lundi 24 octobre 2011

"Tu connais la différence entre une danseuse prise dans une compagnie et une danseuse refusée par une compagnie ?

... Aucune. Le lendemain matin, elles sont en salle, à la barre, devant le miroir, et elles s'entraînent."

La phrase ci-dessus est une citation de mémoire d'un des livres que je lisais gamine, sur une jeune danseuse qui voulait être étoile ; elle s'applique bien à la situation où je me trouve à présent.

Vous vous souvenez de mon marathon pour l'Ecole Française de Rome

La commission pour les demandes de bourses était le 11 ; ne voyant toujours rien venir, ni par mail, ni par la poste, lorsque j'ai appris qu'une de mes amies avait reçu une réponse positive vendredi dernier, j'ai commencé à subodorer quelque chose de fort désagréable. Après que j'en ai un peu parlé autour de moi, on m'a conseillé d'envoyer un mail aujourd'hui : peut-être qu'ils avaient sauté mon nom sur la liste, que la lettre s'était perdue, qu'ils attendaient les réponses de candidats ayant des impératifs pour les dates, étant donné que, sur ce point, j'étais assez flexible. J'ai donc fini par envoyer un mail et le fort désagréable s'est confirmé : ma demande n'a pas été acceptée. Mon projet n'est pas apparu assez structuré, en particulier à propos de la nécessité de me rendre sur place et dans les musées, et, pour le reste, la commission a considéré que les bibliothèques parisiennes me suffisaient largement. 

Evidemment, j'ai un peu accusé le coup, même si, depuis samedi, je me doutais bien de ce qui m'attendait. Je ne peux même pas dire qu'ils n'ont pas raison, ce ne serait pas vrai. Si mon directeur ne m'en avait pas parlé, je n'aurais, de moi-même, pas eu l'idée de présenter une demande de bourse, entre autres parce que je ne voyais pas comment je pourrais la motiver : j'avais tout ce dont j'avais besoin pour le moment à Paris et demander l'Ecole de Rome pour demander l'Ecole de Rome, même si qui ne tente rien n'a rien, me paraissait manquer un peu de sens. 

Je ne m'y suis donc mise que vers la mi-septembre, mais j'avoue que, plus je cherchais des motivations pour justifier ce séjour d'un mois, plus je trouvais que ce n'était pas une idée aussi absurde que cela : j'ai énormément à apprendre, de l'archéologie et de l'architecture, sur les modes de pensée romains, ce que j'ai sous la main à Paris ne peut compenser ce qui se trouve à Rome et mon guide archéologique de Coarelli ne m'apporte qu'une connaissance relativement livresque de la topographie de la Ville. 

Après avoir envoyé ma demande de bourse, je continuais à réfléchir et à me dire qu'il faudrait vraiment faire au moins une recherche sur les statues représentant les empereurs, pour voir si les portraits que je trouve dans les textes correspondent au "véritable" physique, à la perspective de la propagande ou à une opposition avec la manière dont un autre empereur était représenté (plus j'avance et plus je découvre des jeux d'échos, de rapprochements et d'oppositions). Je me disais aussi que, les questions d'ordre et de désordre étant particulièrement importantes dans les Histoires, il était de plus important de voir comment l'ordre était également mis en scène dans le marbre romain.

De cela j'avais un peu parlé dans ma lettre de motivation, mais de manière manifestement trop vague et pas assez claire. Ce que je retiens de la manière donc ils ont expliqué leur refus, c'est que mon projet est apparu uniquement littéraire - ce qu'il est, en un sens - et la confrontation directe avec les realia immotivée. En soi, ils n'ont pas tort : il existe des encyclopédies et des ouvrages recensant, par exemple, toutes les représentations d'empereurs, des livres tout à fait spécialisés sur l'architecture romaine, etc. Etant donné que j'habite Paris et que j'ai à disposition la BNF et l'ENS, je peux y avoir accès. Je peux aussi éventuellement redéfinir mon projet et ne pas traiter ces dimensions, même si elles sont très intéressantes, quand quelqu'un qui travaille sur l'architecture sous Trajan, lui, ne le peut pas, tout comme il ne peut pas n'avoir jamais vu de sa vie la villa d'Hadrien. De mon point de vue, moi non plus, mais en ces temps de disette, il faut choisir et, entre lui et moi, c'est bien sûr lui qui en a le plus besoin. 

Au final, je ne suis, tout compte fait, pas si abattue que ça. Ma première réaction a été "Ah les salauds ! pourquoi Bidule et pas moi ?!" ; puis j'ai essayé de prendre un peu de recul et je me suis dit qu'effectivement, il fallait que j'épluche les Annales et les Vies correspondantes, qu'après avoir fait ça j'aurais quelque chose de plus consistant pour mesurer mon besoin d'accès aux realia, que, de toute façon, ça ne remettait pas en cause mon sujet de thèse, qu'au pire je leur montrerai qu'ils avaient tort et que je pouvais faire quelque chose de tout à fait intéressant en m'appuyant sur du matériel archéologique. Ça ne m'empêchera pas de retourner à Rome, même si ce ne sera pas dans les mêmes conditions matérielles et financières (Chéri a encore un an à l'Accademia Santa Cecilia : à un séminaire par mois, ça fait autant d'occasions de squatter, surtout au second semestre, puisque je suis semestrialisée). Et, oui, je vais lire religieusement et attentivement le guide de Coarelli et des ouvrages d'architecture et des livres sur le zeitgeist du Ier/IIème siècle après J.C.

Je me retrouve donc à faire exactement ce que j'aurais fait si ma demande avait été acceptée : je bosse, en continuant sur ma lancée, peut-être même avec plus d'énergie que si j'avais reçu une réponse positive.

Je suis un âne qui a besoin, périodiquement, d'un coup de pied au cul pour réveiller son ego. Ça tombe bien, ce n'est ni le premier, ni le dernier refus que je vais essuyer dans ma vie en général et dans ma carrière en particulier.

Heel

Ça tire, ça fait mal, mais au final ça fait du bien (photo par quinn.anya ; source : FlickR)

dimanche 23 octobre 2011

De la mort des tyrans

Ces jours-ci, en voyant circuler sur le web photos et vidéos de Kadhafi mort, vivant, agonisant (rayer la mention inutile), monocentrisme oblige, je n'ai pu m'empêcher de faire le lien avec les morts des empereurs Galba et Vitellius, massacrés sur le forum à un peu moins d'un an d'intervalle, en 69 après J.C. 

Balle dans la tête et transport à l'hôpital en moins (si j'ai bien compris, mais, apparemment, il existe plusieurs versions - ce qui est également le cas pour mes oiseaux à moi), on y retrouve plus ou moins les mêmes détails horribles, ce qui m'a donné l'idée d'une sorte de contre-point antique à cet événement. Comme quoi, la mort d'un chef détesté présente toujours plus ou moins les mêmes aspects, que ce soit au Ier ou au XXIème siècle...

Dans les deux cas, pour cause de montagne de travail à abattre, je me contente de recopier la traduction de P. Wuilleumier et H. Le Bonniec, pour la CUF.


Mort de Galba (Tacite, Histoires I  39.1-41.3 et 44.2) : 

(Othon a réussi à se rallier la garde prétorienne de Rome ; Galba, après avoir beaucoup hésité, décide de se rendre sur le forum, pour voir s'il peut encore y trouver des partisans ; Pison est le jeune noble qu'il a adopté pour en faire son successeur ; Marius Celsus, Laco et Titus Vinius sont des conseillers de Galba)

Cependant, Pison, effrayé par le grondement de la révolte qui s'amplifiait et par les clameurs qui retentissaient jusque dans Rome, avait rejoint Galba, sorti sur ces entrefaites et qui approchait du Forum ; déjà Marius Celsus avait apporté des nouvelles peu réjouissantes. Les uns étaient d'avis de rentrer au palais, d'autres de gagner le Capitole, un bon nombre d'occuper les Rostres, la plupart se contentaient de contredire les autres et, comme il arrive dans les délibérations vouées au malheur, le parti qui semblait le meilleur était celui dont on avait laissé passer l'occasion. Laco envisagea, dit-on, de tuer Titus Vinius, soit pour calmer les soldats par le châtiment de ce dernier, soit qu'il le crût complice d'Othon, soit enfin par haine. On hésita, étant donné le moment et le lieu, car, le massacre une fois commencé, il eût été difficile d'y mettre un terme ; d'ailleurs, ce plan fut balayé par les nouvelles alarmantes et par la débandade de l'entourage de Galba, tandis que se refroidissait le zèle de tous ceux qui, d'abord pleins d'ardeur, avaient fait étalage de fidélité et de courage.

Galba était ballotté de-ci de-là, au gré des remous d'une foule houleuse, pendant que partout, des basiliques et des temples remplis de monde, on regardait ce lugubre spectacle. Dans le peuple et dans la populace, pas un mot, mais sur les visages la stupeur et les oreilles tendues à tous les bruits ; ce n'était ni le tumulte ni le calme, mais le silence des grandes peurs ou des grandes colères. Cependant, on annonçait à Othon que la populace s'armait ; il ordonne aux siens de courir en toute hâte et de prévenir le danger. Ainsi des soldats romains, comme s'ils allaient chasser Vologèse ou Pacorus du trône ancestral des Arsacides, et non pas égorger en toute hâte leur propre empereur, un vieillard désarmé, dispersent la populace, foulent aux pieds le Sénat et, menaçants, l'épée à la main, au galop de leurs chevaux, font irruption sur le Forum. Ni la vue du Capitole, ni la sainteté des temples qui dominent la place, ni la pensée des princes passés ou à venir ne leur firent assez peur pour les détourner d'un crime dont le vengeur est toujours le successeur de la victime.

En voyant approcher une colonne d'hommes armés, le porte-étendard de la cohorte qui accompagnait Galba - Atilius Vergilio, à ce qu'on rapporte - arracha le médaillon de Galba et le jeta par terre ; à ce signal, tous les soldats se déclarèrent pour Othon, le peuple s'enfuit, laissant le Forum désert ; on dégaina pour convaincre les hésitants. Près du bassin de Curtius, l'affolement des porteurs projeta Galba hors de sa chaise et il roula à terre. Sa dernière parole a été diversement rapportée par la haine ou l'admiration : les uns disent qu'il demanda d'une voix suppliante ce qu'il avait fait de mal et implora quelques jours pour s'acquitter de la gratification ; d'autres, plus nombreux, qu'il tendit la gorge aux assassins, en s'écriant : « Allez, frappez, si vous croyez que c'est pour le bien de l'Etat. » Les meurtriers ne se soucièrent pas de ce qu'il disait. On n'est pas d'accord sur le nom de celui qui frappa : selon certains, Terentius, un rengagé ; selon d'autres, Laecanius ; la tradition la plus répandue veut que Camurius, soldat de la quinzième légion, lui ait enfoncé son glaive dans la gorge. Les autres lui tailladèrent affreusement les jambes et les bras - la poitrine était protégée ; la plupart des coups furent portés avec une sauvage cruauté à un corps déjà décapité.

(Titus Vinius et Pison sont massacrés à leur tour)

Fixées à la pointe de piques, les têtes étaient portées parmi les enseignes des cohortes, juste à côté de l'aigle de la légion, tandis que montraient à l'envi leurs mains ensanglantées ceux qui avaient commis les meurtres, ceux qui y avaient assisté, ceux qui, à tort ou à raison, se vantaient de ce forfait comme d'un exploit magnifique et mémorable. Plus de cent vingt placets furent trouvés plus tard par Vitellius ; il en fit rechercher et exécuter tous les auteurs, non pas pour faire honneur à Galba, mais parce que c'est la politique traditionnelle des princes d'assurer ainsi leur sauvegarde dans le présent, leur vengeance pour l'avenir. 


A Magnificent and Important Roman Orichalcum Sestertius of Galba (68-69 C.E.), One of the Finest Known Sestertii of this Emperor

(sesterce de Galba ; photo prise par Ancient Art ; source : FlickR)


Mort de Vitellius (Tacite, Histoires III 84.4-85.1)

(Les partisans de Vespasien sont entrés dans Rome et ont vaincu les quelques vitelliens qui y restaient encore et avaient tenté de leur résister ; Flavius Sabinus est le frère de Vespasien, que Vitellius a laissé massacrer quelques jours auparavant)

Après la prise de Rome, Vitellius sort du palais par une porte de derrière et se fait porter en chaise sur l'Aventin, chez sa femme, avec l'intention, s'il échappait dans cette cachette aux dangers du jour, de se réfugier à Terracine, auprès des cohortes et de son frère. Puis, du fait de son instabilité, et parce que, comme il est naturel quand on a peur, craignant tout, il était surtout sensible aux alarmes présentes, il revient au palais, qui était vide et déserté, car même les derniers des esclaves s'étaient dispersés ou évitaient de le rencontrer. La solitude l'épouvante, et le silence des lieux ; il cherche à ouvrir les salles fermées et frissonne de les trouver vides ; enfin, las d'errer misérablement, il se cache dans un réduit ignoble, d'où vient l'arracher Julius Placidus, tribun d'une cohorte. Les mains liées derrière le dos, les vêtements en lambeaux, on le traînait - hideux spectacle -  sous mille invectives, sans que personne versât une larme : la laideur de cette fin avait étouffé la compassion. On rencontra un soldat de l'armée de Germanie : est-ce Vitellius qu'il voulut atteindre, en lui portant un coup dans un accès de colère, ou pour le soustraire plus vite à l'humiliation, ou bien visait-il le tribun ? personne put le dire ; il coupa une oreille au tribun et fut aussitôt percé de coups.

Quant à Vitellius, on le forçait avec la pointe des épées tantôt à lever la tête et à l'offrir aux outrages, tantôt à regarder ses statues qu'on renversait, surtout les Rostres, ou le lieu où Galba avait été tué ; enfin ils le poussèrent devant eux jusqu'aux Gémonies, où le corps de Flavius Sabinus avait été jeté. On recueillit de sa bouche une seule parole qui ne fût pas d'une âme basse : au tribun qui l'insultait, il répondit que, tout de même, il avait été son empereur ; puis il tomba sous les coups qu'on lui porta et la populace l'outrageait mort avec la même bassesse qu'elle l'avait adulé vivant.

An Excessively Rare Roman Orichalcum Sestertius of Vitellius (69 C.E.), the Finest Known of this Issue

(sesterce de Vitellius ; photo par Ancient Art ; source : FlickR)

dimanche 16 octobre 2011

"SNCF, à nous de vous faire préférer le train"

Μῆνιν ἄειδε, θεά...

Je suis furieuse. Ce soir, je devais rentrer à Paris, comme tous les dimanche soir, par le train Orléans-Paris de 20h48. A 19h30, je vérifie l'horaire sur le site internet de la Sncf : tout est en ordre.

20h40, j'arrive à la gare. J'entre dans le hall : aucun train d'annoncé pour Paris. Je m'étonne à haute voix. Une jeune fille à côté de moi me dit alors : "Vous prenez le train pour Paris ? Il a été annulé et remplacé par un car. D'ailleurs, il est en train de partir. Dépêchez-vous, parce que c'est le dernier !" Je cours au car. Le chauffeur : "Ah non ! Je suis complet, je ne prends plus personne !"

Il n'y avait AUCUNE indication à la gare.
Il n'y avait RIEN sur le site internet, alors qu'ils m'envoient des communiqués à la con pour des perturbations sur Nice-Marseille, dont je me contre-fous (je précise que j'ai été abonnée Fréquence pendant des années).
Il y avait UN CAR pour un train si bondé le dimanche soir que nous sommes souvent très nombreux à faire le trajet debout ou assis par terre. 

Je suis donc bloquée à Orléans ce soir, alors que j'ai du travail et des rendez-vous demain. Heureusement, je ne fais pas cours. Je vais donc me retrouver dans un train archi bondé demain matin, qui arrivera en retard, comme tous les trains du lundi matin, et, le temps d'aller chez moi poser mes affaires et de repartir, j'aurai perdu une bonne partie de ma matinée, même en me levant tôt. 

J'ajoute, pour les chanceux qui ont pu prendre le car qui m'a filé sous le nez, qu'un Orléans-Paris, le dimanche soir, avec les embouteillages, c'est 2h30 minimum, au lieu d'une heure annoncée par la Sncf. Ils vont donc arriver vers 23h30, au lieu de 21h50. Ce qui est toujours plus tôt que moi, je vous l'accorde. 


JHM-1966-0099 - Pithiviers, ancien autobus de Lourdes
Ceci est un train de la Sncf.
(Pithiviers, ancien autobus de Lourdes ; photo prise par jdm0284 ; source : FlickR)


Ce genre de chose est tout à fait INSUPPORTABLE. La Sncf n'est même pas capable d'être professionnelle : elle annule des trains sans prévenir, n'aiguille pas les voyageurs sur place (évidemment, personne de permanence à la gare des Aubrais un dimanche soir), ne prévoit même pas assez de cars de remplacement (ce qui serait le minimum). 

Même les chemins de fer italiens, qui sont l'incarnation, pour les transports, de la onzième plaie d'Egypte, ne font pas ça. Une telle incompétence est tout bonnement intolérable.

Quand je pense que je les ai encore défendus samedi matin !

Je peux vous dire que j'attends l'ouverture à la concurrence des TER avec une très grande hâte. Ce sera alors comme pour Ryan Air depuis qu'Easy Jet fait des Paris-Bologne : FUCK !!!

La Sncf ? A eux de nous faire préférer le train, c'est ça ?
(photo trouvée sur le blog Museum)

dimanche 2 octobre 2011

Moi et ma grande gueule...

On n'y pense jamais assez (en tout cas, moi je n'y pense jamais assez), mais il y a des endroits où il vaut mieux ne pas parler de certaines choses ou, tout du moins, où il vaut mieux être discret et/ou baisser la voix, parce qu'on ne sait jamais qui peut bien être en train de vous écouter. Exemples typiques : la cafeteria de n'importe quelle institution ou encore les bistrots environnants. Car si les murs ont des oreilles, votre voisin, tout absorbé dans son bouquin ou sa conversation, aussi et, même si vous ne le connaissez pas, lui si ou bien il se trouve être un ami/voisin/collègue de la personne dont vous êtes en train de parler. Donc careful

Je me suis déjà fait avoir une fois ou deux par ce genre de truc, à la cafeteria de l'ENS : "Tu penses voter pour qui, aux élections des représentants du département ? - Je ne sais pas, ce ne sont que des petits jeunots que je ne connais pas. J'ai entendu dire que Bidule était bien, mais je ne sais foutrement pas à quoi elle peut bien ressembler." Et c'est là qu'une petite rousse, assise une table plus loin, se retourne et me dit : "Bonjour, Bidule, c'est moi."Ah, euh, cool, ravie de faire ta connaissance. 

L'autre jour, rebelote. J'étais désespérément à la recherche d'une seconde lettre de recommandation pour ma demande de bourse d'un mois à l'Ecole Française de Rome. J'écris "désespérément", parce que je m'étais rendue compte, deux jours plus tôt, que la date-limite annoncée n'était pas celle d'envoi des dossiers, mais celle de réception, tour de passe-passe que je ne croyais possible que dans l'administration italienne et qui, manifestement, nous a contaminés aussi (ça m'apprendra à être archi-positive sur la France quand mon copain se plaint des pratiques de son pays). Après une semaine sans nouvelles, Chef avait été super bien pour mettre en place le plan d'attaque, mais m'avait laissée avec un "Non, c'est quand même mieux, une seconde lettre de recommandation". J'avais donc contacté un prof de l'ENS, dont je savais qu'il était un ancien membre de l'EFR. 

(Si j'avais eu tous ces gens pour m'aider à récupérer cette lettre de recommandation, ça aurait été plus facile...)


Sauf que, alors que d'habitude il répond très vite, cette fois, rien. Je passe le lendemain à l'ENS : il n'y était pas. J'attends : toujours rien ; par contre, je vois partir déjeuner la personne que Chef m'avait conseillée (Note pour Plus Tard : toujours suivre les conseils de Chef). Je finis par aller voir ma tutrice, pour lui demander si elle sait s'il viendra aujourd'hui et j'en profite pour lui expliquer ma situation : on est mardi, j'ai jusqu'à vendredi pour qu'ils reçoivent mon dossier, donc je suis dans la merde parce qu'il faut que j'envoie le tout à Rome au plus vite, et il me faut une autre lettre, parce que Chef pense que c'est mieux ; il m'a suggéré quelqu'un, mais dont j'ai suivi le séminaire en M1, sans qu'il soit, ensuite, à ma soutenance, et je préfèrerais quand même quelqu'un qui me connaisse un peu mieux, donc j'ai contacté quelqu'un d'autre, etc., etc. Bref, du Lina flippée dans les grandes largeurs. Et battant frénétiquement la campagne. 

C'est alors qu'elle me dit : "Mais moi, je peux vous la faire, cette lettre ! J'ai beaucoup de boulot en ce moment, mais, si vous voulez, je peux me débrouiller pour vous la rédiger cet après-midi et vous la récupèrerez dans mon casier demain matin." Là, j'ai eu le clair sentiment d'avoir fait une boulette ou, tout du moins, de n'avoir pas bien présenté les choses, parce qu'elle avait compris que, comme l'autre n'était pas là, je venais lui demander si, par hasard, elle serait assez gentille pour..., mon problème principal étant que, des années plus tôt, l'EFR a fait la boulette encore plus grande de ne pas la prendre comme membre pour des raisons qu'on peut discuter (ce qu'ils ont apparemment regretté ensuite). Manifestement, la chose était encore un peu sensible et je ne pouvais pas lui dire "A vrai dire, je préfèrerais que ce soit vous - j'en ai même parlé avec Chef -, ne serait-ce que parce que vous savez parfaitement ce que je fais, mais... ce n'est pas mieux si c'est fait par un ancien membre...?" Comprenez-moi : ma tutrice est adorable et hyper compétente et je n'ai pas la moindre envie de la blesser, de quelque façon que ce soit. D'autant qu'elle enchaînait : "Je sais que je ne suis pas membre, mais ma thèse est en passe d'être publiée chez eux, je connais Untel et Untel, bref je ne vois pas où serait le problème." J'ai donc accepté.

Je sors de là et je rejoins mes potes à la cafeteria pour déjeuner. Et là, je raconte mes histoires, en tressant des couronnes - très méritées - à Chef et à ma tutrice, sur le thème : "Bon sang, ce sont vraiment des crèmes ! ils méritent cent fois une boîte de chocolats à Noël, ces deux-là !". La conversation passe sur autre chose et, vers la fin du repas, je vois Super Tutrice sortir et me dire en rigolant : "Je vais travailler pour vous !"

(Attention, la Quête de la Lettre de Recommandation peut avoir des effets secondaires indésirables sur le thésard)


Sur le moment, je n'ai pas fait le lien (oui, je suis souvent un peu dure de la comprenette) : je l'ai remerciée avec effusion, puis je suis passé à la préoccupation suivante : me secouer pour arriver à l'heure chez le kiné (rappelez-moi pourquoi je prends des rendez-vous en milieu d'après-midi...?). C'est le lendemain matin, en allant chercher ladite lettre ("Mon Précieux..."), que j'ai trouvé un post-it dessus avec écrit "Je peux vous la faire plus fleurie..." 

Hum.

Toujours faire attention à ses débordements verbaux à la cafeteria. Toujours, toujours, toujours. J'avais oublié le règle n°2 de l'ENS (la règle n°1 étant : "Ta tutrice avec constance tu chériras" ; à moins que ce ne soit "Les soirées du COF jamais avec moins d'1,5 gramme d'alcool dans le sang tu n'iras").



Epilogue : parce qu'il faut bien conclure sur cette histoire de bourse à l'EFR, j'étais dans un état psychologique tellement lamentable que j'ai oublié d'envoyer un mail à la première personne que j'avais contactée, pour l'informer que le problème était résolu ; je suis donc rentrée le lendemain matin de mon excursion "récupération de lettre" à l'ENS, pour trouver trois mails d'elle à propos de ça + une première version, ce qui veut dire que je lui ai très indignement fait perdre son temps. Boulette encore plus grosse, que mes plus plates excuses, aussitôt envoyées, effaceront difficilement... 

Epilogue 2 : quand je suis rentrée chez moi mercredi, évidemment, le site internet de l'EFR était planté, ce qui fait que j'ai dû ruser pour récupérer adresse-mail et adresse postale (oui, parce qu'il fallait l'envoyer par mail ET par la poste) ; j'avoue : j'en ai profité pour péter les plombs. J'ai ensuite payé QUARANTE-DEUX EUROS (avec promotion) à la Poste pour que mes neuf feuilles de papier parviennent à Rome avant la fin de la semaine. Et, le lendemain, je me suis rendue compte que le site universitaire annexe où j'avais pêché l'adresse postale en donnait une erronnée (grosso modo, il fallait envoyer les choses place Farnèse et non place Navone) : j'ai donc béni Free et ses communications de fixe à fixe inclues à l'international, ainsi que la très gentille secrétaire de l'EFR, qui m'a répondu "Non, ne vous inquiétez pas, il n'y a AUCUN problème". 

Deux nervous breakdown en une semaine, je vous laisse imaginer l'état de mes neurones ensuite. Je me demande comment Chéri fait pour affronter ça très régulièrement et j'espère avoir pris un peu plus de bouteille, dans deux ans, quand il faudra envoyer les demandes d'ATER...