Lundi matin dernier, en descendant la pente qui va de la gare RER à la fac où je travaille, j'imaginais déjà la note de blog que j'allais bien pouvoir écrire ce soir-là : je faisais cours à 10h30 le premier jour de la rentrée, il y avait donc des chances pour que je sois le premier contact de mes étudiants avec l'enseignement universitaire (les malheureux), ce qui me rappelait mon propre premier contact : un TD de grec, que la prof m'avait plus ou moins autorisée à sécher au bout de deux cours, ce dont je lui serai, je crois, toute ma vie reconnaissante (et qui me rend plus zen face aux étudiants qui ne viennent qu'aux partiels).
Sauf que les choses ne se sont pas déroulées exactement de cette manière.
Un lundi matin de rentrée, c'est (presque) toujours un branle-bas de combat. Parce qu'il y a toujours des étudiants qui ne sont pas inscrits administrativement ou pédagogiquement, qui ne se souviennent plus de leur emploi du temps ("Madame ? je suis désolée, je sais que j'ai cours ce matin, mais je ne sais plus dans quel cours : vous pourriez vérifier où je me suis inscrite ?"), qui ne savent pas dans quelle salle ils doivent aller et/ou n'ont pas reçu le mail les avertissant d'un changement ("QUEL COURS ??? Ah non, ça, ça dépend du département d'histoire de l'art, il faut voir ça avec eux."), etc. Au milieu, il y a le bonus : les étudants Erasmus, plus ou moins paumés et faisant tous leurs efforts pour comprendre le français, mais qui ont vraiment du mal dans tout ce brouhaha.
Quand on est étudiant, cette plage temporelle chaotique dure le temps de trouver un interlocuteur capable de vous renseigner efficacement (ce qui peut être assez long, je vous l'accorde). Quand on est de l'autre côté du bureau, ça dure toute la journée. Voire plus.
Jusque là, je n'avais jamais assuré de cours le lundi matin : je n'avais donc jamais vécu la chose de l'autre côté du bureau. J'arrivais en temps et en heure, le jour fixé, devant la salle fixée, mes étudiants m'attendaient (plus ou moins) sagement, on faisait cours. Comme ce n'était pas le jour de la rentrée, tous les problèmes avaient été réglés en amont : j'étais une petite chanceuse.
Cette année, quand je me suis pointée en temps et en heure devant la salle fixée, j'avais deux étudiants thaïlandais dans le couloir et un chargé de TD de cinéma en train de s'installer dans ma salle. Nous convenons tous les deux que, puisque c'est mon nom qui est affiché sur l'emploi du temps qui se trouve sur la porte, c'est nécessairement lui qui s'est trompé de salle ; intuition confirmée par le fait qu'aucun de ses étudiants n'attend dans le couloir.
Entre temps arrive une demoiselle, qui s'excuse d'être en retard et me demande si elle peut partir au bout d'une heure, parce qu'elle a un TD d'histoire de l'art qui commence à 11h30 et qu'elle n'a pas pu faire autrement que de prendre deux cours qui se chevauchent. Je lui explique que, pour un cours d'initiation, ce n'est vraiment pas possible de n'assister qu'à une heure.
Je descends donc avec mon petit groupe au secrétariat, constate que la liste contient, pour mon cours, une douzaine de noms : très manifestement, nous avons un problème. Je vois arriver deux étudiantes qui me cherchent, mais c'est une fausse joie : elles ont déjà fait du latin l'an dernier, parce qu'elles n'ont pas dit qu'elles en avaient déjà fait ou parce qu'on a oublié de le leur demander, donc on les a inscrites dans le mauvais cours.
Pendant ce temps, au secrétariat, c'est l'enfer : notre secrétaire et l'enseignant responsable de nos licences tentent de répondre à trois étudiants en même temps, notre directrice est happée dès qu'elle arrive, la seule secrétaire efficace de lettres modernes est malade, ce qui fait que la queue devant leur bureau est particulièrement impressionnante. Quand j'arrive en disant "Coucou, je n'ai pas d'étudiants, il y a un chevauchement", on est entre l'abattement et la désolation.
A
vrai dire, ce problème de chevauchement, on nous en avait déjà parlé.
Jeudi soir, donc plus ou moins au dernier moment. Le département
d'histoire des arts a fait savoir qu'ils avaient un TD en même temps que
mon cours d'initiation et qu'il fallait donc que nous trouvions un
autre créneau. Echanges de mails et cogitations toute la fin de semaine,
jusqu'à ce que nous arrivions à la conclusion que nous ne voyions pas
le problème, puisque les étudiants en histoire de l'art ont des cours de
latin qui leur sont réservés, le vendredi après-midi, donc pas besoin
de déplacer le cours du lundi matin. Ce qu'on ne nous avait pas dit, c'est que le problème se posait pour les lettres modernes, pas pour les historiens de l'art.
Ayant encore mon brontosaure de téléphone sans accès internet, je demande à la secrétaire si je peux utiliser son ordinateur pour vérifier les créneaux disponibles dont on avait parlé pendant le week-end. Ils sont tous le mardi. J'effectue un sondage rapide auprès des trois valeureux qui sont venus et je leur dis que je leur écrirai ce soir au plus tard, pour les informer du nouvel horaire de demain. Puis je fonce au département d'histoire de l'art, de l'autre côté du campus, pour attraper au vol ceux qui ont renoncé à mon cours pour assister à l'autre.
On a toujours l'air un peu couillon, quand on fait des annonces dans les couloirs du type : "Est-ce qu'il y a ici des étudiants pour le cours de... ?" ; on en a encore plus l'air lorsque on dit "Est-ce qu'il y a ici des étudiants qui auraient dû assister à mon cours de latin qui commençait il y a une heure ?" J'en ai récupéré certains dans le couloir ("C'est bizarre, madame, personne m'a parlé d'un cours le lundi ! On m'a inscrit d'office le vendredi !"), d'autres dans la salle, en pourrissant les dix premières minutes de mon gentil collègue d'histoire de l'art antique. J'ai aussi soulevé un autre lièvre ("Madame ? En fait, je ne suis pas en lettres modernes, mais, le cours du vendredi, je peux pas y aller, parce que j'ai philo : je peux changer et prendre votre cours ?").
Quand je suis revenue chez nous, j'avais les mails de tout le monde et le seul créneau auquel ils pouvaient tous assister était... de 18h à 20h. La directrice m'a consolée en me disant : "A cette heure-là, on n'aura aucun problème pour vous trouver une salle !"
Etant donné que mon autre cours en présentiel est le mercredi matin de 8h30 à 10h30, j'envisage de passer la nuit dans le bureau de latin.
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