dimanche 23 octobre 2011

De la mort des tyrans

Ces jours-ci, en voyant circuler sur le web photos et vidéos de Kadhafi mort, vivant, agonisant (rayer la mention inutile), monocentrisme oblige, je n'ai pu m'empêcher de faire le lien avec les morts des empereurs Galba et Vitellius, massacrés sur le forum à un peu moins d'un an d'intervalle, en 69 après J.C. 

Balle dans la tête et transport à l'hôpital en moins (si j'ai bien compris, mais, apparemment, il existe plusieurs versions - ce qui est également le cas pour mes oiseaux à moi), on y retrouve plus ou moins les mêmes détails horribles, ce qui m'a donné l'idée d'une sorte de contre-point antique à cet événement. Comme quoi, la mort d'un chef détesté présente toujours plus ou moins les mêmes aspects, que ce soit au Ier ou au XXIème siècle...

Dans les deux cas, pour cause de montagne de travail à abattre, je me contente de recopier la traduction de P. Wuilleumier et H. Le Bonniec, pour la CUF.


Mort de Galba (Tacite, Histoires I  39.1-41.3 et 44.2) : 

(Othon a réussi à se rallier la garde prétorienne de Rome ; Galba, après avoir beaucoup hésité, décide de se rendre sur le forum, pour voir s'il peut encore y trouver des partisans ; Pison est le jeune noble qu'il a adopté pour en faire son successeur ; Marius Celsus, Laco et Titus Vinius sont des conseillers de Galba)

Cependant, Pison, effrayé par le grondement de la révolte qui s'amplifiait et par les clameurs qui retentissaient jusque dans Rome, avait rejoint Galba, sorti sur ces entrefaites et qui approchait du Forum ; déjà Marius Celsus avait apporté des nouvelles peu réjouissantes. Les uns étaient d'avis de rentrer au palais, d'autres de gagner le Capitole, un bon nombre d'occuper les Rostres, la plupart se contentaient de contredire les autres et, comme il arrive dans les délibérations vouées au malheur, le parti qui semblait le meilleur était celui dont on avait laissé passer l'occasion. Laco envisagea, dit-on, de tuer Titus Vinius, soit pour calmer les soldats par le châtiment de ce dernier, soit qu'il le crût complice d'Othon, soit enfin par haine. On hésita, étant donné le moment et le lieu, car, le massacre une fois commencé, il eût été difficile d'y mettre un terme ; d'ailleurs, ce plan fut balayé par les nouvelles alarmantes et par la débandade de l'entourage de Galba, tandis que se refroidissait le zèle de tous ceux qui, d'abord pleins d'ardeur, avaient fait étalage de fidélité et de courage.

Galba était ballotté de-ci de-là, au gré des remous d'une foule houleuse, pendant que partout, des basiliques et des temples remplis de monde, on regardait ce lugubre spectacle. Dans le peuple et dans la populace, pas un mot, mais sur les visages la stupeur et les oreilles tendues à tous les bruits ; ce n'était ni le tumulte ni le calme, mais le silence des grandes peurs ou des grandes colères. Cependant, on annonçait à Othon que la populace s'armait ; il ordonne aux siens de courir en toute hâte et de prévenir le danger. Ainsi des soldats romains, comme s'ils allaient chasser Vologèse ou Pacorus du trône ancestral des Arsacides, et non pas égorger en toute hâte leur propre empereur, un vieillard désarmé, dispersent la populace, foulent aux pieds le Sénat et, menaçants, l'épée à la main, au galop de leurs chevaux, font irruption sur le Forum. Ni la vue du Capitole, ni la sainteté des temples qui dominent la place, ni la pensée des princes passés ou à venir ne leur firent assez peur pour les détourner d'un crime dont le vengeur est toujours le successeur de la victime.

En voyant approcher une colonne d'hommes armés, le porte-étendard de la cohorte qui accompagnait Galba - Atilius Vergilio, à ce qu'on rapporte - arracha le médaillon de Galba et le jeta par terre ; à ce signal, tous les soldats se déclarèrent pour Othon, le peuple s'enfuit, laissant le Forum désert ; on dégaina pour convaincre les hésitants. Près du bassin de Curtius, l'affolement des porteurs projeta Galba hors de sa chaise et il roula à terre. Sa dernière parole a été diversement rapportée par la haine ou l'admiration : les uns disent qu'il demanda d'une voix suppliante ce qu'il avait fait de mal et implora quelques jours pour s'acquitter de la gratification ; d'autres, plus nombreux, qu'il tendit la gorge aux assassins, en s'écriant : « Allez, frappez, si vous croyez que c'est pour le bien de l'Etat. » Les meurtriers ne se soucièrent pas de ce qu'il disait. On n'est pas d'accord sur le nom de celui qui frappa : selon certains, Terentius, un rengagé ; selon d'autres, Laecanius ; la tradition la plus répandue veut que Camurius, soldat de la quinzième légion, lui ait enfoncé son glaive dans la gorge. Les autres lui tailladèrent affreusement les jambes et les bras - la poitrine était protégée ; la plupart des coups furent portés avec une sauvage cruauté à un corps déjà décapité.

(Titus Vinius et Pison sont massacrés à leur tour)

Fixées à la pointe de piques, les têtes étaient portées parmi les enseignes des cohortes, juste à côté de l'aigle de la légion, tandis que montraient à l'envi leurs mains ensanglantées ceux qui avaient commis les meurtres, ceux qui y avaient assisté, ceux qui, à tort ou à raison, se vantaient de ce forfait comme d'un exploit magnifique et mémorable. Plus de cent vingt placets furent trouvés plus tard par Vitellius ; il en fit rechercher et exécuter tous les auteurs, non pas pour faire honneur à Galba, mais parce que c'est la politique traditionnelle des princes d'assurer ainsi leur sauvegarde dans le présent, leur vengeance pour l'avenir. 


A Magnificent and Important Roman Orichalcum Sestertius of Galba (68-69 C.E.), One of the Finest Known Sestertii of this Emperor

(sesterce de Galba ; photo prise par Ancient Art ; source : FlickR)


Mort de Vitellius (Tacite, Histoires III 84.4-85.1)

(Les partisans de Vespasien sont entrés dans Rome et ont vaincu les quelques vitelliens qui y restaient encore et avaient tenté de leur résister ; Flavius Sabinus est le frère de Vespasien, que Vitellius a laissé massacrer quelques jours auparavant)

Après la prise de Rome, Vitellius sort du palais par une porte de derrière et se fait porter en chaise sur l'Aventin, chez sa femme, avec l'intention, s'il échappait dans cette cachette aux dangers du jour, de se réfugier à Terracine, auprès des cohortes et de son frère. Puis, du fait de son instabilité, et parce que, comme il est naturel quand on a peur, craignant tout, il était surtout sensible aux alarmes présentes, il revient au palais, qui était vide et déserté, car même les derniers des esclaves s'étaient dispersés ou évitaient de le rencontrer. La solitude l'épouvante, et le silence des lieux ; il cherche à ouvrir les salles fermées et frissonne de les trouver vides ; enfin, las d'errer misérablement, il se cache dans un réduit ignoble, d'où vient l'arracher Julius Placidus, tribun d'une cohorte. Les mains liées derrière le dos, les vêtements en lambeaux, on le traînait - hideux spectacle -  sous mille invectives, sans que personne versât une larme : la laideur de cette fin avait étouffé la compassion. On rencontra un soldat de l'armée de Germanie : est-ce Vitellius qu'il voulut atteindre, en lui portant un coup dans un accès de colère, ou pour le soustraire plus vite à l'humiliation, ou bien visait-il le tribun ? personne put le dire ; il coupa une oreille au tribun et fut aussitôt percé de coups.

Quant à Vitellius, on le forçait avec la pointe des épées tantôt à lever la tête et à l'offrir aux outrages, tantôt à regarder ses statues qu'on renversait, surtout les Rostres, ou le lieu où Galba avait été tué ; enfin ils le poussèrent devant eux jusqu'aux Gémonies, où le corps de Flavius Sabinus avait été jeté. On recueillit de sa bouche une seule parole qui ne fût pas d'une âme basse : au tribun qui l'insultait, il répondit que, tout de même, il avait été son empereur ; puis il tomba sous les coups qu'on lui porta et la populace l'outrageait mort avec la même bassesse qu'elle l'avait adulé vivant.

An Excessively Rare Roman Orichalcum Sestertius of Vitellius (69 C.E.), the Finest Known of this Issue

(sesterce de Vitellius ; photo par Ancient Art ; source : FlickR)

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