dimanche 26 septembre 2010

De la reformulation (cas de (très) légitime défense)

« Pompompom... "Joindre au dossier un résumé du projet de thèse, faisant 1700 caractères maximum, espaces compris." Pas de problème ! J'ai déjà dû faire un résumé pour le dossier de demande de bourse ! Ça a être comme le projet de thèse en trois pages maximum : I am ze queen of ze récup' ! Temps et travail optimisés : en toute modestie, c'est ça, être un génie ! »

« Alooors... Petite vérification de routine : combien c'est-y que t'as de caractères, toi ? "Fichier", "propriétés"... Non, je rêve, c'est une blague ! 2397 ! TOUT ÇA ? Mais où est-ce que tu les planques ? J'avais déjà fait du archi concentré ! »

« "... espaces compris, soit environ 20 lignes." Il fait combien, mon truc ? Vingt-cinq lignes. Ah oui. Evidemment. Il faut donc que j'en supprime cinq, quoi. Bon, opération dégraissage... »

« Bordel, je fais comment pour dégraisser un truc qui n'est pas gras ? Il est déjà squelettique, ce projet ! J'ai enlevé tous les micro-développements entre parenthèses, les références aux recherches des années 70, la plupart des relatives non-déterminatives, et j'en suis seulement à 2047 ! What else ? »

« Ok, puisque c'est comme ça, opération "Reformulation Généralisée de la Mort Qui Tue". "... un impératif que nous qualifierions de proprement historique, faire des recherches sur le passé et en présenter les résultats de manière à s'attirer la confiance du lecteur" : CRAC ! "un impératif historique, effectuer des recherches sur le passé et présenter leur résultat comme digne de confiance". "Les débuts de l'Empire ont, de leur côté, "réactivé", par le sujet qu'ils offraient, la production épique et historique" : ZIP ! "le sujet offert par les débuts de l'Empire a relancé la production épique et historique". »

« J'en suis à combien, maintenant ? Youhou ! 1824 ! C'est la lutte finale ! "... ce qui a amené les chercheurs à se demander dans quelle mesure les historiens antiques représentent pour nous des sources fiables" : SHAZAM ! "... ce qui a posé la question de la fiabilité des sources historiques antiques". "... en particulier dans les passages où l'auteur introduit le récit de tel ou tel événement" : ABRACADABRA ! "en particulier lors de l'introduction du récit d'un événement". "... sur la manière dont elles sont concrètement présentées" : FLOUF! "sur leur présentation". »

« Et maintenant ? C'est quoi, mon score ? 1691 ! Youpi ! Joie et robustesse ! Je vais enfin pouvoir boucler mon dossier d'inscription pédagogique !!! ¡ Viva la reformulación ! »

samedi 25 septembre 2010

De la lecture (très) en diagonale

C'est marrant, je n'avais jusque là qu'assez peu lu de bouquins en diagonale : quelque chose qui pourrait sans doute s'appeler "la Conscience Professionnelle de l'ex-Khâgneuse Angoissée" me sussurait toujours à l'oreille «On ne sait jamais, il y a peut-être quelque chose d'utile dans ces paragraphes que tu es tentée de sauter...?» et je finissais par plus ou moins tout lire, ce qui me prenait du temps.

Oui, mais là, voilà : quand on a environ neuf cents pages de bouquins sur Hugo, sa vie, son oeuvre en général et Notre-Dame de Paris en particulier, qu'on sait qu'il va falloir monter fissa un cours et que, somme toute, il ne s'agit ni de préparation à l'agrégation, ni d'une allocution dans un colloque de spécialistes, mais d'un TD de première année, dont le but est plus d'apprendre à des étudiants fraîchement sortis du lycée comment avoir une lecture littéraire d'un texte, on fait taire cette petite voix et on la joue stratégique.

Ce qui donne à peu près ça :

8h : article sur le Moyen-Âge vu par les romantiques. «Allez, il y en a pour quinze pages, je vais tout lire.»

8h20 : «C'était bien sympa, tout ça, mais il n'y avait rien sur Notre-Dame de Paris

8h21 : ouvrage sur le roman historique. «Ah, mais en fait, c'est bien, ça ! C'est même en rapport avec mon sujet de thèse ! Parfait !»

8h40 : «Bon, on va sauter la partie sur le développement des recherches historiques au XIXème, parce que je le connais en long, en large et en travers.»

9h : «Je me demande si j'ai bien fait de lire cette sous-partie sur l'explosion du roman à la même époque : ça allait jusqu'à Zola et, soyons clairs, il n'y a que la partie 1820-1840 qui m'intéresse.»

9h10 : «Ah ! ça y est ! le roman historique !»

12h : «Oui, bon, c'était intéressant, tout ça, mais ça ne constituera, hélas, qu'une petite partie de mon introduction... La vie est belle, je reste zen, c'est le moment de faire une pause-déjeuner.»

13h30 : Reprise. "Hugo et le roman architectural". Six cents pages. Examen du sommaire. «Alooooors... Ça, je n'en ai pas besoin... Là, je ne lirai que la sous-partie sur Notre-Dame de Paris... Et ça...? on verra.»

13h40 : «Oui, alors, ça, je l'ai déjà lu ailleurs. Passons.»

14h10 : «Pompompom... Zip ! sautons joyeusement tous les exemples qui ne portent pas sur le roman qui m'intéresse !»

15h : «Je ne vais quand même pas me taper tous les types de lieux qu'on peut rencontrer dans l'ensemble des romans de Victor Hugo !»

16h : «Et donc, ça, c'est une redite de ce qu'elle a écrit avant ET de ce que j'ai lu ailleurs...» Flouch, flouch (bruit de pages tournées frénétiquement)...

16h45 : «Et voilàààà la con-clu-sion !»

16h50 :
«Que de la récapitulation, pas d'ouverture : ça ne me sert à rien !»

17h 10 : «Hop ! J'ai fini ! Et je n'y ai même pas passé la journée (enfin, presque) ! Six cents pages en quatre heures : bonne moyenne...!» :p

dimanche 19 septembre 2010

Tempête sous un crâne

"Bonjour et bienvenue dans l'équipe du TD "Littérature et réel" ! Voici, en pièce jointe, le document de coordination de tous les chargés de ce cours ; je vous transfère aussi aussi les échanges de mails avec certains d'entre eux, afin que vous ayez une idée de ce que vous pourriez faire. Ce serait bien de me donner aussi vite que possible votre programme, car les inscriptions pédagogiques sont cette semaine ! Cordialement, X."

Il est sympa, X. Il m'a envoyé exactement tout ce dont j'avais besoin pour comprendre en quoi doit consister mon TD et ce que je suis censée y faire. Les échanges de mails qu'il m'a transférés m'ont permis de voir comment on peut mettre en place un cours de ce genre, qu'on soit totalement débutante (comme moi) ou déjà une prof aguerrie.

Il n'empêche que, lundi soir, quand j'ai reçu ces trois mails (un en réponse à celui que je lui avais envoyé le matin, deux transférés), j'ai salement flippé : si les inscriptions pédagogiques sont cette semaine, ça signifie qu'il faudrait que je lui envoie, dans l'idéal, demain mon programme de cours ou au moins une description. Ce qui veut dire qu'il faut que je monte mon TD là, maintenant, tout de suite, dans la nuit.

Je n'ai jamais fait ça et, en plus, ça n'a aucun rapport avec ce que j'étudie à longueur de journée.

Damnède.

J'ai dû changer de couleur, parce que Chéri s'approche de moi : "Ça va ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?" Je prends mon ton le plus résolu et le plus désespéré : "J'ai la nuit pour monter entièrement mon TD." Il compatit et retourne à ses transcriptions de Verdi, qui, elles aussi, vont lui prendre la nuit et qui le gonflent sans doute encore plus que moi de me voir ainsi brutalement le dos au mur, quand tous les autres ont eu deux semaines tranquilles pour faire le même boulot.

Je regarde le descriptif des deux cours qui m'ont été envoyés : bon sang, c'est hyper pensé ! Comment voulez-vous que j'arrive à faire pareil, alors que je ne suis pas spécialiste de littérature française et que, en gros, je n'ai qu'une soirée pour le faire ? Le tout sans indications vraiment précises sur ce qu'on attend de moi : je peux faire ce que je veux. En soi, c'est assez exaletant, mais, sur une soirée, ça me fait méchamment flipper, d'autant que je m'étais attendue à quelque chose du genre "vous devrez faire étudier des textes représentatifs de chaque courant des XIXème-XXème siècles, sous l'angle du rapport au réel" ; là, en fait, l'idée, c'est de prendre une oeuvre dans chacun d'eux, de les faire acheter aux étudiants et de les étudier sous cet angle. Fort heureusement, ce n'est pas rigide : on peut prendre une oeuvre et étudier ensuite des extraits d'autres livres.

Je lis une fois, deux fois, trois fois le descriptif, une cent-douzième fois les deux exemples. Chéri lâche Verdi pour aller se détendre en jouant du piano, en face de mon bureau. "Tutto bene ?" Je grogne : j'ai le cerveau en ébullition et, à l'intérieur de moi-même, j'essaie désespérément de contenir la panique qui commence à monter.

Je finis par me lever et me planter devant ma bibliothèque (qui n'est qu'une infime partie de la masse de bouquins que je possède, la plus grande se trouvant encore chez ma mère ; dans l'idéal, j'aimerais tout rapporter ici ; dans la pratique, vu la taille de mon appart', c'est, hélàs, impossible). Bon. Qu'est-ce que j'ai comme bouquins des XIXème-XXème siècles, sachant que je ne peux faire que de la littérature française ? Evidemment, toutes les idées qui me viennent sont en rapport avec une oeuvre dans une autre langue : classique.

Zola, Balzac... C'est alors que mes yeux tombent sur Notre-Dame de Paris. Illumination : j'ai toujours beaucoup aimé Totor, j'ai eu des cours géniaux là-dessus il y a deux ans, en agrèg' (même si c'était sur Hernani et Ruy Blas), et, bon sang, tout le monde connaît Notre-Dame de Paris. Leur demander de le lire en trois mois n'est quand même pas la lune et l'étudier du point de vue de la création/recréation d'un réel historique a un tout petit peu de rapport avec mon sujet de thèse (dieux de la narratologie, je vous salue !).

Je prends le bouquin, je le feuillette rapidement, j'essaie de retrouver des scènes qui pourraient être intéressantes. J'ai l'impression que je n'y arriverai jamais : et comment je fais, ensuite, pour le XXème ? Je reprends un roman historique ? Mais il y a quoi, comme roman historique du XXème ? Je récupère Le Hussard sur le toit : pfff... je ne me vois vraiment pas bosser uniquement là-dessus, d'autant que je n'ai jamais eu de cours sur Giono et que ça ferait deux oeuvres longues à lire pour mes étudiants, donc de grandes chances pour qu'ils ne le fassent ni pour l'une, ni pour l'autre (si j'en crois ce que le descriptif laisse entendre par "oeuvre courte, peu chère et facile d'accès pour des première année" - autant dire que j'ai laissé tomber tout de suite Sous le soleil de Satan, qui, pourtant, a un rapport au réel très intéressant).

Je parcours un mètre (l'avantage des apparts "mouchoir de poche", c'est qu'on n'a pas de grandes distances à parcourir) pour faire un calin à Chéri : "Dis, si on mangeait ? J'ai besoin de m'aérer la tête...".

Un repas et deux épisodes d'une série satirique italienne plus tard, nouvelle illumination (ou, plutôt, résignation, parce que je n'ai pas vraiment eu l'impression d'être transportée de joie) : oublions l'oeuvre intégrale du XXème, étudions des extraits de textes en "miroir", i.e. que, moi, je vais mettre en miroir à Notre-Dame de Paris. Et, ça, c'est assez facile, ça ressemble un peu à trouver des exemples pour illustrer un développement dans une dissertation : "Alooooors... Qu'est-ce que je pourrais bien utiliser...?" On pourrait appeler ça aussi : "comment recycler les cours de littérature française que vous avez déjà eus jusqu'ici, de la première à l'agrèg'".

Imaginez la scène : en pleine nuit, dans un petit appartement parisien, deux tarés en train de bosser frénétiquement, en grognant alternativement à intervalles réguliers ; l'une est devant son ordi et s'entoure progressivement d'une muraille de livres en essayant désespérément de mettre au point quelque chose qui tienne la route et qui puisse intéresser des étudiants à peine sortis du lycée ; l'autre est aussi devant son ordinateur, insulte régulièrement le ténor ou le violoncelle parce qu'ils sont vraiment crétins et fait jouer périodiquement sa transcription par la machine, avec un son mécanique horrible et un tempo accéléré pour ne pas perdre de temps.

Vers une heure du matin, j'avais réussi à monter un truc potable (qui a beaucoup plu, le lendemain, au coordinateur du TD). Je me suis traînée jusqu'au lit (la distance n'était pas grande, mais essayez de vous traîner sur une échelle, pour accéder à un lit mezzanine), où je me suis endormie, le cerveau toujours en ébullition. J'ai d'ailleurs passé la nuit à faire et refaire des cours (mais je me suis levée avec les idées nettes, ce qui est un bon présage). Maintenant, il ne me reste plus qu'à les préparer.

Esprits de la narratologie, êtes-vous là...?

lundi 13 septembre 2010

Tu as voulu une expérience d'enseignement, tu vas en avoir !

Ce message pourrait aussi s'intituler : "Ou comment se mettre sur le dos, dès septembre, une bonne masse de boulot à gérer, consistant à préparer quinze mille cours en même temps, alors qu'on n'a (presque) jamais fait ça."

Comment la mule que je suis a (encore) réussi à se charger jusqu'aux plus hauts poils des oreilles ? C'est simple :

("You Donkey Ass, Mule", photo par jpokele, source : FlickR)


L'acte I se joue en juin
: vous passez faire un tour dans votre ancienne prépa, pour voir vos profs qui sont sur le point de partir à la retraite, et vous apprenez que ce ###§§§§!!!!! de prof d'histoire/histoire ancienne, comme à chaque fois que des élèves qui ont des chances d'intégrer (sachant que l'une d'eux l'a fait en juin dernier), a décidé de ne plus faire son boulot. Comprenez : aucune dissertation pour s'entraîner avant le premier concours blanc (décembre), alors que l'année finit en moyenne début avril et qu'il n'est pas sûr non plus qu'il en donne après.

S'il fait ça pour la contemporaine, on ne peut que craindre le pire pour l'histoire ancienne, i.e. rien du tout, malgré un programme, là aussi, très vaste, et qui ne s'étudie que sur un an. J'ai donc proposé de dépanner pour l'histoire romaine, en me chargeant de la partie la plus compliquée à débroussailler : la fin de la République romaine, des Gracches à Auguste (soit de - 133 à - 27). Après échange de mails avec les intéressées, nous avons convenu que je viendrais faire, le 22 septembre, un cours d'introduction à l'historiographie antique, la question des sources devant être abordée un minimum pendant l'oral pour ne pas risquer une Vilaine Question Fort Embarrassante de la part du jury. Le reste se fera via internet.

Oui. Sauf que, ce cours, il faut le faire. A la vérité, il est maintenant déjà conçu, avec plan et tout le tralala, il ne me reste plus qu'à le rédiger. Mais tout ça prend du temps et la date du 22 approche grandement.


C'est là qu'intervient l'acte II : pour valider mon agrégation dans le cadre de mon monitorat, il me faut 64h d'enseignement par an à la fac. Ce n'est pas énorme, me direz-vous, à quoi je vous répondrai qu'il faut aussi avoir du temps pour bosser sur sa thèse et que des cours à la fac requièrent plus de préparation que des cours de lycée. Or je me retrouve avec deux TD au premier semestre et un au second et, surtout, les deux premiers n'ont que peu de rapport avec l'antiquité et tout à voir avec le français : il y en a un plus méthodologique et un... sur la littérature des XIXème et XXème siècles, qui va donc me demander une masse de boulot folle, pour ne pas raconter n'importe quoi et devenir l'Insupportable Boulet des lettres modernes - je suis pour la paix entre les départements, moi, surtout quand la personne qui s'est occupée de mes heures est très sympathique et absolument désolée que je fasse plus de français que de latin cette année.

Sachant que les cours commencent le 4 octobre, comptez des heures joyeusement passées en bibliothèque et un bon nombre de nuits raccourcies pour être un minimum au point au moment d'Affronter les Fauves.

("Cinching and loading pack mule with flour during starvation march of Gen. George Crook's expedition into the Black Hills.", photo par S. J. Morrow, 1876, source : FlickR)


Ajoutez à cela l'acte III, dit aussi "le coup de grâce" : "Ah oui, tiens, et mon élève de khâgne en cours particuliers ? Il ne devait pas m'appeler dès la rentrée pour qu'on reprenne les leçons ? Chouette ! ça va me faire un cours de plus à préparer...!"

A moins que le coup de grâce ne soit la proposition de participation à un colloque à venir sur la communication, que j'ai acceptée, bien que je ne voie pas trop ce que je pourrais dire et que cela me fasse de nouveaux bouquins à lire. Mais, voyons le bon côté des choses, eux, au moins, sont susceptibles de me servir pour ma thèse...

mardi 7 septembre 2010

C'est reparti pour un tour !

Non, je ne suis pas encore en vacances aux Caraïbes.

Non, je n'ai pas été désespérément coincée au milieu de manifestations qui, depuis que j'ai déménagé, passent tout près de chez moi (fort pratique).

En vrai, après avoir enfin eu chaud fin août en Italie (et m'être fait dévorer par les moustiques tigres, qui se sont jetés sur mes jambes en dédaignant totalement celles de Chéri - c'est pô juste), je me suis retrouvée de mariage au fin fond de la Haute-Marne (très jolie contrée, que je vous recommande pour un décrochage total).

Depuis, j'ai recommencé à bosser. Parce que figurez-vous qu'il faut encore que je règle mes histoires de contrat doctoral (aucune réponse administrative aux mails frétillants que j'ai envoyés en fin juillet), que j'arrive à savoir quels cours je serai amenée à donner pour pouvoir les préparer un chouïa avant octobre et aussi que j'en monte d'autres, en histoire romaine, pour mon ancienne prépa, dont le prof d'histoire, comme toujours lorsque certains de ses élèves ont des chances d'intégrer, a décidé de ne plus en foutre une rame.

Bref, tout cela annonce un certain nombre de messages choupinets à venir. J'arrive. Laissez-moi le temps de régler leur compte à Marincola et à Woodman et, vous verrez, tout ira mieux.

En attendant, bonne rentrée à tous, que les esprits de Félix et Anatole soient avec vous !


("Rainbow through cloud over Mount Otemanu Bora Bora", photo par mick62, source : FlickR)