samedi 17 novembre 2012

Soyez multitâches, qu'ils disaient...!

Ce message pourrait s'intituler "De l'évolution du métier d'enseignant-chercheur". Je n'en ai bien sûr qu'un aperçu tout à fait modeste, mais le peu auquel j'essaie de participer dans la vie de mon département et qu'il m'arrive de raconter en rentrant à la maison amène souvent la même remarque dans la bouche de mon copain.

Ça a commencé avec les inscriptions pédagogiques. J'y participe tous les ans et je considère que c'est normal : plus on est à y donner un coup de main, plus vite elles se font, pour nous comme pour les étudiants (qui ont du coup, soit dit en passant, une meilleure image de leur fac que s'ils devaient attendre des heures le ventre creux avant de pouvoir enfin s'inscrire). On s'y retrouve donc généralement entre doctorants, ATER et maîtres de conférence ; aucun prof, mais il est vrai qu'ils sont généralement plus occupés que nous, entre soutenances de thèse, colloques et sociétés savantes (les maîtres de conférence aussi ont ça, mais peut-être moins qu'eux ?). Lorsque je suis rentrée à la maison, Monsieur mon copain m'a demandé pourquoi on s'en chargeait, alors que c'était à l'administration de le faire, ce qui faisait écho à une remarque de mon directeur à ce sujet : "Je ne comprends pas pourquoi on nous demande ça : avant, c'était le travail des secrétaires et nous intervenions seulement lors des cas difficiles."

Même chose pour une histoire d'emploi du temps : un de mes collègues hellénistes chargé d'un cours de master a obtenu un congé de recherche pour le premier semestre, l'autre chargé de cours étant mon directeur. D'habitude, soit ils s'alternent une séance sur deux, soit ils font chacun six séances. Je m'attendais donc à ce que Chef fasse cours tout le premier semestre et mon collègue tout le second, mais Chef a l'air parti pour faire comme d'habitude, une séance sur deux, ce qui, je le crains, augure un encombrement pour le grec à partir de février. J'en parle en passant à Chéri, qui me dit : "Mais la secrétaire ne pouvait pas contacter Chef, pour lui dire qu'il faisait cours tout le premier semestre ? Ce n'était pas à lui de penser à ça !"

Dernier épisode en date : je suis sur le point de publier un article dans le Bulletin de l'Association Guillaume Budé ; l'imprimeur m'a donc envoyé deux jeux d'épreuves, un à garder, un à corriger et à lui renvoyer. Je me suis donc appliquée à inscrire au stylo rouge des signes cabalistiques dans les marges et sur le texte, lorsque Chéri arrive et, après avoir su ce que je faisais, me demande à nouveau : "Mais il n'y a pas de correcteur professionnel, dans cette revue, pour vérifier qu'il n'y a ni fautes d'orthographes, ni fautes de typo ?"

 (Socrate, prof de Platon ; Musées du Capitole, Rome ; photo personnelle)


Evidemment que, dans un monde parfait, il y aurait trois secrétaires pour notre département, qui pourraient s'occuper des emplois du temps des étudiants et des professeurs en plus du reste, et chaque revue aurait des correcteurs (la plupart en ont quand même, il me semble, bien que j'aie entendu dire que certains éditeurs allaient jusqu'à s'en séparer).

Mais le fait est que le métier d'enseignant-chercheur comprend depuis un bon moment des tâches administratives de plus en plus lourdes. Le temps où il se contentait d'arriver et de délivrer sa science aux étudiants est bien fini (s'il a jamais existé) : il faut maintenant aussi s'occuper des relations avec les facs, les lycées et les classes préparatoires ; cogiter sur les nouveaux emplois du temps ; prévoir les remplacements de collègues malades/en détachement/en congé maternité/avec des décharges horaires ; se concerter sur les nouvelles maquettes de diplômes et faire des recherches avant de les monter ; assurer des permanences pour aider les étudiants qui en ont besoin ; assister à diverses réunions, dans l'UFR, avec d'autres UFR, au sein de l'université, etc., etc. (je suis encore très loin du compte).

 (Platon, élève de Socrate et prof d'Aristote ; Musées du Capitole, Rome ; photo personnelle)


Ce n'est pas scoop, ça fait longtemps que les enseignants-chercheurs français disent à qui veut l'entendre qu'on les assomme d'administratif et que ça les empêche de faire à la fois cours et de la recherche dans les meilleures conditions. Ça fait aussi longtemps que les Américains, quand ils viennent faire un tour chez nous ou discutent avec eux, sont ébahis de voir ce qu'arrivent à faire leurs collègues français, alors qu'ils ont une masse de tâches annexes à gérer en plus. Parce qu'il n'est pas possible de faire comme si notre seule secrétaire travaillait sept jours sur sept, avec des journées de quarante-huit heures. Parce qu'il n'est pas possible non plus de faire comme si le collègue chargé de l'ensemble de la licence avait, lui aussi, de super pouvoir temporels ou un clône (voire deux) lui permettant d'aller tranquillement en bibliothèque pendant que le reste se fait tout seul.

Personnellement, je ne râle pas trop : d'abord parce que ce n'est pas (encore, espérons-le) mon problème, ensuite parce que j'ai un caractère tel qu'il me paraît normal d'essayer d'aider en se répartissant le travail (c'est comme pour les inscriptions pédagogiques : plus on est, moins chacun en a à faire) ; les conditions d'exercice changent, à nous de nous y adapter pour essayer de continuer à travailler dans les meilleures conditions possibles.

 (Aristote, élève de Platon et prof d'Alexandre le Grand ; Musée du Louvre, Paris ; source : Wikipédia Commons)


En même temps, je comprends aussi ceux qui se refusent à s'occuper de cela, parce qu'ils considèrent qu'ils ont autre chose à faire et que ce n'est pas pour assurer ces fonctions qu'ils ont été embauchés. Il est vrai qu'on peut aussi craindre que se charger de tâches administratives toujours plus lourdes n'incite les décideurs à en imposer toujours plus, en rognant davantage encore sur, par exemple, les fonds alloués pour embaucher des secrétaires et des ATER (parce qu'on ne parle pas assez non plus des profs en archi-surservices, avec des heures de cours sur l'année qui dépassent bien largement les 192 pour lesquelles ils sont payées - oui,  vous avez bien lu, certains cours, faute de mieux et par conscience professionnelle, sont effectués gratis).

Accepter de se charger de tâches administratives nouvelles, c'est mettre le doigt dans un engrenage sans fin, dont on sait que, sauf retournement inespéré de la conjoncture économique et/ou de l'attitude de la société française face à l'enseignement et à la recherche, il y a peu de chance qu'on sorte "vainqueur". Pourtant, refuser de le faire, c'est aussi profiter assez égoïstement de la surcharge qu'on fait peser sur tous les autres.

(Alexandre le Grand, élève d'Aristote et l'homme qui, entre ses 20 ans et ses 33 ans, a étendu son empire de la Macédoine à l'Inde en passant par l'Iran, en cherchant à inciter les peuples différents placés sous son autorité à se marier entre eux, afin de vivre dans l'harmonie et la paix ; Musées du Capitole, Rome ; photo personnelle)

mercredi 7 novembre 2012

F***** abreviations

Dans une autre vie (comprendre : quand, au sortir de la prépa, je ne savais pas encore comment occuper mon Incroyable Temps Libre autrement), j'étais modératrice sur un forum de traduction. On y trouvait à peu près toutes les langues (j'y étais moi-même arrivée en cherchant une traduction du gaélique irlandais... et quelqu'un m'avait répondu) et le but était soit d'aider à traduire, soit d'aider à approfondir ses connaissances grammaticales et sémantiques. Personnellement, j'étais chargée des forums latin et grec, mais je passais aussi de temps en temps sur le forum français et le forum anglais.

Une des règles sur ce site était d'exiger que les gens y écrivant s'efforcent d'avoir une orthographe aussi correcte que possible et, surtout, n'utilisent pas d'abréviations de type SMS. La raison n'était pas tant que nous étions des "grammar Nazis" (comment peut-on l'être sur des forums où on commence une langue ou cherche à améliorer son orthographe ?), mais parce qu'il y avait sur ce forum des gens qui apprenaient le français et qui se trouvaient de fait totalement mis à l'écart lorsqu'ils tombaient sur des messages du type "Wesh ! G besou1 d'1 trad en lat pr 2min paske je V me f f 1 tatoo lol !". 

Imaginez-vous : vous êtes (cas véridique) un Suédois extrêmement intelligent, gentil et serviable, vous connaissez, en plus de votre langue maternelle, parfaitement le français ET le latin ; vous pourriez donc répondre à cette tête d'oeuf dont les connaissances ne sont pas au niveau des vôtres, même pour ce qui est de sa propre langue ; sauf que vous n'y comprenez absolument rien. 

Mettez-vous maintenant à la place de la tête d'oeuf : en écrivant un message de ce genre, vous avez multiplié par 150 la probabilité de vous retrouver avec "Quod non me interficere me facit fortior"(traduction Google) à jamais tatoué sur votre postérieur (cas véridique aussi), alors que c'est assez loin de votre "Ce qui ne me tue pas me rend plus fort" (Google l'ayant "traduit" par : "Ce qui, plus fort, moi pas tuer, me fait" ; oh bah c'est bêtaud d'avoir ça sur le cul jusqu'à la fin de vos jours, hein !). Moralité : écrivez des messages aussi grammaticalement corrects que possible, cela permettra aux personnes compétentes de vous répondre parfaitement.

Bref. Je m'éloigne du propos principal.

(En vrai, j'aurais signalé 1) votre message, en vous demandant de le réécrire correctement et 2) la réponse du petit malin utilisant Google traduction, en pointant du doigt son absurdité, donc vos fesses seraient saines et sauves.)


(vous voyez ? je n'invente pas, même s'il ne s'agit pas de fesses dans ce cas-là)

Tout cela, jusqu'à assez récemment, était de l'ordre du principe : je ne m'étais pas encore vraiment confrontée à ce que ça pouvait être de se coltiner des abréviations dans une langue qu'on maîtrise assez médiocrement. Mais ça, c'était avant de commencer à lire au long cours des ouvrages en allemand.

Je vais vous épargner ma complainte de la néo-germaniste suant sang et eau pour comprendre quelque chose (encore que mon niveau s'améliore progressivement, alléluïa). Je vais donc juste proposer un petit jeu, dérivant de la fiche que j'ai fini par faire et accrocher au mur à côté de mon bureau, après m'être lassée de toujours chercher dans le dictionnaire ce que ça voulait dire.

Le jeu de la semaine : sauras-tu dire à quelle expression allemande correspond telle abréviation et, ensuite, de quelle expression ou abréviation (généralement utilisées dans toutes les autres langues) elle est l'équivalent ?

a) z. B.
b) u. a.
c) bzw.
d) usw.
e) vgl.
f) o. a.
g) m. E.
h) d. h.

1) beziehungsweise
2) oben angefürhrt
3) zum Beispiel
4) und so weiter
5) meines Erachtens
6) unter anderen
7) vergleiche
8) das heißt

α) entre autres
β) cf.
γ) i.e.
δ) ou
ε) supra
ζ) par exemple
η) etc.
θ) à mon avis

mercredi 31 octobre 2012

Attendez, j'ai un doute...

Il y a des jours où on rentre chez soi en se disant qu'on n'a pas été très bon aujourd'hui. Dans mon cas, je m'assieds sur un banc en plein courant d'air en attendant le RER, je repense à ce que j'ai fait et je me dis : "Ouais, non, pas cool. Il faudra faire autrement la prochaine fois."

Comme la semaine dernière, par exemple. J'avais donné rendez-vous à un étudiant juste avant mon cours et l'entretien s'était prolongé nettement plus que prévu. Je m'en suis rendue compte juste à temps, ce qui fait que j'ai déboulé au pas de charge dans ma salle... pour me rappeler qu'il me manquait mes photocopies, restées dans mon casier en salle des profs. Les étudiants m'ont vue rentrer, les saluer, poser mon sac sur le bureau et ressortir aussi sec. A ma deuxième entrée, le niveau sonore était monté d'un cran.

J'ai fait l'appel dans un brouhaha assez pénible (ils sont quarante, maintenant, donc les petites conversations privées à voix basse, tolérables lorsqu'ils sont quinze, sont tout de suite parasitantes, même s'il est irraisonnable d'imaginer obtenir un silence total pendant deux heures, surtout de 18 à 20). Je leur ai distribué leurs copies et leur ai fait faire l'interro de la semaine.

Ensuite, je suis allée d'abord trop lentement, puis trop vite. J'ai expliqué le verbe être et ses composés, ils ont compris presque tout de suite. J'ai regardé ma montre et je me suis dit "Oh, merde ! ça tourne !" Je suis passée à la question de l'attribut ; et là, évidemment, je suis allée trop vite : parce qu'attribut du COD leur sonnait à leurs oreilles comme si je leur parlais de Rattakakis, qu'attribut du sujet, déjà, ce n'était pas évident pour eux et parce que, pour tout dire, la différence entre verbes d'état et verbes d'action était inconnue au bataillon quelque part dans leur tête. Bien sûr, j'ai tout présenté dans l'ordre, mais lorsqu'ils m'ont demandé si je pouvais aller moins vite, j'ai senti la boulette arriver.


(Non, Han, ceci n'est pas un attribut du COD ! Réfléchis : c'est un verbe d'état ou un verbe d'action ?)


Mes exercices visaient à leur faire travailler ça, mais ce n'était toujours pas très évident pour eux et, surtout, c'était du français, pas du latin, donc ça restait trop abstrait et ils ne voyaient pas le pourquoi du comment (vivement mon poème de Catulle pas-cochon-mais-avec-plein-de-1D-et-de-verbe-être). J'ai commencé à me dire que ma stratégie avait été mauvaise : j'aurais dû partir du latin et aborder le français en incidence et non partir du français pour arriver en latin. Faire plus d'exercices concrets. Aller moins vite.

Bref, même si je pense qu'ils se souviendront sans problème du verbe être (qui était quand même l'objectif premier du cours) et même si le reste viendra avec la pratique, je n'ai pas été bonne. Et comme j'ai commencé à m'en rendre compte dans le Feu de l'Action, j'ai été frappée par le

Syndrôme du Doute Obsessionnel Tabloïdicoprovoqué.

Prenez un sujet A, à peu près sain d'esprit et maîtrisant le sujet sur lequel il va parler, voire même tout simplement sa langue maternelle, en l'occurrence le français. Mettez-le devant un tableau, avec un marqueur à la main et quarante étudiants dans son dos. Il y aura toujours un moment où, vacillant pendant trois horribles secondes (parfois plus), il ne saura plus si ce qu'il est en train d'écrire est juste. Au choix, ça donne (exemples non exhaustifs) :

"Ah, merde, c'est vrai qu'il y a cette règle à la con sur les ablatifs singuliers des adjectifs de la seconde classe : elle s'applique ou pas aux participes présents formant un ablatif absolu ?"

ou

"Dictionaire ? dictionnaire ? merde, j'ai un doute ! Je vais écrire "dico", ce sera mieux ! Ou non : je vais juste leur écrire le nom des auteurs ; le reste, on s'en fout."

Evidemment que votre sujet A SAIT que les participes présent latins finissent toujours en -e dans les ablatifs absolus et que, dans son état normal, il écrit "dictionnaire" avec deux "n" sans hésiter une seule seconde. Mais, pris d'un SDOT, il en viendrait à ne plus savoir comment il s'appelle.

Le SDOT est pénible et il n'y a qu'une façon de s'en débarrasser : s'obliger à écrire et continuer comme si de rien n'était, en redoutant un "Madame ? Y a pas un seul "f" à "professeur" ?" (oui, mon DOT à moi porte tout particulièrement sur les consonnes géminées). C'est dans ces moments-là qu'on repense aux vieilles excuses de nos propres enseignants ("Ah, oui, merci ! Vous savez, quand on a le nez sur le tableau, on ne voit pas bien ce qu'on écrit !") et qu'on les ressort telles quelles à nos étudiants, en comprenant soudain quels énormes bobards elles étaient : bien sûr qu'on voit parfaitement ce qu'on écrit (l'étourderie est néanmoins toujours possible, surtout en fin de journée ou après avoir enchaîné les groupes de TD), c'est juste qu'on vient d'être saisi par le SDOT.

Mais souvent, aucune remarque ne surgit d'un coin de l'assemblée, donc on prend petit à petit confiance en soi, plus qu'en temps normal, et c'est LÀ qu'on est atteint en plein vol par l'Echec au Petit Calibre : 

Moi : La pietas est une des qualités essentielles d'Enée, le héros de l'Enéide, une épopée écrite par Virgile sous le règne d'Auguste, soit vers le début du Ier siècle après J.C. Qu'est-ce que ça a donné, pietas, en français ?

Un étudiant : "Piété" ?

Moi : Oui, exactement, sauf que le sens du mot latin est assez différent de celui de "piété" en français. La pietas, c'est...

Une étudiante : Euh, Madame, excusez-moi ? Il est pas mort en - 19, Virgile ? Parce que c'est ce que nous a dit la prof de littérature antique..."

Headshot. Ça m'apprendra à ne pas m'en être tenue à "règne d'Auguste".

(Jabba, je pense que tu n'as jamais appris les dates de vie et de mort de Virgile ; ça va finir par te poser des problèmes)


mercredi 24 octobre 2012

"Rappelez-moi sur quoi vous travaillez, déjà ?"

Fun fact : mon directeur fait un blocage sur mon sujet de thèse. Un gros blocage. Du genre qui fait dire, au bout de deux ans, "Et voici Melle Lina qui travaille... qui travaille... Eh bien, expliquez à vos camarades sur quoi vous travaillez exactement !" Comme dirait mon frère : awwwkwaaaaard !

Ça a commencé avec mon projet de thèse. A l'époque, il avait parfaitement retenu mon sujet de M2, sur les rumeurs chez Suétone (sujet que tout le monde retenait extrêmement bien, d'ailleurs, 'm'demande bien pourquoi...?). C'est quand il a fallu que je monte mon dossier pour un contrat doctoral que les choses se sont compliquées.

Mon idée de départ était assez simple : étudier les mentions de sources chez Tacite et Suétone et comparer les diverses versions qu'ils donnent d'un même événement, pour voir quels choix ils ont fait au moment de l'élaboration de leur récit. Et Chef n'arrêtait pas de me dire : "Ouiiiii... il faudra traiter aussi la question des sources..." Ce que je ne comprenais pas, parce que cette question a déjà été faite et bien faite. Je répondais donc : "Vous avez raison, mais, si je m'intéresse aux mentions, à la limite, je peux me passer de Quellenforschung (= recherche des sources, en allemand : comme ce sont les Allemands qui ont majoritairement fait ça, on a gardé leur mot) ; ce qui m'intéresserait, ce ne serait pas de savoir s'il y a vraiment une source derrière un dicitur, mais pourquoi ils éprouvent le besoin d'attribuer cette information à un dicitur, au lieu de la reprendre avec un indicatif pur et simple." Chef trouvait alors que j'avais raison, puis oubliait entre temps et, dix jours plus tard, me ressortait : "Cette question des sources serait intéressante à traiter..." 

Au final, j'avais fini par aller voir Super Tutrice pour lui demander son avis et elle m'avait dit : "Bah non, les sources, c'est déjà archi fait ! Il est déjà très bien comme il est, votre projet, n'y changez rien !" J'avais fait valoir l'argument à Chef en l'attribuant cette fois à Super Tutrice (de l'utilité du dicitur !) et Chef avait plus ou moins cessé de me ressortir cette perspective.

Je pensais qu'il avait compris (et approuvait, donc !) ce que je voulais faire. Erreur Grave. 

Première année de thèse, séance 1 de son séminaire : "Et voici Melle Lina, qui travaille sur Suétone" ; moi : "Et Tacite !" Colloque quelconque : "Et voici Melle Lina, qui travaille sur les rumeurs chez Suétone" ; moi : "Euh... c'était mon sujet de M2, vous vous souvenez, monsieur...? Mon sujet de thèse, c'est l'élaboration du récit chez Tacite et Suétone..." ; lui : "Ah oui, c'est vrai !" Société des Etudes Latines : "Et voici Melle Lina, qui travaille sur... sur... Suétone ?" ; moi : "Et Tacite !" (semper repetita placent).

Deuxième année de thèse, séance 1 de son séminaire : "Et voici Melle Lina, qui travaille sur Suétone... et Tacite !" (la répétition est l'essence de la pédagogie).

Troisième année de thèse, séance 1 de son séminaire : "Rappelez-moi sur quoi vous travaillez, déjà ?"

Back to start again.

En plus, j'étais en train de vanter ses mérites de directeur de thèse à la fille à côté de moi : "Il est vraiment très bien, tu verras : il répond vite aux mails, il a beaucoup d'idées, une culture très étendue et il te suit attentivement."

Awwwkwaaaaard...!


mercredi 17 octobre 2012

Noeud bibliographique

Avoir commencé la rédaction m'amène à me poser de nouvelles questions. Ou plutôt, à me rendre compte d'un certain nombre de choses.

J'avais entamé mon introduction - tout en sachant que je serai amenée à la refaire un million de fois (au moins) d'ici à ce que j'ai fini - en citant deux longs passages de mes auteurs sur le même sujet, en guise d'accroche. Puis j'ai pensé à ce que mon directeur dirait (« Ouiii... pourquoi paaaaas... Mais enfin, c'est un peu rude, comme début ; il faudrait peut-être trouver quelque chose qui... qui passe un peu mieux... Vous ne croyez pas ? ») et j'ai fini par légèrement remanier mon texte (qui passe effectivement mieux).

Ensuite j'ai continué sur une présentation relativement succincte des avancées de la recherche dans mon domaine : grosso modo, depuis la fin des années 1970 et la découverte de la prédominante littéraire de l'historiographie romaine, on essaie davantage de comprendre comment les Romains pensaient et écrivaient l'histoire, plutôt que de leur plaquer dessus des catégories qui remontent au mieux au XIXème siècle.

Et là, je suis tombée en arrêt : certes, j'ai cité N. Loraux, P. Veyne et P. Ricoeur et j'ai beaucoup parlé du Menhir de ma bibliographie, O. Devillers (si vous envisagez de travailler sur Tacite, il faut absolument que vous lisiez Devillers), mais j'ai surtout développé T.P. Wiseman (le G. Genette de l'historiographie romaine : pas une seule connerie dans ses ouvrages et que des analyses qui vous ouvrent des perspectives aux allures de boulevards géniaux), A.J. Woodman et J. Marincola. Ce qui me faisait, dans ma présentation historique, trois Anglo-Saxons pour un Français.

Je n'ai aucun problème avec les Anglo-Saxons : ils ont les qualités de leurs défauts et les défauts de leurs qualités (en particulier une fois qu'on sait qu'ils ont tendance à écrire des pages et des pages sur des oeuvres dont, dans le meilleur des cas, nous connaissons trois lignes) et le fait est que, dans ma discipline, ce sont surtout eux qui ont déblayé un certain nombre de choses fondamentales. 

Mais une petite voix dans ma tête (oui, j'ai beaucoup de petites voix dans ma tête - le problème, c'est qu'il ne s'agit ni de celle de Tacite, ni de celle de Suétone et encore moins celles de Syme ou Momigliano : c'est ballot ; m'enfin, celle de mon directeur est très utile - Surmoi Power) m'a rappelé cette scène récurrente aux Etudes Latines, où il y a toujours périodiquement quelqu'un pour reprocher plus ou moins gentiment à l'orateur d'avoir cédé aux "sirènes anglo-saxones" ou, au contraire, pour le féliciter d'avoir montré que lesdites sirènes poussaient quand même le bouchon un peu trop loin.

D'un côté, je les comprends : il est très agaçant de tomber sur un article ou un ouvrage en anglais et de se rendre compte qu'il ne cite pas tel ou tel auteur français, pourtant incontournable sur le sujet. Il est vrai qu'un certain nombre d'Anglo-Saxons (pas tous, loin de là, fort heureusement), vraisemblablement parce qu'ils font de moins en moins l'effort d'apprendre des langues autres que les leurs, sortent de plus en plus de leur chapeau des bibliographies presque uniquement anglophones, comme si les Français, les Allemands, les Italiens et les Espagnols, pendant ce temps-là, regardaient les fleurs pousser. 

Quand je pense à tous les efforts que j'ai faits pour, disons, lire l'allemand à peu près correctement, entre cours débiles, divagations nostalgiques et conclusion en tchèque, je suis un peu fumasse.

Mais quand même : lorsque je tombe sur un bouquin relativement récent qui continue à faire de l'historiographie "à la papa" (comprendre notamment : psychologisante, prenant tout au premier degré et s'extasiant sur "l'art du récit" de Tacite), j'ai à peu près la même réaction que lorsque je tombe sur une biographie récente de Tibère présentant encore Suétone comme un archiviste recopiant ses "fiches" : j'ai envie de hurler "MAIS ÇA FAIT TRENTE ANS AU BAS MOT QUE CE GENRE DE RENGAINES EST DÉPASSÉ, PAR JUPITER !!!!"

Bref.

Comme les petites voix sont Puissantes chez moi, là encore, j'ai subtilement remanié les choses pour ne pas passer pour la groupie anglo-saxonophile de service incapable de voir ce qu'elle a aussi à disposition à la maison. Je peux donc vous dire que, quand je me suis rendue compte que le tout tout tout premier article que je cite, c'est celui qui, si tout va bien, sera publié dans le prochain numéro de Lalies et qui me posait déjà un certain nombre de Questions Récurremment Insolubles, j'ai décidé d'arrêter de me prendre la tête.

En attendant de voir Chef et de savoir ce qu'Il pense de mon plan.


(Attention : la rédaction de thèse peut avoir des effets collatéraux)

mercredi 10 octobre 2012

Translate or not translate ?

En ce moment, je rédige un article à partir d'une communication que j'ai faite cet été, qui devrait être publié, si tout va bien, au début de l'été prochain (ce qui est très rapide, contrairement à ce que vous pourriez penser).

C'était une communication pour la session annuelle de littérature et de linguistique de l'association CLELIA (si vous êtes en lettres classiques et que vous envisagez de faire de la recherche, il faut que vous alliez là-bas, au moins une fois). Etant donné que j'avais eu la confirmation que ma proposition était acceptée à peu près au moment où les bibliothèques universitaires fermaient et où moi-même j'étais sur le point de partir par monts et par vaux, j'avais estimé que, face à un public composé d'éminents latinistes et hellénistes, je pouvais faire l'économie d'une traduction de tous mes exemples. Mon exemplier contenait donc des textes en latin, point.

Evidemment, en cours de route, j'ai plus ou moins changé d'avis, d'abord parce que je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas que des latinistes et des hellénistes dans le public, mais aussi des gens qui étudient la littérature française ou les langues (autant pour mon tropisme antiquisant), ensuite parce qu'un ami m'a très pertinemment fait remarquer que, même quand on lit couramment le latin et le grec, il est plus difficile de le faire tout en écoutant attentivement un exposé que lorsque c'est du français. 

Je me suis donc retrouvée à traduire en free style, la veille de mon intervention et sans dictionnaire, ma douzaine d'exemples tirés de Tacite et Suétone. Ensuite, j'ai relu mes traductions, considéré que ce n'était pas un travail suffisamment scientifique pour être présenté comme ça et décidé de réduire drastiquement le nombre d'exemples dont je donnerais une version française (en quoi j'ai bien fait, sinon j'aurais franchement pulvérisé le temps qui m'était imparti).

Ma communication s'est très bien passée et maintenant je me retrouve à écrire l'article pour la revue Lalies (qui publie donc les interventions de la session CLELIA, si vous suivez bien). Mon texte de départ était déjà assez rédigé, ce qui fait que, grosso modo, je n'ai plus qu'à y intégrer mes exemples et les remarques que m'a faites l'assistance. Et la question de la traduction ou non se pose à nouveau.

C'est une interrogation récurrente chez moi. En ce qui me concerne, il est évident 1) qu'il faut que je traduise tout dans ma thèse (ne serait-ce que pour montrer à mon jury que je maîtrise parfaitement le latin), 2) qu'il est hors de question que je fasse comme certains Anglo-Saxons, qui ne citent que la traduction, sans que le texte original n'apparaisse nulle part, 3) qu'un article pour une revue qui n'est pas de lettres classiques doit aussi avoir des traduction (il était, par exemple, évident pour moi qu'il me fallait tout traduire pour les actes du colloque auquel j'ai participé en décembre dernier).

(Vue du lac Léman depuis la terrasse du complexe où ont lieu les sessions de CLELIA, à Evian ; photo : Bibi)


Mais pour une revue a priori majoritairement destinée à un public de lettres classiques ? Il me semble évident que tout chercheur ou apprenti chercheur en lettres classiques doit maîtriser le latin et le grec (et ce même si, quand on est plutôt helléniste, on a tendance à laisser son latin rouiller, et inversement), sans quoi on n'est qu'un petit rigolo. Vous imaginez quelqu'un travaillant sur Virgile uniquement sur traduction, parce qu'il en connaît pas un mot de latin ? ce serait comme étudier Shakespeare sans connaître l'anglais : totalement absurde. 

Dans mon cas, un autre public universitaire peut être intéressé par ce que j'écris : les historiens travaillant sur la période antique, voire les archéologues (je sais, je suis optimiste : les archéologues me sont potentiellement plus utiles que moi aux archéologues). Pour ces gens-là, je suis plutôt incline à traduire mes exemples (encore que, comme me l'a fait remarquer Chéri, ils ont les référenes, donc, s'ils veulent la traduction, ils savent où aller la chercher), mais, sans vouloir reprendre l'argumentaire de A. J. Woodman, on peut se demander à quel sérieux un historien ou un archéologue travaillant sur la période antique peuvent prétendre, s'ils ne connaissent pas un mot de latin ou de grec ? Ils se discréditent dès le départ.

Oui, mais voilà : d'abord, ils peuvent connaître ces langues, mais pas suffisamment pour la lire uniquement dans le texte (la plupart des cours d'apprentissage acceléré visent au moins à leur permettre de critiquer une traduction juxtalinéaire en la comparant avec le texte original ou, mieux, de comprendre le texte original en s'aidant d'une traduction) ; ensuite, des historiens d'autres périodes peuvent tomber sur ce que j'écris et me lire parce qu'ils font des rapprochements avec leur propre domaine ; enfin, des chercheurs en littérature (ou peut-être en linguistique pour l'article en question) tout court peuvent aussi être intéressés et me lire, là encore pour faire des rapprochements.

Je suis donc partie pour traduire (d'autant que j'ai encore matériellement la place d'intégrer des traductions à mon texte), mais j'ai quand même le sentiment, même si je déteste les attitudes élitistes (parce qu'il s'agit quand même plus ou moins de cela), de contribuer à ce courant absolument crétin (très fort euphémisme) dont le mot d'ordre est "pourquoi apprendre le latin ? il y a des traductions !".

jeudi 4 octobre 2012

Bienvenue à l'université

Lundi matin dernier, en descendant la pente qui va de la gare RER à la fac où je travaille, j'imaginais déjà la note de blog que j'allais bien pouvoir écrire ce soir-là : je faisais cours à 10h30 le premier jour de la rentrée, il y avait donc des chances pour que je sois le premier contact de mes étudiants avec l'enseignement universitaire (les malheureux), ce qui me rappelait mon propre premier contact : un TD de grec, que la prof m'avait plus ou moins autorisée à sécher au bout de deux cours, ce dont je lui serai, je crois, toute ma vie reconnaissante (et qui me rend plus zen face aux étudiants qui ne viennent qu'aux partiels).

Sauf que les choses ne se sont pas déroulées exactement de cette manière. 

Un lundi matin de rentrée, c'est (presque) toujours un branle-bas de combat. Parce qu'il y a toujours des étudiants qui ne sont pas inscrits administrativement ou pédagogiquement, qui ne se souviennent plus de leur emploi du temps ("Madame ? je suis désolée, je sais que j'ai cours ce matin, mais je ne sais plus dans quel cours : vous pourriez vérifier où je me suis inscrite ?"), qui ne savent pas dans quelle salle ils doivent aller et/ou n'ont pas reçu le mail les avertissant d'un changement ("QUEL COURS ??? Ah non, ça, ça dépend du département d'histoire de l'art, il faut voir ça avec eux."), etc. Au milieu, il y a le bonus : les étudants Erasmus, plus ou moins paumés et faisant tous leurs efforts pour comprendre le français, mais qui ont vraiment du mal dans tout ce brouhaha. 

Quand on est étudiant, cette plage temporelle chaotique dure le temps de trouver un interlocuteur capable de vous renseigner efficacement (ce qui peut être assez long, je vous l'accorde). Quand on est de l'autre côté du bureau, ça dure toute la journée. Voire plus.

Jusque là, je n'avais jamais assuré de cours le lundi matin : je n'avais donc jamais vécu la chose de l'autre côté du bureau. J'arrivais en temps et en heure, le jour fixé, devant la salle fixée, mes étudiants m'attendaient (plus ou moins) sagement, on faisait cours. Comme ce n'était pas le jour de la rentrée, tous les problèmes avaient été réglés en amont : j'étais une petite chanceuse.

Cette année, quand je me suis pointée en temps et en heure devant la salle fixée, j'avais deux étudiants thaïlandais dans le couloir et un chargé de TD de cinéma en train de s'installer dans ma salle. Nous convenons tous les deux que, puisque c'est mon nom qui est affiché sur l'emploi du temps qui se trouve sur la porte, c'est nécessairement lui qui s'est trompé de salle ; intuition confirmée par le fait qu'aucun de ses étudiants n'attend dans le couloir.

Entre temps arrive une demoiselle, qui s'excuse d'être en retard et me demande si elle peut partir au bout d'une heure, parce qu'elle a un TD d'histoire de l'art qui commence à 11h30 et qu'elle n'a pas pu faire autrement que de prendre deux cours qui se chevauchent. Je lui explique que, pour un cours d'initiation, ce n'est vraiment pas possible de n'assister qu'à une heure. 

Je descends donc avec mon petit groupe au secrétariat, constate que la liste contient, pour mon cours, une douzaine de noms : très manifestement, nous avons un problème. Je vois arriver deux étudiantes qui me cherchent, mais c'est une fausse joie : elles ont déjà fait du latin l'an dernier, parce qu'elles n'ont pas dit qu'elles en avaient déjà fait ou parce qu'on a oublié de le leur demander, donc on les a inscrites dans le mauvais cours.

Pendant ce temps, au secrétariat, c'est l'enfer : notre secrétaire et l'enseignant responsable de nos licences tentent de répondre à trois étudiants en même temps, notre directrice est happée dès qu'elle arrive, la seule secrétaire efficace de lettres modernes est malade, ce qui fait que la queue devant leur bureau est particulièrement impressionnante. Quand j'arrive en disant "Coucou, je n'ai pas d'étudiants, il y a un chevauchement", on est entre l'abattement et la désolation.

A vrai dire, ce problème de chevauchement, on nous en avait déjà parlé. Jeudi soir, donc plus ou moins au dernier moment. Le département d'histoire des arts a fait savoir qu'ils avaient un TD en même temps que mon cours d'initiation et qu'il fallait donc que nous trouvions un autre créneau. Echanges de mails et cogitations toute la fin de semaine, jusqu'à ce que nous arrivions à la conclusion que nous ne voyions pas le problème, puisque les étudiants en histoire de l'art ont des cours de latin qui leur sont réservés, le vendredi après-midi, donc pas besoin de déplacer le cours du lundi matin. Ce qu'on ne nous avait pas dit, c'est que le problème se posait pour les lettres modernes, pas pour les historiens de l'art.

Ayant encore mon brontosaure de téléphone sans accès internet, je demande à la secrétaire si je peux utiliser son ordinateur pour vérifier les créneaux disponibles dont on avait parlé pendant le week-end. Ils sont tous le mardi. J'effectue un sondage rapide auprès des trois valeureux qui sont venus et je leur dis que je leur écrirai ce soir au plus tard, pour les informer du nouvel horaire de demain. Puis je fonce au département d'histoire de l'art, de l'autre côté du campus, pour attraper au vol ceux qui ont renoncé à mon cours pour assister à l'autre.

On a toujours l'air un peu couillon, quand on fait des annonces dans les couloirs du type : "Est-ce qu'il y a ici des étudiants pour le cours de... ?" ; on en a encore plus l'air lorsque on dit "Est-ce qu'il y a ici des étudiants qui auraient dû assister à mon cours de latin qui commençait il y a une heure ?" J'en ai récupéré certains dans le couloir ("C'est bizarre, madame, personne m'a parlé d'un cours le lundi ! On m'a inscrit d'office le vendredi !"), d'autres dans la salle, en pourrissant les dix premières minutes de mon gentil collègue d'histoire de l'art antique. J'ai aussi soulevé un autre lièvre ("Madame ? En fait, je ne suis pas en lettres modernes, mais, le cours du vendredi, je peux pas y aller, parce que j'ai philo : je peux changer et prendre votre cours ?"). 

Quand je suis revenue chez nous, j'avais les mails de tout le monde et le seul créneau auquel ils pouvaient tous assister était... de 18h à 20h. La directrice m'a consolée en me disant : "A cette heure-là, on n'aura aucun problème pour vous trouver une salle !" 

Etant donné que mon autre cours en présentiel est le mercredi matin de 8h30 à 10h30, j'envisage de passer la nuit dans le bureau de latin.

mercredi 12 septembre 2012

Les Journées Découvrir l'Antiquité à l'ENS Paris

Cet après-midi, j'étais à la réunion de rentrée des Journées Découvrir l'Antiquité à l'ENS Paris. Kezacò ? Des élèves et anciens élèves antiquisants de l'ENS Paris ont commencé à monter, depuis quelques années, des journées destinées à faire découvrir l'Antiquité à des élèves de collèges et lycées, à travers un thème unique. Les premières journées portaient sur la tragédie grecque et Homère et ses épopées, puis elles se sont élargies à la comédie, l'éloquence, etc.

J'y ai participé l'année dernière : depuis le temps que je râlais en sourdine sur le thème "Ouais, l'Antiquité, comme d'habitude, c'est toujours la Grèce, sont pénibles ces hellénistes !", quand la journée sur l'éloquence romaine s'est montée, mes copains m'ont regardée d'un air ironique et, évidemment, j'ai dit oui.

Je ne l'ai vraiment pas regretté. Le principe est d'organiser divers ateliers autour du même thème et de faire tourner des groupes d'élèves entre eux. Certaines journées invitent aussi un conférencier ; un atelier commun est souvent prévu en fin de journée. Pour vous donner une idée, la celle sur l'éloquence romaine était organisée comme suit :

- matin : quatre ateliers ("Cicéron"," L'actio", "A l'école de la rhétorique" et "Les lieux de l'éloquence sur le forum républicain")
- après-midi : un seul atelier, où les élèves devaient réutiliser ce qu'ils avaient vu le matin, en composant un discours "à l'antique", à partir d'un argument tiré de Sénèque le Père ; les uns font le discours pro, les autres le discours contra.
- fin d'après-midi : atelier cinéma, avec des extraits du "Jules César" de Mankiewicz, de la série "Rome" et de "Gladiator".

L'atelier de l'après-midi était un peu particulier, au sens où c'était la première fois qu'on montait quelque chose de ce genre. Mais les élèves ont adoré, quel qu'ait été leur niveau : ils se sont franchement creusé la tête pour trouver des arguments et ont déclamé leur texte comme des pros, en reproduisant les gestes des orateurs romains ! Les prochaines journées voudraient reprendre et développer cette idée.

J'en suis ressortie crevée, mais bien contente, et c'était apparemment aussi le cas des élèves et des profs participants.

Cette année, les Journées se renouvellent (presque) complètement. La journée sur l'éloquence romaine est maintenue, mais quatre autres thèmes seront aussi mis en place : les Argonautes, l'historiographie antique (la manière d'écrire l'histoire dans l'Antiquité) et deux autres, dont les thèmes devraient être définis d'ici à la fin du mois (on a parlé d'une journée sur les rapports entre la Grèce et Rome et d'une journée sur l'Orient, mais ce n'est pas définitif, ça risque de changer). Elles auront lieu en février et mars.

Si vous êtes profs et que ça vous intéresse, n'hésitez pas à vous rendre sur le site de l'association pour avoir plus d'informations. Les inscriptions seront ouvertes seulement pendant la semaine du 6 au 12 octobre (sinon, on a beaucoup trop de candidatures), plutôt aux classes d'antiquisants, mais pas uniquement, quel que soit leur niveau ; nous privilégions les gens qui ne sont jamais venus et ceux qui viennent des établissements les moins favorisés (les critères de sélections sont présentés en détail ici).

Si vous êtes élèves de collège ou de lycée et que vous avez envie de venir, parlez-en aussi à vos profs ! C'est vraiment une journée sympa, où vous apprendrez plein de choses et pourrez réutiliser de ce que vous voyez en cours ! Sans compter que l'ENS est un cadre plutôt agréable, en particulier lorsqu'on peut déjeuner dans la cour aux Ernests !


lundi 10 septembre 2012

La minute féministe

Pour ceux qui n'ont pas à supporter mes pleurnicheries sur Twitter, Chéri est en train de boucler son M2. Plus ou moins au dernier moment, comme d'hab' (pas de raison pour qu'il procède différemment de quand il doit rendre une partition). Du coup, je corrige sans qu'il ait eu le temps de se relire au moins une fois, ce qui, au bout de deux semaines de ce régime (y compris pendant le colloque auquel je participais fin août), a fini par me rendre à peu près aussi grognon qu'en décembre, quand je me coltine quatre-vingts articles d'étudiants de L1, pleins de fautes d'orthographes et que j'ai très envie de renvoyer sans les avoir lus, après avoir seulement écrit en gros, gras et rouge sur la première ligne : "CHARABIA NOM D'UN KANGOUROU !!!!" (remarquez, je devrais peut-être). Ce n'est pas qu'il écrive mal, mais son style est une sorte de mixte entre Cicéron, Tite-Live et Proust ; son record étant (pour le moment) une phrase de douze lignes, you can call me Virgulator et Reformulator.

Tout ceci me fait donc penser très fort à ces petites mains citées dans les remerciements, au début de thèses ou d'ouvrages de mille pages : "Je remercie mon Directeur Adoré Chéri d'Amour, dont l'Auguste Intelligence a éclairé mon Chemin, etc., etc. Maman, papa, yop" (je vous rassure, les remerciements de Chéri à mon égard sont tout ce qu'il y a de plus choux). J'ai, en particulier, une pensée pour ces femmes de chercheurs qui, à l'époque où les ordinateurs et les imprimantes n'existaient pas, se tapaient : 1) le déchiffrage de l'écriture manuscrite dégueulasse de leur Cher Mari ; 2) la tape à la machine de tout ce sabir à peine compréhensible ; 3) la re-tape à la machine etc., etc., parce qu'il avait eu une autre idée et qu'il voulait ajouter quelque chose ; 4) les courses ; 5) la cuisine ; 6) le ménage ; 7) la vaisselle ; 8) les enfants ; 9) le reste de la famille à gérer (genre moi ces deux dernières semaines, les points 1), 2), 3) et 8) en moins).

Ces femmes-là, on n'en parle jamais, on les croise rarement, sauf, parfois, en fin de colloque/réunion/séminaire du samedi matin ou du vendredi soir et, plus souvent, dans lesdits remerciements : "Je remercie ma tendre épouse, pour son soutien, sa présence, etc., etc." En fait, c'est à elles qu'on devrait décerner un titre.



(Bien sûr, ça marche aussi pour Chéri, qui, quand il n'est pas plongé dans son M2, dossier pour un contrat doctoral, partition à rendre pour avant-hier, partition de mille pages à travailler au piano pour un concert après-demain soir (rayer la mention inutile), supporte ma monomanie, mes crises d'humeurs, mes petits cris aigus de chasseresse de manipulations historiographiques et mes questionnements existentiels de type "Mais pourquoi Chef n'a toujours pas répondu à mon mail ??? Ça fait pourtant au moins deux jours que je le lui ai envoyé !!!!" Je vous rassure, si j'en sors vivante, mes remerciements pour lui seront choupis.)

lundi 3 septembre 2012

Les bonnes résolutions, c'est mauvais pour la santé

Re-voilà septembre, la rentrée et ses bonnes résolutions à la pelle ! Répondre tout de suite aux mails des étudiants, ne pas faire l'autruche et corriger leur prose au fur et à mesure, au lieu d'attendre d'avoir soixante textes au coin du bois et d'y passer ma semaine, envoyer mon article à une revue (déjà fait), rédiger un plan de thèse provisoire attraper mon directeur au vol pour lui parler de mon plan de thèse, poster plus régulièrement des notes de blog, manger correctement et, le grand classique, faire du sport.

Oui, faire du sport. Disons-le tout de suite, je ne suis pas une grande sportive. Mais j'ai fait de la danse un certain nombre d'années et je sais parfaitement combien il est bon de pouvoir se défouler périodiquement. J'avais repris en arrivant à Paris, j'ai réussi à tenir pendant l'agrèg', puis je me suis légèrement foulé une cheville, j'ai fait l'autruche parce que c'était l'année du spectacle, je le paye encore plus ou moins (conseil personnel : soignez-vous dès le début s'il vous arrive quelque chose de ce genre, sinon vous vous le traînerez pendant des années).

Ensuite, j'ai déménagé assez loin de Montrouge, je n'ai pas cherché une autre école de danse, la thèse est devenu un bon prétexte pour ne rien faire. L'année dernière, j'ai quand même acheté un maillot pour aller à la piscine, je suis passée à l'acte deux ou trois fois.

Donc, cette année, j'ai rapatrié mes baskets de ma cambrousse et annoncé fièrement à Chéri que j'allais courir. Chéri était en train de rédiger son M2, m'a vue en jogging-baskets, a commencé à se marrer et m'a répondu : "Vas-y, je reste, j'ai du boulot." L'important, dans la vie, c'est d'être soutenue.

Je suis donc allée cracher mes poumons et inquiéter les passants avec ma respiration de fausse asthmatique. Quand je suis rentrée, toute fière de moi, je me suis rendue compte que je n'étais partie que 20 à 30 minutes. L'important, dans la vie, c'est de persévérer (et de se fixer des objectifs atteignables).

Depuis ce matin, donc, je douille grave ma race, malgré mes étirements soigneux d'hier soir. Comme quoi, ça m'apprendra à bouger mon popotin et à prendre des bonnes résolutions. Ça me rappelle une autre rentrée, où, après avoir repris la danse et être passée par un après-midi de stage pré-reprise, j'avais tellement de courbatures que monter et descendre des escaliers, en particulier, était particulièrement pénible. J'y allais donc tout doucement pour affronter les marches de la bibliothèque d'Ulm, jusqu'à ce que j'arrive à la hauteur d'une chercheuse assez âgée qui m'a demandé : "Tiens ? vous aussi ? arthrose ?"

L'important, dans la vie, c'est de s'écouter.


vendredi 13 juillet 2012

Virgile en mode Tolkien : "L'Enéide", XI

Un mot sur le contexte. Énée, fils de Vénus et prince de Troie, quitte sa ville détruite par les Achéens après la fin de la guerre (le cheval de Troie, tout ça) et s'embarque avec les survivants en quête d'un pays où fonder une nouvelle Troie. Après toutes sortes d'aventures qui occupent la première moitié de l'épopée et sur lesquelles je passe pour aller plus vite, notre héros arrive enfin en Italie, dans le Latium, chez le peuple des Latins qui tirent leur nom de leur roi Latinus. Latinus est prêt à accueillir Énée et à lui donner en mariage sa fille Lavinia : toutes les prophéties, tous les présages des dieux vont dans ce sens. 

Mais c'est compter sans un prétendant éconduit, Turnus, chef de guerre du peuple des Rutules, auquel la déesse Junon, qui a une dent contre les Troyens, prête main-forte pour rompre les traités et déclencher une guerre. Junon sait que Jupiter et les Destins sont du côté d'Énée : elle ne peut que retarder la victoire des Troyens, dont les descendants seront les fondateurs de Rome. Mais dans l'intervalle, elle peut les en faire baver et elle ne s'en prive pas. Tandis qu'Énée s'est absenté de son camp pour demander l'aide du roi Évandre et des Étrusques, les Rutules assiègent le camp des Troyens, qui se replient dans leurs murs et se défendent à grand-peine. Revenu par voie de mer avec les renforts, Énée vole au secours des siens et repousse les Rutules. 

Au chant XI, c'est au tour d'Énée de marcher contre la ville de Latinus, tandis que Turnus a fait le tour de ses alliés, parmi lesquelles se trouve une farouche guerrière, une Amazone, Camille. 
 Nous avons donc d'un côté les Latins et les Rutules menés par Turnus, avec à leurs côtés les Amazones de Camille, et de l'autre les Troyens, aussi appelés Phrygiens, menés par Énée.
Toutes sortes de guerriers sont nommés au cours du combat, pas nécessairement très connus (ainsi, le Rémulus qui est cité dans le texte n'est pas "le" Rémulus, celui de la fondation de Rome, mais un homonyme plus ancien et moins connu). C'est surtout Camille qui s'illustre dans le passage que je vous propose de découvrir. Action !

L'Énéide, chant XI, vers 597 à 724 (traduction de Jacques Perret)


"Cependant les forces troyennes s'approchent des murs avec les chefs étrusques, l'armée entière des cavaliers, régulièrement ordonnée en escadrons. Sur toute l'étendue de la plaine, le cheval hennit, frappant du pied, et lutte contre les rênes serrées, se rejetant çà et là ; alors, à perte de vue, un champ de fer se hérisse de lances, les plaines flamboient sous les armes haut dressées. En face, Messapus et les voltigeurs latins, Coras avec son frère, l'aile de la vierge Camille apparaissent, rangés de front, dans la plaine ; de loin en loin, ils pointent leurs javelines en ramenant le bras en arrière et agitent leurs dards ; l'approche des combattants, le grondement des chevaux s'enfle comme un incendie. Et déjà les deux partis s'étaient, dans leur avance, arrêtés à portée de trait ; soudain, sur un cri, ils s'élancent, excitent leurs chevaux furieux, de toutes parts jettent leurs traits à la fois, aussi serrés qu'une averse de neige ; le ciel se couvre d'ombre.

Bientôt, lance en avant, Tyrrhénus et l'ardent Acontée fondent l'un sur l'autre, de tout leur poids ; les premiers, avec un bruit horrible ils croulent, au choc de leurs montures qui, en plein galop, poitrail contre poitrail, se fracassent les os ; Acontée désarçonné, projeté comme un trait de foudre ou la pierre d'une baliste, est précipité bien loin et disperse sa vie dans les airs. Aussitôt le désordre se met dans les lignes, les Latins prenant la fuite rejettent leurs boucliers en arrière et tournent leurs chevaux du côté des remparts. Les Troyens les poussent devant eux, Asilas est le premier à mener la charge. Déjà ils approchaient des portes quand les Latins se reprennent, poussent une clameur et font virer les souples encolures ; les autres s'enfuient et se replient en profondeur, à toute bride. Ainsi la mer, quand elle s'élance, au balancement de ses abîmes, tantôt elle se rue vers la terre, jette sur les rochers son eau écumante, recouvre de sa frange les sables les plus reculés, tantôt, non moins rapide à se retirer, engloutissant dans son flot troublé les pierres qu'il roule en arrière, elle fuit ; ses nappes en glissant abandonnent le rivage. Deux fois les Étrusques poussèrent vers les murs les Rutules en fuite, deux fois rejetés, ils regardent en arrière, se couvrant le dos de leurs boucliers. Mais après que les adversaires se sont heurtés en un troisième assaut, qu'ils ont totalement confondu leurs lignes et que l'homme a choisi son homme, alors c'est le gémissement de ceux qui meurent, c'est la mer de sang où roulent les armes, les corps et les chevaux expirants mêlés dans le carnage des hommes ; l'âpre bataille se lève.

Face à Rémulus, Orsiloque, n'osant pas joindre au corps l'homme lui-même, a lancé un dard contre le cheval et lui a planté son fer sous l'oreille ; à ce coup, le coursier devient furieux, il se cabre, lance en avant ses jambes qu'il tient hautes, impatient de sa blessure, la poitrine dressée ; lui, roule à terre, désarçonné. Catillus renverse Iollas, puis Herminius, géant par sa bravoure, géant de corps et d'épaules ; sur sa tête nue sa chevelure est fauve, ses épaules sont nues, les blessures ne l'effraient pas, tant est large sa carrure face aux armes. Mais une javeline, poussée entre ses larges épaules, vibre, traverse de part en part l'homme qu'elle ploie en deux sous la douleur. Partout coule un sang noir ; aux mains de ceux qui combattent, le fer répand la mort ; ils cherchent à travers leurs blessures un beau trépas.

Mais, au milieu du carnage, une Amazone bondit, un flanc découvert pour le combat, c'est Camille, avec son carquois ; tantôt son bras disperse en grêle serrée les dards flexibles, tantôt, infatigable, elle saisit en son poing la puissante bipenne ; l'arc d'or sonne sur son épaule, et les armes de Diane. Encore : à chaque fois qu'elle s'est échappée et que l'ennemi la poursuit, elle retourne son arc et dans sa fuite lance des flèches. Autour d'elle, des vierges, ses compagnes d'élection, Larina, Tulla, Tarpeia qui brandit une hache de bronze, filles de l'Italie que la divine Camille a choisies elle-même, garde d'honneur pour elle, de bon service dans la paix et la guerre. Ainsi les Amazones thraces quand elles ébranlent les flots du Thermodon et sous leurs armes peintes vont guerroyant, soit autour d'Hippolyté, soit quand, fille de Mars, Penthésilée apparaît sur son char et que, dans le hurlement d'un grand tumulte, ces bataillons féminins bondissent, agitant leurs peltes aux cornes de lune.
[Les peltes sont des boucliers en forme de demi-lune, NdE.]

Ô vierge farouche, quel est le premier, quel est le dernier que tu jettes bas d'un trait ? Ou combien de corps étends-tu mourants sur le sol ? Le premier est Eunée, fils de Clytius ; il venait droit sur elle ; du sapin d'une longue javeline elle traverse sa poitrine découverte. En vomissant des ruisseaux de sang, il tombe, il mord la terre moite et en mourant se tord sur sa plaie. Elle jette par-dessus Liris et Pagasus ; l'un avait roulé à terre et rassemblait les rênes de son cheval qui avait glissé, l'autre s'approchait et pour le relever lui tendait un bras nu ; frappés à mort, ils tombent l'un et l'autre. Elle leur joint Amastrus fils d'Hippotès et, penchée en avant, poursuit de loin avec sa haste [sa lance, NdE] Térée, Harpalycus, Démophoon et Chromis. Autant de dards la vierge a brandis et lancés de sa main, autant sont tombés de guerriers phrygiens. Au loin paraît Ornytus avec des armes étranges sur un cheval iapyge ; c'est un chasseur ; pour le combat, une peau arrachée à un taureau couvre ses larges épaules, sa tête s'abrite sous l'énorme bâillement d'un loup montrant mâchoires et dents blanches ; l'épieu ferré des paysans arme ses mains ; il va et vient au milieu des escadrons qu'il domine de toute la tête. Camille le surprend sans peine comme ils venaient de tourner bride, le transperce et ajoute avec colère : "As-tu pensé, Tyrrhénien, que tu chassais les bêtes dans tes forêts ? Voici venu le jour où les armes d'une femme ont rétorqué vos grands mots. Pourtant tu vas rapporter aux mânes de tes pères un fameux titre de gloire : tu es tombé sous le fer de Camille."

Sans s'arrêter, elle abat Orsiloque et Butès, deux Troyens de taille gigantesque, elle a pris Butès comme il se détournait, l'a percé de sa lance entre la cuirasse et le casque, là où luit le cou du cavalier, où se suspend le bouclier pour les parades du bras gauche. Devant Orsiloque elle fuit, il la pourchasse sur un long circuit, elle lui échappe en se plaçant à l'intérieur du cercle et poursuit celui qui la poursuivait ; alors se dressant de toute sa hauteur auprès de l'homme devenu suppliant et plein de prières, elle abat par deux fois sa hache puissante qui broie les armes et les os ; la blessure fait couler sur le visage une cervelle toute chaude. Un autre guerrier s'est trouvé sur ses pas ; il reste cloué sur place, épouvanté par son apparition subite ; c'est le fils d'Aunus, habitant de l'Apennin, et non pas le dernier des Ligures tant que les destins laissaient une chance à l'art de tromper. Quand il se voit hors d'état d'échapper maintenant au combat par la fuite ou de détourner de lui la reine qui le presse, il entreprend de combiner des ruses et commence ainsi sa fourbe : "Quelle merveille que, femme, tu mettes ton assurance dans la vigueur d'un cheval ! Renonce à fuir. Tout près d'ici, fais donc confiance, comme moi, à ce sol qui nous rendra égaux, et prépare-toi à un duel véritable, à pied. Tu sauras bientôt qui va porter la peine d'une gloire toute de vent." 
Il dit ; elle, furieuse, brûlant d'une âcre colère, remet son cheval à une compagne et se campe devant lui, à armes égales, à pied, l'épée nue, sûre d'elle sous son bouclier pur de tout emblème. Mais l'homme, qui pense avoir fait réussir sa ruse, s'envole de son côté, sans retard : il a fait tourner son cheval qui l'emporte, il fuit et presse de son talon de fer le rapide coursier. 
"Ah ! Ligure sans foi, ta présomption t'abuse ; en vain, pour m'échapper, tu as tenté les adresses qui ont cours chez vous : ton artifice ne te ramènera pas vivant à Aunus le trompeur."
Ainsi parle la vierge, ses pieds rapides bondissent comme une flamme, elle dépasse le cheval dans sa course, se retourne, saisit le mors, attaque et prend sa vengeance dans un sang détesté ; aussi facilement qu'un épervier, l'oiseau sacré, essorant de la pointe d'un rocher, poursuit à tire-d'aile, atteint une colombe bien haut dans la nuée ; il la saisit, la tient, la déchire de ses serres crochues ; du sang, des plumes arrachées tombent de l'éther."

La collision des époques : lire et faire lire les classiques antiques au XXIe siècle



Fantasme éditorial de geek ancien

Ce serait peut-être une solution pour réapprendre aux jeunes (et aux moins jeunes) que les classiques grecs et romains ne sont pas si ennuyeux que ça : prendre chacune des grandes thématiques ou œuvres à la mode, comme la fantasy, la bit-lit, les zombies, les polars, les pirates, etc., et faire lire un extrait d'une œuvre antique qui couvre en gros les mêmes thèmes, en aussi intéressant, voire plus. Histoire de montrer qu'une épopée antique n'a franchement rien à envier à une grosse production américaine de fantasy ou de super-héros ; que les univers de licence les plus foisonnants ressemblent encore à des ébauches balbutiantes à côté de la masse continentale des héros et des événements mythologiques accumulée par les poètes grecs et latins ; et que la plupart des soap et des chansons d'amour, même les pires bluettes, sont rarement aussi jouissives que les numéros de drague des personnages de romans grecs ou d'élégies érotiques romaines.
Même chose pour les personnages de fiction les plus célèbres. Pour chacune des coqueluches des générations actuelles, on trouverait sans trop de mal une figure mythologique ou même historique de l'Antiquité susceptible de relever le défi. Ce serait comme l'affrontement de chefs des Sept contre Thèbes : à chaque nom, on se demanderait "Qui lui opposeras-tu ? Qui est assez puissant ?" Et naturellement on trouverait.
Le résultat pourrait donner une anthologie du genre Le Retour de l'Antique ou Ils l'ont déjà fait (en mieux). Pas les Avengers mais les Vindices ou les Punitores ou quelque chose comme ça.
 On aurait droit à des duels grandioses à plusieurs millénaires d'intervalles : Médée contre Gandalf, Héraclès contre Superman, Pindare contre les commentateurs sportifs (il est largement de taille à les affronter tous à la fois), Ovide contre Justin Bieber, Agavé contre lady Gaga, etc. Les foules redécouvriraient avec émerveillement que les batailles du Seigneur des Anneaux et des romans de Gemmell étaient déjà contenues en puissance quelque part entre l'Iliade, l'Énéide et les sagas nordiques, que la séduisante androgynie que l'on trouve aux personnages masculins de mangas a son équivalent chez les héros et les dieux "orientaux" (Dionysos, m'entends-tu ?), que Star Wars et John Carter ne sont que de pâles dérivés des Histoires vraies de Lucien de Samosate, que les films d'horreur de Roméro sortent des tragédies de Sénèque et de la Thébaïde de Stace d'une certaine façon (même si je ne sais pas encore laquelle), etc. etc.

Les dangers de l'anachronisme, bien réels, ne seraient pas beaucoup plus grands que ceux qu'encourt tout lecteur du XXIe siècle, si spécialiste soit-il, en lisant une de ces oeuvres : ce serait le moment de nous interroger sur ce que c'est que lire ces classiques de nos jours, sur les joyeuses collisions entre cultures que représentent de telles redécouvertes. Et ces mises en parallèles crypto-plutarquéennes ne seraient naturellement que des entrées en matière (parfois plus pertinentes qu'elles n'en auraient l'air). Il suffirait d'un commentaire bien fait pour expliquer les différences... et rappeler qu'en vertu des lois implacables de la chronologie, les œuvres classiques sont venues en premier, et que ce sont elles qui ont rendu possibles les best-sellers d'aujourd'hui, lesquels n'en sont parfois que des imitations, des réinventions ou des prolongements parfois inconscients ou au contraire tout à fait conscients. En l'occurrence, Tolkien (merci à lui) était pétri de culture classique, antique et médiévale, et avait sans doute plus d'une épopée en tête quand il a écrit les grandes scènes de batailles si habilement transposées à l'écran par Peter Jackson. D'où l'expérience de lecture que je vous ai proposée.

Où il est urgent de rester naïf...

En tant que jeune (de moins en moins) helléniste (de plus en plus) du XXIe siècle, je suis souvent amené à lire et à découvrir des épopées antiques pour lesquelles, à côté et en même temps des analyses proprement littéraires ou historiques que mon métier m'amène à en faire, je ne peux m'empêcher d'éprouver toujours la même attirance naïve que pour les récits mythologiques (simplifiés et expurgés) de mon enfance ou pour les romans de science-fiction ou de fantasy découverts ensuite. On aura beau me répéter que c'est vieux, que c'est compliqué, que c'est ennuyeux, que c'est socialement connoté d'aimer ça, que je devrais âââbsolument lire plutôt le Trône de fer ou Marc Lévy ou encore regarder [insérer ici le nom de la dernière série TV ultrasupragénialissime du siècle en date, de toute façon ça change tous les mois], etc., je suis désolé, mais ce sont des histoires de dieux et de héros, de magie et de créatures surnaturelles, et au risque de me faire rire au nez ou de passer pour un ignoble snob, je n'ai pas peur d'affirmer que j'aime beaucoup les lire (et même les relire). 
Alors d'accord je ne peux les apprécier que parce que j'ai le bagage d'études qui me permet d'en profiter au maximum, mais on ne m'ôtera pas de la tête qu'avec quelques bonnes éditions en poche, avec une intro, quelques notes, etc. ce serait à la portée de beaucoup plus de gens que les gens en question ne le pensent. Ce qui ferme les portes de la culture à une personne, c'est avant tout la conviction de cette personne que ce n'est pas pour elle, que c'est trop compliqué, ou que c'est ennuyeux, qu'il n'y a rien à tirer de ça pour sa vie à elle. Je ne dis pas que c'est toujours faux, je ne dis pas que ça n'est jamais difficile ou qu'âââbsolument tout le monde devrait faire du grec ancien. Mais j'affirme mordicus que, bien souvent, de tels a priori sont solidement vissés dans la tête des gens par le milieu culturel dont ils viennent et celui où ils baignent, et encore renforcés par la routine paresseuse des médias généralistes... et que, même si on est fatigué le soir, même si on ne comprendra jamais tout, on ne perd jamais son temps à s'ouvrir l'esprit, à découvrir des domaines nouveaux, des choses différentes de la petite routine quotidienne des journaux TV de 20h et des affiches de culs de bus.

...et de faire désapprendre (les clichés)

Et c'est là que je reprends ma casquette de jeune professeur, parce que c'est un problème pédagogique que j'ai rencontré avec une partie de mes étudiants : avant qu'ils puissent apprendre quoi que ce soit, il faut leur faire désapprendre les multiples couches de préjugés défavorables qu'ils ont accumulées contre la culture classique, qu'ils résument à son aspect scolaire, et qui ont fini par former chez certains non pas une dent dure ni même deux, mais un dentier aiguisé.
L'un des moyens de lutter contre ces préjugés, lourdement employé par les professeurs dans le secondaire et à la fac, consiste à varier les approches, à leur faire attaquer la pente par des angles sous lesquels ils n'avaient jamais envisagé l'objet "Classiques". Un autre procédé, souvent combiné au premier, consiste à leur montrer que si, les classiques peuvent toujours leur dire quelque chose à eux, jeunes gens du début du XXIe siècle, malgré voire justement grâce au gouffre des siècles qui les sépare de ces auteurs. Peut-être parce que ces auteurs, même s'ils ont vécu il y a des lustres dans des pays différents, ont été (ô surprise) des humains eux aussi, qui avaient donc nécessairement des choses en commun avec nous ; et parce que nous avons aussi quelque chose à tirer de l'observation de leurs différences (de même qu'ils auraient quelque chose à en tirer s'ils pouvaient nous voir depuis leur époque d'origine).

Virgile en mode Tolkien et vice-versa

Bref, c'est donc à une expérience de ce genre (ignoblement populiste ou agréablement rafraîchissante, vous en déciderez) que je vous ai invités à vous livrer aujourd'hui. Supposons que vous ayez lu Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, et/ou que vous ayez vu la trilogie cinématographique qu'en a tiré Peter Jackson - allez, disons même seulement le dernier film, Le Retour du roi. Souvenez-vous, dans ce film, de la scène épique de l'arrivée des cavaliers du Rohan venus prendre en tenaille les armées de Mordor qui assiègent Minas Tirith : la ligne des cavaliers s'étend sur tout l'horizon, ils entrechoquent leurs armes, crient, déferlent dans la plaine, avec Howard Shore en pleine forme pour faire claironner les cuivres dans le fond. Eh bien, c'est à cela que je n'ai pas pu m'empêcher de penser en relisant l'autre jour le chant XI de l'Énéide. Est-ce que ça ne saute pas aux yeux ? 
La mêlée, le fracas des armes, mais aussi l'organisation de la scène, du plan large à une succession de plans rapprochés sur des duels, d'abord entre des guerriers peu connus, puis avec l'entrée en scène d'un héros, en l'occurrence une héroïne, et une qui n'a franchement rien à envier ni à Tolkien, ni à Peter Jackson (qui a pourtant nettement renforcé le rôle des personnages féminins histoire de démachiser le livre, qui certes en avait un peu besoin). Camille vaut bien Arwen ou Eowyn. Ce que sont ses origines, ce qu'est son triste et grandiose destin dans l'Énéide, vous n'aurez qu'à lire la suite de l'épopée pour le savoir. Il faut reconnaître qu'en dehors de cette scène d'exploits guerriers (on appelle ça une aristie) elle ne joue qu'un rôle limité dans la guerre. Mais l'Énéide ne manque pas d'autres héros. Et Camille a elle-même ses modèles : Virgile l'a façonnée en pensant à Penthésilée, la reine des Amazones, qui intervient dans certaines épopées racontant la guerre de Troie (pas l'Iliade mais d'autres poèmes moins connus, parfois perdus, qui racontent la suite).

Ce qui est particulièrement appréciable avec Virgile, c'est que - un peu comme le fait Peter Jackson bien après, mais peut-être un peu mieux que Peter Jackson - il montre en même temps les deux visages de la guerre, son emportement, la gloire que les protagonistes espèrent y trouver en s'illustrant par leur bravoure, mais aussi sa férocité, l'horreur des morts accumulées, à cause de l'obstination d'hommes comme Turnus (et aussi à cause du destin, en l'occurrence). Le passage que j'ai choisi est particulièrement "épique" pour nous parce qu'il montre surtout les exploits de Camille, mais d'autres scènes montrent des guerriers, parfois très jeunes, absurdement emportés par le conflit. C'est l'ambiguïté fondamentale de toute oeuvre littéraire mettant en scène une guerre, et l'Énéide est peut-être paradoxalement moins rigide et plus moderne que Le Seigneur des Anneaux sous cet angle-là. En tout cas, cela peut être une occasion d'y réfléchir en comparant les deux par rapport à ce que nous, gens du XXIe siècle, connaissons des guerres et des conflits. Une porte d'entrée et un sujet de dialogue supplémentaires avec les lectures antiques, mais qui n'interdit pas de les lire, aussi ou même d'abord, pour le plaisir.

mercredi 27 juin 2012

Indiana Lin' et la quête de la Villa Hadriana perdue 2

(Suite du message d'hier)


Petit point "joyeux marcheur" à l'usage de ceux qui auraient jeté un coup d'oeil à une carte et auraient pensé un temps à faire le trajet à pied, malgré l'heure de route annoncée (ne faites pas les innocents, je vous ai vus ; moi aussi, j'y ai pensé) : renoncez. La via Tiburtina, c'est comme la via Appia (comment ça, vous n'avez jamais essayé de rejoindre les premières catacombes à pied en suivant la via Appia ? vous avez eu raison : c'est la preuve que vous tenez à la vie) : rien n'est fait pour les piétons. Donc : prenez le bus.

Les bus de Tivoli (du moins, les deux que j'ai pris, ce qui fait que ma généralisation est sans doute suétoniennement abusive) sont un peu comme les trains pour Tivoli : ils prennent leur temps, à moins que ce ne soit le trafic de 11h30 qui ne les oblige à le faire. Le chauffeur laissait donc de temps en temps la porte avant ou la porte arrière ouverte et, lorsqu'une femme lui a dit "Hé ! Tu as oublié de fermer !", il a répondu : "Beh, ça nous fait de l'air, non ?!" Il a fort gentiment signalé l'arrêt où il fallait descendre pour aller à la Villa, en nous montrant aussi, aux deux touristes allemands et moi, la rue à prendre (je remercie au passage tous les gentils monsieurs et madames qui m'ont indiqué, au choix, mon chemin, où étaient affichés les horaires des bus, où acheter des billets, etc.).

Et là, il me faut bien protester contre les prétendus trois cents mètres annoncés sur internet : c'est plutôt cinq cents, voire plus. Je proteste aussi contre les cartes situant la Villa Adriana via della Via Adriana : bien essayé, les mecs, mais, en vrai, c'est plus loin et si en bordure des habitations que j'ai fini par me demander, à un moment, si je n'avais pas raté un panneau.

Je suis arrivée sur place à midi, soit près de trois heures et demie après avoir quitté l'appartement. Well done, Lina.

Ceci dit, ça en valait mille fois le coup. La cougourde que je suis a oublié son appareil photo à Paris, donc les images qui suivent sont tirées d'internet :

 (Le pedice ; photo prise par Taty2007 ; source : Wikipedia Commons)

(Le Palais ; photo par Jastrow ; source : Wikipedia Commons)

(Le Canope ; photo par Jastrow ; source : Wikipedia Commons)

 (Le "Sérapéum", à l'autre bout du Canope ; photo par Entoaggie09 ; source : Wikipedia Commons)

Au retour, vu l'aller, je craignais le pire, surtout en ce qui concerne le bus. Il faut dire que, malgré tous leurs touristes, les Italiens ont assez peu le concept de "non natif de la zone" quand il s'agit des bus. Je n'ai jusque là pas trouvé une seule ville avec, comme à Paris, le trajet du bus visible aux arrêts (une succession de noms d'arrêts n'est pas un trajet visible, surtout à Rome, où vous pouvez avoir un nom qui vaut pour en réalité sept arrêts de bus) et/ou dans le bus : non natif, l'aventure est à portée de main. A Tivoli, c'est pareil, à la différence qu'on n'a les horaires que pour les terminus ; en les deux, démerde-toi. Avec un bus tous les trois quarts d'heure, y a pas intérêt à le rater à deux minutes près.

J'ai eu de la chance : le bus est arrivé au bout de cinq minutes. En revanche, j'ai été un peu fumasse de le voir ensuite suivre touuuut le trajet que je venais de remonter et s'arrêter juste devant la Villa Hadriana, où, bien sûr, aucun arrêt n'était signalé. Grmpf. En revanche, il a été beaucoup plus rapide, ce qui m'a permis d'attraper un train presque direct (qui est parti avec cinq minutes d'avance, mais j'avais prévu le coup, même si c'était à tout hasard).

mardi 26 juin 2012

Indiana Lin' et la quête de la Villa Hadriana perdue 1


Il m'arrive parfois d'avoir des idées que je trouve géniales et qui, en général, se révèlent les plus foireuses de toutes. Il m'arrive parfois aussi de me tanner le cuir là où, avec un peu de jugeotte, les autres décident, eux, que ça n'en vaut vraiment pas la peine.

Exemple : aujourd'hui, pour aller à la villa d'Hadrien.

J'ai eu cette idée au début du mois : "Hé ! Fin juin, pour cause de fin d'études de Chéri à Rome, on va y rester presque une semaine ! C'est l'occasion ou jamais d'aller voir la Villa Hadriana !"

Sur le coup, ça avait l'air d'une bonne idée, mais elle prit du plomb dans l'aile après une rapide recherche internet préliminaire : la villa d'Hadrien n'est, bien sûr, pas à Rome même (c'est le concept de la villa), mais à Tivoli, Tibur dans l'Antiquité, i.e. à 20 kilomètres de la Ville. Et rien, je dis bien rien, n'est fait pour faciliter son accès aux personnes intéressées, alors qu'elle doit être visitée par des milliers de touristes tous les ans et le serait sans aucun doute davantage avec un tout petit peu d'effort.

En clair : et des navettes en bus directes, même un jour sur deux, par Jupiter, c'est fait pour les chiens ???!!!

Au lieu de ça, après avoir cherché un peu partout (pour le coup, le site de la Sovrintendenza est assez pourri : une page "horaires" et "comment venir" serait tout à fait bienvenue), deux solutions s'offraient à moi : 1) métro jusqu'à la station Ponte Mammolo, puis un bus chelou, puis à pinces pendant trois cents mètres ; 2) train jusqu'à la gare de Tivoli, puis un bus tivolese, puis à pinces là aussi pendant trois cents mètres. Etant donné que Chéri et moi crèchons à Tiburtina quand nous sommes à Rome, j'ai choisi fort logiquement (Tivoli... Tibur... Tiburtina... Oui, j'avoue, quand on n'est pas latiniste, ça prend un peu de temps pour comprendre) la solution 2.

Là encore, avant de me lancer, j'ai fait des recherches sur internet (je suis la reine pour débusquer des horaires de trains... enfin, je croyais : cf. infra) : les bus tivolesi et les Ferrovies dello Stato étant manifestement tout à fait fâchés, il y a des trains et des bus pour la Villa Hadriana tous les trois quarts d'heure environ, mais les premiers arrivent toujours systématiquement dix minutes après le départ des seconds, ce qui laisse du temps pour visiter la ville, je vous l'accorde. Pas moyen de faire une combinaison futée, genre "je prends ce train-là, comme ça j'arrive à temps pour le bus de telle heure". Par ailleurs, le train met une heure à faire vingt kilomètres, célérité que je n'avais jusque là connue qu'en Afrique (cent kilomètres, six heures, mais le train était le seul du pays et il avait plus un but touristique qu'autre chose ; nous avions donc choisi la route). Seule consolation : le train pour Tibur-Tivoli part bien de la gare de Roma-Tiburtina (lettres classiques power !!!).

Le plan de départ était donc de prendre le train de 9h et des brouettes, pour arriver à Tivoli vers 10h et des brouettes et faire un tour en attendant le bus de 10h45, sans brouettes : quarante-cinq minutes, ça me laissait du temps pour dénicher un revendeur de billets (un euro l'aller, prix fort honnête).

Oui, mais, voilà : arrivée à la gare avec suffisamment d'avance, il s'est avéré que le train de 9h03 claironné sur internet avait à peu près autant d'existence qu'un phénix et renaissait de ses cendres à 9h38. Il était 8h50 et je me félicitais déjà d'avoir emporté un bouquin.

Une fois montée dans le train, j'ai assez vite compris pourquoi il mettait une heure à faire le trajet. Souvent, le problème des trains italiens, c'est qu'ils s'arrêtent à presque toutes les gares intermédiaires, ce qui fait qu'on met le même temps, soit une heure, à faire Paris-Orléans et Bologne-Forlì, mais la distance est, dans le second cas, divisée par deux (60 km contre 120 pour le premier trajet). Par contre, les Ferrovie sont imbattables sur les prix : mon Paris-Orléans est divisé par dix pour donner mon Bologne-Forlì (surtout maintenant que je suis Vieille et que je n'ai plus droit aux réductions).

Dans le cas de mon Rome-Tivoli, c'est plutôt que ce train n'est pas pressé : il prend son temps, il ne se presse pas et, surtout, il s'arrête laaaaaargement à chaque gare, des fois que des voyageurs décident tout à coup de monter (ce qui est manifestement assez saugrenu pour le train de 9h38, vu le peu de personnes qu'il y avait dans mon wagon - oui, je sais, les vraies gens sont déjà en train de bosser à cette heure-là). Ceci dit, 9h38 + une heure = 10h40 = en cinq minutes, c'est peut-être encore faisable d'acheter un billet et d'attraper le bus de 10h45, non ?

Non. Parce que, les trains italiens, c'est comme les trains français : « Alors, euh... Le train devant nous est arrêté à la prochaine gare, donc, ben, euh... on attend. Il est possible qu'on soit en retard. » Ouaip. J'ai donc raté le but de 10h45. J'ai pris mon temps pour acheter des billets (vive la vendeuse de journaux de la gare), j'ai fait un tour en ville et je suis montée dans le bus de 11h30.


(la suite demain !)