mercredi 28 octobre 2009

Mais pourquoi ai-je donc la vague impression de m'être faite avoir...?

Comment refiler un exposé à vos étudiants lorsque vous êtes prof ? C'est simple :

1. Vous commencez par faire un cours dynamique et très intéressant.

2. Vous ne parlez pas de validation pendant le premier cours, alors qu'il ne vous en reste que cinq à assurer avant que votre collègue ne prenne le relais.

3. Au deuxième cours, vous prenez tout le monde au dépourvu en faisant passer une fiche avec une liste d'exposés à faire, en annonçant qu'il est possible de s'en charger à deux.

4. Lorsque deux étudiants proposent de se charger d'un des trois sujets pour la semaine à venir, vous commencez par accepter, puis par faire remarquer que, cet exposé, pour deux personnes, c'est quand même un peu trop, et vous attendez que l'un des deux se désiste en faveur de son camarade...

5. ... puis vous lui demandez, d'un air innocent "Et donc, parmi les deux autres exposés pour la semaine prochaine, vous prenez lequel, finalement ?", avant de vous corriger immédiatement "Finalement, il n'y a pas grand chose à dire pour le n°1, je le ferai en introduction ; vous vous chargez donc du n°2...?"

Et hop ! Tous vos exposés pour la semaine qui suit sont remplis, l'affaire est dans le sac !


(Le diable mène son troupeau, Musée national du Moyen-Age, Thermes de Cluny, Paris ; photo par La case photo de Got ; source : FlickR)


Comment vous faire refiler un exposé à l'insu de votre plein gré lorsque vous êtes étudiant ? C'est simple :

1. Commencez par vous mettre la tête dans le sable en refusant de demander dès le début au prof comment il compte valider son cours.

2. Lorsque, au deuxième cours, il vous prend par surprise en distribuant un fiche de sujets d'exposés, ne retenez que la partie "Comme vous êtes nombreux, vous pouvez les faire à deux."

3. Après avoir entendu votre voisin grommeler "Tiens, le n°3 pour la semaine prochaine me plairait bien", n°3 qui est précisément celui qui vous tenterait le plus, proposez-lui de le faire ensemble, avec l'argument massue "Comme on est deux, même si c'est pour la semaine prochaine, ça ira."

4. Lorsque vous vous déclarez officiellement prêts à le faire et que le prof trouve que ce n'est quand même pas assez pour deux, laissez le n°3 à votre camarade, en déclarant que ce sera plus faisable pour lui de se charger de celui-là, puisqu'il correspond plus à sa formation.

5. Restez sans voix lorsque le prof vous demande lequel des deux autres vous ferez pour la semaine prochaine et ajoute, précisément au moment où vous alliez répondre, en vous rabattant sur le n°1, "Je ferais bien le num..." : "Finalement, il n'y a pas grand chose à dire pour le n°1, je le ferai en introduction : vous vous chargez donc du n°2...?"

Vous vous trouvez donc avec un exposé sur le monde grec alors que vous êtes latiniste (mais étant donné que c'est la partie grecque du séminaire, c'était inévitable) et sur de la sculpture alors que vous êtes littéraires et non archéologue ou historienne de l'art.


(Fontaine de la place Saint-Michel à Paris ; photo par Francis Bourgouin ; source : FlickR)


Moralité de cette histoire : je suis une cruche qui n'a rien vu venir, mais bon, une fois que c'est fait, c'est plus à faire...

dimanche 25 octobre 2009

Life's a bitch

En vérité, je vous le dis, mes capacités en langue ont beau être relativement bonnes, il ne faut quand même pas pousser mémé dans les orties et il y a des auteurs qui, vraiment, abusent.

Je lis et parle quatre langues (sans compter le latin et le grec, mon début de breton, ma très vague compréhension du patois languedocien par parallèles interposés avec les autres langues romanes et mes quatre ou cinq formules de base en malgache). QUATRE langues. Bientôt cinq, même, puisque, cette année, je me suis vraiment secouée pour apprendre l'allemand.

Il faut dire que je n'avais pas tellement le choix : en lettres classiques, les divers livres et articles ne sont pas, comme en sciences, tous écrits ou traduits en anglais ; ils sont tous (ou presque) dans la langue d'origine du chercheur qui les a écrits : s'il est allemand, c'est en allemand ; s'il est italien, c'est en italien, etc. Du coup, certaines revues et encyclopédies sont composées d'articles dans les cinq principales langues d'Europe de l'Ouest : l'allemand, l'anglais, le français, l'espagnol et l'italien.

Donc, si vous voulez faire des lettres classiques, mieux vaut être bon en langues : d'un autre côté, si vous faites du latin et du grec, ce sera relativement facile pour vous d'en apprendre de plus en plus ; tant qu'on reste dans l'indo-européen, les structures sont plus ou moins les mêmes, il suffit juste d'avoir un peu d'expérience pour les retrouver et ensuite ça roule.

Mais dans cette Babel universitaire, il y avait quand même UN critère qui simplifiait (relativement au reste) la vie : les Tchèques n'écrivaient pas en tchèque, mais en allemand, les Roumains pas en roumain, mais en français (cocorico).

Or, moi qui viens déjà de faire un Effort Phénoménal en empruntant un fascicule d'une centaine de pages que je croyais tout en allemand (et que je mettrai donc au moins trois mois à lire in extenso si je décide de le faire), je me suis rendue compte en l'ouvrant pour le parcourir que, dans le tout dernier chapitre, l'auteur a brusquement décidé de retrouver sa langue d'origine qui est... le tchèque.

Oui ! vous avez bien lu ! le tchèque ! Et dans son tout dernier chapitre, en plus ! celui où elle tire normalement les conclusions de son travail ! Moi aussi, comme vous, je suis absolument indignée. Pour une fois que je faisais un effort en plus ! C'est à vous dégoûter d'être de bonne volonté !

Résultat des courses : je ne comprends que les deux premiers mots, qui doivent être quelque chose comme "Les biographies de Suétone..."

Alors je vais vous le dire tout de go : je refuse d'apprendre une sixième langue ! Ou, tout du moins, de faire tchèque pour sixième langue ! Si je devais en choisir une, ce serait l'arabe, le kinyarwanda ou le bantou, mais pas le tchèque !

Non mais !

vendredi 23 octobre 2009

My heroes !!!

Les sciences "auxiliaires" : suite. Aujourd'hui, au menu, l'épigraphie.

L'épigraphie, c'est la science qui lit et étudie les inscriptions. "Epi-grafeïn" (ἐπιγράφειν pour ceux qui lisent le grec) signifie exactement la même chose qu' "in-scribere" en latin : écrire sur.

Ces gars sont des superhéros. J'aperçois d'ores et déjà votre regard sceptique : si, si, c'est vrai, ce sont des superhéros.

Les épigraphistes, ce sont les gars qui, avec trois lettres et une pierre dans un (très) sale état, vous reconstituent une inscription de vingt lignes qui non seulement éclaire l'histoire du lieu où elle a été retrouvée, mais en profite aussi pour remettre en cause toute l'avancée de la science actuelle. Si un tel tour de force ne ressemble pas à Indiana Jones maniant son fouet tout en recoiffant sa blonde partenaire, je ne sais pas ce qu'il vous faut ! Bon, évidemment, les gens déjà un peu informés rétorqueront que toutes ces inscriptions reposent en grande partie sur des formules toutes faites, dont il suffit d'avoir un bout pour la connaître en entier, mais quand même : j'avouerai même que je suis d'autant plus impressionnée que je crois que je ne pourrais pas passer ma vie à faire ça.

Le problème de l'épigraphie latine, contrairement à la paléographie latine, ce n'est pas la lecture (là, pour le coup, c'est lisible, puisque c'est fait pour), ce sont les abréviations. Parce que la pierre, chers amis, ça coûte cher, alors, tant qu'à faire, autant en profiter pour y caser le plus de choses possibles dans le moins de place.

Autre explication : il existe des règles pour faire les choses et, les Romains étant particulièrement respectueux des coutumes établies, pour eux, les choses doivent être faites comme elles doivent être faites. Cela inclut les inscriptions, d'où les formulaires et les abréviations, puisque tout le monde connaissait les formules : pas besoin de les écrire en entier.

Je vous donne un exemple avec cette stèle :

(Tiberius Claudius Dolentus, photo par diffendale ; source : FlickR)


Sur cette inscription, on lit très bien : "D. M / TI. CLAUDI / DOLENTI / MIL. CL. PRAE. / MIS. NAT. BES / V. A. XLV. MIL. / AN. XXV. H. B. / M F".

Evidemment, là, comme ça, on ne comprend pas grand chose, si ce n'est qu'il y a des nombres et un certain Claudius dans l'affaire. C'est là que les épigraphistes entrent en scène ("Tadaaaaaaaa !!!").

"D. M", c'est une abréviation pour "D(is) M(anibus)", i.e. "Aux dieux Mânes". Les dieux Mânes, ce sont les âmes des morts, qu'il convient d'honorer avec des offrandes pour ne pas se les mettre à dos. On sait donc que cette stèle est une pierre tombale.

Donc, si c'est une pierre tombale, logiquement, il devrait y avoir le nom de la personne qui est enterrée en dessous, vous dites-vous. Et vous avez parfaitement raison, car c'est précisément ce qui est inscrit ensuite : "TI. CLAUDI. DOLENTI" signifie "de Tiberius Claudius Dolentus".

C'est là que l'inscription devient vraiment intéressante (hormis qu'on apprend l'existence d'un homme qu'on ignorerait totalement autrement ; c'est assez fascinant de voir tout d'un coup sortir de l'ombre un gars plus ou moins comme vous et moi, mais qui est né, a vécu et est mort pendant l'Antiquité). Les Romains, en effet, contrairement à nous, ne se contentent pas de mettre le nom du mort sur sa tombe : ils racontent souvent aussi ce qu'il a fait pendant sa vie, ce qui nous donne accès à une foule d'informations historiques que nous ne retrouvons nulle part ailleurs. Dans le cas de mon Historien de l'Année, Suétone, par exemple, c'est seulement grâce à une inscription trouvée à Hippone en 1951, en Afrique du Nord, qu'on a réussi à reconstituer avec une quasi certitude sa carrière impériale sous Trajan, puis Hadrien ; avant, les chercheurs étaient dans un joli flou artistique...

Pour revenir à notre ami Tiberius Claudius Dolentus, on sait qu'il était soldat dans la flotte prétorienne stationnée à Misène ( M(iles) Cl(assis) Prae(torianae) Mis(enensis) ; Rome avait deux flottes, l'une stationnée à Misène, en Campanie, l'autre à Ravenne ; pour info, la flotte de Misène, c'est celle que commandait Pline l'Ancien lors de l'éruption du Vésuve en 79 : il l'a envoyée porter secours aux habitants de Pompéi et a lui-même trouvé la mort dans l'affaire).

Il était aussi originaire de la nation besse ( N(atione) Bes(sus) ), un peuple de Thrace, i.e. du Nord-Est de la Grèce. Or le nom qu'il porte est tout à fait romain car il comporte les trois éléments praenomen (Tiberius), gentilice (Claudius) et cognomen (Dolentus) : on peut donc en déduire qu'il a reçu la nationalité romaine et a adopté, selon la coutume, le nom de celui qui la lui a accordée, au point de faire disparaître son nom "barbare" (que, souvent, les nouveaux citoyens conservent comme cognomen).

Il a vécu 45 ans (V(ixit) A(nnis) XLV), dont 25 de service (Mil(itauit) An(nis) XXV), ce qui impose le respect vu les conditions de vie dans l'armée romaine.

La suite est à nouveau du formulaire et indique que son héritier a élevé cette stèle en son honneur parce qu'il l'avait bien mérité (H(eres) B(ene) M(erenti) F(ecit) ).

Toutes ces informations, étudiées, comparées, mises en série, permettent de mieux connaître le monde antique et, surtout, avec l'archéologie, de plus ou moins vérifier ce que racontent les historiens antiques, car ceux-ci n'avaient pas du tout la même conception de l'histoire que nous, en particulier pas la même conception de la vérité historique.

Mais ça, c'est mon domaine et ce sera pour un prochain message... :p

samedi 17 octobre 2009

Houston ? J'crois qu'on a un p'tit problème...

Ça ressemble à quoi, une matinée de merde qui annonce un week-end également de merde ?

"Oh, la vache, qu'est-ce que j'ai la tête dans le brouillard ! Et en plus, j'ai même pas bu hier soir... Mais j'aurais bien dormi plus... Enfin, ce séminaire vaut le coup de se lever et puis ce n'est qu'un samedi par mois..."

"Grrrrmmmmmffffff" (grognement sous douche chaude). "Hhhhmmmmmm" (petit dèj' en vitesse). "Et merde, je suis en retard !" Départ en catastrophe, avec la vaisselle du petit dèj' restant sale, en rade, sur mon bureau.

Course pour prendre le bus. Course en direction d'Ulm. Arrivée pile à l'heure devant mon département. Personne. Portes fermées. Même sentiment que quelque chose ne tourne pas rond que lors de ma première visite à la BNF. Un copain arrive au bout du couloir. "C'est toujours fermé ? - Oui, pourquoi ? Tu es arrivé avant moi ? - Il y a dix minutes à peu près. - C'est bizarre, on n'est que deux. Il devrait y avoir plus de monde et la prof d'histoire qui organise ça est à l'heure, normalement. - On n'a qu'à aller à la loge leur demander s'il n'y a pas eu un changement de salle de dernière minute. - C'est quand même bizarre, je n'ai vu passer aucun mail annonçant un changement de programme... En plus j'ai croisé hier l'autre prof qui organise ça et elle ne m'a rien dit."

Direction la loge. Au passage, rencontre avec une dame : "Excusez-moi, la salle des Actes ? - Vous prenez cet escalier et c'est au premier étage, tout de suite à droite. - Merci."

Arrivée à la loge. Le gardien de service : "Ah, je suis désolé, j'ai trois colloques ce matin, mais rien sur votre séminaire. Je crois qu'il y a quelque chose au 46, vous devriez aller voir."

En sortant dans la rue. "Excusez-moi, la salle des Actes...? - (en choeur) Escalier de droite, premier étage."

Traversée de la rue pour aller voir au 46 rue d'Ulm. Salle de conférence bourrée de jeunes ; sur le tableau, écrit à la craie, "Journée de formation TALENT". "Euh... soit les études serviennes ont vachement rajeuni pendant la nuit, soit c'est pas notre salle. - Deuxième solution."

En désespoir de cause, petit tour au département d'histoire. Et là, joli pannonceau : "Le séminaire sur Servius commencera le 10 octobre." "C'était pas la semaine dernière, ça ? - Si." Consternation. Et cette petite phrase qui ne cesse de résonner dans ma tête : "T'aurais pu dormir ! T'aurais pu dormir ! T'aurais pu..."

En redescendant dans le hall : "Excusez-moi, la salle des Résistants ? - (ton fatigué) Escalier de droite, premier étage, le couloir en face de vous, c'est la porte au fond à droite..."

C'est cool de se lever le samedi matin uniquement pour faire les hôtesses d'accueil à Ulm...

Je vous passe les détails sur le RER qui a été annulé juste au moment où il était censé arriver à Luxembourg et le tram qui s'est barré sous notre nez lorsqu'on est sortis à Cité universitaire...

Je vais bien, tout va bien...

mardi 13 octobre 2009

Go back to school, young girl, and learn to read...!

Ce soir, j'ai eu mon premier cours de paléographie, ce qui m'a fait penser que je vous devais une note sur l'édition des textes antiques (et pas seulement).

La paléographie est ce qu'on appelle parfois une science "auxiliaire" : c'est elle qui permet de lire les manuscrits. Eh oui ! ça s'apprend ! Que vous soyez latiniste ou non, essayez de lire quelques mots de cette page de l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours...!

(Grégoire de Tours, Historia Francorum. Fol. 79v. Initiale ornée "A". Manuscrit : parchemin. 10 volumes. Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits (division occidentale). Latin 17655. ; source : Wikipedia)


Vous n'arrivez pas à déchiffrer un mot ? Bienvenue au club, moi non plus ! J'ai pourtant eu un semestre de papyrologie (lecture sur papyrus) grecque en L3 à la Sorbonne (mais je dois avouer que la seule fois où j'ai cru lire parfaitement du grec, i.e. à la toute dernière séance avant le partiel, le passage en question était écrit... en latin) et, pour une fois, le copiste a été sympa : il a mis des espaces entre les mots (ce qui n'est pas toujours le cas).

La paléographie, c'est donc ça : la spécialité qui consiste à lire les manuscrits. J'en profite pour préciser que les manuscrits sont faits de pages en fine peau d'animal (lorsque l'animal en question est un veau, on appelle cela du velin), assemblées en cahiers et reliées. C'était donc avant que le papier nous parvienne de Chine et, avant que les Anciens mettent au point la technique des manuscrits, ils écrivaient sur des rouleaux de papyrus, ce qui ne facilitait point la lecture (cf. image ci-dessous)...

(Linos (inscription, à gauche) tenant un rouleau de papyrus et Mousaios (inscription, à droite) tient des tablettes de cire pour écrire. Médaillon d'une coupe attique à figures rouges, par un peintre d'Erétrie, 440-435 av. J.-C., département des Antiquités gréco-romaines du musée du Louvre ; source : Wikipedia)

"Mais à quoi donc peut bien servir d'apprendre à lire des manuscrits ?! Encore un truc qui ne sert à rien !" me dira Not' Président (et peut-être son fils, puisqu'il est partout).

Oui, sauf que : je me doute bien que tu n'as jamais ouvert un Virgile ou un Cicéron de ta vie, voire même pas un Platon, mon p'tit Nico (je me permets de te tutoyer, hein ! J'estime que quand on dit devant elles, à une assemblée de personnes, qu'elles sont nulles et qu'on se permet donc de leur cracher à la figure, cela crée une certaine "intimité"). Mais imaginons que cela te soit déjà arrivé (demande à ta femme, ce sont des choses qui arrivent) : comment c'est-y que ton texte, il a traversé les siècles, depuis le tout premier de notre ère, pour terminer entre tes mains ? Tu y as pensé, à ça ? Non, bien sûr.

Il y a pourtant tant de choses qui ont fait que de nombreux chefs d'oeuvre de l'Antiquité nous sont, quand on a du pot, connus seulement de nom, sans qu'on puisse savoir ce qu'ils racontaient exactement ! Pour vous donner une idée, tout ce qui nous est parvenu de la littérature antique jusqu'à saint Augustin (IVème siècle après) correspond précisément à l'oeuvre de ce même Augustin. Parmi les diverses causes qui ont fait que certaines oeuvres ne nous sont pas parvenues ou ne nous sont pas parvenues entières (sur les 142 livres de l'Histoire romaine de Tite-Live, historien du début du Ier siècle après, qui a écrit en partant de la fondation de Rome jusqu'à, sans doute, la fin du règne d'Auguste, il ne nous en reste plus que... 35), on peut compter, en vrac : les guerres, les incendies, les anathèmes des papes, les souris, un toit qui fuit, j'en passe et des meilleures.

(Aristote, début de la Physique. Manuscrit médiéval en latin, texte grec original ajouté dans les marges. Bibliotheca Apostolica Vaticana ; source : Wikipedia)

Or, dans l'Antiquité et au Moyen Age, la transmission et la diffusion des textes se faisaient en recopiant chaque manuscrit à la main, principalement dans les monastères. Le problème, c'est que de tels travaux comportaient nécessairement des erreurs, que le scribe ait été fatigué ou qu'il ait sciemment voulu corriger le texte. Pour parvenir à une édition qui soit aussi proche que possible de l'original antique (j'écris "aussi proche que possible", parce que les manuscrits les plus anciens que nous ayons datent du IVème siècle après, ce qui est très postérieur au IVème siècle avant de Platon, par exemple), il faut donc lire tous les manuscrits d'une oeuvre et commencer par les comparer les uns avec les autres, pour voir lequel a été copié sur lequel, etc.

Pour ce faire, on compare les erreurs, parce que c'est précisément ce qu'ajoute chaque scribe en recopiant, sa "touche personnelle" si vous voulez. Donc, par exemple, si on part d'un manuscrit A mettons avec une erreur α : deux moines différents le recopient, ce qui donne deux nouveaux manuscrits, B et C, qui ont tous les deux l'erreur α, qui a été recopiée, + de nouvelles erreurs, différentes celles-là, qui ont été ajoutées par chaque copiste. En comparant les erreurs des manuscrits B et C, on voit qu'elles ne sont pas toutes les mêmes, donc C n'a pas été copié à partir de B, ni B à partir de C, mais comme certaines sont quand même pareil, cela veut dire qu'ils ont tous les deux été copiés à partir du même manuscrit. A la fin, on parvient à une sorte d'arbre généalogique, auquel on donne le nom grec de "stemma" (parce qu'on a quand même le droit de se la péter un peu). Tout ça, c'est le boulot des philologues.

Cette phase-là, c'est l'établissement du texte et ce n'est qu'une fois qu'on l'a passée qu'on peut se lancer dans la traduction. Evidemment, lorsque vous achetez en librairie une oeuvre de l'Antiquité, tout ce travail-là ne se voit pas, si ce n'est qu'il est parfois indiqué "texte établi et traduit par...". Mais, dans les éditions scientifiques, sous le texte original sont indiquées toutes les variantes trouvées pour telle ou telle expression, voire tel ou tel mot : on appelle ça l'apparat critique. Parfois, ça ne change pas grand chose, surtout quand il est manifeste que telle version de tel manuscrit est en fait une erreur de lecture du copiste (pour reprendre un exemple que j'ai vu aujourd'hui, c'est très vite fait d'écrire "neGati sunt", "ils furent niés", à la place de "neCati sunt", "ils furent tués", surtout quand le texte original était écrit en majuscules : C et G, ce n'est pas si différent que ça quand l'attention se relâche pour une raison ou pour une autre), mais parfois, ça change tout (cf. toujours l'exemple que je viens de donner).

Alors, évidemment, on peut considérer que la papyrologie, la paléographie et la philologie sont des sciences "auxiliaires". Il n'empêche que, sans elles, les sciences non "auxiliaires" que sont, entre autres, la recherche en littérature, l'histoire et la philo, seraient bien emmerdées avec leurs textes pas sûrs du tout.

Il ne me reste donc plus qu'à vous donner un dernier exemple photo d'à quoi on peut être confronté quand on fait de la paléographie (ou de la papyrologie) :

(Le roi Childebert III rend un jugement qui accorde à l'abbaye de Saint-Denis la terre de Hodenc-l'Evêque dans l'Oise. Dates 23-12-0695 ; 23-12-0695. Document en latin. Parchemin de taille environ 26 x 48 cm ; source : Wikipedia)
Maintenant, j'espère que tous ceux qui écrivent comme des cochons se rendent compte de la merde qu'ils laissent aux générations futures qui devront déchiffrer leur prose...!

lundi 12 octobre 2009

Soyez multilingues, qu'y disaient...!

"Hmm, alors nous allons kommencer par un peu de Praatik, ja ? Parce ke la Praatik c'est toujours ce k'il y a de plus valorisant, ja ? Aloooorsss...? Wer fangt an ? Du ? Aurélien ? Wie geht es dir ?
- Euh... Es geht gut, danke.
- Ja, wunderschön !!! Et maintenant tu peux poser la Kestion à kelk'un d'autre de la Klassee, ja ?
- Euh... Wie geht es dir... Sarah ?
- Es geht gut, danke.
- A Ton Tour, Sarah !
- Wie geht es dir... Lyo ?
- Es geht... mittel...
- Ah, ja ! Das ist interessant !!! J'enchaîne, hein, ja ? Warum geht es mittel, Lyo ?
- Euh... Comment on dit "fatigué", madame ?
- Wunderbar ! Fatigué se dit "müde".
- Ik bin müde, alors.
- Ichhhhhhhh bin müde.
- Ikkkkkkkk bin müde.
- Oui, bon, ja, gut... On va maintenant ékouter la kassette, ja ? On ékoute et vous répétez ensuite tous ensemblee.
- (cassette) Hallo Klaus !!!
- (assemblée ) Allo claousss...
- Julia ! Was für ein Vergnügen !!!!
- Ioulia, vas fur eïn vergnuuugnnnn
- Ich bin sehr froh !!!
- Ic'hhh bine zer frou..."


Nom de Dieu... Je vais avoir vingt-cinq ans en février prochain, je sors de l'agrèg', selon toute vraisemblance je serai amenée à donner des cours l'an prochain et je me retrouve transportée en sixième, avec des dialogues débiles à répéter et des devoirs à faire d'une semaine sur l'autre ( "Vous n'oubliez pas de me faire les exercices 1 à 25 pour lundi prochain, ja ?" )...! En plus, j'ai déjà bien avancé avec l'Assimil', moi !

Ma seule consolation : ce cours-ci, par rapport à celui que j'ai suivi il y a un an (et que j'ai férocement séché au bout de trois mois ; j'ai été saisie par l'Absurdité de mon Existence quand la prof nous a donné à apprendre par coeur les noms des rayons dans les supermarchés : à l'évidence, ce n'était pas cette année-là que j'arriverais à lire ces ###§§§§!!!!!! d'articles en allemand ), est beaucoup mieux...!

dimanche 11 octobre 2009

Bayrou et l'Empire romain : gnnnééééé...?????

Décidément, on dirait que les dimanche matin réveillent les Instincts les plus Profondément Débiles sur la scène publique. Après les p'tits Gris et leur uae Ouidio, l'ami Bayrou, agrégé de lettres classiques de son état, décide de faire entendre sa Voix. J'ai pêché ça dans le Monde daté d'hier, mais comme je le lis sur internet ( je sais, c'est Mal ), je n'avais pas vu cet article ; bien sûr, c'est son titre qui a attiré mon attention : "François Bayrou : "Cela rappelle l'Empire romain" ".

Et là, ami lecteur, je suppose que tu viens d'avoir la même pensée que moi : "Nomdidjiou ! ( exclamation très adaptée en ce Jour du Seigneur ) qu'est-ce que c'est que cette histoire ?!"

Eh bien tu vas être très déçu, parce qu'il s'agit seulement d'une toute petite remarque en fin de paragraphe, très habilement mise en exergue, il faut le reconnaître, pour attirer les gens comme moi ( i.e. les demi-schtarb' qui passent leur temps en bibliothèque et ont parfois un peu de mal à en sortir, cf. mon post précédent ). Je vais donc me faire un plaisir de citer le paragraphe en entier : c'est dimanche, on a le temps ( sauf si vous allez à la messe, mais à ce moment-là, vous devriez sans doute être déjà en route et non traîner par ici : los, retardataires ! ). M. Bayrou vient de nous dresser un tableau apocalyptique de la France ( où ce qu'il dit n'est pas tout à fait faux, hélàs ) pour nous expliquer que c'est précisément à cela que va remédier sa propre politique d'ouverture ( c'est le moment d'être ironiquement méchante : ah bon, M. Bayrou a les moyens de faire de l'ouverture ? Ce ne sont pas plutôt les autres qui s'ouvrent à lui ? ). C'est alors que le "quotidien de référence" lui pose cette question que je ne commenterai pas : "Pourquoi un tel catastrophisme ?" Ecce la réponse :

"Voyez ce qui vient de se passer en quelques jours. Dans la même semaine, le gouvernement propose de subventionner les élèves pour qu'ils viennent en classe. Il livre le pactole du marché des jeux sur Internet à des intérêts privés, bookmakers et autres, au mépris des principes que la France respectait depuis 150 ans : le jeu, parce qu'il est dangereux, est organisé par l'Etat. Il annonce que le déficit de l'Etat atteint 50 % de la dépense publique ! Et le fils du président de la République se voit installé (à 23 ans et sans aucune compétence particulière) à la tête de l'établissement public d'aménagement du quartier de La Défense, un des intervenants les plus puissants dans l'aménagement au niveau européen. Tous les piliers solides sur lesquels notre pays s'était construit, en termes de principes, de décence, de raison, chancellent et s'effritent. Cela rappelle l'Empire romain."


Donc, si je résume bien, on retrouve ici l'habituel cliché sur la fin de l'Empire romain ( oui, parce que "cela rappelle l'Empire romain", ça englobe toute la période impériale ; or ce n'est manifestement pas ce que Bayrou a en tête ) et on y retrouve, pèle-mêle, des histoires de jeux qu'on ne voit pas très bien ce que ça vient foutre là, les déficits gigantesques, le népotisme, la décadence des moeurs. Bien sûr, il n'a pas explicitement mis tout cela en relation avec le Bas Empire, mais c'est sous-entendu par le mouvement de la phrase, il suffit de partir à rebours : "cela" renvoie à ce qui précède ( quand "ceci" annonce ce qui vient ; même différence entre "voilà" et "voici" ), donc la dernière phrase est un bilan ou un résumé, comme on veut, de ce qu'il vient de dire. Maintenant, si on prend la phrase d'avant, sa relative brièveté, par rapport à la longue énumération qui la précède, invite à la considérer, elle aussi, comme une sorte de résumé des épisodes précédents, d'autant qu'elle commence par "tous" et finit plus ou moins en glose de ce qui vient avant ; si on reconstitue le lien logique entre les deux phrases ( qui n'est pas explicitement exprimé : ça s'appelle l'asyndète ; le français fait ça tout le temps ), on peut mettre "c'est ainsi que..." ou "de sorte que...". On arrive donc à la conclusion que si C = B et que B = A, alors C = A ( maths très primitives, je le reconnais, mais j'ai arrêté d'en faire en 2nde, donc il y a un bon moment maintenant - la 1ère L ne compte pas, on nous apprenait à calculer les remises pendant les soldes ).

C'est le moment de pousser tous ensemble le cri de joie : Lettres Power !!!!!!

Mais bon, ce n'est pas tout ça, mais il nous reste encore à nous pencher sur le détail de ce qui est dit. Je m'empresse de préciser que je suis tout sauf une spécialiste de l'Antiquité tardive ( parce que "Bas Empire", c'est quand même un peu péjoratif, comme expression, et, depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, comme vous allez le voir ).

Bon, alors, prenons-les dans l'ordre : les déficits. Hum. Il parle de quel moment de l'Empire ? Et de quelle partie ? Parce que la partie orientale a été longtemps très florissante, la preuve, c'est que ça a donné l'empire byzantin ( matez les fresques de San Vitale à Ravenne ; j'en suis restée totalement bouche bée ).

( L'impératrice Théodora, Basilica San Vitale di Ravenna ; photo par mararie ; source : FlickR )


Pour le reste, c'est vrai que lutter contre les invasions barbares coûtait beaucoup d'argent, mais, dans l'Antiquité, contrairement à nos jours, quand y a plus d'sous, y a plus d'sous, donc on augmente les impôts ( ce qui, comme de nos jours, ne fait pas très plaisir au "contribuable" ; la différence, c'est que les empereurs n'avaient pas besoin de promettre des baisses tout en sachant qu'ils seraient incapables de tenir leurs promesses : ils n'étaient pas élus ).


( Jésus, entouré d'anges, de San Vitale à gauche et de l'archevêque Ecclesius à droite, Basilica San Vitale di Ravenna ; photo par mararie ; source : FlickR )

Le népotisme, maintenant. Il faut savoir que la Rome antique a toujours fonctionné sur le système de clientélisme : vous avez un patron, qui vous nourrit plus ou moins, vous donne du boulot, vous demande de lui rendre service, notamment lors des votes ( qui a dit "mafia" ? non, ce n'est pas tout à fait pareil : le but n'était pas criminel, c'est juste un type d'organisation sociale ) ; au début de l'Empire, l'empereur est devenu le patron de tout le monde et, pour essayer de ne pas transmettre le pouvoir à quelqu'un qui ignorerait totalement le fonctionnement de l'Empire, on le nommait à des postes prestigieux ( est-ce que l'EPAD est prestigieux ? vaste question, à laquelle chacun a sa propre réponse ), c'est vrai ; ceci dit, il n'était pas tout seul et, en règle générale, il faisait ses preuves avant ( c'est ainsi que Tibère, le beau-fils et successeur d'Auguste, s'est tapé un certain nombre d'ambassades et de campagnes militaires quand il a été à peu près certain que ce serait lui qui hériterait du pouvoir ).


( Moïse et le buisson ardent, Basilica San Vitale di Ravenna ; photo par mararie ; source : FlickR )


Je groupe les jeux et la décadence morale, parce que ça revient plus ou moins au même, étant donné que le jugement négatif porté sur les premiers provient d'un point de vue chrétien ( lisez Tertullien ! Ceci dit, en dehors de toute optique religieuse, c'est la même question que la corrida : on aime ou on n'aime pas ; personnellement, voir des gladiateurs s'entre-tuer m'aurait plutôt dégoûtée, mais de là à considérer cela comme de la décadence, sachant que ça a toujours existé, c'est un peu abusif ; parfois, pour essayer d'être intelligent, il faut suspendre son jugement ; je vous rappelle que, contrairement à BHL, vous n'êtes pas obligé d'avoir un avis sur tout ; c'est précisément mon cas en matière de corrida ). Là dessus, je suis désolée, mais il faut bien avouer que M. Bayrou retarde : cela fait bien longtemps qu'on ne parle plus de "décadence romaine", comme on ne qualifie plus le Moyen-Age de "siècles obscurs" ; tout cela provient d'une approche téléologique ( i.e. qui vise à expliquer tout ce qui s'est passé comme devant nécessairement aboutir à telle fin ; c'est comme si je vous disais que tout le second mandat de Jacques Chirac s'est combiné de manière à aboutir à l'élection de Nicolas Sarkozy ). On est revenu sur beaucoup de choses ( cf. la question des finances, mais aussi les moeurs ), alors oubliez le tableau conventionnel des orgies romaines de la fin de l'Empire : c'est très chouette dans les péplums hollywoodiens, mais, historiquement, ça ne tient pas beaucoup la route...


( Mosaïque byzantine, Basilica San Vitale di Ravenna ; photo par mararie ; source : FlickR)


Tout ça pour dire que, non, la France d'aujourd'hui, ce n'est pas le Bas Empire romain.

On a beau être agrégé de lettres classiques, ça n'empêche pas de dire des conneries : je suis bien placée pour le savoir. Mais qu'est-ce qu'on en ferait pas pour exister sur la scène médiatique...!

samedi 10 octobre 2009

A la Recherche de la Biblio perdue 3 : Angoisse à la BNF...

C'est donc le moment de parler de ma toute première visite à la Bibliothèque nationale de France. Je ne travaille ni sur les manuscrits ( philologie ), ni sur les monnaies ( numismatie ), je ne connais donc pas le Bâtiment Historique du site Richelieu. Par contre, j'ai appris à connaître le site de Tolbiac, celui qui a été construit sur l'initiative de François Mitterrand ( d'où la station de métro "Bibliothèque François Mitterrand" ), en bord de Seine.


( Bibliothèque Nationale, Paris, France. Photo de Riggwelter, août 2006 ; source : Wikitravel )


Vous vous en doutez bien, on n'entre pas à la BNF comme dans un moulin, en particulier dans les salles de lecture, réservées aux chercheurs, du "rez de jardin". Pour cela, il vous faut une lettre d'introduction de votre directeur, assurant que vous êtes quelqu'un de très sérieux et que, si vous demandez à pénêtrer dans le Saint des Saints, on peut vous faire confiance.

Une fois muni de votre fameux Billet, il vous faut surtout pouvoir justifier qu'il n'y a qu'à la BNF que vous pouvez avoir accès au document dont vous avez besoin. Et, méfiez-vous, ils vérifient : lorsque vous arrivez, on vous prend entre quat' z'yeux dans un bureau, où l'on vous pose des tas de questions sur votre parcours et où, surtout, on file sur les bases de données informatisées des autres bibliothèques pour vérifier que, ah, oui, effectivement, il n'y a que chez eux qu'il est, ce truc. Après quoi, on vous fiche et vous avez le droit de payer et d'aller faire votre carte.

Vous êtes alors fin prêt à vous enfoncer dans les Entrailles du Monstre. On vous demandera tout d'abord de laisser toutes vos affaires au vestiaire et de mettre ce dont vous aurez besoin ( stylos, livres, ordinateur portable... ) dans une mallette en plastique absolument transparente, qui permet de vérifier que vous ne vous barrez pas en douce avec quoi que ce soit dans vos poches ( et, comme vous allez le voir, ils sont très très sérieux sur ce point ). Il ne vous reste plus qu'à réserver une place dans une des salles de lecture ( sans quoi vous ne pourrez avoir accès à aucun livre ; la réservation d'une place est un préalable absolument obligatoire à celle d'un livre, sinon, je vous renvoie encore à plus bas... ) et vous voilà parti.

C'est là que la Descente commence. Ami néophyte, un conseil, à ce niveau : surtout, surtout, passe ta carte devant chaque lecteur que tu rencontreras, y compris quand il n'y a pas de portillon pour t'arrêter dans ton passage, ou tu auras, comme moi, de très désagréables ennuis...

L'accès aux salles de lecture est moche, il faut le dire : c'est du béton post-moderne, plus blockhaus que design, et les escaliers automatiques sont archi longs et n'en finissent pas ; je ne sais d'ailleurs pas comment font les personnes sujettes au vertige. L'arrivée se fait dans un endroit feutré grâce aux tapis qui couvrent le sol, avec des murs tout aussi béton et de lourdes portes battantes anti-incendie qui font très bobo quand elles vous reviennent en pleine figure parce que la personne avant vous n'a pas fait attention avant de la lâcher ( ma pommette droite s'en souvient encore... ).

Personnellement, je ne souffre pas de vertige et je ne suis pas claustrophobe, mais, depuis le micmac de ma première visite, cette partie-là du Voyage m'angoisse toujours énormément. Rien que d'y repenser et de me dire que je vais très certainement être amenée à repasser par là un jour ou l'autre, j'en ai froid dans le dos... Pourtant, ça en vaut le coup : les salles de lectures sont de véritables oasis paradisiaques et la cour intérieure avec ses arbres et ses fougères n'y est pas pour rien.


(Dominique Perrault- Bibliothèque Nationale de France, 1996 ; photo de roryrory ; source : FlickR)


Mon problème, c'est que, la première fois où j'ai voulu y aller, j'ai, semble-t-il, cumulé toutes les poisses.

Déjà, je n'étais pas très rassurée. Je vais sur un des ordinateurs, réserve les documents que j'ai besoin de consulter, m'installe à ma place et bosse sagement en attendant qu'ils arrivent à la banque de prêt. Une demi-heure plus tard, je passe à ladite banque de prêt, récupère mes trucs ( "C'est la première fois que vous venez, hein ?!" me demande le gars ; noooon, comment c'est-y qu't'as deviné...? ), m'installe et commence à lire en prenant des notes ( toujours lire en prenant des notes ; même si, comme moi, vous avez une assez bonne mémoire, lorsque vous serez en train de rédiger ou de faire des comparaisons entre tel ou tel papier et que vous vous direz "tiens, c'était quoi, déjà, ce qu'il disait précisément ?", sans notes, vous aurez l'air con et vous perdrez un temps qui vous sera encore plus rare et donc précieux à ce moment-là de l'année, pour retourner en bibliothèque chercher le passage où vous aurez lu ce qui vous trotte par la tête ).

Je bosse, je bosse, je bosse, donc, et, sans que je m'en rende compte tout de suite, la pitite lumière verte à ma place devient subitement rouge. Lorsque je m'en aperçois, il est trop tard, je ne pige pas exactement ce qui est en train de se passer, mais vous vous doutez bien que la Lina dans son environnement pas très naturel que je suis ressent alors un certain sentiment d'alarme, qu'on pourrait très élégamment gloser par : "Je sens que quelque chose est en train de partir en couille, mais je n'arrive pas à savoir exactement quoi". Je décide pourtant de faire l'autruche et continue de bosser, en zieutant tout de même périodiquement d'un air inquiet la pitite lumière, rouge maintenant, des fois qu'elle repasse au vert, on ne sait jamais.

Une bonne demi-heure plus tard, un autre document que j'avais réservé devant être arrivé à la banque de prêt, je me lève pour aller le chercher. Et c'est là que les ennuis commencent.

La fille : "Mais... vous n'avez pas de place réservée...! Comment vous avez fait pour réserver un document ?"
Moi : "Ben, je ne sais pas, il doit y avoir un problème, parce que j'ai réservé une place. Regardez, je suis installée là-bas."
La fille, se déboîtant le cou pour vérifier que mes affaires y sont bien : "Bon, je ne comprends pas, l'ordinateur vous a déconnectée... Et puis, du coup, quelqu'un d'autre l'a réservée pour dans une heure. Ecoutez, je vais vous en donner une autre manuellement et puis on verra bien, mais je ne comprends pas du tout ce qui s'est passé."

Le sentiment d'alarme de la Lina des rayons augmente exponentiellement, mais, sans rien dire, elle récupère son bouquin, déplace ses affaires et se remet à bosser.

Le temps passe, en particulier celui de la pause déjeûner. La Lina des conditions extrêmes a décidé de ne pas demander une autorisation de sortie provisoire pour aller faire sa fête à un sandwich décongelé acheté n'importe où dans le quartier et de finir ce qu'elle a à faire avant de festoyer chez elle. Lorsqu'elle retourne donc à la banque de prêt pour rendre ce qu'elle a emprunté, il est 14h; le personnel a changé et l'autre fille qui réceptionne la pile d'ouvrages est toute ébaubie...

Elle : "Bah ça alors ! Comment vous avez fait pour avoir ces documents ?! Vous n'avez pas de place !"

Je lui explique très poliment que si, mais qu'il y a eu un problème informatique et qu'une de ses collègues m'en a donné une autre, etc., etc.

Elle : "Oui, mais là, l'ordinateur, il ne reconnaît pas du tout vos livres ! Il les marque sortis et il ne veut pas les marquer rentrés !"

Elle appelle sa supérieure, qui me ressert le coup du "Mais vous n'avez pas de place ! Mais c'est impossible !" et patati et patata. En deux minutes, tout le personnel de la banque de prêt de la salle W est sur le pied de guerre ; les têtes chercheuses commencent à se lever des tables avec un air interrogatif : mais qu'est-ce qui vient troubler le silence béni de ces Lieux ? C'est là que mon estomac décide de me rappeler violemment que mon petit-dèj' est loin, en ayant la bonne idée de protester énergiquement : "Grôôôôôôôôôoôôôôôôô..." Tout le monde se fige un moment en fixant la Lina des bois, qui devient rouge comme une fraise... "Bon, finit par lancer la responsable, j'ai plus ou moins réussi à faire rentrer les choses dans l'ordre. Allez-y et si vous avez un problème au checking point, dites-leur de nous appeler."


(ACAP Checking-point, photo par Jaroendy!! ; source : FlickR)


Cette fois-ci, le sentiment d'insécurité de la Lina en Milieu sauvage atteint des sommets. Elle sort de la salle, réussit à se perdre un très long moment avant de retrouver l'entrée de la cage d'escalier blockhaus. Elle s'avance, toute tremblante et en hypoglycémie complète, vers l'escalator et sa guitoune dotée d'un lecteur de carte. Biiiiiiiiip. "Sortie refusée : documents non rendus." Rebelote désespérée, dans l'espoir que, si j'y crois très fort, ça va peut-être marcher : biiiiiiip ; "Sortie refusée ; documents non rendus." L'agent de sécurité s'approche : "Mademoiselle ?" La Lina traquée et affamée se précipite vers la gentille dame au guichet juste à côté : "S'il vous plaît... Je sors de la salle W... J'ai rendu mes livres, mais il y a eu un problème informatique et ils m'ont dit de vous dire de leur téléphoner si je ne pouvais pas passer... ( Mallette transparente exhibée bien haut ) Vous voyez, je n'ai plus rien du tout..." Regard incrédule de la madame ; regard ferme du vigile. Coup de téléphone. Tentative informatisée de comprendre comment on a pu En Arriver Là. Et Bibi qui crie très fort dans sa tête : "Mais bordel, allez-y, fouillez-moi !!!! Je suis même d'accord pour me mettre à poil s'il le faut, mais laissez-moi sortir !!!! Il faut que je mange, tonnerre de Brest !!!!" Je me suis finalement contentée d'un regard de Bambie larmoyant. La madame finit par soupirer : "Bon, allez-y, j'ai tout remis à zéro. Bernard, faites-la passer sur le côté." Merci, merci, merci, ma brave dame !!!! Vous occuperez à jamais une place de choix dans mes prières estudiantines !!!!

Quand je suis enfin rentrée chez moi, il était 16h, j'étais tremblante, je commençais à avoir des sueurs profuses et je me suis jetée sur un reste de courgettes froides aux lardons et à la sauce tomate, qui m'ont paru ab-so-lu-ment divines. Même pas pris le temps de les passer au micro-onde.

Vous comprenez pourquoi je ne risque pas d'aller à la BNF pour le plaisir, maintenant ?

vendredi 9 octobre 2009

A la recherche de la Biblio perdue 2 : bienvenue dans Le Lieu

Deuxième étape de votre Quête Bibliographique : la bibliothèque.

C'est là que vous allez pouvoir consulter les livres, articles, comptes-rendus de colloques, etc. dont vous avez trouvé les références sur l'Année philologique ou dans la propre bibliographie des livres, articles, comptes-rendus de colloques, etc. que vous avez déjà lus ( cf. étape n°1 ).

Or ce n'est pas aussi simple que ça en a l'air, parce que, précisément, ces documents, il faut réussir à mettre la main dessus et ça, parfois, c'est coton, surtout quand c'est la première fois que vous mettez les pieds dans une bibliothèque donnée.

Depuis votre plus tendre enfance, on vous bourre le crâne avec le bienheureux système Dewey : des centaines et des dizaines combinées qui vous permettent de savoir où chercher et, au bout de, disons, sept ans ( collège + lycée ), vous avez fini par vous y habituer.

Et là, c'est comme le tout premier cours de maths en année de sup' ( si j'ai bien compris ce que m'ont raconté les diverses personnes que je connais qui sont passées par là ), on vous regarde et on vous dit : "Bon, maintenant, c'est bien gentil tout ça, mais tu vas nous faire le plaisir d'oublier tout ce que tu as appris jusque-là et tu vas savoir ce que c'est que la vraie vie".

Car les bibliothèques universitaires, du moins celles que je connais, ne fonctionnent pas du tout selon le système Dewey.


( Library Books, par timetrax23 ; source : FlickR )

D'abord parce qu'elles ne peuvent pas tout mettre en libre accès ( vous imaginez la hauteur des tours de la BNF si absolument tout son fond était en libre accès, y compris pour les non-encartés "chercheurs" ? ). Ensuite parce que, comme celle d'Ulm, précisément, elles en ont beaucoup trop en libre accès ( 800 000, souvenez-vous ; il y a trois ans, quand je suis entrée à l'Ecole, c'était 600 000 ) et qu'elles en auraient pour cent cinquante ans à tout réorganiser.

Donc, quand vous cherchez un bouquin dans la bibliothèque de la rue d'Ulm, il vous faut impérativement le code ésotérique de votre bouquin, parce qu'y aller nez au vent dans les rayons est le meilleur moyen de perdre un temps précieux ( en un an, je n'ai jamais réussi à comprendre la logique présidant à leur classement des livres de et sur Tacite : il y en a un peu d'un côté, un peu de l'autre, c'est tout simplement dingue ; et pourtant il doit y avoir une logique là-dedans... si jamais quelqu'un s'en souvient ).

Le problème, c'est que ce fameux code est difficilement devinable, voire compréhensible, sauf pour l'indication du format. Par exemple, pour les Vies des douze Césars de Suétone ( pour prendre un exemple tout à fait au hasard ), c'est "L L h 279 D 8°" : "L L", c'est pour "littérature latine" ; "h" pour "histoire", je suppose ; "279 D", c'est pour situer l'ouvrage exactement et "8°", c'est le format.

Mais, le plus pénible, c'est surtout qu'ils n'ont pas les crédits pour tout informatiser, ce qui veut dire que, si on ne trouve pas le bouquin qu'on cherche sur la base de données sur internet, il ne faut surtout pas s'arracher les cheveux ( genre moi au tout début de mes recherches bibliographiques pour mon sujet de cette année : "Mais nom de Dieu, c'est quand même dingue qu'ils n'aient AUCUN bouquin fondamental sur Suétone !!!! Y a un embargo ou quoi ??!!" ), mais plutôt se bouger directement à la bibliothèque pour consulter... les fameuses fifiches, où sont référencés tous les livres achetés avant 1996... Après, ils sont tous sur internet ; avant, ça dépend et c'est très variable ( Tacite y est ; Suétone non, donc ; hurlons tous ensemble à la discrimination ).

En fait, je râle ( et je ne suis pas la seule, mais, à vrai dire, il n'y a qu'en première année qu'on râle, parce qu'on n'est pas habitué ; ensuite, on devient de vrais pros et, comme moi, on cesse de râler vraiment ), mais c'est quand même formidable d'avoir 800 000 bouquins en libre accès, dont on peut sans aucun problème emprunter tous ceux qui ont été publiés... après 1870 ! Et les autres sont en rayon ( quand ils ne menacent pas de tomber en poussière ) et tout à fait consultables ! Je me souviens d'une fois où, je ne sais plus comment, mon père est tombé sur un spécimen de Tacite datant de quelque chose comme 1880, parce que j'étais au tout début de mon Initiation Bibliographique et que c'était tout ce que j'avais réussi à trouver, faute d'avoir consulté la base de données ; tout ce qu'il a réussi à me sortir, c'était : "Mais... C'est quoi, cette antiquité ? ( pour du Tacite, c'était assez bien trouvé ) Tu es sûre qu'elle ne va pas se pulvériser si on la touche ?" J'avais un peu l'impression d'être dans un opus d'Indiana Jones...



Il y a donc plein, plein de choses à la bibliothèque d'Ulm ( rien que pour ça, ça vaut le coup d'intégrer... à condition de le savoir avant, ce qui n'était pas mon cas ). Pour vous donner une idée, pendant mon M1, si je me souviens bien, j'ai dû me traîner jusqu'à la Sorbonne pour UN bouquin, à la BNF pour TROIS articles ; tout le reste, je l'ai trouvé rue d'Ulm. Ceci dit, les parisiens non normaliens ( et les normaliens aussi, d'ailleurs ) ont également dans leur besace le SUDOC, le catalogue universitaire de documentation, qui permet de savoir dans quelle(s) bibliothèque(s) à Paris se trouve le bouquin dont ils ont besoin.

Et conseil pour ceux qui bossent en histoire ou sur un sujet ayant un quelconque lien avec l'histoire : essayez de ne pas trop être en panique vers la fin de l'année avec un bouquin fondamental hyper rare que vous devez absolument lire, parce qu'un certain nombre d'ouvrages sont plus ou moins "gelés" au prêt pour la leçon d'agrèg' d'histoire : les malheureux sont interrogés hors programme, mais ils peuvent demander à faire venir, pour les aider, n'importe quel livre qui ne se trouve pas dans la salle de préparation.

Pour en revenir à mon cas, je suis personnellement très contente d'avoir accès à la bibliothèque de l'ENS ( au cas où vous ne l'auriez pas encore compris :p ), parce que 1) je ne suis pas du tout douée pour l'adaptation aux divers systèmes de rangement et autres Moeurs Bibliothécaires et 2) depuis ma toute première visite à la BNF, j'angoisse énormément à chaque fois que je dois y retourner. Mais ça, ce sera pour un autre post, car celui-ci commence à devenir vraiment long.

jeudi 8 octobre 2009

Parfois, à l'internat, en traînant dans la cuisine, on tombe sur des trucs vraiment chelous



A première vue, ce sont des champignons, mais pas du genre de ceux qui s'ramassent dans les bois d'nos contrées...!

... et encore, je ne vous ai pas montré l'intérieur de notre frigo !

Exercices de style

Suite aux Intenses Cogitations qu'a suscité chez moi le mail de réponse de mon ancien directeur et à la dispute avec le seul de mes amis qui soit à la fois capable de m'aider et disposé à le faire, j'ai dû me rentrer dans le crâne un cours accéléré de diplomatie universitaire ( qui, de mon point de vue, s'apparente plutôt à du cirage de bottes, mais passons ).

Je savais que je n'en avais pas beaucoup ; il s'avère que j'en ai encore moins que ce que je craignais.

En bref, il m'aura fallu emprunter et lire en quatrième vitesse un bouquin que j'aurais pu laisser à la bibliothèque plutôt que de me casser le dos à le ramener chez moi, et rédiger un mail auquel j'aurais pu mettre "Pipeau" comme intitulé : ça aurait été plus honnête ( mais pas très diplomatique ). Evidemment, pendant que je suis aux prises avec ces conneries, mon master n'avance pas et la thèse de huit cents pages que je dois lire me regarde, depuis mon bureau, avec un air de reproche.

Mon propre mail de réponse ayant été envoyé cet après-midi et dans l'espoir que toutes ces tractations et autres passages de pommade arrivent enfin à leur terme, j'ai décidé de m'accorder un petit moment de décompression burlesque, parce qu'après tout, "je le vaux bien" ( qui devrait plutôt s'écrire "je le veau bien" dans la pub en question, mais, là encore, passons ). Et puis, surtout, mes neurones en ont besoin.

Petit exercice de style, donc, sur le thème du fameux mail à envoyer, histoire de se détendre un peu et de dédramatiser tout ça ( en clair : rions tant que nous le pouvons encore, avant d'apprendre que ma carrière universitaire est morte avant même d'avoir commencé et que tout cela devienne tragique ) :


Version "cash", directe, honnête, franche et sans détour ( rayer la mention inutile ) et donc impossible à dire :

"Cher Monsieur, votre attitude pendant ma soutenance m'a si profondément déçue que j'en ai perdu toute envie de travailler avec vous ; j'aurais pu tout avaler, sauf ça. Vous êtes très sympatique par ailleurs et je ne vous remets absolument pas en cause scientifiquement et universitairement parlant ( nota pour les non-initiés : ce n'est pas exactement la même chose ), mais je dois avouer que, même un an de réflexion après, cela me coupe encore sérieusement les jambes.

Or, une thèse, c'est long et je ne me vois pas continuer comme si de rien n'était dans ces conditions. J'ai donc décidé d'aller voir ailleurs si j'y suis, ce qui ne m'empêche pas de ne surtout pas vouloir vous vexer, et ce quand bien même vous ne seriez pas susceptible me pourrir ma carrière. J'ai beaucoup aimé votre séminaire, je vous considère comme un grand chercheur, mais là, vraiment, ce n'est plus possible.

Si vous pouviez donc laisser partir le moucheron que je suis sans faire trop de boucan ( après tout, vous ne vous êtes pas beaucoup investi dans mon travail ) et sans m'en tenir rigueur à l'avenir, je vous en serai infiniment reconnaissante."


Donc, ça, c'est la version impossible à envoyer. J'y suis absolument sincère et vous remarquerez que je mets quand même des pincettes, parce que j'aurais pu écrire la


Version trash télégraphique :

"Yo. Suis écoeurée. Me casse. Ciao."


Ça, c'est un peu ce que j'avais envie de répondre au sortir de ma soutenance. Mais bon, depuis, j'ai vieilli, je me suis "agrégée" et, surtout, j'ai décidé d'essayer de travailler à la fac, donc voilà. J'ai quand même évité la


Version totalement pipeau, mensongère et hypocrite au possible :

"Mon très cher Monsieur, c'est avec une Peine Immense que je vous annonce que je ne travaillerai pas cette année avec vous. Mon année de master 1 a été idyllique de bout en bout, un vrai Champ de Roses, odorant et parfumé ( Nota : toujours penser à glisser des quasi-synonymes, ça fait tellement grec... ). J'ai travaillé dans des conditions que je n'aurais jamais osé espérer, vous avez toujours été si présent et attentif à corriger les erreurs que mon évident manque d'expérience me faisait commettre.

Et puis, la Sorbonne est un endroit tellement agréable pour étudier ! Les gens sont sympas, l'administration est toujours accueillante au possible, on ne vous fait pas faire une carte de bibliothèque qui ne sera valable que pour deux mois parce que les compteurs sont remis à zéro en septembre...!

Et ma soutenance s'est tellement bien passée ! Dans le respect des uns et des autres, sans règlements de comptes en interne sous-jacents sur le dos d'une étudiante qui n'a donc pas eu de mal à comprendre pourquoi tant de violence pour ensuite une note aussi haute... Non, tout s'est passé dans l'échange et il était tout à fait possible de poser humblement des questions pour comprendre les très nombreuses erreurs qu'on a faites sans craindre d'aggraver son cas...

C'est donc vraiment avec le couteau sous la gorge que je me vois contrainte de partir... A vrai dire, on m'a forcée, je suis otage de dangereux guerilleros qui me retiennent dans la Terrible Jungle d'Après le Périph'... Help ! Au secours ! SOS !"


Ça, c'est plus ou moins la version que mon pote de lundi voulait que j'envoie. Celle-là et celle qui la précède ne sont bien sûr pas totalement honnêtes, puisqu'elles ne disent mot sur ma propre participation à l'affaire, mais elles ont le mérite de défouler.

Ceci dit, avec un minimum d'imagination, on peut en trouver beaucoup d'autres, nettement plus intéressantes à écrire.

Version conte de fée :

"Il était une fois, dans la grande ville de Paris, une jeune femme qui avait très très envie de faire de la recherche en littérature latine. Elle s'était pour cela inscrite au Royaume de Sorbonne, lorsque soudain..."


Version "ethnologique" :

"Au cours de ses pérégrinations universitaires, le professeur Lina von ***** s'était tout d'abord attachée à une peuple très particulier, les Sorb Hon Ahrds, qui l'intéressaient beaucoup, jusqu'à ce qu'elle entende parler d'une autre tribu, les Par Y Disses, qui lui offraient à priori un cadre plus accueillant pour ses recherches. Elle décida donc de passer la frontière du périphérique parisien et observa que..."


Version "une lumière dans la nuit" :

"J'étais en train de réfléchir à mon année de master 2, lorsque, soudain, un disque lumineux volant apparut dans le ciel. Celui-ci se stabilisa à quelques mètres de ma fenêtre, puis envoya à travers elle un rayon blanc qui me frappa de plein fouet. Je me sentis alors irrésistiblement attirée, comme en apesanteur, jusqu'à ce que..."


Version "alléluïa" :

"J'étais en train de relire le Livre et de méditer la Sainte Parole de Notre Seigneur, car je ne me souvenais plus exactement par coeur des versets 24 à 112 du premier Livre des Rois, lorsque je fus soudain enveloppée d'une douce lumière... En extase, j'entendis alors une voix ferme, mais pleine de bonté me dire..."


Je vous laisse continuer si vous n'avez rien de mieux à faire ; de mon côté, ça finirait par me prendre trop de temps et j'entends couiner ma thèse de huit cents pages.

dimanche 4 octobre 2009

A la Recherche de la Biblio perdue 1 : Wanted, recherche notice morte ou vive.

Je suis retombée sur une vidéo que j'avais vue l'année dernière. Comme je passais l'agrégation, je n'avais pas beaucoup de temps pour grand chose, mais maintenant que c'est plus le cas, essayer d'expliquer, depuis le petit bout de ma lorgnette, ce que c'est que de faire de la recherche en lettres est peut-être une bonne idée. Surtout si ça peut éviter le genre de contre-vérités mises à jour ici :





Premier boulot à faire lorsque vous commencez à travailler sur un sujet : éplucher la bibliographie.

Une bibliographie, ce sont tous les ouvrages qui ont trait à votre sujet, que vous avez lus ou auxquels vous avez fait référence au cours de votre travail : édition(s) du texte antique utilisée(s) ( toutes les éditions ne sont pas les mêmes, selon les personnes qui les ont faites ), livres, articles, etc. Non seulement vous devez en donner les références au moment où vous vous y référez et à chaque fois que vous vous y référez, mais vous devez aussi, à la fin de votre mémoire, en redonner la liste complète. Cela montre que votre travail est sérieux et, surtout, cela permet à ceux qui vous liront de consulter éventuellement ce à quoi vous faites allusion, ne serait-ce que pour vérifier que vous ne racontez pas n'importe quoi.

C'est donc par là que vous devez commencer, parce qu'avant toute chose, il vous faut savoir ce que les personnes qui ont travaillé sur le sujet ont déjà mis à jour. La recherche, ça ne se fait pas tout seul dans son coin : c'est un ensemble de contributions à un ouvrage collectif, qui fait qu'on avance petit à petit sur tel ou tel sujet ; chacun apporte sa pierre, tout le monde en discute pour voir si elle est valable ou non, puis cette pierre pourra servir à une nouvelle avancée qui représentera une nouvelle pierre, etc.


Mais comment avoir la liste de ce que les autres ont écrit avant vous ?

C'est là qu'intervient un outil merveilleux qui s'appelle L'Année philologique. L'Année philologique est une revue qui recense tous les ouvrages publiés dans un domaine dans tous les pays ; non seulement elle les recense, mais encore elle en donne les références précises, bien sûr, et, parfois, un résumé. Ces notices peuvent ressembler à ça :

Grimal P. Études sur Properce REL 1951 XXIX : 201-214

Au début, le nom de l'auteur, puis le titre de l'article, le nom de la revue ( parfois en abrégé ; ici, c'est la Revue des Etudes Latines ), la date de publication, le numéro de tome, les pages.

A présent, L'Année philologique est en ligne ( avant, il fallait consulter des index ), pas en entier, donc il faut toujours se méfier des tout derniers tomes, mais en grande partie. Pour y accéder, il faut y être abonné ; cela coûte relativement cher, mais les bibliothèques universitaires le sont ( la bibliothèque d'Ulm l'est, par exemple ), ce qui permet de se renseigner là-bas.

Vous commencez donc par faire des recherches, vous vous faites une bibliographie provisoire avec les références qui ont l'air de concerner votre sujet et vous vous rendez en bibliothèque pour lire ce que vous avez trouvé. C'est là que vous pouvez mettre en place une deuxième tactique de recherche : l'épluchage des bibliographies des autres.

Car les autres ont aussi fait des bibliographies et en lisant leurs travaux, vous trouvez d'autres références qui vous permettent de voir quels sont les ouvrages importants dans votre domaine, lesquels vous devez donc absolument lire. Cela vous donnera d'autres idées de développement et, surtout, vous verrez quelles sont les différentes positions qui ont été prises.

Une bibliographie s'élabore donc avant, pendant et après votre travail. C'est un des points cruciaux et cela fait également partie du perpétuel procédé de consultation que représente la recherche. Un chercheur est tout le temps en train de s'évaluer, il est tout le temps évalué et, pour cela, il doit se mesurer et pouvoir être mesuré à l'aune de ce que les autres ont fait avant lui. C'est cela que permet une bibliographie.

Il apparaît donc clairement que la deuxième étape de votre Quête est la suivante : aller en bibliothèque ( ou pourquoi les littéraires ne peuvent pas être évalués au nombre d'heures passées en cours ).

vendredi 2 octobre 2009

Sooooorrrrbooooonne, ton univers impitoyââââââbleeee...!!!

Tu aimes les histoires de stratégies retorses ? Tu es un champion aux échecs ? L'intrigue et la manipulation n'ont pas de secret pour toi ? J'ai besoin de toi. Ce message peut t'intéresser. Car voici ma petite expérience des arcanes et jeux de pouvoir à la Sorbonne. Je dois avouer que je suis assez perplexe.

Lorsque j'ai décidé de changer de directeur de master pour mon M2, un de mes potes m'a dit : "Mais tu ne te rends pas compte ?! C'est suicidaire sorbonniquement parlant ! Il y a de grandes chances pour que ton directeur de M1 monte encore en grade et, ensuite, essaie de te mettre de sérieux bâtons dans les roues pour un poste de maître de conférence ! Tu es complètement dingue !"

Réponse de Bibi : "Oui, mais tu vois, M. X., il bosse plus sur ce que je veux faire et puis j'ai l'intention de continuer à aller au séminaire de l'autre ! Il était bien, son séminaire !" Nouveaux cris d'orfraie : "Ah ! mais c'est encore pire ! L'Offense sera sous ses yeux deux heures toutes les semaines ! Tu n'y penses pas ! Le lâcher, passe encore, mais en plus retourner le couteau dans la plaie !"

Re-réponse de Bibi : "Oui, enfin, bon, quand même, c'est me donner un peu trop d'importance ; universitairement parlant, je ne suis qu'un moucheron !" Ton péremptoire : "Tu es un moucheron, mais tu es normalienne, donc tu n'es paradoxalement pas n'importe quel moucheron." Moi : "Et pis, de toutes façons, je ne suis même pas sûre qu'il se souvienne que je suis à Normale ! S'il ne m'a pas oubliée le 2 juillet ( lendemain de ma soutenance de M1 ), il m'a oubliée le 3 !"

Ben figurez-vous qu'il ne l'avait pas oublié.

Hier, j'ai fini par me mettre un bon coup de pied au cul et je lui ai écrit une lettre pour lui annoncer que je partais à Nanterre et patati et patata : "M. Y. a déjà dirigé une thèse sur l'auteur sur lequel je voudrais travailler... J'ai beaucoup réfléchi... Je voudrais vous remercier pour l'aide énorme/incroyable/gigantesque ( rayer la mention inutile ) que vous m'avez apportée..." Une bonne dose de brosse à reluire, toutes mes ressources de littéraire connaissant parfaitement le Poids des Mots ( ne pouvant pas écrire : "Ecoutez, je n'ai vraiment pas apprécié le coup que vous m'avez fait pendant ma soutenance et je n'ai plus vraiment envie de travailler "avec" vous ; j'ai trouvé mieux ailleurs, donc je me casse." ) et mes ( hélàs maigres ) ressources en diplomatie sorbonnarde.

Je ne m'attendais pas vraiment à avoir une réponse : après tout, M. X. n'a toujours pas pris la peine de me signaler qu'il a reçu mon mail. A vrai dire, j'espérais secrètement ne rien recevoir en retour.

Et si, il m'a répondu. Plus incroyable encore : il fait mine de chercher à me récupérer, en me jouant l'air des Sirènes sur le thème "Pensez à votre aveniiiir... Êtes-vous sûre qu'on vous a bien conseilléééééée...? Il n'est pas encore trop taaaaarrrrd..." J'hallucine. Vous voyez Kaa dans le Livre de la jungle version Walt Disney ( oui, je sais, on a les références qu'on peut ) ?

Bon, évidemment, je n'ai pas l'intention de faire demi-tour et quand bien même ce serait possible et je le ferais, j'imagine déjà l'ambiance : lui, moi, en chiens de faïence, sachant tous deux pertinemment que j'ai plus ou moins fait des pieds et des mains pour aller voir ailleurs... De ce point de vue, de toutes façons, mon avenir, il est déjà "compromis", dans tous les sens du terme. Mon ex-directeur doit bien le savoir, d'ailleurs.

En plus, il me dit que tout chercheur en littérature latine fait de l'historiographie, sur quoi je ne suis pas d'accord : l'historiographie, c'est la manière d'écrire l'histoire ; étudier l'historiographie, c'est donc étudier des oeuvres écrites par des historiens ; ce n'est pas faire de l'histoire et ce n'est pas non plus faire de l'archéologie, même si on est nécessairement amené à se frotter à ces deux disciplines. Je suis peut-être bornée, je suis même très certainement bornée ( ce qui ne veut pas dire que j'aie des oeillères ), mais ça me paraît être un mélange de torchons et de serviettes un peu trop facile. Ou alors, je ne sais pas ce qu'est précisément l'historiographie, ce qui est, somme toute, tout à fait possible.

La question est donc : que répondre ? Il fait quoi, déjà, Mowgli, face à Kaa ?



C'est la lutte finale !

( ou comment toutes les stratégies du monde ne peuvent lutter contre un sixième sens ).


Depuis environ deux semaines, manifestement dans la chambre qui est juste au-dessus de celle de mon voisin, il y a un type qui fait des travaux. Et il voit les choses en grand, le gars : et voici que je te joue de la perceuse, que je t'accompagne ça de coups de marteau, etc. Je ne sais pas ce qu'il fait, mais vu le temps et l'ampleur visible ( ou plutôt : audible ) que ça prend, ça ne peut pas être moins qu'une Rénovation Complète. En même temps, je ne vois pas trop ce qui pourrait requérir, dans une de ces chambres semblables à la mienne, au moins deux semaines de travail, mais étant donné que les doux bruits des travaux de maintenance des ascenseurs, qui ont joyeusement accompagné toute la fin de mon année d'agrèg' et en particulier ma préparation des oraux, ont ( enfin ) cessé, je ne vois pas d'autre explication.

Or ce gars a un sixième sens : dès que j'ouvre un bouquin pour me mettre à bosser sur mon master 2, il se met automatiquement à jouer de la perceuse ( ou du marteau ; mais il commence généralement par la perceuse ). C'est automatique : j'ouvre le livre, il attaque. Et il me tient compagnie au moins deux heures avec sa charmante mélodie.

Vous me direz : "Hé, faignasse, tu as une bibliothèque avec 800 000 ouvrages en libre accès ( je ne mens pas : allez voir sur le site de l'ENS ; j'aime beaucoup l'appellation "périodiques vivants" ), prends tes cliques et tes claques et va bosser là-bas !" Et vous auriez raison.

Sauf que : trimballer de Montrouge au Vème arrondissement un bouquin de plus de huit cents pages ( hé oui ! les thèses, c'est du lourd ! ) + mon ordinateur, ça commence à peser sur mon pauvre dos, qui en voit déjà des vertes et des pas mûres. Et puis j'ai aussi un problème très gênant : au bout de deux heures et demie sur un bouquin en bibliothèque sans bassine de thé pour me soutenir, je suis prise d'une irrépressible envie de dormir ; quand je lis des articles, ça va, parce qu'ils sont ( relativement ) courts et qu'il faut ensuite que je me lève pour aller replacer le volume de la revue que j'étais en train d'examiner et en chercher un autre, ce qui me permet de me secouer un peu, mais lorsqu'il s'agit d'un bouquin...

Parenthèse : c'est marrant, ça ne me fait pas ça à la BNF, mais c'est sans doute parce que descendre dans les Entrailles bockhausisées de ce Monstre me demande tellement d'énergie pour gérer mon angoisse qu'il est tout à fait impossible que je me relaxe suffisamment pour finir par avoir les paupières lourdes. Remarquez, la bibliothèque d'Ulm fait aussi des efforts pour remédier à cela : en hiver, la salle de lettres classiques est à peine chauffée, ce qui fait que, pour lutter contre la congélation vivante, il est nécessaire de se maintenir éveillé. Une année, dans le cahier des suggestions, un chercheur avait écrit : "J'ai du mal à faire du grec avec des moufles." Fin de la parenthèse.

Donc, pour ce genre de choses, je ne me pète le dos qu'une fois, lorsque je ramène ma Moisson de Bouquins chèrement ramassée de la bibli à chez moi, et ensuite je bosse devant mon bureau. D'où le problème lorsqu'un Artiste se met de la partie.

Bon, évidemment, je ne peux pas aller le trouver pour lui tenir un discours du genre "WTF !!!! C'est pas bientôt fini, ce bordel ???!!!!" Le malheureux, aussi, a besoin de travailler : déjà qu'il commence à 9h30 pour ( je suppose ) laisser les gens dormir un peu le matin...

Donc, je ruse ( ou je prends mon mal en patience ; mais je n'aurais alors plus rien à vous raconter ). En particulier ce matin.

J'ai remarqué qu'il travaillait souvent l'après-midi, à partir de 14h ( pile l'heure où je reprends après une pause-déjeuner bien méritée ), et pas le matin. Moi, en matinée, jusque là, je faisais de l'allemand ( post là-dessus à venir ) ; mais, aujourd'hui, étant donné que j'ai liquidé hier mon deuxième bouquin-absolument-capital-sur-Suétone, je me suis dit que, pour commencer enfin LA thèse française sur cet auteur, ce serait mieux d'avoir du calme. Je renvoie donc l'allemand à cet après-midi ( le problème de la méthode Assimil', c'est qu'elle peut toujours attendre ).

Je m'installe à mon bureau. Je lance sur mon ordi le fichier où je prends des notes. J'ouvre le bouquin. Et là : "vruuuuuuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii" ( oui, je sais, je fais très mal le bruit de la perceuse ). Aujourd'hui, le gars a exceptionnellement décidé de bosser en matinée.

Une seule conclusion, donc, à tirer de cette histoire : soit il a vraiment un sixième sens et lui et moi vivons en symbiose totale ( sait-on jamais, c'est peut-être un signe ? ) ; soit je suis vraiment une très mauvaise tacticienne. Au choix.