jeudi 28 octobre 2010

La ponctuation (et la grève et la banalisation des cours) m'a tuer

Quand je suis arrivée, ils étaient quatre devant la porte. Après qu'on est entrés dans la salle, ils sont devenus cinq. Puis six. Pour un effectif aux alentours de vingt-cinq. J'ai un peu fait gloup.

J'ai essayé de bloquer la porte avec une chaise pour qu'elle reste ouverte et que d'éventuels nouveaux arrivants n'attendent pas bêtement dans le couloir (en passant : bon sang, qu'est-ce qu'elles sont lourdes, ces portes ! J'ai un mal de chien à les ouvrir !). Je me suis retournée pour regarder mon effectif pléthorique, qui contemplait mes efforts de l'air de dire "eh beh, elle a de l'espoir, celle-là !".

«Vous avez eu cours, ce matin ? Vous savez si vos camarades vont venir ?
- Ben, en fait, le bâtiment était bloqué ce matin, alors beaucoup de gens sont rentrés chez eux...
- Ah. On va attendre dix minutes et ensuite on voit.»

Je peux vous dire que j'étais vraiment bien emmerdée : depuis des années, dans ce genre de situation, du côté "élève" du bureau, j'ai toujours ardemment souhaité que le prof décide qu'on n'était pas assez pour faire cours et les minutes d'attente pour voir si d'autres arrivaient se passaient en Profondes Réflexions Stratégiques du genre : "Si on le regarde avec des yeux suppliants, est-ce qu'il va tous nous lâcher ? En même temps, s'il voit là un encouragement à faire cours, on aura l'air fins..." Ça se terminait inévitablement par des yeux dans le vague pour ne pas croiser le regard du prof, en attendant impatiemment qu'il prenne une décision.

Exactement les mêmes yeux dans le vague que ceux de mes étudiants cet après-midi.

Sauf que, cette fois, je ne suis plus étudiante, mais prof, donc c'est à moi de décider. Et là, je comprends pourquoi mes enseignants mettaient autant de temps à le faire, alors que eux, comme nous, n'avaient qu'une seule envie, rentrer chez eux : on envisage l'idée et, tout d'un coup, on pense au planning, au retard qu'on va prendre, aux interros qu'on doit leur coller, au fait que ce cours-ci ne pourra pas compter...

On se creuse aussi les recoins de la cervelle à la recherche de ce qu'on avait prévu de faire la semaine d'après, on se dit : "Mais bon sang, ce cours, je l'ai préparé il y a un moment ! Je l'ai même revu ce matin pour remplir mon bon de photocopies à la repro ! C'était quoi, déjà ?!" Puis on a une illumination et on se retient à grand peine de lâcher un "merde !", parce que le planning du cours de la semaine prochaine est déjà chargé, alors combiner DEUX cours en un... Si encore je n'avais pas su sur quoi les faire bosser, mais là, je commence à m'habituer au format en deux heures, donc j'ai prévu largement de quoi...

Puis on passe à des considérations plus pressantes : "Allez, je leur fais la partie grammaire et je les lâche, j'enverrai un topo par mail à leurs camarades, comme ça je pourrai quand même les interroger dessus. Enfin, quand j'aurai un effectif suffisant pour que ça ait un sens de leur coller une interro... En même temps, si je prévois d'envoyer un topo, est-ce que ça sert vraiment que je leur fasse la partie grammaire ? D'autant que celle de discussion sur les articles ne peut pas passer par mail. C'est plutôt celle-là que je devrais faire aujourd'hui. Mais ils sont seulement six, aussi, ça n'a pas beaucoup de sens de le faire avec seulement un cinquième de l'effectif. C'est quand même ça, le sujet principal du cours. Si je ne le fais pas, autant tout annuler. Oui, mais ils sont quand même six, c'est trop pour annuler purement et simplement le cours. Et, en même temps, ce n'est pas assez pour me comporter comme si de rien n'était..."

Au final, j'ai opté pour seulement la grammaire, en me disant que je pourrais toujours bidouiller pour grouper les deux parties expression écrite la semaine prochaine. Je les ai donc lâchés au bout de seulement une heure, après avoir répondu à leurs questions, et j'ai passé tout le chemin du retour à me demander si j'avais fait le bon choix.

A mon avis, il n'y en avait pas. Le problème était ailleurs, plus haut : je n'avais pas envisagé une seule seconde qu'ils puissent être aussi peu. Je n'avais donc pas prévu cette éventualité et je me suis trouvée sans solution de repli. Avec un tout petit peu d'imagination, j'aurais sans doute pu improviser quelque chose de plus adéquat, mais, là, j'ai été coincée, dans l'urgence, devant la Question Fatale : lecture or not lecture ?

Il paraît qu'il y a une nouvelle mobilisation la semaine prochaine, encore une fois le jeudi : j'ai donc une semaine pour être créative...


("Une salle de classe au lycée français du Caire" (qui ressemble trait pour trait à celle où je fais cours à la fac), photo par Khoyobegenn ; source : Wikipedia Commons)

mardi 26 octobre 2010

Thanks guys !

Pourquoi c'est le jour où :

1) vous n'êtes pas spécialement d'humeur joyeuse
2) en plus vous êtes fatiguée
3) vous avez dû vous mettre un bon coup de pied au cul pour vous motiver avant d'aller faire cours
4) vous étiez venue en avance exprès pour signer votre déclaration de service
5) mais vous ne vous souveniez plus où était le bureau où vous deviez le faire
6) et le secrétariat était exceptionnellement fermé pour deux jours

que le service de la reprographie :

1) ne comprend pas le sens de l'expression "non agrafé"
2) ne se demande pas pourquoi, parmi vos feuilles, il y en a qui sont recto-verso ET d'autres recto simple (attention, différence subtile)
3) n'a pas été interpellé par le fait que, sur l'une d'elles, il y avait écrit "test n°1", sur une autre "Victor Hugo : Vue du haut des tours de Notre-Dame", sur une troisième un article du Figaro et sur le reste des exercices de grammaire, et par l'incroyable hétérogénéité de thèmes que cela comportait

ce qui donne comme résultat :

1) le texte de Hugo pour mon TD de littérature se trouve derrière l'article du Figaro pour mon TD d'expression écrite
2) mon test devant être fait en quinze minutes au début de l'heure, avant d'être ramassé, se trouve derrière la première partie des exercices prévus pour le reste de la séance
3) la deuxième partie des exercices a purement et simplement disparu quelque part dans l'espace intergalactique
4) j'ai passé une demi-heure à enlever manuellement toutes les agrafes de trente paquets de feuilles (thank God, j'ai les ongles un peu longs en ce moment).

Etant donné que :

1) il est trop tard pour tout renvoyer en repro
2) de toute façon, les secrétaires par lesquelles je dois passer ne sont pas là

devinez qui va devoir prendre sur son temps et ses finances de plus en plus maigres (contrat doctoral toujours pas signé pour cause de responsable en arrêt maladie : ils me doivent déjà deux mois de salaire, je crains que cela ne passe à trois) pour aller faire des photocopies (non, je n'ai pas de carte non plus) afin que tout soit prêt demain...?

Merci les gars !

jeudi 21 octobre 2010

QUI a dit que prof, c'était mieux qu'étudiant ?!

« En raison d'un mouvement social, le trafic est très perturbé sur l'ensemble du réseau RATP »

Avant :
" Oh là, ça a franchement l'air galère ! Je vais plutôt rester chez moi à bosser sur mon master !"

Après : "Oh nom de Dieu, ça va encore être la croix et la bannière pour aller bosser et, en plus, il faut que j'y sois ! C'est moi la prof, maintenant !"



« En raison des incidents survenus à l'université hier et des divers problèmes dans les transports, les journées des ***, *** et *** sont banalisées. »

Avant : "Yeeeessss...! Pas besoin d'aller en cours ! Je vais pouvoir organiser ma journée comme je veux, passer l'aprèm' en bibli, prendre mon temps le matin !"

Après : "Choueeeette... "Banalisation", ça veut dire que je suis obligée d'y être et que eux peuvent sécher impunément ! 'Connaissent pas leur chance, ces gosses ! »



« Amore, je crains d'avoir des concerts au moins jusqu'en novembre et, ensuite, mon emploi du temps ressemble de plus en plus à celui d'un ministre... »

Avant : "Pas de problème, mon amour ! Tu as un trou la semaine du *** ? Je viendrai à ce moment-là, alors ! Oui, c'est vrai, théoriquement, j'ai cours, mais je peux sécher, ce n'est pas grave ! Je rattraperai et puis, le plus important, c'est le master et ça, je peux m'avancer suffisamment avant pour que ça passe comme sur des roulettes !"

Après : "Bon, bah, attends, je regarde mon emploi du temps... Tu es libre du *** au ***, c'est ça ? Je vais venir à ce moment-là, alors. Ah non, merde, je fais cours en plein milieu et je ne peux pas sécher maintenant : c'est moi la prof, ça se verra..."



« Et toi, sinon, tu en es où de ton boulot ? Ça avance ? »

Avant : "Ça va ! J'ai fait ça, ça et ça, donc j'ai déjà pris une sacrée avance ! Et demain, journée en bibli à lire des articles ! C'est vraiment génial, la recherche ! Vivement que je passe aux choses sérieuses !"

Après : "Oh là là, ne m'en parle pas ! Ça fait deux mois que j'ai le nez dans le guidon de mes préparations de cours, ça me bouffe un temps fou, je n'arrive pas à faire autre chose ! Hier j'ai fini Woodman et j'ai eu l'impression d'être une grande folle ! Sans compter qu'il faut que je refasse ma carte de bibli de l'ENS, mais je n'ai pas UN moment pour y aller !"



« Et maintenant, nous allons faire un rapide tour d'horizon de l'emploi des signes de ponctuation. »

Avant : "Non, mais c'est quoi, ce cours débile ! Ils nous prennent pour des crétins ou quoi ? Alors toi, ma cocotte, si tu crois que je vais participer, tu te fous le doigt dans l'oeil !"

Après : "Non, allez, quoi, je vous en prie, soyez cools, participez, merde ! Je vous jure que ce n'est pas moi qui ai eu l'idée de ça et qu'en plus, je n'ai pas le choix !"


(Krzysztof Lubieniecki, "Le maître d'école", 1727, National Museum ; source : Wikipedia Commons)

vendredi 15 octobre 2010

Destruktor a définitivement frappé

Je ne pensais pas qu'on pouvait honnêtement faire pire que ma journée d'hier : en fait, si.

Depuis deux semaines, l'appartement d'à côté est refait de fond en combles par ses nouveaux propriétaires. Je ne sais pas ce qu'ils ont en tête, mais les ouvriers raclent et tapent sur les murs à me rendre sourde. Je ne râle pas trop (il faut bien qu'ils fassent leur boulot), mais enfin, je ne suis quand même pas très rassurée non plus pour ma propre partie du mur.

J'avais raison : aujourd'hui, quand je suis revenue de la cuisine après avoir déjeuné, j'ai découvert un magnifique trou dans mon mur ; ils n'ont pas traversé, mais ils m'ont bien bouzillé le mur et la peinture toute neuve.

Furax, je sors, je frappe à la porte. Pas de réponse. Je rentre chez moi, j'entends bouger de l'autre côté, je ressors, je refrappe, cette fois-ci le gars est coincé, il est obligé d'ouvrir la porte. Je gueule, je le choppe, je le fais entrer chez moi pour lui montrer mon mur. Le type est manifestement bien embêté, mais, quand je le regarde d'un air interrogateur, il balbutie : « Je... désolé... pas parler français... » J'ajoute : pas l'anglais non plus. Il a un accent terrible, je ne comprends rien, il ne comprend rien non plus ; je me demande s'il n'est pas albanais, j'aurais dû tenter l'italien. Il me semble avoir compris que son patron serait sur le chantier lundi. Chouette. Va pas être déçu de son début de semaine, celui-là.

J'appelle la MAIF sur le thème "J'ai un trou dans mon mur, nom de Dieu !!!!", ils me disent que je ne suis pas couverte, mais que, de toute façon, c'est à l'assureur de mon propriétaire de s'en charger. J'appelle l'agence immobilière. Personne ne répond. Ils sont à deux rues, donc je me déplace : ils sont là, évidemment, et me donnent le numéro de téléphone de mes proprios. Lesquels se révèlent très gentils et absolument désolés pour moi.

Comme j'ai noté le numéro de l'agence qui a vendu l'appart' (merci, les panneaux annonçant fièrement "vendu par...!"), ils disent qu'ils vont appeler. Puis c'est moi qu'ils rappellent, dix minutes plus tard : « Ils ne répondent pas, mais ils habitent juste à côté de l'immeuble, peut-être pourriez-vous aller avoir ? » J'y vais : évidemment, il y a quelqu'un. J'explique la situation en râlant, demande les coordonnées des nouveaux propriétaires, la nana décide de venir voir. Je me rends compte que je monte nettement plus vite mes quatre étages que cette malheureuse fumeuse, que j'ai failli tuer. « Ah oui, il est salement amoché ! Et puis c'est con, la peinture est toute neuve...! » Nooooon, vous croyez ?

Elle dit qu'elle me téléphone pour me donner les coordonnées, redescend, finit par me laisser un message sur mon portable (mais POURQUOI je ne pense JAMAIS à enlever le mode silencieux de mon téléphone en sortant du piano ? j'ai raté une occasion de faire pression en direct sur un agent immobilier pour avoir un numéro de téléphone !), où elle me dit qu'elle ne peut pas et que la personne à contacter est déjà partie en week-end, mais que voici son numéro pour l'appeler lundi matin et patati et patata.

Chouette.

Voyons le bon côté des choses : il n'y a pas de rupture d'isolation, puisqu'ils n'ont pas traversé, ce qui est appréciable, étant donné que 1) je viens de craquer et de mettre le chauffage ; 2) ils refroidissent tout l'étage en travaillant les fenêtres grandes ouvertes.

Maintenant, bordel, ILS M'ONT NIQUÉ MA PEINTURE !!!!!

Je songe à me reconvertir en spécialiste de la prise de photos témoins pourries au téléphone portable.

jeudi 14 octobre 2010

Premiers cours

« Alors, alors, alors ? Ils sont comment, tes élèves ? Ils bossent bien ? Ils sont gentils ? »

Eh bien, gentils, je ne sais pas, de toute façon ce n'est pas ce que je leur demande (enfin, rassurez-vous, ils sont loin d'être méchants), mais intelligents, sans aucun doute, ils le sont.

Je ne sais pas si je me suis prise en flagrant délit de préjugé khâgnesque ou si j'ai été influencée par les tableaux apocalyptiques qu'on m'avait faits (« Ils sont d'un sans-gêne ! Ils hurlent du fond de la classe : "plus fort !!!" Ils entrent, ils sortent, ils s'en foutent ! Et ils ne savent rien, c'est désolant !! »), mais j'ai vraiment été agréablement surprise par ces premiers contacts.

J'ai eu devant moi des gens intelligents, intéressés, qui participaient (QUI PARTICIPAIENT !!! Vous vous rendez compte ?! Moi qui angoissais en me demandant ce que j'allais faire si je me retrouvais devant un groupe amorphe !) et, surtout, tout aussi bons que des hypokhâgneux qui ont préféré la prépa à la fac. Les premières années de fac, c'est loin d'être "poubelle n°1" (je cite ici ce que le père d'une amie de lycée, normalien et prof de linguistique à l'université, lui avait sorti à propos de la filière L, celle que j'avais choisie).

Je suis donc vraiment contente, parce que je dois avouer que, ce que j'ai toujours dit, à savoir que ce n'est pas parce qu'on est à la fac qu'on est moins bon ou moins intelligent, je le disais jusque là plus par conviction que par expérience concrète. Maintenant, je l'ai et c'est franchement satisfaisant.

Pour le reste, de mon point de vue, ça s'est vraiment bien passé. J'étais peut-être un peu trop relâchée pour le cours d'aujourd'hui : en même temps, je venais de passer deux heures à faire la queue pour rien en vue de m'inscrire administrativement (« Il manque le code étape ! Je ne peux rien faire, mademoiselle ! Et puis, votre papier, il ne prouve pas du tout que vous avez un contrat doctoral avec un monitorat ! ») et, lorsque, à 14h30, le désespoir et mon ventre archi vide m'ont vaincue par K.O. et que j'ai voulu aller m'acheter un sandwich à la cafétéria, je l'ai découverte fermée exceptionnellement (apparemment, des étudiants anti-réforme ont commis des dégradations dans l'enceinte de la fac) ; ajoutez à cela que mes étudiants n'étaient pas au courant que le cours commençait à 15h30 et non 15h et qu'on m'avait changé quinze fois de salle, si bien qu'il était impossible de savoir où j'avais cours, et vous comprendrez pourquoi je me suis défoulée (assez) injustement sur Grevisse.

Je note aussi que j'ai du mal à tenir deux heures (par contre, je suis impecc' sur une heure et demie) et qu'il faut donc que je revoie mes cours : soit j'ajoute des exercices à faire, soit je développe davantage le contenu de ma préparation, mais il faut que je fasse quelque chose. TD "rapide à préparer" : mon oeil !

samedi 9 octobre 2010

Déprime bloguesque

Je ne sais pas pourquoi, mais, souvent, lorsque je tombe sur des blogs consacrés à l'Antiquité ou sur des sites d'associations du même genre, je me sens envahie d'un terrible sentiment de déprime. Pourtant, je devrais me réjouir de ce qu'il y ait des gens sur le web pour faire en sorte que la culture antique y soit présente ; or, vu les sites en question, ma réaction est souvent : pfffffffff...

Prenons cette semaine : après des échanges très intéressants avec David Monniaux sur son blog et sur le mien, je suis tombée, via le site de "La Fabrique de l'histoire", sur celui du sociologue qu'ils avaient invité jeudi, Philippe Cibois. Il m'a l'air intéressant et j'avoue que je n'ai pas encore eu le temps de parcourir son pavé sur "comment il se fait que, de près de 20 % d'une classe d'âge faisant du latin en 5°, on se retrouve à trois pelés et un tondu en terminale" ; j'avoue aussi que je suis assez sceptique devant ses "tableaux historiques", sachant qu'il sociologue et pas historien : je n'ai pas lu en détail, par exemple, sa présentation de la citoyenneté romaine comme un "contrat social" rousseauiste, mais, enfin, après avoir lu Le Métier de citoyen à Rome de Claude Nicolet, je pense que cette formule, malgré toutes les dénégations d'anachronisme qui l'entourent, l'est bel et bien.

C'est d'ailleurs souvent le défaut des habituels promoteurs de l'Antiquité : "Regardez comme ils nous ressemblent ! Ils sont comme nous ! Donc il faut les connaître pour nous connaître nous-mêmes !" Rien de plus faux et je me demande toujours pourquoi, au contraire, on ne montre pas combien ils sont différents, parce que c'est cela qui est passionnant : ils nous semblent comme nous parce qu'on nous rabâche depuis la primaire qu'ils sont nos ancêtres, mais, en réalité, ils fonctionnaient et pensaient de manière tout aussi différente de nous que les Bantous ou les Indiens d'Amazonie. Etant donné qu'on attire en général beaucoup plus facilement les gens par la différence et la curiosité, que par la ressemblance et le mimétisme, il est étonnant que cet argument-là ne soit pas utilisé.

En même temps, pas tant que cela, car, souvent, ce qui intéresse les promoteurs de l'Antiquité et, donc, ce qu'ils mettent en avant, c'est cette illusion de ressemblance. Il y a un besoin manifeste de se dire que notre monde dérive directement des Grecs et des Romains (je comprends, c'est assez rassurant) et le grand public connaît en général très peu, voire pas, les travaux, entre autres, de Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet. Il faut dire que, même sur le plan scientifique, ils sont assez minoritaires : beaucoup de chercheurs ont continué à faire des études "classiques" sur l'Antiquité et c'est vrai qu'il est assez difficile d'expliquer le Chasseur noir à des collégiens (mais une vulgarisation auprès des lycéens serait possible) : par contre, il me semble que les travaux de John Scheid sont si clairs qu'il serait tout à fait envisageable de leur montrer en quoi la religio romaine est très éloignée de ce que nous appelons "religion".

C'est là où je suis passée sur le blogroll du site de Philippe Cibois, qui m'a amenée au blog Antiquitas semper. J'étais déjà tombée dessus en faisant des recherches plus générales sur le net, c'est choupinou, les titres sont en latins, les messages commencent pas auete et χαίρετε, on y trouve des recensements des programmes télé de la semaine qui parlent de l'Antiquité (au sens vaste, parce que bon, Chateaubriand, c'est un peu limite, je trouve, même si ça peut se défendre) et il est manifestement aussi utilisé par la personne qui le tient comme moyen de communication avec ses étudiants et ses collégiens (?).

Outre le graphisme, qui est tout aussi anachronique que celui du précédent site (le jour où les antiquisants - moi comprise, mais, moi, j'essaie de faire des efforts - cesseront de faire des sites aussi attractifs qu'un article des Echos en comic sans ms, nous aurons fait un grand pas), le contenu du site m'a donné envie de me tirer une balle dans la tête : c'est quoi, être passionné par l'Antiquité ? s'enfouir dans la poussière ? regarder religieusement tous les péplums qui passent à la télé ? On est dans une démarche de conservation par un repli sur soi fataliste et non dans une dynamique : la recherche sur l'Antiquité est vivante, il s'agirait de le montrer !

Je n'ai pas encore épluché son propre blogroll à la recherche de sites intéressants (déjà vieux réflexe de recherches bibliographiques), mais ça va venir. A la place, je suis allée voir les lectures conseillées : bon, les romans d'Odile Weulersse, c'est sympa, mais c'est quand même de la littérature pour enfants et j'imagine mal un gosse surfant sur ce site, les autres sont des polars bas de gamme, Salambô n'apparaît nulle part (Salambô, bon sang !) et la catégorie "histoire" s'ouvre sur... Fustel de Coulange : ça sent bon la naphtaline.

Bref, tout ça pour dire que, s'il s'agit de conserver l'Antiquité dans du formol, au lieu de montrer combien elle peut être passionante et encore vivante, par certains aspects, aujourd'hui, il ne faut vraiment pas s'étonner qu'il y ait si peu de jeunes qui continuent le latin et/ou le grec, qui persistent à s'y intéresser ou qui soient sincèrement convaincus que cela va leur apporter quelque chose dans la vie. Même moi, si c'est présenté comme ça, tout d'un coup, j'ai pô envie...

mercredi 6 octobre 2010

L'Antiquité sur France Culture, à la "Fabrique de l'histoire"

Je prends deux minutes, en plein milieu de mes préparations de TD, pour vous signaler que, cette semaine, l'émission "La Fabrique de l'histoire", sur France Q, est consacrée à l'histoire de la culture classique !

L'émission de mardi, en particulier, est sur l'association Guillaume Budé d'Orléans ! Je dois avouer que je ne les ai pas beaucoup fréquentés : je suis allée à deux de leurs conférences (dont la dernière de Pierre Vidal-Naquet) et ce qui m'avait le plus frappée, à l'époque, c'était l'océan de têtes grises qui peuplait l'amphi - ou comment comprendre en deux minutes pourquoi ce n'était pas grave d'avoir oublié sa carte d'étudiant pour bénéficier du tarif réduit...

Evidemment, je ne suis pas d'accord avec ce qu'ils disent (le milieu intello-prout-prout d'Orléans est insupportable, même à écouter seulement et même après des années...) : ils sont bien mignons, mais s'ils ne faisaient pas leurs conférences à 18h (pour être sûrs que seuls les retraités peuvent y assister) et s'ils leur faisaient aussi plus de publicité (j'avais appris qu'ils avaient invité Vidal-Naquet totalement par hasard... Vidal-Naquet, bon sang !!!), ils n'auraient pas à se plaindre de la diminution de leur public (qui, à mon avis, s'explique aussi par le travail de la Faucheuse...) !

Par ailleurs, s'esbaubir sur les fameux Budés, certes, c'est bien et bien mérité, m'enfin, au lieu de dire fièrement « Et vous voyez, parfois, ils sont parfois même revus, pour les remettre au goût de la langue ! », il faudrait être un peu plus honnête et admettre que certains volumes ont été faits à la vitesse grand V pour damner le pion aux Allemands de Teubner, si bien qu'ils contiennent parfois des contre-sens proprement absurdes ! Le problème étant, pour citer un de mes profs de Normale, que "les Budés sont des monuments, donc on n'y touche hélas plus une fois qu'ils ont été faits", il serait plus juste de dire « Heureusement, certains volumes ont été révisés ! ». On est loin du "goût du jour" de la langue...! Mais bon, c'est sûr que c'est plus dur, ensuite, pour faire sa promo à la radio...

Par ailleurs, ils vantent leur recrutement : y a-t-il des Orléanais de moins de 65 ans perdus par ici qui ont déjà été approchés par cette association ? En six ans de lettres classiques là-bas, je n'ai jamais rien vu passer et, pourtant, ils se lamentent de ne pas avoir assez de jeunes...


(Portrait de Guillaume Budé (1459-1540) par Jean Clouet (1480-1541), Metropolitan Museum of Art, New York, USA ; source : Wikipedia Commons)


Mise à jour 07/10 : aujourd'hui, c'était sur le nouveau Capès de Lettres classiques, pour ceux qui seraient intéressés et/ou qui seraient déjà passés par .