mercredi 17 octobre 2012

Noeud bibliographique

Avoir commencé la rédaction m'amène à me poser de nouvelles questions. Ou plutôt, à me rendre compte d'un certain nombre de choses.

J'avais entamé mon introduction - tout en sachant que je serai amenée à la refaire un million de fois (au moins) d'ici à ce que j'ai fini - en citant deux longs passages de mes auteurs sur le même sujet, en guise d'accroche. Puis j'ai pensé à ce que mon directeur dirait (« Ouiii... pourquoi paaaaas... Mais enfin, c'est un peu rude, comme début ; il faudrait peut-être trouver quelque chose qui... qui passe un peu mieux... Vous ne croyez pas ? ») et j'ai fini par légèrement remanier mon texte (qui passe effectivement mieux).

Ensuite j'ai continué sur une présentation relativement succincte des avancées de la recherche dans mon domaine : grosso modo, depuis la fin des années 1970 et la découverte de la prédominante littéraire de l'historiographie romaine, on essaie davantage de comprendre comment les Romains pensaient et écrivaient l'histoire, plutôt que de leur plaquer dessus des catégories qui remontent au mieux au XIXème siècle.

Et là, je suis tombée en arrêt : certes, j'ai cité N. Loraux, P. Veyne et P. Ricoeur et j'ai beaucoup parlé du Menhir de ma bibliographie, O. Devillers (si vous envisagez de travailler sur Tacite, il faut absolument que vous lisiez Devillers), mais j'ai surtout développé T.P. Wiseman (le G. Genette de l'historiographie romaine : pas une seule connerie dans ses ouvrages et que des analyses qui vous ouvrent des perspectives aux allures de boulevards géniaux), A.J. Woodman et J. Marincola. Ce qui me faisait, dans ma présentation historique, trois Anglo-Saxons pour un Français.

Je n'ai aucun problème avec les Anglo-Saxons : ils ont les qualités de leurs défauts et les défauts de leurs qualités (en particulier une fois qu'on sait qu'ils ont tendance à écrire des pages et des pages sur des oeuvres dont, dans le meilleur des cas, nous connaissons trois lignes) et le fait est que, dans ma discipline, ce sont surtout eux qui ont déblayé un certain nombre de choses fondamentales. 

Mais une petite voix dans ma tête (oui, j'ai beaucoup de petites voix dans ma tête - le problème, c'est qu'il ne s'agit ni de celle de Tacite, ni de celle de Suétone et encore moins celles de Syme ou Momigliano : c'est ballot ; m'enfin, celle de mon directeur est très utile - Surmoi Power) m'a rappelé cette scène récurrente aux Etudes Latines, où il y a toujours périodiquement quelqu'un pour reprocher plus ou moins gentiment à l'orateur d'avoir cédé aux "sirènes anglo-saxones" ou, au contraire, pour le féliciter d'avoir montré que lesdites sirènes poussaient quand même le bouchon un peu trop loin.

D'un côté, je les comprends : il est très agaçant de tomber sur un article ou un ouvrage en anglais et de se rendre compte qu'il ne cite pas tel ou tel auteur français, pourtant incontournable sur le sujet. Il est vrai qu'un certain nombre d'Anglo-Saxons (pas tous, loin de là, fort heureusement), vraisemblablement parce qu'ils font de moins en moins l'effort d'apprendre des langues autres que les leurs, sortent de plus en plus de leur chapeau des bibliographies presque uniquement anglophones, comme si les Français, les Allemands, les Italiens et les Espagnols, pendant ce temps-là, regardaient les fleurs pousser. 

Quand je pense à tous les efforts que j'ai faits pour, disons, lire l'allemand à peu près correctement, entre cours débiles, divagations nostalgiques et conclusion en tchèque, je suis un peu fumasse.

Mais quand même : lorsque je tombe sur un bouquin relativement récent qui continue à faire de l'historiographie "à la papa" (comprendre notamment : psychologisante, prenant tout au premier degré et s'extasiant sur "l'art du récit" de Tacite), j'ai à peu près la même réaction que lorsque je tombe sur une biographie récente de Tibère présentant encore Suétone comme un archiviste recopiant ses "fiches" : j'ai envie de hurler "MAIS ÇA FAIT TRENTE ANS AU BAS MOT QUE CE GENRE DE RENGAINES EST DÉPASSÉ, PAR JUPITER !!!!"

Bref.

Comme les petites voix sont Puissantes chez moi, là encore, j'ai subtilement remanié les choses pour ne pas passer pour la groupie anglo-saxonophile de service incapable de voir ce qu'elle a aussi à disposition à la maison. Je peux donc vous dire que, quand je me suis rendue compte que le tout tout tout premier article que je cite, c'est celui qui, si tout va bien, sera publié dans le prochain numéro de Lalies et qui me posait déjà un certain nombre de Questions Récurremment Insolubles, j'ai décidé d'arrêter de me prendre la tête.

En attendant de voir Chef et de savoir ce qu'Il pense de mon plan.


(Attention : la rédaction de thèse peut avoir des effets collatéraux)

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