vendredi 23 octobre 2009

My heroes !!!

Les sciences "auxiliaires" : suite. Aujourd'hui, au menu, l'épigraphie.

L'épigraphie, c'est la science qui lit et étudie les inscriptions. "Epi-grafeïn" (ἐπιγράφειν pour ceux qui lisent le grec) signifie exactement la même chose qu' "in-scribere" en latin : écrire sur.

Ces gars sont des superhéros. J'aperçois d'ores et déjà votre regard sceptique : si, si, c'est vrai, ce sont des superhéros.

Les épigraphistes, ce sont les gars qui, avec trois lettres et une pierre dans un (très) sale état, vous reconstituent une inscription de vingt lignes qui non seulement éclaire l'histoire du lieu où elle a été retrouvée, mais en profite aussi pour remettre en cause toute l'avancée de la science actuelle. Si un tel tour de force ne ressemble pas à Indiana Jones maniant son fouet tout en recoiffant sa blonde partenaire, je ne sais pas ce qu'il vous faut ! Bon, évidemment, les gens déjà un peu informés rétorqueront que toutes ces inscriptions reposent en grande partie sur des formules toutes faites, dont il suffit d'avoir un bout pour la connaître en entier, mais quand même : j'avouerai même que je suis d'autant plus impressionnée que je crois que je ne pourrais pas passer ma vie à faire ça.

Le problème de l'épigraphie latine, contrairement à la paléographie latine, ce n'est pas la lecture (là, pour le coup, c'est lisible, puisque c'est fait pour), ce sont les abréviations. Parce que la pierre, chers amis, ça coûte cher, alors, tant qu'à faire, autant en profiter pour y caser le plus de choses possibles dans le moins de place.

Autre explication : il existe des règles pour faire les choses et, les Romains étant particulièrement respectueux des coutumes établies, pour eux, les choses doivent être faites comme elles doivent être faites. Cela inclut les inscriptions, d'où les formulaires et les abréviations, puisque tout le monde connaissait les formules : pas besoin de les écrire en entier.

Je vous donne un exemple avec cette stèle :

(Tiberius Claudius Dolentus, photo par diffendale ; source : FlickR)


Sur cette inscription, on lit très bien : "D. M / TI. CLAUDI / DOLENTI / MIL. CL. PRAE. / MIS. NAT. BES / V. A. XLV. MIL. / AN. XXV. H. B. / M F".

Evidemment, là, comme ça, on ne comprend pas grand chose, si ce n'est qu'il y a des nombres et un certain Claudius dans l'affaire. C'est là que les épigraphistes entrent en scène ("Tadaaaaaaaa !!!").

"D. M", c'est une abréviation pour "D(is) M(anibus)", i.e. "Aux dieux Mânes". Les dieux Mânes, ce sont les âmes des morts, qu'il convient d'honorer avec des offrandes pour ne pas se les mettre à dos. On sait donc que cette stèle est une pierre tombale.

Donc, si c'est une pierre tombale, logiquement, il devrait y avoir le nom de la personne qui est enterrée en dessous, vous dites-vous. Et vous avez parfaitement raison, car c'est précisément ce qui est inscrit ensuite : "TI. CLAUDI. DOLENTI" signifie "de Tiberius Claudius Dolentus".

C'est là que l'inscription devient vraiment intéressante (hormis qu'on apprend l'existence d'un homme qu'on ignorerait totalement autrement ; c'est assez fascinant de voir tout d'un coup sortir de l'ombre un gars plus ou moins comme vous et moi, mais qui est né, a vécu et est mort pendant l'Antiquité). Les Romains, en effet, contrairement à nous, ne se contentent pas de mettre le nom du mort sur sa tombe : ils racontent souvent aussi ce qu'il a fait pendant sa vie, ce qui nous donne accès à une foule d'informations historiques que nous ne retrouvons nulle part ailleurs. Dans le cas de mon Historien de l'Année, Suétone, par exemple, c'est seulement grâce à une inscription trouvée à Hippone en 1951, en Afrique du Nord, qu'on a réussi à reconstituer avec une quasi certitude sa carrière impériale sous Trajan, puis Hadrien ; avant, les chercheurs étaient dans un joli flou artistique...

Pour revenir à notre ami Tiberius Claudius Dolentus, on sait qu'il était soldat dans la flotte prétorienne stationnée à Misène ( M(iles) Cl(assis) Prae(torianae) Mis(enensis) ; Rome avait deux flottes, l'une stationnée à Misène, en Campanie, l'autre à Ravenne ; pour info, la flotte de Misène, c'est celle que commandait Pline l'Ancien lors de l'éruption du Vésuve en 79 : il l'a envoyée porter secours aux habitants de Pompéi et a lui-même trouvé la mort dans l'affaire).

Il était aussi originaire de la nation besse ( N(atione) Bes(sus) ), un peuple de Thrace, i.e. du Nord-Est de la Grèce. Or le nom qu'il porte est tout à fait romain car il comporte les trois éléments praenomen (Tiberius), gentilice (Claudius) et cognomen (Dolentus) : on peut donc en déduire qu'il a reçu la nationalité romaine et a adopté, selon la coutume, le nom de celui qui la lui a accordée, au point de faire disparaître son nom "barbare" (que, souvent, les nouveaux citoyens conservent comme cognomen).

Il a vécu 45 ans (V(ixit) A(nnis) XLV), dont 25 de service (Mil(itauit) An(nis) XXV), ce qui impose le respect vu les conditions de vie dans l'armée romaine.

La suite est à nouveau du formulaire et indique que son héritier a élevé cette stèle en son honneur parce qu'il l'avait bien mérité (H(eres) B(ene) M(erenti) F(ecit) ).

Toutes ces informations, étudiées, comparées, mises en série, permettent de mieux connaître le monde antique et, surtout, avec l'archéologie, de plus ou moins vérifier ce que racontent les historiens antiques, car ceux-ci n'avaient pas du tout la même conception de l'histoire que nous, en particulier pas la même conception de la vérité historique.

Mais ça, c'est mon domaine et ce sera pour un prochain message... :p

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire