dimanche 10 février 2013

Conte de période de correction de copies

En cette veille de départ en Italie (oui, je sais, à cette seconde même, vous êtes en train de me haïr ; dites-vous bien que mon statut de thésarde semestrialisée et suffisamment avancée dans son travail me permet de travailler - à peu près - n'importe où, donc ce sera une semaine comme les autres, à part que je chasserai les occurrences à Bologne au lieu de Paris), un petit conte de Noël de période de correction de copies, en ce début de second semestre.

Il était une fois une AMN qui avait été chargée d'un cours de latin débutant et qui corrigeait donc les chefs d'oeuvre de ses étudiants rendus lors du partiel final. Cette classe avait été sympathique et relativement participative et, comme son masochisme l'avait poussée à leur coller de petites interros à chaque début de cours, les étudiants qui la composaient avaient été forcés d'apprendre au fur et à mesure, ce qui faisait que le partiel terminal était tout à fait honnête (reste à voir ce que ça donnera au second semestre, un mois sans latin ayant en général des effets ravageurs sur les mémoires étudiantes).

C'est alors qu'un Drame se produisit : deux copies, à quelques étudiants d'intervalle, parfaitement semblables. De menues différences dans les réponses aux premiers exercices, mais les deux derniers, en particulier l'exercice de traduction, absolument identiques.

 (Copie d'un type de représentation de Vénus inventé par le sculpteur grec Praxitèle, appelée "Vénus de Cnide" ou "Vénus pudica" - parce qu'elle cache son sexe -, ici statue grecque exécutée par Ménophantos, au Ier siècle avant J.C. ; Rome, Palazzo Massimo ; photo par Jastrow ; source : Wikipedia Commons)


A ce stade-là, notre monitrice est tout particulièrement énervée. En plus, il s'agit d'étudiantes ayant eu de très bonnes notes toute l'année aux petites interros, donc avoir copié à ce point est tout bonnement incompréhensible. Coup de gueule en chambre, arrêt de la correction de la seconde copie, zéro collé aux deux. Faut pas se foutre de ma gueule non plus.

Le partiel ayant eu lieu pendant la dernière séance, les copies sont déposées à côté du secrétariat, dans une enveloppe kraft, afin que les étudiants puissent les récupérer s'ils le désirent. De mon côté, je calcule les moyennes de tout le monde, en comptant, comme annoncé, la moyenne des petites interros pour la moitié de la note finale, le partiel terminal pour l'autre moitié. Comme j'arrondis systématiquement au demi-point supérieur quand les comptes ne tombent pas juste et ont avec des décimales en paquet, mes deux copieuses se retrouvent avec 10.

C'est alors que se joue l'acte 2. Mail de l'une d'elles : "Madame, on travaille et on révise ensemble, c'est pour ça qu'on a les mêmes erreurs. Si vous voulez, je suis d'accord pour refaire le partiel." Evidemment, moi pas d'accord du tout : si on commence à faire refaire le partiel aux étudiants ayant triché, où est le problème ? Comme c'est un cours optionnel, j'ai déjà décidé de ne pas les signaler à la commission des examens et elles n'iront finalement pas au rattrapage, elles s'en tirent donc finalement à assez bon compte. Je réponds avec un mail assez sec, expliquant que je ne suis pas soupçonneuse de nature, mais qu'il ne faut quand même pas pousser mémé dans les orties (ça m'a rappelé la fois où j'avais demandé à un étudiant ayant copié son commentaire sur "Dissertationsgratuites.com" comment, sans prendre en compte le fait que ce genre de site ne regroupe que du "contenu" écrit par des glandus, il pensait que, travaillant sur la littérature, je n'allais pas me rendre compte de son soudain changement de style).


(Oh ben dites donc, ce ne serait pas plus ou moins le même type de statue que dans la photo précédente ? Les deux sculpteurs auraient donc travaillé ensemble ???!!! ; Vénus dite "du Capitole", autre version de la Vénus de Cnide, copie romaine d'époque antonienne, i.e. vers le milieu du IIème siècle après J.C. ; Rome, Musée du Capitole ; photo : Bibi)

Et là, coup de théâtre : elle reconnaît avoir copié, dit qu'elle a paniqué parce qu'elle n'avait pas assez révisé et demande à garder son zéro, mais qu'au moins sa copine ait sa vraie note et ne soit pas sanctionnée pour quelque chose qu'elle n'avait pas fait. Courageuse, cette étudiante, parce qu'elle aurait pu faire la morte en se contentant de son 10 de moyenne et ne pas cracher le morceau ; particulièrement loyale envers sa camarade, aussi, pour les mêmes raisons. Je lui ai donc laissé sa note et je me suis contentée de mettre zéro aux deux exercices que sa camarade lui avait laissé recopier, ce qui lui remontait très notablement sa moyenne à 17.

(Aristote est content : coup de théâtre et retournement de situation ! ; copie romaine d'un bronze perdu de Lysippe, Musée du Louvre, collection Borghese ; photo par Eric Gaba ; source : Wikipedia)


Morale de l'histoire :

- étudiants qui avez appris toute l'année, ne paniquez pas pendant le partiel ! Il vous en restera toujours quelque chose et vous êtes sûrs que votre note ne peut pas être pire qu'un zéro pour copie éhontée et gros foutage de gueule au nez et à la face de votre enseignant. Surtout quand le système de contrôle continu vous assure que la moitié de la note finale est excellente !

- pour les mêmes raisons : étudiants qui laissez votre pote en panique copier sur vous, ce n'est un service à rendre ni à vous, ni, surtout, à lui !

- petite AMN de latin qui croyait vaniteusement commencer à avoir de l'expérience en surveillance : la prochaine fois, pas d'ordi, pas de bouquin, même si tu n'es pas en amphi, que tes oreilles sont en alerte et que tu scannes très régulièrement l'ensemble de la salle. Tu t'es faite avoir jusqu'au trognon, comme une bleue.

(Coucou ! Je suis de retour !)

dimanche 3 février 2013

Meet with Livia

Ça fait un moment que je n'ai pas fait de "seconds couteaux" et mon débordement "féministe" m'a donné l'idée de traiter de ces encore plus grandes oubliées de l'histoire romaine : les femmes. En particulier d'une d'entre elles : Livie.

Livie est la femme d'Auguste et la mère de Tibère. N'en concluez pas pour autant que le second est le fils du premier : il sera adopté par lui, certes, mais, pendant fort longtemps, il ne sera "que" son beau-fils.

Tibère et son frère cadet Drusus sont en effet les fils d'un premier mariage de Livie avec un certain Tiberius Nero, membre comme elle d'une des plus vieilles gentes romaines de la fin de la République, les Claudii. A ce titre, il n'apprécie pas vraiment que le pouvoir passe des mains du Sénat à celles d'un seul homme et se retrouve donc dans le camp opposé à celui d'Octave, le neveu de César et futur Auguste. Cela lui vaudra de devoir partir en exil pour échapper à ses adversaires, mais il sera suffisamment intelligent pour comprendre qu'il n'était pas du bon côté et aura l'échine suffisamment souple pour se faire pardonner ses "errances", Octave ayant bien retenu de son oncle que la clémence est souvent bien plus intéressante que l'exécution systématique d'opposants qui pourraient potentiellement se repentir.

(buste d'Auguste au Musée du Capitole, à Rome ; photo : Bibi)

Octave rencontre donc Livie, déjà mère de Tibère. Je ne vous vendrai pas du rêve et du romantisme, ma thèse ne m'oblige pas (encore) à creuser de ce côté-là, ce qui veut dire que je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Imaginez-vous ce que vous voulez, coup de foudre d'un côté, des deux, pur désir sexuel, calculs politiques : c'est sans doute un peu de tout cela à la fois. Toujours est-il que Tiberius Nero accepte de "donner" sa femme à Auguste, qui l'épouse alors qu'elle est à nouveau enceinte de six bons mois de son premier mari (à Rome, ça ne pose pas de problème de filiation : l'enfant reste celui du premier mari et sera éduqué dès que possible chez ce dernier et non chez sa mère ; il se trouve que Tiberius Nero mourra assez vite après, ce qui ramènera les deux garçons chez leur mère et leur beau-père).

Livie sera la compagne de vie d'Auguste, toujours à ses côtés, incarnant, dans sa politique de "restauration morale", une sorte de matrone idéale, pudique, chaste, aimante, etc. Sa maison est située tout près de celle d'Auguste, sur le Palatin. L'empereur mourra dans ses bras et les soupçons d'empoisonnement rapportés par Tacite pour faire un parallèle avec la mort de Claude sont, à juste titre à mon avis, repoussés avec des cris d'horreur (doublés d'une indulgence qu'ils n'auraient pas si c'était Suétone qui en avait parlé) par tous les biographes que j'ai pu lire jusque là.

(intérieur de la maison d'Auguste - j'ai des photos de celle de Livie, mais elles ne sont pas terribles, parce qu'elle était en travaux)

A présent, laissons de côté toutes ces questions auxquelles il est impossible et inintéressant de répondre, du genre "est-ce que Livie aimait vraiment Auguste ? ou bien que son mari ait renoncé à elle aussi facilement lui a-t-il brisé le coeur ?". Dites-vous bien qu'à Rome, en particulier pour les Romains de la fin de la République, les mariages d'amour sont de douces plaisanteries : épouser quelqu'un, c'est mettre au point une alliance politique entre deux familles, et on divorce extrêmement facilement quand les vues des uns ne correspondent plus à celles des autres. Pensez à la rupture entre Pompée et César, qui a eu lieu, comme par hasard, après la mort de la fille du second, qui, là encore comme par hasard, avait épousé le premier (d'environ quarante ans son aîné, si je ne m'abuse).

En ce qui me concerne, la figure de Livie est intéressante à deux points de vue : 1) la question de l'héritier du pouvoir ; 2) les problèmes de légitimités concurrentes.

Le point 1 découle directement de ce que Auguste a eu une fille avec sa première femme et Livie deux fils avec son premier mari, mais qu'ils n'ont jamais réussi à avoir d'enfant ensemble. Auguste n'avait donc pas de fils à qui il pouvait envisager de transmettre l'empire, ce qui, du coup, a accentué l'importance politique des mariages dans sa famille, parce que la transmission du pouvoir ne pouvait se faire que par les femmes. Tout d'abord, sa soeur, Octavie, dont le fils, Marcellus, avait l'air bien parti, mais meurt de maladie à dix-neuf ans. Pour lui, Auguste avait fait construire un immense théâtre au nord du Capitole, qui porte encore son nom et qu'il fit quand même inaugurer par sa soeur. Personnellement, je ne peux pas passer devant sans avoir un serrement de coeur en imaginant ce que ça a dû être de perdre ce gosse sur lequel tant de choses reposaient.

(Le théâtre de Marcellus ; photo : Bibi)

Deuxième femme "en lice", Julie, la fille d'Auguste, qu'il a d'abord fiancée à Marcellus, puis mariée à son ami et amiral vainqueur d'Actium (oui, c'est lui qui a fait tout le boulot), Agrippa. Ensemble, ils ont eu deux filles, mais surtout trois fils. Les deux aînés prennent le relai de Marcellus, mais meurent aussi de maladie, en missions militaires et diplomatiques loin de Rome (là encore, évidemment, Tacite fait des suggestions "innocentes"... et totalement irréalistes - et pan sur le nez du fameux principe de vraisemblance dans l'historiographie romaine). Il n'en reste donc plus qu'un, Agrippa Postumus, appelé ainsi parce que né après la mort de son père, mais les historiens romains le présentent comme non nocif, mais violent et pas très intelligent, au point qu'Auguste finira par l'exiler. Une fois de plus, il est sans héritier, ce qui l'oblige à adopter Tibère, le fils aîné de Livie. Il lui fait épouser sa fille (et oui, encore !), en espérant qu'ils auront des enfants et, là encore, ça ne marchera pas. Mais c'est une autre histoire.

Auguste est donc un pro des adoptions : son neveu, ses petits-fils, son beau-fils... et, pour finir, même sa femme. Car, dans son testament, Auguste déclare adopter Livie, qui prend alors le nom d'Augusta. L'idée était sans doute de lui donner une protection supplémentaire, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions et cela va surtout causer des problèmes à Tibère. C'est là qu'intervient mon point 2.

Car, si Livie ne commandait absolument pas aux côtés d'Auguste, en revanche elle avait l'habitude d'intervenir à des titres divers dans la vie publique romaine. Et ça, Tibère n'aime pas. Il a en effet parfaitement conscience d'être arrivé là où il est arrivé parce que sa mère a, pendant des années, plaidé sa cause auprès de son mari. Evidemment, il a de grands titres militaires, mais il en a perdu le bénéfice en décidant, du jour au lendemain et sans que personne ne sache vraiment pourquoi, de se retirer à Rhodes. Auguste l'a pris fort mal et, lorsque Tibère a voulu revenir, il lui a dit, en substance : "Tu as voulu y être, tu y restes !", ce qui n'augurait rien de bon. Là encore, c'est grâce à Livie que son fils a pu retrouver ses pénates.

(Buste de Livie, lui aussi au Musée du Capitole ; photo : Bibi)

Tibère sait donc ce qu'il doit à sa mère et tout le monde le sait avec lui. A cela s'ajoute qu'il est d'un tempérament assez "tradi", pour lequel les femmes n'ont rien à faire avec la vie publique de l'Etat romain. Il prend donc très mal toutes les initiatives que peut avoir Livie, ainsi que tous les honneurs que le Sénat a l'idée de proposer de lui décerner. Bref, c'est un sujet sensible, d'autant que l'adoption de Livie par Auguste lui confère une légitimité qu'elle utilise pour continuer sa politique, alors que son fils essaie de sortir de son ombre et de faire quelque chose de différent, tout simplement parce qu'il ne conçoit pas le gouvernement de la même manière que lui.

On a donc d'un côté la légitimité de Tibère, adopté par Auguste, revendiquant donc son héritage politique, tout en essayant de faire les choses à sa manière, et, de l'autre, celle de Livie, compagne d'Auguste et, pour ainsi dire, "naturellement" encore plus proche de lui.

D'après Suétone, leurs relations iront si mal qu'à un moment, elle lui ressortira des lettres d'Auguste déplorant son mauvais caractère ; Tibère aurait été si écoeuré qu'elle les ait gardées toutes ces années pour les lui mettre sous le nez au moment voulu qu'il se retirera à Capri : une raison comme une autre pour expliquer ce nouveau séjour sur une île, là encore assez incompréhensible pour la mentalité romaine.

Lorsque Livie mourra, Tibère ne daignera pas faire la traversée pour assister aux obsèques. Elle sera enterrée avec tous les honneurs, mais sans qu'il soit présent. Au final, une vie assez représentative des femmes julio-claudiennes : un caractère solide et le refus de n'être qu'une potiche, avec les problèmes que cela va poser aux différents "hommes de leur vie".

dimanche 27 janvier 2013

Occurrences et compagnie

Comme annoncé dans le message précédent, en ce moment je fais beaucoup de relevés d'occurrences. A vrai dire, si ça me prend une bonne partie de mes journées et me vide littéralement de mon énergie pour un résultat qui, pendant longtemps, ne sera pas très visible (seuls ceux qui ont passé des jours à indexer une base de données peuvent me comprendre), c'est parce que à la fois je ne pouvais pas le faire avant (il fallait d'abord que je dresse une liste des termes à chercher et, ne serait-ce que pour cela, lire au moins deux fois toutes les oeuvres de mon corpus) et j'ai plus ou moins remis cette corvée ce passionnant travail jusqu'à que j'en aie vraiment besoin. En l'occurrence, j'ai commencé la rédaction, ce serait mieux si je pouvais la faire en suivant l'ordre de mon plan et j'ai besoin de ces données pour ma première partie : chouette...

Pourquoi est-ce que je fais cela ?

Comme je m'intéresse à la façon dont les informations sont présentées et introduites dans le texte, évidemment je passe beaucoup de temps à étudier des passages particuliers. Mais je me suis très vite rendue compte (dès mon M2 sur les rumeurs, pour être honnête) qu'il était aussi très intéressant de savoir combien de fois une expression ou un mot revenait dans l'oeuvre de mes auteurs, comment ils était modulés (i.e. avec quels autres mots, moins centraux, ils étaient combinés) et, surtout, s'ils apparaissaient plus ou moins toujours dans le même contexte. Les questions que je me pose sont par exemple : est-ce que Tacite et Suétone utilisent toujours le verbe tradere pour désigner une source écrite ? est-ce que le terme fama renvoie généralement à une information dont la véracité est plus ou moins douteuse ? etc.

Ceux qui me subissent lisent ce blog depuis le début (ou sont allés faire un tour dans ses archives) savent que cette histoire est un peu ma marotte depuis des années et me vaut, de la part de mes amis, une réputation de crypto-linguiste (comprenez : je ne fais pas de linguistique, mais ça m'intéresse quand même et j'ai d'ailleurs retenu beaucoup trop de choses de mes cours d'indo-européens à Ulm et de linguistique grecque et romaine pour que ce ne soit pas louche ; amis linguistes qui passeriez par ici, nous sommes d'accord : ce que je fais n'est pas de la linguistique).

(Voilà un accident du travail qui ne risque pas de m'arriver ; encore que : dans la bibliothèque d'Ulm, on ne sait jamais ce qui peut arriver ; photo par That Bill Fellow ; source : Flicker)


Là encore, concrètement, ça se passe comment ?

Concrètement, je fais ce qu'on appelle des recherches morphologiques, i.e. que je cherche toutes les formes possibles d'un mot (que ce soit un nom, un verbe ou un adjectif) dans les deux corpora (et oui, le pluriel de corpus, c'est corpora). Pour mon M2, j'ai tout fait à la main, en notant scrupuleusement dans des tableaux chaque référence que je trouvais à la lecture. Ce fut long, fastidieux et, à la fin, ça a bien failli me rendre folle, car les totaux étaient toujours différents.

Cette fois-ci, j'ai donc décidé de me la jouer scientifique. Comprenez : à moi la technologie !

Au début, j'utilisais, via les ressources en ligne de la BNF (accessibles avec une carte recherche), la Bibliotheca Teubneriana Latina. Comprendre : l'édition en ligne des textes latins publiés par l'édition allemande de référence Teubner. Mais quelqu'un qui devait se prendre pour un génie a décidé d'en refaire l'interface, ce qui, dans un premier temps, a fait qu'on ne pouvait plus y accéder par la BN et, ensuite, l'a rendu totalement inutilisable : plus de texte directement accessible (alors que c'est majoritairement pour cette raison qu'on consulte l'édition Teubner), des listes avec uniquement des références (ce qui ne sert absolument à rien), sans indication sur quelle forme a été relevée, dans quel contexte et, surtout, avec des notations de passages qui ne correspondent pas à l'harmonisation qui a eu lieu depuis très longtemps (comprenez : on divise chaque livre antique en paragraphes et en chapitres ; au début, chaque éditeur faisait plus ou moins comme il l'entendait, puis on s'est mis d'accord pour que Tac., Ann. XVI 42.3 corresponde au même texte, quelle que soit l'édition).

Si certains éditeurs et informaticiens pouvaient se mettre à la place des usagers, ce serait bien. J'en suis presque à me demander si ce n'est pas une tactique pour obliger les gens à délaisser l'édition numérique pour n'utiliser que le papier.

("Hé, Steve ! Tu as vu comme le site de De Gruyter est encore plus nul à chier que d'habitude ? - Oui, j'ai vu, Bill ! C'est pas encore aujourd'hui que les latinistes vont dominer le monde !" ; photo par Joi Ito ; source : Fotopedia)


Je me suis donc rabattue sur le bon vieux Diogenes, logiciel en libre accès permettant de faire des recherches dans les deux bases de données de littérature antique (l'Ultime Solution étant le moteur de Perseus, mais vu comme ça a tendance à ramer pour avoir un texte, je n'ose imaginer ce que ça peut donner pour le reste). J'ai toujours ce problème des références (les éditions répertoriées sont celles qui sont libres de droit, ce qui veut dire qu'elles sont assez anciennes, à l'inverse - théoriquement- des Teubner), mais, au moins, je peux lire tout de suite le texte ; je me contente de vérifier sur mes Budé papier lorsqu'une référence m'intéresse.

Grâce à tout cela, je fais de Magnifiques Tableaux (si, si, ils sont magnifiques), dont j'essaie ensuite de voir si je peux en tirer quelque chose de significatif. Ne me demandez pas si j'ai déjà des résultats : j'en suis encore à rassembler des données et tenter de ne pas me désespérer devant "Dicere + Tacite : 174 résultats" (yeeepeeee ! des heures d'ennui mortel de jeu en perspective !). C'est ça, aussi, la thèse...

(Un magnifique tableau)

dimanche 20 janvier 2013

Mais oui, mais tiens, sur quoi tu travailles, déjà ?

Oui, je sais, ça fait deux mois que je n'ai plus rien posté ici. J'étais bien partie, pourtant, avec un message toutes les semaines. Puis les copies, les préprojets et les cours à finir de préparer se sont accumulés : game over.

Et donc, qu'est-ce que je fais, depuis le 17 novembre ? Beaucoup de choses, en particulier tenter de boucler ma bibliographie et rassembler mon courage devant les centaines d'occurrences de verbes qui m'attendent et qu'il va me falloir dépouiller. C'est même précisément ce que je suis en train de faire en ce moment (dépouiller tout ça, pas rassembler mon courage), je vous expliquerai bientôt en quoi ça consiste et à quoi j'espère que ça va me servir.

J'étais même sur le point d'écrire ce post sur les occurrences lexicales, leur vie, leur oeuvre, quand je me suis rendue compte que je n'avais jusque là jamais vraiment expliqué ici sur quoi porte ma thèse exactement. C'est d'autant plus ironique que je râle suffisamment sur le blocage de mon Vénéré Chef à propos de mon sujet (la dernière fois qu'il m'a vue, il se souvenait de Suétone, mais pas de Tacite ; nous sommes donc revenus au stade 1 : ça avance, mais, quand même, inconscient, quand tu nous tiens !).

("Bonjour ! Dis-moi quel est ton sujet de thèse et je m'en souviendrai pendant des années !" ; photo par Brittany Hock ; source : FlickR)

Je travaille donc sur, je cite, "l'élaboration du récit chez les historiens romains des débuts de l'empire".

Ça, c'est mon titre (je vous épargne les deux mots latins qu'il contient, mais j'y reviendrai peut-être plus tard - soyons fous !).

Concrètement, ça veut dire quoi ?

Concrètement, ça veut dire que je travaille sur la façon dont Tacite et Suétone ont écrit sur les premiers empereurs, ceux du Ier siècle après J.C., en les comparant l'un à l'autre. Leur sujet était en effet plus ou moins le même et ils ont écrit plus ou moins au même moment, ce qui permet de les mettre en parallèle sans trop craindre d'obstacles de type période historique, milieu culturel et social ou encore accès à l'information. Mon postulat de départ, c'est qu'ils avaient potentiellement accès aux mêmes informations : à partir de cela, quels choix ont-ils concrètement faits pour construire leurs oeuvres ?

Pour mettre cela en évidence, j'ai (pour le moment : Chef a manifestement eu une Illumination sur mon plan, mais il n'a pas envie de faire "Un mail, une idée" et c'est tellement urgent que toute affirmation de ma part sur mon entière disponibilité pour le rencontrer tombe dans le plus grand vague) l'intention de partir du plus près du texte pour prendre ensuite progressivement de la hauteur. Dès lors, plusieurs aspects m'intéressent, afin d'essayer d'entrer de plus en plus profondément dans le processus compositionnel :
  • le choix des mots : comment telle information est-elle présentée et introduite dans le texte ?
  • l'organisation générale de la matière : quelles sont les répercussions du genre choisi par mes auteurs (Tacite écrit des ouvrages d'histoire, Suétone des biographies) sur le déroulement de la narration ?
  • les scènes récurrentes :  quels "modèles à suivre" peuvent être décelé dans la narration de scènes récurrentes, comme par exemple la mort d'un empereur ?
  • le portrait d'ensemble des différents empereurs : quels choix ont été faits pour présenter tel empereur de telle manière ?

Les questions qui se trouvent derrière tout cela portent sur la conception de l'histoire de Tacite et Suétone, mais aussi sur celle des Romains du début du IIème siècle après J.C. L'originalité de ma démarche repose, il me semble, dans la comparaison des deux auteurs, qu'on "recoupe" assez souvent pour vérifier une information ou étudier leur style (ce qui revient généralement à porter Tacite aux nues et vilipender Suétone), mais assez peu pour dire "il a utilisé cette information et pas celle-là, alors qu'on la retrouve chez l'autre : pourquoi ?" et, surtout, pas de manière aussi systématique.

Evidemment, je vais aller faire un tour du côté de la narratologie.

Evidemment, les historiens sont mes amis !