vendredi 21 mai 2010

Antiquité et psychanalyse sauvage ne font pas bon ménage...

L'avantage de travailler sur des sujets un peu barrés, c'est qu'on tombe parfois sur des articles un peu barrés aussi. Ajoutez à cela que vous bossez sur des biographies d'empereurs et vous multipliez vos "chances" de faire la rencontre d'un type d'article que nous n'auriez jamais pensé trouver dans une revue scientifique, j'ai nommé : l'article de psychanalyse sauvage de gars morts il y a presque deux mille ans, aussi appelés "psychologie à la mords-moi le noeud".

J'ai passé trois heures en bibli cet après-midi en compagnie de l'un d'entre eux, aujourd'hui. C'est la deuxième fois que je déniche un représentant du type.

Qu'on essaie d'établir des diagnostiques physiologiques à partir des symptômes décrits, après tant d'années, c'est bancal, mais pourquoi pas. Ça peut même d'ailleurs être très convaincant, comme dans les Douze Césars de R.F. Martin. Mais qu'on essaie de psychanalyser Tibère ou Caligula, alors que les textes dont nous disposons ne sont même pas d'eux, là, non.

Je ne sais pas ce qui m'a le plus atterrée : la qualification de Caligula comme, je cite, "geltungssüchtig, fanatico-quérulant (quand je vous dis que la recherche universitaire permet de renouveler son stock d'insultes ! Vous imaginez, dans la rue ? "hé z'y va ! va te faire ****, espèce de fanatico-quérulant !!!") et psychopathe explosif (et encore, je vous passe le développement sur sa pycnolepsie et sa cataplexie), celle de Tibère comme, je re-cite, "un introverti selon Jung, enclin au refoulement et à la rumination, frisant la psychasthénie dans son incapacité à surmonter ses blocages névrotiques, induits, me semble-t-il, par sa paralysie émotionnelle" ou les déclarations définitives du type "nous pouvons donc enfin répondre, de façon complète, aux questions essentielles posées par le comportement de Caligula".

Je viens donc déverser ici mon surplus de mauvaise humeur, en faisant deux mises au point totalement inutiles :

1) on ne peut pas faire la psychanalyse de quelqu'un de mort et quand bien même on voudrait le faire à partir de ses écrits, précisément, il faudrait que ce soit lui qui les ait écrits et pas quelqu'un d'autre. Or, si Tibère a bel et bien rédigé ses mémoires, elles ne nous sont pas parvenues ;

2) par ailleurs, les textes historiques antiques, et en particulier ceux sur les empereurs, sont élaborés littérairement, donc on ne peut absolument pas prétendre s'appuyer dessus pour en déduire de quelconques caractéristiques psychologiques.

Qu'on ne sache pas ça en 1967, je veux bien, même la caractérisation des différents types de psychopathie sentait fortement le renfermé dans cet article. Mais en 2003, quand même ! Il n'a jamais entendu parler de la légende noire des premiers empereurs, celui-là ???!!!

(Freud, en 1926, prévoyant que certains se conduiraient plus tard comme des idiots ; photo par F. Schmuzter ; source : Wikipedia Commons)


Reviens, Freud, y en a des qui ont perdu tout bon sens !!!

1 commentaire:

  1. Tiens, ça me rappelle les articles de revues psychanalytiques que j'ai trouvées sur Pélops, Laios & co. D'où :
    3) On ne peut pas faire la psychanalyse d'un personnage mythologique.
    Je sais, Freud a parlé de "complexe d'Oedipe", mais personne ne vous a dit qu'il avait raison (en fait, Vernant et Vidal-Naquet dans "Oedipe sans complexe" ont même expliqué pourquoi il avait tort). Accessoirement, si vous en venez un jour à écrire que Laios est un violeur pédophile, sortez faire un tour, revenez, relisez-vous, et, si vous y croyez toujours, mettez-vous plutôt au mini-golf, c'est moins dangereux et ça fera perdre moins de temps à vos lecteurs...

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