dimanche 10 mars 2013

Appelons un chat un chat

Comme, cette semaine, je n'ai (presque) pas été malade, je n'ai pas vu le temps passer et je me retrouve aujourd'hui à me dire "Ah zut, c'est dimanche, j'ai oublié de faire une note de blog...!"

Pour tout vous dire, ma tactique de passer "scientifiquement" par un moteur de recherche pour mes occurrences s'est révélée fort peu satisfaisante, ne serait-ce que parce qu'un certain nombre de cas intéressants passaient au travers. J'ai donc fini par me résoudre à relire intégralement mon corpus (ce ne sera, après tout, que la troisième fois en trois ans), ce qui me prend pas mal de mon temps (cher livre sur les rumeurs dans l'Antiquité qui te trouves quelque part à la BNF, tu ne perds rien pour attendre).

Evidemment, je commence à avoir un peu l'impression de le connaître par coeur, surtout quand je réagis d'une certaine manière en lisant un passage et que je me rappelle d'avoir réagi de la même manière la fois d'avant... et la fois encore d'avant. En particulier, il y a toujours un moment, quelque part vers la fin du livre XII des Annales, où je serais prête à tuer ma mère pour qu'on tue Claude (maman, si tu me lis, je plaisante bien sûr). Et quand j'arrive à la mort de Claude, je ricane toujours comme une bêtasse devant les pudeurs de violette de la traduction Wuilleumier. Vous allez donc avoir droit à un post porno ET scatologique (cachez votre joie, je sais qu'elle est grande).

Soyons clairs dès le début : Wuilleumier est un grand. Mais il est des traditions liées aux éditions Budé et à leur lancement dans les années qui suivirent 1918 ("Continuons de damer le pion à ces Allemands, vingt dieux !") qui veulent qu'on "glisse" élégamment sur tout ce qui est sexuel, scatologique et autre, en utilisant un mot fort usé dont personne ne connaît le sens (cas 1) ou reformulant souvent un texte latin tout à fait explicite (cas 2).

Je suis tombée sur un cas 1 lorsque je préparais la version écrite de mon intervention à Clélia pour la revue Lalies. Etant donné que j'ai fini par décider de tout traduire, j'ai eu des problèmes avec le mot spintria. Il apparaît dans le contexte de la retraite de Tibère sur l'île de Capri, qui a donné lieu à toutes sortes de fantasmes, en particulier sexuels. Je vous laisse imaginer (ou pas : tout est dans Suétone), mais disons que DSK et Iacoub, à côté, sont de mignons collégiens découvrant la sexualité.

Les spintriae, donc, sont un type de jeunes gens fort bien de leur personne que Tibère aurait fait venir sur l'île dans le but d'assouvir toutes ses perversités. Gaffiot est bien embarrassé pour traduire ce mot et suggère un rapprochement avec le grec sphincter, tout en proposant "débauché, pédéraste". Je ne vous expliquerai pas ce qu'est un sphincter, duquel il s'agit très probablement ici et ce que cela implique sur ce que faisait et/ou subissait le spintria. Budé a fait encore plus fort, il n'a pas traduit, mais j'ai eu des versions où j'ai trouvé "giton". Je pense que c'est un mot que vous pouvez hurler aux passants dans la rue : ils penseront que vous êtes fou, mais ils ne se sentiront nullement insultés (enfin, ça dépend de comment vous le leur hurlez, bien sûr).

Pour ma part, après moultes recherches sur comment on appelait vulgairement UN prostitué, j'ai fini par choisir "putassier", ce qui n'a apparemment pas choqué ma relectrice.

capri
(Capri, c'est fini...! ces falaises quasi impossibles à escalader sont une des raisons pour lesquelles Tibère a choisi cette île : il voulait être peinard ; photo par Oki W ; source : FlickR)

Mon dernier cas 2 était aujourd'hui et, comme à chaque fois que je relis ce passage, il m'a fait me marrer en douce. Nous sommes un plein assassinat de Claude (oui, parce qu'il y a un moment où Agrippine finit enfin par l'assassiner), à qui on a fait manger des champignons empoisonnés. Lesquels champignons ont eu pour conséquence immédiate de "aluum soluere". Aluus, c'est le ventre, l'estomac ; on utilise aussi ce terme pour désigner le lit d'un fleuve. Soluere, c'est ce qui a donné "dissoudre" en français.

A ce stade, l'état physique de Claude me paraît assez clair : pour appeler un chat un chat, il a été pris de diarrhées subites et massives (soluere, souvenez-vous) ; on sait d'ailleurs par Suétone qu'il a été torturé par la douleur toute la nuit, avant de mourir au petit matin - Agrippine voulait un poison lent, c'était réussi ; Néron n'aura pas cette "délicatesse" avec Britannicus, le fils de Claude. Et là, je ne sais plus pourquoi, je jette un coup d'oeil à la traduction Budé : "un dérangement du corps semblait l'avoir secouru".

Qu'en termes galants ces choses-là sont dites...

dimanche 3 mars 2013

A vulgarisation, vulgarisation et demie

Autant vous le dire tout de suite, je n'aime pas beaucoup le mot de "vulgarisation". Je suis fermement convaincue que la pratique qu'il désigne est nécessaire, quelle que soit la discipline, ne serait-ce que parce que les deniers qui nous financent sont publics, mais "vulgarisation" sonne à mes oreilles, même latinistes, méprisant pour les uns ("vulgum pecus") et dégradant pour les autres ("vulgaire"). Je préfère "divulgation", même s'il y a toujours uulgus dedans et qu'on dirait la révélation d'un Incroyable Secret.

(Nouveau concept d'émission : faire un Secret Story de la recherche. "Saurez-vous deviner sur quels sujets travaillent ces scientifiques ?" Je ne sais pas pourquoi, mais je crains que TF1 ne trouve pas cela adapté à notre "temps de cerveau disponible". Dommage...)


 ("Mon Terrible Secret ? Je suis chercheur en céramologie...")


En ce moment, les Journées Antiquité approchant à grand pas, je suis en train de finaliser les trois interventions que je vais y faire. Je reprends l'atelier Cicéron pour la Journée Eloquence, ce qui est relativement simple ; en revanche, les deux Journées Histoire et Historiographie me donnent un peu plus de fil à retordre.

Mon rôle sera de leur donner un aperçu de la pratique historiographique romaine sous l'Empire, en les faisant travailler sur la question des scènes-type, reprises et transformées, à partir du récit de la mort d'Auguste par Tacite (calmez vos palpitations : je leur fournis le texte latin, mais ils travailleront sur traduction ; outre les questions de niveau, en vingt minutes, je vois mal comment faire autrement). Au départ, je devais faire exactement le même atelier les deux matinées. Sauf que l'âge des élèves qui vont venir ne sera pas le même : le 21 mars, ce seront des lycéens, le 26, des collégiens ; on ne présente pas la même chose de la même manière à des 6ème et des Terminale. On a donc décidé que l'intervention collégiens présenterait davantage les principes de base, tandis que celle pour les lycéens irait plus loin.

J'ai commencé par la plus simple : il me paraissait plus logique de penser les premières briques et de complexifier ensuite. Et, effectivement, ce fut plus simple : débuter par les déclarations de Cicéron dans le De Oratore ("la vérité, rien que la vérité, toute la vérité"), le prendre en flagrant délit de contradiction dans sa lettre à Luccéius ("Ouiiiii, mais si tu m'arranges un peu, quitte à inventer, ce n'est pas graaaave...!") pour poser l'ambiguïté, à nos yeux, de la conception romaine, et montrer ce que ça donne concrètement en comparant Tacite et Suétone.

 ("Salut ! Moi je bosse en historiographie romaine !")


Et ensuite, lorsque mes neurones ont bien voulu se remettre à fonctionner à peu près correctement (trois fois honnie soit cette crève apocalyptique qui m'a foutu ma semaine en l'air !), j'ai remonté mes manches et je me suis dit : "Lycéens, à nous !". Cette fois-ci, pas de briques, mais des murs déjà construits : toujours le même texte de Tacite, mais aussi la mort de Tarquin l'Ancien par Tite-Live et celle de Claude par Suétone (au départ, je voulais garder Tacite, mais le texte de Suétone est beaucoup plus court et ne nécessite pas de saucissonage).

C'est à ce moment-là que j'ai été assez embêtée : jusqu'où complexifier ? que dire, que ne pas dire ? comment ne pas les perdre entre Auguste, Tarquin, Claude, Livie, Tanaquil, Agrippine, Tibère, Servius, Néron ? Mon Arme Fatale devrait être la comparaison (et puis, faute d'avoir pu assister à la réunion de mardi dernier, je vais tout envoyer au reste du groupe pour qu'ils me donnent leur avis), mais j'aurais bien aimé avoir un peu plus de vingt minutes. A vrai dire, j'aurais bien aimé avoir au moins une heure. En fait, pour tout expliquer avec clarté et précision, il faudrait un séminaire.

Mais bon, là, je passe à une autre dimension, évidemment.

(Alors ? avez-vous réussi à de deviner laquelle des deux photos ci-dessus représente un vrai chercheur ? ;-))