mercredi 10 octobre 2012

Translate or not translate ?

En ce moment, je rédige un article à partir d'une communication que j'ai faite cet été, qui devrait être publié, si tout va bien, au début de l'été prochain (ce qui est très rapide, contrairement à ce que vous pourriez penser).

C'était une communication pour la session annuelle de littérature et de linguistique de l'association CLELIA (si vous êtes en lettres classiques et que vous envisagez de faire de la recherche, il faut que vous alliez là-bas, au moins une fois). Etant donné que j'avais eu la confirmation que ma proposition était acceptée à peu près au moment où les bibliothèques universitaires fermaient et où moi-même j'étais sur le point de partir par monts et par vaux, j'avais estimé que, face à un public composé d'éminents latinistes et hellénistes, je pouvais faire l'économie d'une traduction de tous mes exemples. Mon exemplier contenait donc des textes en latin, point.

Evidemment, en cours de route, j'ai plus ou moins changé d'avis, d'abord parce que je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas que des latinistes et des hellénistes dans le public, mais aussi des gens qui étudient la littérature française ou les langues (autant pour mon tropisme antiquisant), ensuite parce qu'un ami m'a très pertinemment fait remarquer que, même quand on lit couramment le latin et le grec, il est plus difficile de le faire tout en écoutant attentivement un exposé que lorsque c'est du français. 

Je me suis donc retrouvée à traduire en free style, la veille de mon intervention et sans dictionnaire, ma douzaine d'exemples tirés de Tacite et Suétone. Ensuite, j'ai relu mes traductions, considéré que ce n'était pas un travail suffisamment scientifique pour être présenté comme ça et décidé de réduire drastiquement le nombre d'exemples dont je donnerais une version française (en quoi j'ai bien fait, sinon j'aurais franchement pulvérisé le temps qui m'était imparti).

Ma communication s'est très bien passée et maintenant je me retrouve à écrire l'article pour la revue Lalies (qui publie donc les interventions de la session CLELIA, si vous suivez bien). Mon texte de départ était déjà assez rédigé, ce qui fait que, grosso modo, je n'ai plus qu'à y intégrer mes exemples et les remarques que m'a faites l'assistance. Et la question de la traduction ou non se pose à nouveau.

C'est une interrogation récurrente chez moi. En ce qui me concerne, il est évident 1) qu'il faut que je traduise tout dans ma thèse (ne serait-ce que pour montrer à mon jury que je maîtrise parfaitement le latin), 2) qu'il est hors de question que je fasse comme certains Anglo-Saxons, qui ne citent que la traduction, sans que le texte original n'apparaisse nulle part, 3) qu'un article pour une revue qui n'est pas de lettres classiques doit aussi avoir des traduction (il était, par exemple, évident pour moi qu'il me fallait tout traduire pour les actes du colloque auquel j'ai participé en décembre dernier).

(Vue du lac Léman depuis la terrasse du complexe où ont lieu les sessions de CLELIA, à Evian ; photo : Bibi)


Mais pour une revue a priori majoritairement destinée à un public de lettres classiques ? Il me semble évident que tout chercheur ou apprenti chercheur en lettres classiques doit maîtriser le latin et le grec (et ce même si, quand on est plutôt helléniste, on a tendance à laisser son latin rouiller, et inversement), sans quoi on n'est qu'un petit rigolo. Vous imaginez quelqu'un travaillant sur Virgile uniquement sur traduction, parce qu'il en connaît pas un mot de latin ? ce serait comme étudier Shakespeare sans connaître l'anglais : totalement absurde. 

Dans mon cas, un autre public universitaire peut être intéressé par ce que j'écris : les historiens travaillant sur la période antique, voire les archéologues (je sais, je suis optimiste : les archéologues me sont potentiellement plus utiles que moi aux archéologues). Pour ces gens-là, je suis plutôt incline à traduire mes exemples (encore que, comme me l'a fait remarquer Chéri, ils ont les référenes, donc, s'ils veulent la traduction, ils savent où aller la chercher), mais, sans vouloir reprendre l'argumentaire de A. J. Woodman, on peut se demander à quel sérieux un historien ou un archéologue travaillant sur la période antique peuvent prétendre, s'ils ne connaissent pas un mot de latin ou de grec ? Ils se discréditent dès le départ.

Oui, mais voilà : d'abord, ils peuvent connaître ces langues, mais pas suffisamment pour la lire uniquement dans le texte (la plupart des cours d'apprentissage acceléré visent au moins à leur permettre de critiquer une traduction juxtalinéaire en la comparant avec le texte original ou, mieux, de comprendre le texte original en s'aidant d'une traduction) ; ensuite, des historiens d'autres périodes peuvent tomber sur ce que j'écris et me lire parce qu'ils font des rapprochements avec leur propre domaine ; enfin, des chercheurs en littérature (ou peut-être en linguistique pour l'article en question) tout court peuvent aussi être intéressés et me lire, là encore pour faire des rapprochements.

Je suis donc partie pour traduire (d'autant que j'ai encore matériellement la place d'intégrer des traductions à mon texte), mais j'ai quand même le sentiment, même si je déteste les attitudes élitistes (parce qu'il s'agit quand même plus ou moins de cela), de contribuer à ce courant absolument crétin (très fort euphémisme) dont le mot d'ordre est "pourquoi apprendre le latin ? il y a des traductions !".

5 commentaires:

  1. Même si vous vous inclinez devant les demandes du lectorat, vous êtes encline à traduire vos exemples.
    Je n'ai aucune compétence dans votre domaine mais mon avis est de fournir le texte original et les traductions.
    J'ai le souvenir de la lecture des "Aventures de Télémaque" dans une édition ancienne comportant de nombreux passages en latin et leur traduction et d'avoir aimé la lecture.

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  2. Je me suis souvent posé la même question, mais franchement quand on lit un article rapidement (par exemple parce qu'il ne correspond pas tout à fait à nos préoccupations du moment) c'est vraiment précieux que les citations soient traduites. Ca permet de suivre le raisonnement sans perdre de temps à traduire (ça prend du temps, même quand on a l'agreg de LC, ce qui, comme tu le dis, est loin d'être le cas de tous tes lecteurs).

    (dans mon mémoire de M2, l'élitisme a consisté à ne pas traduire les citations en anglais et en italien, mais c'est bête car j'ai envie de tordre le cou à tous ceux qui ne traduisent pas les citations en allemand -et pire, ceux qui mettent plein de mots allemands dans leurs communications!)

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  3. Il n'y a pas de consignes propres à la revue? C'est souvent prévu dans les "recommandations aux auteurs"... Pour les articles, je mets la traduction en français dans le texte, et l'original en note (sauf si je n'ai vraiment pas beaucoup de signes, dans ce cas l'original saute). Pour la thèse, l'allemand dans le texte, et la traduction en note.
    Bon courage!

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  4. Donc traduire tout le temps... En même temps, j'imagine mal un chercheur en littérature anglaise le faire. Ce qui m'ennuie surtout, c'est cette "tolérance" pour le latin et le grec ancien ; quand on travaille sur quelque chose en rapport avec une autre langue, que ce soit littérature ou en histoire, il va de soi qu'il faut connaître cette langue ; mais quand il s'agit du latin ou du grec ancien, ça devient tout de suite beaucoup moins important.

    @Mo : aucune consigne en ce sens. Mais je pense que, en cas de problème de signes, ce serait la traduction qui sauterait et non le texte original. Pour ce que je fais, je ne peux pas me permettre de ne pas le citer en latin.

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  5. Pour moi, qui pourtant suis LC, c'est important de traduire. Même si je maîtrise correctement la langue, je n'ai pas non plus la prétention de connaître tout le vocabulaire et donc la possibilité de traduire in extenso à brûle-pourpoint une longue citation. Ce serait donc pour moi perdre peut-être une partie de la clé de compréhension de la démonstration. En outre, je pense aussi que la traduction personnelle de l'auteur de la thèse peut être amené, par le choix d'une acception plutôt qu'une autre, d'éclairer le sens de son propos et amener le lecteur à comprendre la citation sous un angle nouveau (par exemple). Et ce qui m'intéresse de plus dans une thèse (ce fut le cas dernièrement avec la thèse brillante de J.Chapoutot : le national-socialisme et l'antiquité), ce n'est pas tant les exemples que la démonstration interne à l'ouvrage. Il me semblerait pénalisant pour mon parcours de lecture de devoir m'astreindre à traduire l'exemple, et quitter ainsi pendant un instant la fluidité de la démarche explicative à l'oeuvre dans la thèse. Et pourtant, je prends grand plaisir à traduire habituellement, et je suis d'accord pour penser que quelqu'un qui pratique le latin doit pouvoir le traduire. Mais, oui, c'est une attitude un peu élitiste que de considérer de fait que seuls ceux qui sont capable de lire dans le texte auront accès à votre travail. Il m'est avis qu'au contraire, c'est ouvrir les horizons du lectorat que de proposer une traduction. Je connais bon nombre de profs d'histoire qui consultent avec plaisir ce genre de thèse, MAIS qui n'ont malheureusement pas le bagage linguistique nécessaire pour pouvoir traduire dans le texte... Peut-on vraiment destiner un travail à des avertis alors que le latin comme le grec ne demandent finalement qu'à être disponible pour le plus grand nombre, ne serait-ce que pour lui assurer une survie toute relative dans les cercles qui s'y intéressent encore ? Mais ce n'est que mon humble avis...

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