samedi 4 mai 2013

De l'épanouissement par les pièces justificatives (le retour)

Tout comme Lina, je suis occupé en ce moment par la campagne des candidatures d'ATER. Je ne peux que souscrire aux analyses très pertinentes qu'elle a développées dans ses récents messages, notamment celui consacré à la typologie des marottes administratives. Il me semble toutefois qu'on peut en distinguer une sixième.

6) La labyrinthite : Certaines facs, soit parce qu'elles souffrent d'une administration particulièrement mal organisée, soit parce que leurs DRH ont fumé trop d'exemplaires de Sparte d'Edmond Lévy (Paris, Seuil, 2003), semblent considérer que la constitution d'un dossier d'ATER doit déjà être une épreuve de sélection en soi, une sorte d'agôgè par correspondance qui justifie de tout faire pour que la recherche d'information soit aussi compliquée que possible.
Normalement, sur Altaïr, une fois que vous terminez d'entrer une nouvelle candidature, une page s'affiche qui comporte la liste récapitulative des pièces à joindre au dossier, ainsi que des liens vers un nombre variable de formulaires à télécharger et à remplir. Dans un monde idéal, ce serait la vraie liste et on pourrait s'y fier les yeux fermés (et certes, pour certaines facs, ça marche). Sauf qu'en fait, assez souvent, non !
Parfois, c'est visiblement que quelque chose n'a pas été bien entré dans Altaïr par l'administration de la fac (qu'on ne saurait toutefois soupçonner de ne pas toujours maîtriser parfaitement les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication : nous sommes à l'ère du C2i, que diable). Ce qui fait que par exemple, malgré vos efforts attentifs pour cocher le bouton-radio correspondant le mieux à votre situation actuelle, la liste vous indique qu'il faut fournir un mot de votre directeur promettant une soutenance dans l'année alors que vous faites partie des heureux qui ont déjà soutenu leur thèse.
Vous allez me dire : dans ce sens-là, ce n'est pas trop grave. Sauf que parfois ça arrive aussi dans l'autre sens : des documents qui ne sont pas dans la liste d'Altaïr sont en réalité à fournir absolument pour que votre dossier soit complet.
Exemple. Je veux candidater pour un poste d'ATER en grec ancien à l'Université de Hobbitebourg (*). J'entre ma candidature sur Altaïr, je fais une copie d'écran de la liste des pièces à joindre (oui parce que cette page s'affiche *une fois* et que si vous ne pensez pas à la copier quelque part, il faut refaire la candidature pour l'afficher de nouveau). En homme moderne et organisé, je dégaine mon imprimante et mon crayon pour tout imprimer dans l'ordre et cocher les entrées de la liste au fur et à mesure. J'imprime un dossier à remplir et à joindre en plus du dossier Altaïr, alors qu'il comporte exactement les mêmes renseignements (c'est une expérience nouvelle pour vous ? Moi, ça m'arrive tout le temps). Mais au moment de lire et de remplir ledit dossier, qu'aperçois-je, en petits caractères sous un tableau-des-activités-des-années-précédentes-aux-cases-trop-petites-pour-que-les-informations-à-entrer-y-entrent-vraiment ? Une note précisant qu'il faut joindre au dossier les copies des contrats précédents. Moralité : toujours lire les petits caractères...
(Naturellement, un contrat comme ça, c'est trois pages à imprimer en moyenne. Sans oublier l'avenant que vous avez été obligé de faire parce que l'administration de la fac avait mal calculé votre traitement dans la première version, donc en fait quatre pages. En deux exemplaires, bien sûr.)
Ayant terminé d'imprimer et de remplir les différentes pièces du dossier (ou du moins le crois-je), je me rends machinalement sur le site Web de la fac pour vérifier l'adresse postale exacte. Mais là, que trouvé-je sur la page des recrutements d'ATER ? Des liens vers d'autres pièces à joindre au dossier, différentes de celles qui figuraient sur Altaïr alors qu'elles concernent les gens dans ma situation ! Moralité : toujours aller voir aussi le site de la fac et pas seulement Altaïr.

On observe que la labyrinthite consiste parfois à l'origine en une forme de pointillite particulièrement retorse. Contre toute attente, elle finit par présenter un intérêt esthétique en elle-même, tant son absurdité confine au fantastique. Il y a eu par exemple ce dossier dans lequel, à la première ligne, figuraient des champs classiques "NOM Prénoms", et qui, deux paragraphes plus loin, comportait une phrase du type "Je soussigné" qu'il fallait de nouveau compléter avec vos nom et prénom. Pourquoi demander à la personne de préciser deux fois ses nom et prénom au cours du même formulaire ? Avaient-ils peur que, lassé, je fasse remplir la fin par quelqu'un d'autre ? Voulaient-ils vérifier que ma seconde personnalité de schizophrène n'avait pas pris le dessus pendant l'intervalle de quelques minutes entre ces deux lignes ? Le mystère demeure.
Il y a eu aussi le cas de cette université qui, sur Altaïr, fournit un lien vers un formulaire classique d'engagement à se présenter à un concours de l'enseignement supérieur l'année suivante. Et qui, sur le site de l'université elle-même, fournit un lien vers un dossier général qui ne figure pas sur Altaïr, et qui, entre autres cases, comporte... un paragraphe d'engagement à se présenter à un concours de l'enseignement supérieur l'année suivante.

Des blasés ou des impatients diront peut-être : "Qu'en avez-vous à faire de ces redondances ? N'imprimez que ce que vous savez être vraiment nécessaire ! Et sur ces dossiers, remplissez une fois les informations et biffez dédaigneusement le reste !" Mais rappelez-vous : tout dossier incomplet à la date indiquée sera rejeté. Et quand on a besoin de faire rapidement une sélection parmi des masses de dossiers... Je suppose que c'est un peu partout comme ça dans le monde du travail : des pratiques abusives ou tout simplement stupides persistent parce que les gens qui y sont confrontés ont besoin du boulot et ne disent rien, en tout cas rien ouvertement.

Qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions. Je ne voudrais certainement pas dire du mal de l'administration des universités en général. Les administrations efficaces existent, les secrétaires efficaces aussi (j'en ai rencontré). On peut même dire que si les étudiants savaient à quel point leur destin repose parfois sur les frêles épaules d'un (souvent encore d'une) secrétaire qui passe ses journées dans le bureau exigu d'à côté, ils lui offriraient plus souvent des chocolats. Mais enfin tout de même, il y a des fois où ça confine à la caricature. J'ai souvent été tenté de créer un Prix annuel de l'Université la Plus Ch*** pour les formalités de campagne d'ATER. Un Prix pour lequel les noms des facs ne seraient pas changés, naturellement. Cette récompense, il faudrait lui trouver un beau nom : le Prix Kafka (un brin classique), ou le Prix Brazil, ou encore le Prix de la Maison-qui-rend-fou. Le ridicule public ferait peut-être plus rapidement changer les choses dans les universités concernées que des recours... administratifs.

(*) Le nom a été changé pour préserver l'anonymat de l'établissement.