche 30 janvier 2011

Corrections, piège à cons !

A présent que j'ai déclaré que j'allais écrire ce post maintes fois annoncé, autant de fois repoussé, je suis bien obligée de m'y coller.

Jeunes étudiants qui passez par ici, je vous en prie, ne vous indignez pas ! Les cons dont je parle ne sont absolument pas vous. Certes, certains devoirs permettent sans doute éventuellement d'évaluer le degré de connerie des personnes qui les sont rédigés (expression à nouveau ambiguë, car elle peut désigner tout autant le concepteur du devoir que celui qui est obligé de le faire - et, pour ce qui est de la détection de la connerie, ça marche dans les deux sens), mais je me dois de clamer avec sincérité sur tous les toits que je n'en ai jamais rencontré. 

Bref, je parle ici de ma propre connerie et non de celle des autres, quels qu'ils soient. 

Je ne sais plus si j'ai déjà déploré ici mon absence de futisme (= caractéristique de celui qui est futé - oui, je viens de l'inventer : et alors ?!). Il faut dire que je l'ai déjà tellement fait partout ailleurs qu'il me semble que le monde entier est au courant du niveau très bas de mon potentiel fufut'. 

Laissez-moi vous présenter l'équation : quand vous êtes en thèse, vous avez besoin de temps pour bosser votre thèse. Oui, mais voilà : vous avez aussi des cours à assurer et donc à préparer. C'est là où, si vous être fufut', vous rusez et vous trouvez un moyen de dépenser le minimum de temps dans l'affaire, sans pour autant que vous vous retrouviez avec un cours nul à chier. 

Sauf que voilà : ruser, je ne sais pas. Donc je commence par foncer dans le mur et, une fois que je me suis fait mal, je me dis : "euh, oui, bon, attendez, on va voir si on ne peut pas faire autrement, ok ?" Et, donc, pour mon cours de littérature, je me suis astreinte à faire, à chaque fois, chez moi, un véritable commentaire composé pour ensuite le faire faire en cours à mes étudiants. C'est beau. C'est pédagogique. Et j'ose espérer que ça les a un minimum intéressés, vu qu'ils n'ont presque pas séché (six défaillants, sur une classe de quarante et en fin de journée, ce n'est pas si mal, surtout comparé à mon autre cours : post là-dessus à venir). Ceci dit, ça m'a bouffé un temps fou et, quand, en discutant avec un copain, j'ai appris que lui faisait passer les siens en explication de texte devant tout le monde, j'ai pensé : "ah oui, c'est futé ! une reprise d'explication, c'est moins long à préparer qu'un commentaire composé ! j'aurais dû y penser, par Jupiter !". 

("L'écrivain", photo par Gilles Chiroleu ; source : FlickR)


Pour le devoir à rendre, c'est pareil. Je leur ai donné un commentaire composé à faire chez eux. C'était une bonne idée (si, si, je le pense toujours) et ils avaient presque deux mois pour le faire (j'ai donc été humaine ; ceci dit, deux mois, c'était s'ils avaient ouvert grand leurs oreilles au premier cours : je ne vous raconte pas les regards écarquillés quand j'ai annoncé "Et je vous rappelle que vous devez me rendre votre commentaire dans deux semaines !" ; je l'ai pourtant répété à chaque fois que des nouveaux arrivaient dans mon cours, soit au début des quatre premières séances...). Sauf que :

1) j'ai appris que, quand on menace "attention, si vous ne me les rendez pas le jour dit, je vous mets zéro !", c'est comme pour les gamins, il faut être intimement décidé à le faire. Sinon, quand, le jour J, il vous manque dix copies, vous vous retrouvez comme un couillon. Mention spéciale à l'étudiante qui est venue me voir pour me demander "Madame, un commentaire composé, c'est bien un résumé ?", dont les yeux se sont remplis de larmes quand j'ai répondu "Ben, non, un commentaire composé, c'est un commentaire composé et un résumé, c'est un résumé", à qui j'ai donné deux jours de délai et qui ne m'a quand même rien rendu (mais rendez-moi un truc, bordel ! même deux lignes ! Sinon, je suis vraiment obligée de vous mettre zéro !), tout en me regardant fixement pendant toute la correction. 

2) c'est chouette, pédagogique et tout et tout, mais ça fait ensuite une sacré pile de copies à corriger. Et, comme vous vous en doutez, étant donné que je ne corrige pas à l'arrache, ça m'a pris pas mal de temps. Pédagogie : sans doute 1, mais efficacité pour ma thèse : sans aucun doute 0. 

Alors je vous laisse imaginer ma rage lorsque je me suis rendue compte que deux d'entre eux avaient pompé leur introduction sur internet ! Le premier n'a pas été très malin, il a utilisé un adjectif dans son sens étymologique très rare : c'était trop beau pour être vrai, surtout vu le reste de la copie, et mon ami Google a confirmé mes soupçons. J'ai écumé, je lui ai collé 3, après avoir hésité à lui mettre 0. De toute façon, son commentaire valait 6. Oui, mais, voilà, la deuxième copie qui m'a fait le coup, elle valait 13 et, comme pour la première, elle n'avait pompé que l'introduction (j'ai d'ailleurs, dans les deux cas, écrit très crétinement, au début, dans la marge "très bonne introduction ! dommage que vous n'introduisiez pas l'extrait à commenter !"). J'ai fulminé à nouveau, écumé, tapé du pied, hurlé mon Ire sur Twitter, puis, une fois calmée, je me suis sentie mal, je me suis dit que ce n'était tout de même pas juste et je leur ai mis leur véritable note, en leur collant une rouste écrite à grand coup de stylo rouge. Au moment de la correction en cours, quand j'ai lancé "Ne JAMAIS, JAMAIS, JAMAIS, JAMAIS (copier quoi que ce soit sur internet)", j'ai eu droit à trois incroyables secondes de silence total et attentif, les premières et les dernières de tout le semestre.

J'ai aussi appris également (eh oui, les corrections, c'est pédagogique pour le prof aussi) qu'il n'était pas évident de continuer sa correction l'air de rien quand un élève s'insurge de la note de sa copine, absente ce jour-là, qui avait manifestement lu le texte très en diagonale et fait un contre-sens absurde et incompréhensible, ce qui lui avait valu 6. J'avais le choix entre m'arrêter, lui dire de se calmer et de m'adresser sa copine si elle avait des questions sur son devoir et risquer que ça tourne en esclandre public ou faire comme si de rien n'était. J'ai finalement laissé sa voisine le calmer, ce qu'elle a fait en cinq minutes ("Ecoute, tu ne vas pas recommencer ! Calme-toi !"), mais il y a eu un moment où je me suis retrouvée sèche en plein milieu d'une phrase : "Euh, attendez... qu'est-ce que j'étais en train de dire...?". 

J'ai donc l'impression d'avoir été une prof consciencieuse, mais pas très futée et, pour finir, j'en profite pour remercier mon prof de paléo : à côté de certaines écritures, la bénéventine et la wisigothe, c'est du pipi de chat !

samedi 29 janvier 2011

Conférence (ou pas) censurée (ou pas) : qu'en penser (ou pas) ?

Bonne année 2011 ! Oui, il est tard pour le dire, mais ce début d'année est une période très prenante, autant pour Lina que pour moi, visiblement. Entre la thèse, la recherche, les cours, les partiels, les activités annexes et la Vie Autre, il n'est pas simple de prendre du temps pour tout.

Mais tout de même, voilà que depuis la mi-janvier on parle soudain beaucoup de l'ENS dans les médias. Vous savez sûrement déjà pourquoi : l'annulation par la Directrice de l'Ecole, Monique Canto-Sperber, d'une conférence de Stéphane Hessel. Annulation saluée par le CRIF (et par d'anciens normaliens), conspuée par beaucoup d'autres (dont d'autres anciens normaliens), évoquée tantôt comme un acte de "courage", tantôt comme une "censure" dangereuse prouvant que l'ENS serait sous influence. C'est le genre de débat qui enfle très vite, charriant des accusations violentes de part et d'autre, et se trouve repris un peu partout. Tout y était pour que le débat enfle et dérape : le sujet sensible (le conflit israélo-palestinien), un enjeu grave (l'accusation de censure), les personnalités hautement médiatisées, la Grande École, les élites potentiellement corrompues, les théories du complot, enfin, tout.

Je me crois obligé de parler de ce sujet, parce que, dans un contexte pareil, et avec un échauffage de nerfs aussi impropre à la réflexion posée, on serait capable de voir dans le silence de ce blog (tenu pour le moment par deux anciens normaliens) une sorte de silence coupable, ou complice, ou Zeus sait quoi encore. C'est un peu comme cette loi de Solon qui prévoyait de frapper d'infamie tout citoyen qui ne prendrait pas part dans une guerre civile (oui, j'instrumentalise l'actualité pour caser des éléments de cours, j'assume). C'est le genre de débat, encore une fois, où la répétition de l'événement prend tellement le pas sur la réflexion qu'on finit par obéir à des logiques aberrantes où il faut absolument être pour ou contre quelque chose, dans un camp ou dans l'autre, bref, être du côté des gentils (conférencier censuré ou directrice calomniée) et définir les autres comme les méchants (lobbyistes cherchant à changer l'ENS en tribune politique pro-palestinienne, ou bien censure de la Direction acquise au CRIF).

Alors, la conférence de Stéphane Hessel a-t-elle été censurée, ou pas ? Était-ce une conférence sur la liberté d'expression ou un meeting pro-palestinien biaisé d'avance, ou pas ? Canto-Sperber a-t-elle agi sous influence, ou pas ? Que faut-il en penser, ou pas ? La oupalgite, comme dirait Frédéric Pommier, menace. Alors, comment diable s'y retrouver dans cette histoire ?

Eh bien... je n'en ai pas la moindre idée. J'ai lu les propos des uns et des autres, et je n'ai pas moyen de savoir ce qui s'est vraiment passé. Le fait d'avoir été scolarisé à Ulm ne me donne aucune lumière particulière sur la question. J'en conclus (de façon peut-être un peu prétentieuse) que, si je n'ai aucun moyen de trancher une question pareille, alors que je connais bien cette école et que je vais encore très souvent y travailler, il n'y a peut-être pas de moyen magique de savoir instantanément ce qui s'est passé.

Avant de se faire un avis, donc, le plus sage semble être de rappeler simplement les éléments du débat avec quelques liens :
Il n'y a sans doute pas lieu de crier si vite à la censure, même s'il n'est pas mauvais de se poser la question. Ce qui me paraîtrait déplacé, en revanche, ce serait de tomber à bras raccourcis sur l'ENS en général, et sur Monique Canto-Sperber en particulier, en les présumant coupables, sans prendre le temps de lire les arguments des uns et des autres. Je n'ai aucune tendresse particulière pour la politique actuelle de l'Ecole, et l'attitude de Mme Canto-Sperber sur d'autres questions n'a pas été sans défauts, mais ce n'est pas une raison pour aller si loin et si vite en besogne.
Car il faut convenir que, sur ce sujet précis, les arguments de la Direction et de Mme Canto-Sperber concernant la sécurité ne sont pas complètement absurdes. Comme tous les élèves de l'Ecole, j'ai vu passer dans ma boîte de réception, au cours de ma scolarité, des milliers de courriels annonçant des conférences, débats, colloques, journées, projections, etc. et autant d'autres envoyés par les multiples séminaires, cours, clubs, associations, revues, etc. présents à l'Ecole. Or, il m'est arrivé d'en voir passer qui avaient trait à des conférences-débats portant sur le conflit israélo-palestinien, et j'avais été frappé par la grande violence de leur style, qui ne donnait pas vraiment envie de s'intéresser aux conférences en question (il y avait même des mails rédigés entièrement en majuscules, ce dont tout bon internaute saura que ça ne sert à rien, à part rendre la lecture désagréable). Je ne sais plus si ces mails émanaient du Collectif Palestine ENS ou bien d'une entité quelconque du bord opposé (je ne les ai malheureusement pas conservés : on en voit passer des dizaines, comme j'ai dit, et même les archivistes amateurs les plus acharnés comme moi ne conservent pas tout).
De plus, je me souviens qu'une précédente conférence sur le sujet, il y a quelque temps, avait donné lieu à des insultes de membres du public envers les intervenants, ce qui avait entraîné des réactions écrites passionnées des uns et des autres (cela devait être dans le BOcal, feuille d'actualité de l'Ecole). Parler de risques pour la sécurité à propos d'une conférence-débat sur le sujet n'est donc pas une simple excuse malhabile pour dissimuler une censure : replacé dans le contexte plus général des conférences sur la question déjà organisées à l'ENS, c'est un véritable problème.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas eu de pressions exercées sur l'ENS. Je n'ai, de mon côté, aucun moyen de trancher. Ce qui me paraît regrettable, indépendamment de la question immédiate de l'annulation de la conférence, c'est que les intervenants, tant d'un bord que de l'autre, semblent incapables, depuis si longtemps, de débattre en des termes un tant soit peu posés, sans enfler si démesurément les termes du débat. En agissant ainsi, ils ont toutes les chances de faire fuir leur public potentiel au lieu de l'intéresser aux problèmes dont ils veulent parler.
Je m'étonne aussi que d'anciens normaliens prennent si vite des positions si radicales envers une ENS qui a beaucoup changé depuis la fin de leur scolarité... et dont ils sauraient justement, s'ils y avaient été scolarisés plus récemment, qu'on n'y pratique pas couramment la censure, et que tout n'y est pas tout noir, même si tout n'y est pas tout blanc.

Pas de moyen de trancher, donc, mais des liens vers les propos des partis en présence et vers quelques articles sur la question, afin que chacun se forge son propre avis, posément, en prenant un minimum de distance envers les réactions et contre-réactions brûlantes.