dimanche 31 janvier 2010

Fin janvier : le rush...

J'ai parlé la semaine dernière des ennuis chroniques que posent les séminaires du samedi matin, même mensuels. Et, puisque nous en sommes aux ennuis chroniques, passons donc au Grand Rush de fin janvier.

Parmi les nombreuses Périodes Critiques que comporte l'année, fin janvier est la plus sournoise, parce que vous avez l'impression que l'année s'étend encore de tout son long devant vous et que mai/juin, autre Période Critique car celle où vous allez devoir rendre votre travail pour pouvoir le soutenir dans des délais raisonnables, est très, très, très loin.

Erreur.

En réalité, ce à quoi vous ne pensez pas, c'est que la rédaction de votre mémoire est un travail de longue haleine, qu'il va vous demander environ un million (estimation basse) de vérifications que vous croyiez avoir faites depuis bien longtemps déjà et, éventuellement, que vous aurez la "joyeuse" surprise de vous rendre compte, vers avril, que vous n'avez finalement pas grand chose, bibliographiquement parlant, pour votre dernière partie et qu'il va donc falloir que vous refassiez des recherches en catastrophe.

Lorsque vous êtes en M1, vous êtes innocent ; vous ne vous rendez compte de rien, vous ne pensez pas au lendemain et vous vous entendez déclarer à votre directeur, d'un ton qui se veut dégagé : "Oui, j'ai déjà une idée de plan, je pense faire ça dans la première partie, ça dans la deuxième, ça dans la troisième, ça dans la quatrième... Je devrais donc commencer sous peu la rédaction."

Vous faites la maligne, mais, en vérité, vous ne savez pas du tout ce qui vous attend. Avoir une "idée" des grandes parties, c'est sympa, mais, lorsqu'il faudra déterminer les sous-parties, i.e. ce qui, concrètement, constituera les grandes, ce sera une autre paire de manches : "Bon, alors, où est-ce que je mets ce ###§§§&&&& de développement ? Merde, ça ne rentre pas du tout dans le reste du plan !!! Comment je vais faire ???"

Sans compter tous les "contre-temps" que j'ai déjà énumérés, car faire son plan permet de se rendre compte de tout ce qui vous manque encore pour être vraiment au point : dans mon cas, tous les exemples à utiliser ne sont pas recasés, j'ai encore au moins deux livres à lire en BNF, une bonne centaine d'articles qui m'attendent en bibli d'Ulm, une recherche sur la connaissance du grec dans le petit peuple romain et j'attends demain avec impatience pour envoyer un mail au prof de linguistique latine de Paris 10, parce que je pense être plus ou moins prête à rédiger ma première partie, mais que je voudrais être sûre de ne rien avoir raté en biblio et, surtout, savoir ce qu'il pense que certaines particularités que mon comptage long et fastidieux m'a permis de mettre à jour.

Déjà, tout cela demande du temps. Ajoutez-y l'obligation urgente de rendre, avant la fin du mois, un plan (qui n'est donc pas vraiment fixé, ce qui pose problème), une bibliographie ("Oh, my God, ne me dites pas que tout ce que j'ai lu depuis septembre ne tient que sur deux pages...!!!"), le résumé d'un bouquin de deux cents pages, pas très clair et qui a un peu tendance à aller un chouïa trop vite en besogne dans ses conclusions (ce qui, en soi, constitue un bon avertissement quant à votre propre prose, surtout quand vous êtes consciente d'être un peu limite niveau définition de votre objet d'étude) et un projet de thèse béton à rédiger vite vite et vous parvenez à la Limite de Saturation, en particulier si vous êtes suffisamment kamikaze pour décider de partir en Italie précisément à ce moment-là.

Résultat : vous partez, oui, mais avec votre ordi et, pendant que votre cher et tendre part bosser, vous partez vous-même à l'exploration de la bibliothèque municipale de Bologne (Sala Borsa, ti amo anche ! :p), à la recherche d'une chaise où poser votre Respectable Postérieur et d'une table, située de préférence devant la chaise, où installer votre ordinateur pour bosser pendant les quatre heures de temps vide qui s'étendent devant vous (lorsque vous relèverez le nez, vous vous rendrez compte qu'il neige à gros flocons et penserez avec désespoir que vos jolies chaussures à talon, que vous avez prises pour faire style, ne seront décidément pas adaptées à ça...).

Tout cela vous permettra d'être une Wonderwoman des lettres classiques et de rentrer en pouvant fièrement envoyer à votre directeur plan, biblio et résumé (en espérant de n'avoir pas trop laissé passer de fautes de frappe, car vous avez dû relire en quatrième vitesse pour cause de concert imprévu ce soir-là).

Vous devriez donc à présent vous atteler à la rédaction de votre première partie, oui, mais, voilà, il y a ce projet de thèse que vous devez rédiger (ce qui signifie surtout, en terme de temps, que vous devez faire des recherches bibliographiques) vite, parce que vous devez l'envoyer suffisamment tôt à votre directeur pour qu'il vous dise ce qu'il en pense et vous donne son "avis circonstancié", mais aussi à la directrice de votre UFR, pour qu'elle ait quelque chose sur lequel s'appuyer lorsqu'elle argumentera pour votre poste d'AMN.

En bref, suis pas près de glander la semaine prochaine...


("Wonderwoman", photo par Benieto ; source : FlickR)

jeudi 28 janvier 2010

Bologna sotto la neve

Quelques photos de Bologne sous la neige, en attendant du nouveau !


Bologna sotto la neve.


Il Nettuno della Piazza.


Ombra del Nettuno.


Vista della Piazza Maggiore di Bologna.



Duomo San Petronio.



Chiesa delle Sette Chiese.


Piazza Santo Stefano.

samedi 23 janvier 2010

Le problème des séminaires du samedi matin...

Le problème des séminaires du samedi matin, c'est, précisément, qu'ils ont lieu le samedi matin.

Sur le papier, ça n'a pas l'air, comme ça. Vous voyez sur la plaquette de présentation des cours : "séminaire mensuel" ; vous tiquez sur "le samedi matin de 10h à 12h30" ; vous en parlez à votre cheffe, qui en est une des organisatrices, pour savoir ce que c'est exactement ; vous en ressortez avec l'impression que ça a l'air bougrement intéressant, l'horaire et la périodicité ayant été choisis de cette manière parce qu'on fait venir pas mal de participants d'endroits différents. D'où votre conclusion : "Bon, ce n'est qu'un samedi par mois... Pour un samedi par mois, je peux me lever."

Ouais.

Ça, c'est la théorie.

Parce que, dans la pratique, s'il est tout à fait faisable de mettre son réveil à huit heures (notez que je gagne une heure sur les jours de semaine !) et de se traîner sous la douche avant d'avoir eu le temps de se rendormir, bercée par les catastrophes quotidiennes déversées fidèlement par le journal à la radio, le séminaire du samedi souffre de deux défauts qui le minent et font que c'est vraiment une manifestation de volonté et de motivation que d'y assister :

Un : il vous fout quand même votre week-end en l'air. Parce que, de quoi est synonyme le mot "week-end" pour la plupart des gens, y compris pour ceux qui ont un plan et une bibliographie de M2 à rendre, ainsi qu'un projet de thèse à monter, et qui vont donc le passer à bosser (toute ressemblance avec un cas connu n'étant absolument pas fortuite) ? "Grasse matinée". C'est beau, une grasse matinée : c'est la libération de la tyrannie du réveil, c'est le sentiment qu'on a, enfin, le temps de se réveiller quand on veut, de se lever, de déjeuner et de décider (ou non) de prendre une douche et de s'habiller.

Quand on a un séminaire le samedi matin, on est crevé comme d'habitude le vendredi, on est quand même obligé de se lever tôt le lendemain matin, comme si c'était un jour ordinaire, le samedi après-midi paraît inexistant, le dimanche passe encore plus vite et, au finish, on arrive au dimanche soir avec la même idée qu'on avait en tête le vendredi à la même heure : "Merde ! demain, il va falloir se lever".


(Hermaprodite endormi. Hermaphrodite : marbre grec, copie romaine du IIe siècle ap. J.-C. d'après un original hellénistique du IIe siècle av. J.-C., restauré en 1619 par David Larique ; matelas : marbre de Carrare, réalisé par le Bernin en 1619 sur commande du cardinal Borghèse ; musée du Louvre ; photo par Jastrow (2007) ; source : Wikipedia Commons)


Et deux : ça tombe toujours au mauvais moment. Toujours. C'est toujours le week-end où, précisément, on aurait vraiment besoin de dormir tout son saoul le samedi matin, où on a prévu un truc, où on aurait dû aller je ne sais où, où on devait voir quelqu'un, etc., etc., rayez la mention inutile (s'il y en a une). Pour vous donner deux exemples personnels : ce mois-ci, pour moi, ça tombe la veille de mon départ pour l'Italie ; le mois prochain, je me suis rendue compte ce matin que c'est le lendemain de l'arrivée de mon copain. Et pourtant, tout le monde se met d'accord sur les dates, chacun essaie d'arranger l'autre et la phrase prononcée cent fois à la ronde est "C'est comme vous voulez, moi, je n'ai rien de prévu".

Evidemment : quatre mois à l'avance, sauf colloque dans les tuyaux depuis six mois, personne n'a quelque chose de prévu. La seule demande, c'est "Heu... Moi, j'ai des enfants et, là, ça tombe en plein dans les vacances scolaires, alors si on pouvait décaler un peu...". Mais, au final, comme par "magie", ça tombe toujours au plus mauvais moment. Damenèd.

En même temps, si on sèche, ça veut dire qu'il y aura deux mois entre la dernière séance et la prochaine.


Pourtant, le séminaire du samedi matin a des arguments pour lui. D'abord, l'ambiance n'est pas la même : elle est plus détendue, c'est quand même presque comme si on était en week-end, d'ailleurs on fait un "goûter", à un moment, au milieu de ces deux heures et demie... Et puis on est entre gens motivés, il y a une certaine reconnaissance entre les uns et les autres, presque comme entre des initiés. On rencontre des gens qu'on ne rencontrerait peut-être pas autrement, on se fait voir, aussi, lorsqu'on est étudiant ou jeune chercheur, on peut prendre la parole en sentant moins l'épée de Damoclès de la Connerie suspendue au-dessus de sa tête...

Bref, le séminaire du samedi, c'est sympa.

Mais, bon, c'est quand même le samedi matin, quoi.


PS : Ceux qui ont suivi auront vu que je pars en Italie demain. Je ne rentre que jeudi, donc ne vous attendez pas à ce que je poste beaucoup pendant ce temps-là.

Ceci dit, pour me faire "pardonner" (et vous faire saliver d'avance), je vous promets ensuite une traduction du chapitre que A. J. Woodman, très grand chercheur anglais en historiographie latine, a écrit pour le Companion to Greek and Roman Historiography et qui est une démonstration magistrale de la nécessité de lire les textes antiques dans la langue originale.

Je le ferai même avec d'autant plus de fierté que, après envoi d'un mail, j'ai reçu non seulement une réponse (la classe ! Ne vous foutez pas de moi : quand on a attendu pendant des semaines que quelqu'un réponde à votre mail...), mais en plus son autorisation (s'il n'avait pas été d'accord, vous n'en auriez bien sûr pas vu la couleur) ! Donc coming soon...!

vendredi 22 janvier 2010

Les plans auxquels mon directeur a échappé

Et c'est reparti pour des bugs gmail ! Décidément, depuis qu'ils ont renforcé la sécurité, c'est tellement bien protégé qu'on ne peut même plus avoir accès à ses mails (donc à son blog) ! Quand je pense que le serveur de l'ENS, qui, avant, était archi poussif (comptez au moins vingt minutes de chargement), fonctionne maintenant du feu de Dieu ! Wow, Google, t'es où, nom d'une pipe ! Tu ne vas quand même pas te faire latter par Clipper !

Surtout en ce moment ! Je suis en pleine rédaction de mon plan !


Rappel des épisodes précédents : j'ai appris il y a peu que je devais rendre un plan et une bibliographie pour la fin du mois. Le problème, c'est que, non seulement je n'ai pas fini mes recherches bibliographiques, mais en plus je n'ai pas encore d'idées suffisamment définies pour rendre un vrai plan à mon chef. Il doit bien le savoir, mais quand même. D'un autre côté, vu qu'il faut aussi je fasse au plus tôt un projet de thèse de deux à cinq pages, pour pouvoir l'envoyer à toutes les Autorités dont j'ai besoin de l' "avis circonstancié", ça me fera de l'entraînement.

Et, comme d'habitude quand il faut que je trouve des mots adaptés au contexte universitaire, j'ai tout sauf ce qu'il faut en tête. Voici donc, en exclusivité absolue :


les plans auxquels mon directeur a échappé.



Le plan scato :

I) Du caca sociologique et linguistique.
II) Du caca (plus ou moins) caché.
III) Du caca partout.

Et sa version plus "personnelle" :

I) La sociologie et la linguistique sont dans le caca.
II) Suétone aussi est dans le caca.
III) Je suis moi-même dans le caca.

La version "boueux" :

I) Faisons semblant de ne pas brasser des immondices, en adoptant une approche très intellectuelle.
II) D'ailleurs, Suétone aussi prend l'air de ne pas y toucher.
III) Alors y a pas de raison, vautrons-nous dedans !!!!

=> Problème de ces versions : on risque fort de me répondre "C'est votre travail qui est du caca" ou sa variante "Bon, bah on va rejeter ce ramassis d'immondices, alors".


J'ai donc deux autres versions moins "stade anal". Tout d'abord, la version "Churchill" (dite aussi version "Voici/Closer/Public/Paris Match" ; mais "Churchill", c'est plus classe) :

I) Du sang.
II) Du sexe.
III) Des larmes.

Tout cela est plus appétissant, vous en conviendrez, mais pas assez explicite. Le problème, c'est que, si je développe, en gros, ça donne la version "tourne en rond" :

I) La socio et la linguistique ne nous avancent pas des masses.
II) Suétone tout seul ne nous fait pas avancer des masses non plus.
III) Même à l'époque, c'était difficile d'avancer.

Réplique possible : "On part de nulle part pour aller nulle part, c'est bien, la boucle est bouclée et votre note ne vous mènera nulle part non plus".

Morale de l'histoire : il va falloir une sacrée couche de maquillage académique pour que tout cela soit présentable... Et c'est plus dur que de retoucher une photo de Sharon Stone avec du Photoshop !

("MDM", photo par Dragunsk ; source : FlickR)

mercredi 20 janvier 2010

Premier "entretien d'embauche" pour un poste d'AMN

Vendredi, j'ai eu mon entretien avec la directrice de mon UFR à Nanterre à propos d'un éventuel poste d'AMN (Allocataire Moniteur Normalien) à la rentrée de septembre prochain. Vous allez me dire "mais, ce n'était pas censé être mardi dernier, plutôt ?" : si, mais j'ai appris la veille qu'elle faisait cours précisément au moment où elle m'avait donné rendez-vous ; j'ai donc renvoyé un mail en catastrophe en espérant très fort que ce n'était pas (trop) un immense acte manqué et il s'est avéré qu'elle avait effectivement oublié ce "détail". Donc, rendez-vous reporté le vendredi d'après, à la même heure (où elle est arrivée avec 15 min de retard, ce qui fait que j'ai bien cru qu'elle m'avait encore oubliée...).

Tout d'abord, petite précision sur ce qu'est un poste d'AMN. Avant, lorsque vous étiez thésard, on vous donnait une bourse et, en échange, vous vous chargiez d'un certain nombre d'heures de cours à la fac ; si vous aviez passé l'agrégation, au bout de trois ans (durée de votre bourse de thèse), ces heures de cours vous permettaient de la valider (rappelons que l'agrégation doit être validée par un an de stage dans le secondaire, avant que vous soyez titularisé). Ces heures s'appellent "monitorat" ; lorsque vous êtes normalien, vous êtes, a priori, un peu plus payé, d'où un monitorat spécifique.

Jusque là, c'était (à peu près) clair.

Puis vint le contrat doctoral, Idée "Géniale" du ministère dont personne ne voulait et que tout le monde est à présent obligé de se coltiner. Comme le nouveau régime entre en vigueur cette année, il n'y a pas une âme capable de vous expliquer ce qu'il faut faire précisément pour décrocher ce fameux monitorat.

L'année dernière, pour les normaliens, il suffisait de donner deux choix et le ministère choisissait (plus ou moins) où vous iriez. Cette année, il n'y a absolument rien de ce genre dans le dossier de demande de bourse. C'est "débrouillez-vous les amis et que le meilleur gagne". Nous avons donc compris (et/ou redouté de comprendre) qu'il allait désormais falloir aller chercher son monitorat avec des dents ; en clair : démarcher soi-même les facs.

D'où ma demande de rendez-vous avec la directrice de mon UFR. Sur le moment, elle a eu l'air assez positive : ce serait peut-être possible de nous garder tous les deux, mon camarade et moi, à condition de nous trouver à chacun les 64h de cours requises. Dans cette optique, il fallait bien évidemment être prêt à enseigner non seulement du latin, mais aussi du grec et quelque chose comme de la "mythologie comparée" sur traduction. J'ai fait oui, oui, oui, bien sûr, de la tête : si c'est pour avoir un poste l'an prochain, je suis tout à fait d'accord pour enseigner le grec ; après tout, je suis agrégée de lettres classiques, pas seulement de latin.

Je suis donc sortie de là assez optimiste. Le problème, c'est qu'elle n'a pas raconté exactement la même chose à mon camarade, qui avait rendez-vous juste après moi : avec lui, elle a été moins positive, lui a dit qu'elle n'était pas sûre du tout et que, au cas où il n'y aurait qu'un seul poste, ce serait à notre directeur commun de décider lequel d'entre nous deux resterait à Nanterre. Sauf que nous savons très bien qui devra aller tenter sa chance ailleurs ; c'est Bibi : je viens d'arriver à Nanterre, je suis moins bien classée à l'agrèg' et, surtout, mon directeur a déjà pensé à une autre possibilité pour moi, en l'occurrence, la fac de Tours.

Ça ne m'embêterait pas du tout d'aller à Tours : c'est une fac dynamique, sympa, à une heure de Paris en TGV, que je connais un tout petit peu parce que j'ai de très bons amis qui y sont allés après la prépa et, c'est vrai, j'ai peut-être des chances d'y être prise, vu que j'ai intégré l'Ecole à partir d'Orléans ; ce ne serait donc pas vraiment un parachutage.

La question, c'est : faut-il absolument que j'y sois aussi inscrite en thèse ? Théoriquement, à présent, puisque la bourse de thèse et le monitorat sont totalement découplés, on peut faire sa thèse à un endroit et son monitorat à un autre. Sauf que certaines facs ont d'ores et déjà plus ou moins annoncé qu'elles privilégieraient ceux qui feraient leur thèse chez eux (celle de Lille, par exemple, elle aussi très dynamique et sympathique, mais je ne peux pas y aller parce que, en latin, ils ne bossent que sur la poésie ; dommage : après le cours du prof qui s'est chargé de Sidoine Apollinaire, l'année dernière, j'étais prête à signer des deux mains). Quand j'ai parlé de cette histoire de séparation à mon directeur, il a ouvert de grands yeux, genre "mais qu'est-ce que c'est encore que cette absurdité ?".

Là encore, ça ne me gênerait pas du tout d'être inscrite en thèse à Tours, si ça peut me valoir un boulot pour l'an prochain. La question est seulement : est-ce qu'ils voudront absolument que je le sois pour m'attribuer un monitorat ? Et surtout : faudra-t-il que je les contacte ? J'avoue que je n'ai pas très envie de leur demander un poste et de tout faire pour l'avoir, si c'est pour, ensuite, devoir leur expliquer que, finalement, je vais à Nanterre et qu'ils vont se retrouver le bec dans l'eau, d'autant que je prévois un éventuel "on vous donne un poste, sûr, mais vous devez vous engager à aller chez nous, quoi qu'il arrive et en particulier quoi qu'on vous propose à Nanterre".

mardi 19 janvier 2010

Retour au XIXème siècle (ou presque) !

Tout d'abord, je m'excuse pour le retard de notes de blog phénoménal que j'ai pris ces derniers jours. Il faut dire que je n'y suis pas pour grand chose : depuis vendredi soir, il n'y a plus du tout internet à notre étage d'internat. L'internat sans internet : une lettre qui change et tout est paralysé. Il paraît que c'est un switch qui est en train d'agoniser et qu'il faut donc remplacer. Je ne connais pas ce M. Switch, donc toutes mes condoléances, mais si quelqu'un pouvait dire à ce truc qu'il fait vraiment chier et qu'il aurait pu choisir un autre moment, par exemple la semaine prochaine, quand je serai en Italie, je lui en serais très reconnaissante. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il s'agit d'un bidule informatique qui parle en binaire et ne comprend donc pas le langage humain : je parle tous les jours à George, notre frigo, (en général pour lui passer un savon) et il comprend très bien ce que je lui dis ; c'est comme mon chat, : quand on passe aux "Espèce de ###§§§§§!!!!!!!!!!!", il y a quelque chose dans le ton de la voix qui indique que, là, maintenant, ça ne rigole plus et qu'il faut vraiment se tenir à carreau.

Il faut dire que George (pour "George Clooney" ; pas parce qu'il refroidit, mais en raison de sa carrure : oui, George est un frigo grand et barraqué, même s'il est trop petit pour seize personnes ; pour info, le micro-onde s'appelle Robert, pour "Robert Redford", parce qu'on voulait aussi un blond qui ne soit pas fadasse, et la cuisinière Ginette, pour "Ginette Mathiot", la fameuse auteure de "J'aime et je nourris bien mon mari" ; sur ce je ferme cette parenthèse déjà beaucoup trop longue) a un gros défaut (outre qu'il est trop petit pour seize personnes ; mais ça, ce n'est pas de sa faute, c'est l'admin' qui refuse de comprendre qu'un frigo pour seize, ce n'est pas assez) : il a peur du noir. Je sens déjà défaillir des cohortes de minettes : "Mon Dieu ! George a peur du noir...!" Oui. Il a peur du noir. Et lorsqu'il est dans le noir, vous savez ce qu'il fait, mesdemoiselles ? il appelle Maman.

Car George est doté d'un merveilleux système "biiiiiiiiipppp !!!!!!!! biiiiiiiiiippppp !!!!!!!!!!" qui se déclenche lorsque sa porte reste ouverte plus de dix secondes. C'est à peu près l'équivalent du très familial et maternel "Ne reste pas plantée comme ça devant la porte du frigo, tu y fais rentrer du chaud ! Décide-toi, prends un truc et referme !" que j'ai entendu pendant une bonne partie de mon enfance (encore que le top 3 soit occupé, de loin, par "Tiens-toi droite", "Tousse" ou "Mouche-toi" et "Abrèèèège !" ; comme vous pouvez le voir, j'ai eu une enfance malheureuse). Etant donné que je n'arrive pas à faire comprendre aux Chinoises de l'étage que, pour mettre un terme à ces biiiiiiipppppps intempestifs, il suffit d'appuyer sur le bouton avec une petite cloche dessus, George biiiiippe beaucoup, cette année. Et la cloche, c'est moi.

Car qui c'est qui est la première concernée lorsque George se met à biiiipper comme un animal blessé ? C'est Bibi, vu que ma chambre est juste à côté et que ses petits bruits suraigus s'entendent très bien. Donc, quand George se met à trop biiiiiipper, Maman doit abandonner ce qu'elle est en train de faire pour voir ce qui se passe, parce que c'est insupportable (oui, je sais, c'est moi la mère de George Clooney ; pour celles qui seraient tentées de m'envoyer des demandes en mariage, je vous préviens que je suis très stricte ; je n'ai d'ailleurs toujours pas rencontré cette Elisabetta, ça ne va pas du tout).

Tout irait bien dans le meilleur des mondes si je pouvais me contenter d'insulter, de ma chambre, le (la) crétin(e) tombé(e) en admiration devant ses yahourts nature Monoprix (ou qui ne sait pas refermer correctement une porte de frigo, parce que le cas s'est aussi posé), mais voilà : par une faculté absolument incompréhensible, George a aussi découvert comment biiiiipper tout seul et, de préférence, il le fait la nuit (d'où ma Révélation : George a peur du noir et, quand il a peur du noir, il appelle Maman, de préférence à deux ou trois heures du matin, lorsqu'elle était profondément endormie ; les gosses sont vraiment tous des ingrats). Et ce même quand il tombe en panne.

Exemple : pendant les vacances de Noël, après seulement trois jours dans ma famille pour cause d'absence de train à Austerlitz (c'est là qu'on voit qu'il y a aussi des réparations de lignes à deux vitesses : pour l'Eurostar, l'Omniprésident décroche son téléphone et tout rentre dans l'ordre ; pour le RER C et Austerlitz, les marauds peuvent bien se débrouiller pendant deux mois), quand je rentre, je découvre que George ne marche plus (et, accessoirement, que l'évier est bouché). Il s'est avéré plus tard que c'était une Chinoise qui l'avait éteint par mégarde, en se trompant de bouton (vu qu'elles ne touchent à aucun bouton, je me demande bien comment ça a pu arriver), mais, sur le moment, j'ai commencé par envoyer deux mails à travaux@ens (le Service Magique qui passe dans la journée et quand vous rentrez chez vous le soir, oh ! c'est réparé) et je suis partie aussi sec pour Strasbourg avec mon copain. Quand on est rentrés, le lendemain soir, vers minuit, on était crevés et le frigo n'était toujours pas réparé (il faut dire que c'était le week-end qui a suivi le 26 décembre : travaux@ens est magique, mais il lui arrive aussi d'être en congés, parfois). SAUF QUE : le congélo, lui, fonctionnait et que, à deux heures et demie du matin, George s'est mis à biiiiipper pour faire comprendre à Maman qu'elle lui avait beaucoup manqué. Je passerai sur tous les jurons et autres malédictions que j'ai proférés en allant lui dire de la fermer (et appuyer sur le fameux bouton).

En ce moment, George ne fonctionne pas non plus. Parce que, après avoir passé une partie de ma journée à monter au septième étage pour signaler que, à nouveau, internet ne fonctionnait pas chez nous, je suis rentrée de la danse à 22h pour constater que, cette fois-ci, c'était carrément l'électricité qui nous avait lâchés : pas de courant du tout et ce rien qu'à notre étage. Le gars de travaux@ d'astreinte était désolé pour nous et a juré de s'en occuper avec l'électricien, demain, à l'aube. Bibi s'est levée demain à l'aube et a déjeuné aux chandelles, mais, à l'heure où j'écris cette note de blog (qui est donc différente de celle où je vais la poster, puisque pas de jus = pas d'internet non plus ; c'était bien la peine que Ducros se décarcasse), i.e. à presque 9h, toujours rien en vue. Ou plutôt, à vrai dire, toujours rien d'entendu, parce que, évidemment, vu que mon ordi est sur batterie, c'est plutôt par les biiiiipps stridents de George que j'apprendrai le retour du courant : bah oui, il s'est réchauffé pendant la nuit, le pauvre petit, et il tiendra à le faire savoir à sa Mamounette adorée...!

En attendant, ici, ordi mis à part, c'est comme au XIXème siècle : travail à la bougie, jusqu'à ce que la fée Electricité revienne pointer le bout de son nez !



Edit : George a biiippé à 10h02 ce matin très exactement ; mesdemoiselles, il est toujours vivant !

jeudi 14 janvier 2010

La linguistique, c'est bien, surtout quand on n'y comprend rien...!

N'écoutant que mon courage, ce matin, après une soirée (un peu) arrosée et (un peu) tardive, je me suis héroïquement levée à 7h pour passer ma journée en bibli. C'est que j'ai appris hier qu'il fallait que je rende un plan et une biblio avant la fin du mois et, de toute façon, mes "échanges" franco-italiens font que je dois travailler deux fois plus entre temps, pour ne pas me retrouver dans une situation catastrophique masteriennement 2 parlant. Ajoutez à ça qu'il est plus facile de monter un projet de thèse avec biblio et tout et tout quand on a déjà un plan détaillé de son M2 (parce qu'on sait déjà ce qu'on peut recaser dans sa thèse) et vous obtenez la formule gagnante.

Donc, ce matin, je me suis traînée sous la douche à 7h et j'ai baillé mon manque de sommeil dans le tram, puis le RER. Heureusement, la bibliothèque d'Ulm avait tout prévu : la salle 2 était à peine chauffée ; un froid glacial, ça réveille. Avant la fin de la matinée, j'avais remis mon manteau, tiré les manches de mon pull jusqu'au bout des doigts (bénis soient les pulls aux manches trop longues ; ça rend l'écriture coton (enfin, laine, en l'occurrence), mais il n'est pas plus facile d'écrire avec des doigts congelés ; une année, un chercheur avait mis, sur le cahier des suggestions, "j'ai du mal à faire du grec avec des moufles") et jetais des coups d'oeil concupiscents à mon écharpe. Ce soir, à la fermeture (car j'ai fait l'ouverture et la fermeture, par Jupiter ; c'est la première fois, je le jure, et j'en suis atterrée : je crains d'être mûre pour la thèse...), j'avais des stalagtites au bout de mon nez congelé. Les chercheurs et les étudiants en lettres classiques sont valeureux : ils affrontent même le Pôle Nord pour pouvoir bosser.

Tout ça pour lire des articles de linguistique. Aaaaah, la linguistique...! J'ai rangé ce billet avec les sciences "auxiliaires", mais c'est seulement parce qu'elle est une science auxiliaire pour moi (au sens où elle me file un sacré coup de main). Par ailleurs, elle, elle est considérée, à très juste raison, comme un domaine d'étude à part entière.

Le problème de la linguistique, ce sont les linguistes. Personnellement, je les aime beaucoup. J'en ai deux parmi mes amis et ils me traitent parfois de "crypto-linguiste", juste parce que je trouve ce qu'ils font intéressant et pas nécessairement le signe d'un esprit complètement taré (même dans les "sciences de l'Antiquité", on a des échelles dans le degré de folie). J'ai aussi fait un peu de linguistique latine en L3 à la Sorbonne : ça m'a intéressée, mais pas suffisamment pour me donner envie de m'y consacrer (et puis, le prof qui vous dit "Vous savez, le latin, c'est fini ; faites de l'esquimau, vous aurez un poste tout de suite !", ce n'est pas très motivant).

En fait, le problème, ce sont les manies des linguistes. Ou plutôt LA manie des linguistes. Celle de la jargonologie. Ce n'est d'ailleurs pas une spécificité latine : elle a contaminé la recherche sur toutes les langues et en particulier le français, si bien que, quand il a fallu que je lise de A à Z et en détail le pavé vert des PUF sur la grammaire française, il s'agissait moins d'apprendre des choses sur le fonctionnement de la langue française que de me mettre à la page sur les changements terminologiques survenus depuis ma troisième... Pour info, par exemple, on ne dit plus "verbe transitif" (i.e. suivi d'un COD), ni "verbe intransitif" (i.e. suivi d'un COI), mais "verbe transitif direct" ou "transitif indirect" ; "intransitif", c'est devenu autre chose.

Les linguistes ont donc majoritairement la manie d'utiliser des termes très compliqués pour des choses relativement simples. En conséquence, beaucoup d'articles commencent par un nombre variable de pages, définissant les termes qui seront utilisés par la suite ; quand ce n'est pas dans le corps du texte, c'est en note, le cas le plus cauchemardesque étant celui où on a seulement en passant " je reprends bien sûr à mon compte les termes de la grammaire de M./Mme ****" (surtout quand on n'a aucune notion de ce qu'est la fameuse grammaire de M./Mme ****, of course). Aujourd'hui, je me suis donc frottée à la prédication (qui n'est pas ce que vous croyez), à la proposition (idem), au "tropic", "phrastic" et "neustic", termes que même l'auteure entourait de guillemets. C'est pratique, en un certain sens : ça me permet de renouveler ma collection d'insultes haddockiennes (je suis sûre que personne ne vous a jamais traité d' "anaphore adjectivale prépositionnelle" ; c'est très efficace, pourtant ; on a les joies qu'on peut).




Ce qui est moins pratique, en revanche, c'est que cela vous oblige à un perpétuel travail de traduction/décodage systématique, sous peine de ne rien comprendre et de vous noyer. Par exemple, par "nature illocutoire basique de l'énoncé", il faut comprendre, tout bêtement, "phrase déclarative" : c'est dingue ce qu'un simple point peut devenir compliqué, tout à coup (pour les linguistes qui passeraient par ici et qui s'indignent déjà : oui, je sais, c'est plus compliqué que ça, ne serait-ce que parce qu'il ne s'agit pas seulement des propositions principales ou indépendantes) !

Et ça, encore, c'est quand ils n'utilisent pas des abréviations ! Parce que, ces énoncés à rallonge, c'est beau et précis, mais c'est surtout long à écrire. Les linguistes ont donc la manie des abréviations. En règle générale, ils les expliquent, par exemple en signalant que, ce qu'ils appellent "Loc. 1" (pour "locuteur 1"), c'est celui qui cite, "Loc. 2" (pour "locuteur 2", vous l'aurez compris) celui qui est cité. Parfois, ils n'expliquent rien du tout, mais, en règle générale c'est pour les expressions courantes : "DI" pour "discours indirect", ça va, ce n'est pas inhumain.

Le hic, c'est que ce qui est courant pour les uns ne l'est pas nécessairement pour les autres : c'est ainsi que j'ai vu débarquer, en plein milieu d'un article, des "A.c.I.", terme manifestement féminin que je n'avais jamais rencontré, ni dans la première partie du texte, ni ailleurs ; je regarde la suite : c'est générique, donc les exemples ne sont pas éclairants ; j'envoie un texto à mon amie linguiste : inconnu au bataillon aussi de son côté. Je fais donc une annonce publique : si vous savez ce qu'est une "A.c.I", please, laissez un commentaire : j'ai plus ou moins compris le concept, mais j'aimerais quand même savoir ce que ça veut dire exactement (je penche pour un truc genre "assertion complétive à l'infinitif") ; ceux qui ne savent pas, mais qui ont de l'imagination, sont eux aussi invités à faire part de leurs suggestions. :p

Tout ça, parfois, pour plus ou moins redire ce qui se trouve déjà dans toute grammaire de base. En l'occurrence, aujourd'hui, j'ai appris que, dans le discours indirect ("il dit qu'il vient") en latin, on utilise le subjonctif pour ce qui serait une question ou un ordre au discours direct (« Je viens.») et l'infinitif pour le reste. Je le sais depuis ma quatrième ; félicitation à l'auteure : à l'évidence, elle aussi. Mais bon, c'est vrai que, là, je suis injuste et méchante, d'abord parce qu'elle n'a pas fait que vérifier sa grammaire, elle a montré des nuances très intéressantes, ensuite parce que, la grammaire, c'est passionnant. Vraiment. Comprendre de l'intérieur comment fonctionne une langue est assez jubilatoire et donne l'impression d'avoir plus de prise sur des choses qu'on fait sans même s'en rendre compte. Mais si ça pouvait être plus facilement accessible, ce serait tellement mieux...


lundi 11 janvier 2010

Wanted

Il y a des jours où tout est une merde pas possible.

Ce sont par exemple les jours où vous vous rendez compte que vous avez perdu le gant gauche d'une paire à laquelle vous tenez énormément. Alors vous vous repassez mentalement tout ce que vous avez fait depuis la dernière fois où vous les avez mis (et vous vous félicitez secrètement de ne pas avoir mis le nez dehors dimanche).

Vous retournez au supermarché (où vous êtes allée ce matin) : "Ah bah non, un gant comme ça, on n'en a pas trouvé !".

Vous retournez dans votre chambre (car, bien sûr, vous vous en êtes rendue compte alors que vous veniez de partir pour la bibliothèque). Vous la retournez. Rien.

Vous prenez votre téléphone portable. Soyons méthodique :

- Café où vous avez déjeuné avec votre mère : "Non, désolé, mademoiselle, mais nous n'avons aucun gant qui corresponde à ce signalement."

- Opéra Garnier : "Une minute, mademoiselle, je vais regarder sur le cahier... (deux minutes plus tard) Non, désolée, nous n'avons trouvé aucun gant samedi."

- Service clientèle de la Ratp : "Sur quelle ligne ? La 7...? Attendez, je regarde... ("La RATP vous informe que votre correspondant est déjà en ligne ; veuillez patienter quelques instants... Zi Are Ai Ti Pi informs you that...") Non, désolé, pas de gant. Sur les lignes 5, 6 et 4 aussi ? Attendez, je regarde... ("La RATP...") C'est un gant avec une marque ? Non, je ne parlais pas d'un truc genre "tache d'encre". Bon, désolé, rien non plus."

Bzzzzzz... Message d'Orange : "Votre nouveau crédit est de 25 centimes d'euro." C'était quand, déjà, la dernière fois que j'ai rechargé ? Au début des vacances, c'est ça ? Choueeeeeette.

Direction le service des objets perdus. La fille à l'entrée : "Remplissez le papier et revenez me voir." Nom, prénom, adresse, description de l'objet perdu... Retour à l'entrée : "On vous appellera par votre numéro". C'est quoi, mon numéro ? 145. On en est à combien ? 138. Ouaiiiis...

Une demi-heure plus tard : "Ah non, écoutez, vous l'avez perdu samedi, ça veut dire que, s'il a été trouvé, il arrivera ici au mieux demain, donc il sera enregistré mercredi. Alors laissez passer une bonne semaine et revenez lorsque ça vous arrangera. Non, vous ne pouvez pas laisser votre fiche de signalement ici, c'est trop tôt." (Là, j'avoue, j'étais déjà tellement fatiguée et désespérée que j'ai bien failli fondre en larmes en pleine préfecture...)

Que reste-t-il à faire ? Retourner sur les (possibles) Lieux du Crime. Direction la station Opéra. "Ah non, désolé, un gant comme ça, je m'en souviendrais." Inspection du trottoir. Re-métro, direction Austerlizt. "On n'a rien comme ça."

Dernier espoir, la gare. Premier guichet d'accueil : "Pour des raisons liées au trafic, ce guichet est fermé. Le guichet le plus proche est devant la voie 16." La gare est déserte : donc, des "raisons liées au trafic", c'est quand il n'y a personne ?

Guichet voie 16 : "Vous l'avez perdu quand ? samedi ? Alors allez le long de la voie 21, il y a un préfabriqué, avec des gens qui pourront vous renseigner".

Préfabriqué de la voie 21, yeux ronds de l'assistance à mon entrée : manifestement, les clients ne sont pas censés s'aventurer par là. "Ah non, ici, on n'a rien, mais pourquoi vous n'êtes pas allée aux Objets trouvés ? C'est à côté de la consigne." Oui, c'est vrai, ça, pourquoi le gars du second guichet ne m'a pas envoyée là-bas tout de suite ?

Guichet des objets trouvés. Hangar glauque. Personne. Soudain, j'avise une petite sonnette sur le comptoir. Driiiing, quelque part, loin, dans une pièce invisible. Un Asiatique surgit d'une porte de côté. "Oui...? Un gant ? Ah non, pas un gant comme ça, désolé. On a rien comme ça ici."




Bref, tout ça pour dire que, si jamais, depuis samedi, vous êtes tombé sur un gant gauche en cuir et velour violet, 'might be mine... And I'd like very much to have it back, please...

Quand je pense que c'est ma fête, aujourd'hui...!

samedi 9 janvier 2010

Merci la mère Noël !

Comme la vie est parfois bien faite et que certaines sont très fortes pour comprendre les allusions "subtiles" (surtout quand elles le font avant même d'être passées sur ce blog et d'avoir lu ma requête bloguesque au barbu du Pôle Nord), j'ai reçu pour Noël, nonnostant la lenteur des expéditeurs de la Perfide Albion, un magnifique exemplaire du Companion to Greek and Roman Historiography.


Joie et allégresse !

Comme je ne l'ai que depuis aujourd'hui, je n'en ai, pour le moment, lu que l'introduction (cependant la soirée est encore jeune...!), mais, déjà, tout y est : un point de vue pondéré et différentié (i.e. que Marincola montre bien qu'il ne faut pas juger les historiens antiques à l'aune des nôtres - c'est un peu ce que j'ai modestement essayé de montrer pendant ces vacances avec l'exemple du traitement de la mort de Germanicus) ; un rappel du schéma d'évolution proposé par Jacoby ; sa discussion ; etc. Je m'en lèche les babines d'avance à l'idée de lire la suite (oui, oui, je sais, pour la plupart des gens, ce genre de réaction est le signe d'un grave dérangement mental ; je vous ferai remarquer que je n'ai, nulle part sur ce blog, prétendu être totalement saine d'esprit !)...!

Alors, encore une fois, MERCI MÈRE NOËL !!!! :*

Pour ceux qui seraient intéressés, le sommaire est accessible sur le site d'Amazon.

jeudi 7 janvier 2010

What's on a student's mind... pendant une reprise d'exposé.

« Bon, je vous remercie pour cet exposé... Je vais donc procéder à la reprise...

Aïe, aïe, aïe, elle a tiré une sacrée tronche tout du long, c'est sûr, ça va saigner... (épaules rentrées, sourire un peu crispé).

... Donc j'aurais quelques petites remarques à vous faire. Et tout d'abord la première, qui n'est en fait pas de votre faute, c'est que je viens de tomber sur un article beaucoup plus pertinent et éclairant que ceux que je vous avais demandé de lire.

Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit, pourquoi tu ne me l'as pas dit, pourquoi tu ne me l'as pas dit, pourquoi... Je le sa-vais, que j'aurais dû faire des recherches bibliographiques en plus, je le savais !

... Vous avez parfaitement bien expliqué M. X, c'était même plus clair que dans son livre, mais en vous entendant, je me suis rendue compte de combien M. Y et lui avaient faux à propos de ce mythe.

Ouh, la vache, ça va vraiment être un massacre. (sourire encore plus crispé)

... Et puis aussi, il faut savoir que le mythe de Prométhée créant l'homme n'est absolument pas attesté dans les textes. C'est quelque chose de populaire qui apparaît très tard.

Mais bon sang, je ne l'ai quand même pas inventée, celle-là ! Je lui dis que Prométhée est le dieu des potiers du Céramique et que le verbe utilisé fait explicitement référence à cette activité ? Je lui dis ? Je lui dis...? Et si c'était encore une grosse connerie...? Bon, je lui dis ou non ?

... Bon, donc, ça, c'est faux. Maintenant passons à...

Trop tard...

... Et vous savez, Platon parle aussi de ce mythe à de nombreux endroits dans la République, en plus des deux passages que je vous avais demandé de traiter. A chaque fois, il fait allusion aux démons ; ça aurait pu vous mettre sur la voie.

Mais pourquoi je n'ai pas relu en une semaine les 500 pages en traduction de la République de Platon ? Pourquoi ? pourquoi ?

... Je n'ai d'ailleurs pas très bien compris : vous avez l'air de ne pas savoir que les gardiens et les guerriers sont la même chose...? Attention, on peut éventuellement faire une première classe avec les chefs des gardiens, mais il faut bien montrer que c'est la même chose.

Kiling ! kiling ! (bruit des points de ma note finale allant se fracasser sur le plancher)

... Il est d'ailleurs assez remarquable que le genre de vie que Platon préconise de leur faire mener ressemble de manière frappante à celui des... des...?

Merde, merde, merde, je le sais, ça, je le sais ! Mânes de ma terminale, à mon secours ! Mais bordel, pourquoi je n'ai pas relu la République pendant les vacances ! Nom de Dieu, c'est quoi, déjà ? C'est pas les hoplites, c'est pas les éphèbes, c'est... c'est...

... des Spartiates, bien sûr. Platon emploie même de terme de "sissytie" pour leurs repas communs.

Kiling ! Kiling ! Bordel, elle va me coûter cher, celle-là, ça va être terrible...! Surtout, surtout, ne pas avoir de rictus crispé, ne pas trop sourire non plus, respire un bon coup ma fille, ça finira bien par se terminer et un jour, peut-être, la latiniste que tu es aura l'Immense Fortune d'enfin valider un cours en latin... »

mercredi 6 janvier 2010

Grandes Ecoles et boursiers

Il faut bien que j'en parle, parce que cette histoire est en train de prendre de sacrées proportions et que les Descoing, Minc et autres Pinault font comme s'ils n'étaient pas parfaitement au courant des nuances à apporter : toutes les exagérations sont bonnes, pour caricaturer ceux qui ne sont pas d'accord et avoir le beau rôle tout en refusant de discuter honnêtement avec eux.

Pour commencer, les Grandes Ecoles ne refusent pas les élèves boursiers, tout comme elles ne cherchent pas à ne recruter que des enfants de "bonnes familles". On y entre sur concours : c'est un moyen, certes, parfois cruel, mais au moins égalitaire : les copies sont anonymées, tous les candidats passent les mêmes épreuves, au même moment.

Maintenant, ce qu'on reproche à ces concours, ce n'est pas tant leur organisation que le fait que tous les candidats ne soient pas exactement égaux face à eux, parce qu'ils n'ont pas tous exactement le même niveau. Ça, si je peux me permettre, c'est une tarte à la crème : dans aucun concours les candidats ne sont au même niveau. C'est même précisément pour cela qu'on les organise : pour ne sélectionner que ceux qui ont le niveau requis ; et s'il y a plus de candidats qui ont ce fameux niveau requis que de postes, alors entre en jeu l'aléa des concours : tel jour, à tel moment, vous avez été meilleur ou moins bon qu'un autre ; ça aurait peut-être été l'inverse un autre jour, à un autre moment, mais c'est comme ça. Inutile de s'étendre sur le fait que les concours, tous les concours, sont des instantanés.

Donc, en fait, le débat porte soit sur l'enseignement délivré en primaire, collège, lycée, soit sur celui délivré en classe prépa. Les Grandes Ecoles et le concours n'y sont par conséquent pour rien ; ce qu'il faut, c'est permettre aux élèves boursiers (et non boursiers aussi, d'ailleurs, parce qu'il en a aussi un certain nombre qui sont tout aussi méritants et dont les parents ont des revenus qui les situent juste au-dessus du plafond pour avoir une bourse ; il faut même d'autant moins les oublier que, vu la réduction du nombre de bourses et le relèvement des plafonds qui en découle, il y en a de plus en plus) d'accéder à un enseignement dont la qualité leur permettra ensuite d'avoir autant de chances que les autres lorsqu'ils présenteront le concours.

Cela revient à reconnaître qu'il y a des différences de niveau et d'hétérogénéité dans l'enseignement délivré en France et c'est cela qui est le vrai problème. Cela non plus, ce n'est pas nouveau, mais plutôt que de s'y atteler, manifestement, certains préfèrent chercher un bouc émissaire pour le pointer du doigt et s'en tirer sans rien changer à la situation. Vous comprenez dès lors avec quelle ironie j'ai lu la "tribune" de Minc et Pinault dans le Monde, finissant par la fameuse citation du Guépard de Lampedusa : "Il faut que tout change pour que rien ne change". Hu, hu, hu... Ceci dit, ce n'est pas la première fois que ces deux trublions auraient mieux fait de réfléchir avant d'ouvrir la bouche.

Nos amis Minc, Pinault et Descoing, donc, ne veulent pas essayer de trouver une solution au problème de l'enseignement délivré en France. Ce qu'ils proposent, c'est un emplâtre sur une jambe de bois : 30 % de boursiers dans les Grandes Ecoles, avec recrutement spécifique.


Je me permets ici d'ouvrir une petite parenthèse : à l'Ecole Normale Supérieure, le recrutement sur dossier existe déjà. Pour intégrer, il faut être suffisamment bon dans toutes les matières au concours ; or il y a des gens qui sont excellents dans leur spécialité, mais pas assez bons ailleurs et qui, pour cette raison, n'intègrent pas ; ce serait dommage de les rater. Il existe donc une procédure d'admission sur dossier (en règle générale, pour les khûbbes), qui se fait par département ; vous êtes pris dans le département de votre spécialité et vous ne pouvez pas en changer ensuite (tandis que les élèves, même s'ils sont entrés en physique, peuvent ensuite décider de faire de l'histoire et inversement ; enfin, théoriquement : personnellement, j'aurais été incapable de me lancer dans les maths, la physique ou la chimie). Il n'y a donc pas que le concours pour entrer à l'ENS. Fin de la parenthèse.


Retournons au recrutement spécifique de boursiers. Pourquoi les recrute-t-on de manière différente ? Parce qu'on reconnaît qu'ils n'auraient pas le niveau requis pour être reçu à l'issue du concours. C'est là que Descoing vous explique que pof ! comme par magie, ils entrent à Sciences Po' et, tout d'un coup, ils sont du même niveau que les autres. Vous y croyez, vous, à ça ? Vous pensez que, d'un claquement de doigt, des années de lacunes dans l'enseignement de l'histoire ou du français vont être comblées ? Evidemment que ce sont les meilleurs élèves qui sont pris ; il n'empêche qu'ils en bavent au début, précisément parce qu'ils ne sont pas au niveau de leurs petits copains et qu'ils doivent donc bosser deux fois plus après avoir intégré : vous appelez ça de l'égalité ?

La vérité, c'est que c'est avant qu'il faut faire quelque chose, soit en instaurant des classes préparatoires au coeur des ZEP, soit en organisant, au lycée, ou au sein même de la prépa (mais ça me semble difficile, vu le volume horaire déjà important), des cours en plus pour les meilleurs élèves, permettant de leur donner les mêmes chances qu'aux autres. C'est à cela que servent les programmes d'échange entre les élèves des Grandes Ecoles et les lycées en zone défavorisée, par exemple, ou encore ceux d'accompagnement des élèves boursiers, sur le modèle de ce qui a été mis en place à Henri IV. Mais ce genre d'expériences mériterait d'être généralisé et étendu à tout le territoire.

Et puis on pourrait rêver, aussi, que l'Etat décide vraiment qu'il doit y avoir un enseignement de qualité partout en France, en donnant de vrais moyens aux ZEP, parce que dire "on va vous aider" et diminuer le nombre de profs, surveillants et autres, c'est vraiment se foutre de la gueule du monde et prendre les gens (en particulier ceux qui habitent les zones défavorisées) pour des crétins aveugles et schizophrènes.

Mais l'Etat ne veut pas de ça. Ce qu'il veut, surtout, c'est que rien ne change, parce que ce système à deux (voire trois ou quatre) vitesses avantage, précisément, ces classes dirigeantes qui n'ont absolument pas envie de voir des jeunes de banlieue damner le pion à leurs rejetons au concours de Polytechnique et, ensuite, leur succéder au plus hauts postes. Finalement, cette situation les arrange bien et ils ne font semblant de chercher de vraies fausses solutions que pour donner aux gens l'impression qu'ils font quelque chose, afin qu'ils cessent de s'agiter par révolte indignée.

Cette histoire de boursiers n'est rien d'autre qu'un fumigène pour détourner l'attention et ne rien changer, accompagné d'un dénigrement des opposants, en les traitant de réactionnaires pour justifier son propre refus de discuter avec eux en faisant un minimum preuve d'honnêteté intellectuelle.

Mais bon, ça non plus, ce n'est pas nouveau.

mardi 5 janvier 2010

C'est la rentrée !

Oui, enfin, bon, la rentrée de janvier, quoi, celle qui voit tout le monde lesté de deux bons kilos en trop pour cause d'agapes festives, ainsi que de bonnes résolutions à la con (comme "j'arrête de faire un blog blanc sur fond noir : ça arrache les yeux de tout le monde"). Si je devais en prendre une solennellement, ce serait de répondre de suite aux mails qu'on m'envoie (parce que, si je ne le fais pas immédiatement, j'oublie et répondre avec au minimum un mois de retard, franchement, c'est la lose).

Ou plutôt :

- finir de relire et de bosser séparément mes Vies avant la fin du mois
- réussir ensuite à faire un plan détaillé du feu de Dieu de mon boulot (penser à trouver une idée de plan, déjà)
- commencer à rédiger TÔT (mais genre vraiment tôt)...
- ... pour finir TÔT (même remarque) et pouvoir commencer TÔT à chercher un appart' sur Paris.

Et surtout, surtout, surtout :

- monter un projet de thèse mieux que du feu de Dieu, pour avoir ensuite un poste d'AMN (Allocataire Moniteur Normalien), mon Saint Graal en cette année 2010. J'ai reçu de dossier pour la bourse et tout le tralala, mais c'est aussi clair que du pétrôle de l'Erica sur une plage bretonne...

Pour la partie technique, il faut que je monte un dossier de deux à cinq pages sur mon projet de recherche, avec bibliographie et notes de bas de page (genre : "vous n'avez pas commencé à bosser sur votre sujet, mais vous devez déjà savoir tout ce que vous aurez à lire, les articles auxquels vous ferez référence en note, etc." Heu... si je n'ai pas commencé, comment puis-je savoir ce qui rentrera exactement dans le cadre de ma thèse ?). Il faut aussi que j'en fasse un résumé de 25 lignes maximum (ça, c'est pour la partie "mais si, mais si, qu'on va le lire, votre projet de deux à cinq pages ! Il est impensable qu'on ne s'en tienne qu'au résumé !").

Par ailleurs, il me faut un avis circonstancié et un commentaire : de mon directeur de thèse ; du directeur de mon laboratoire ou de mon équipe d'accueil (ça sent à plein nez le "ah bon ? les littéraires ne bossent pas dans un labo ? bah qu'est-ce qu'on peut mettre, alors ?) et du "directeur de votre département de rattachement, sur le choix de la localisation" (je ne vois pas trop ce qu'on peut dire là-dessus à part "bah, écoutez, elle a trouvé un boulot là-bas, c'est plutôt bien, par les temps qui courent !").

Je suis en train de me rentre compte qu'en fait, il n'y a rien sur le fameux poste d'AMN. On dirait bien que c'est vraiment découplé, cette année et qu'il va encore plus falloir aller le chercher avec les dents. Question subsidiaire : mon "équipe d'accueil" de rattachement, c'est obligatoirement celui de l'AMN ou...?

Finalement, la bonne résolution des mails risque de m'être fort utile : y a de l'échange de courrier électronique en perspective.

dimanche 3 janvier 2010

La mort de Germanicus 4 : résultat des courses

Que faut-il conclure de tout cela ?

Un historien comparerait les divers éléments des deux versions, essaierait de déterminer les sources d'où Tacite et Suétone tirent leurs récits et de voir si, oui ou non, on peut avoir quelques certitudes sur un possible empoisonnement de Germanicus par Pison sur ordre de Tibère.Mais cette tâche est compliquée par le fait que les Romains n'avaient pas la même conception de l'écriture de l'histoire que nous.

Pour nous, un historien doit essayer de parvenir à la vérité historique ou tout du moins s'en approcher le plus possible. Cela inclut d'être le plus objectif possible. Les historiens de l'Antiquité n'ont pas cet objectif-là : pour eux, l'histoire doit avoir, entre autres, un but moral et didactique, celui de fournir des exemples (exempla) à suivre ou non. Et, ce qui les préoccupe, ce n'est pas tant le vrai que le vraisemblable.

C'est ce qu'explique parfaitement T. P. Wiseman dans Clio's cosmetics : l'éducation romaine est fondée sur l'enseignement de la rhétorique et ce de plus en plus dans un but judiciaire (puisque, avec l'empire, la rhétorique politique devient de plus en plus illusoire). Or, dans l'Antiquité, les jugements des procès n'étaient pas tant fondés sur la vérité (souvent impossible à prouver) que sur le vraisemblable ; lisez les discours écrits par les orateurs grecs : l'argumentation tourne en général autour du thème "regardez mon client, si grand, si beau, si respectable ! Comment est-il possible d'imaginer qu'il ait pu commettre un crime pareil ???"

Cette manière de voir les choses influe aussi sur la manière d'écrire l'histoire : il est tout à fait possible de "s'arranger" avec les faits et de les présenter plus ou moins de la manière qu'on veut, en fonction du but littéraire de l'oeuvre, tant qu'on reste dans le vraisemblable. Car l'histoire est aussi une oeuvre littéraire, la grande oeuvre en prose, dont le pendant en vers est l'épopée, quand de nos jours, au contraire, les effets de style sont souvent évités par les historiens, parce qu'ils peuvent amener le soupçon d'avoir "embelli" les choses "for the sake of art" comme disent les Anglais.

Suétone a besoin d'une figure paternelle qui contraste avec Caligula : le thème de la déchéance familiale est bon, il l'a d'ailleurs déjà utilisé pour Tibère et le fera à nouveau pour Néron. Si Germanicus a bien été empoisonné, alors les accusations et les demandes de vengeance qu'il a exprimées sur son lit de mort ne sont plus celles d'un homme tombé dans la paranoïa : il n'y a plus d'ombre dans le portrait de cette figure parfaite, qui peut dès lors faire d'autant plus ressortir la noirceur de son fils.

Tacite a sans doute lui aussi Caligula en tête (les livres où il traitait de son règne ont été perdus : quand je vous dis que c'est toujours le plus intéressant qui passe à la trace philologique !), ainsi que, très certainement, sa soeur Agrippine et son neveu Néron. Tracer le portrait d'un Germanicus qui laisse percer, à la fin de sa vie, son "côté sombre", c'est déjà, en quelque sorte, annoncer les crimes qui seront perpétrés plus tard par sa fille et son petit-fils, c'est sous-entendre aussi qu'il y a déjà, dans la famille, quelque chose qui s'exprimera pleinement dans Néron et donc expliquer comment une telle lignée pourra en arriver là et trouver sa fin dans un héritier monstrueux.

Dans la Vie d'Agricola, au contraire, son objectif est plus ou moins le même que celui de Suétone dans la Vie de Caligula : cette oeuvre est fondée sur un très fort contraste de personnalités, entre le parfait Agricola et le cruel Domitien (pensez au film Gladiator : c'est tout à fait ça !). Dans cette perspective, il ne peut y avoir de nuances entre les deux. L'empoisonnement est donc subtilement présenté comme certain : Agricola en sort un peu plus grandi, Domitien encore plus cruel.


Moralité : Evidemment, ce que j'ai fait là, même en quatre "épisodes", est très résumé (j'ai, en particulier, "squeezzé" toutes les références bibliographiques), mais, si vous en voulez plus sur les rumeurs, bruits qui courent et autres ragots, je peux aussi lancer une souscription publique pour mon mémoire de M2 ! :p