Ça fait un moment que je n'ai pas fait de "seconds couteaux" et mon débordement "féministe" m'a donné l'idée de traiter de ces encore plus grandes oubliées de l'histoire romaine : les femmes. En particulier d'une d'entre elles : Livie.
Livie est la femme d'Auguste et la mère de Tibère. N'en concluez pas pour autant que le second est le fils du premier : il sera adopté par lui, certes, mais, pendant fort longtemps, il ne sera "que" son beau-fils.
Tibère et son frère cadet Drusus sont en effet les fils d'un premier mariage de Livie avec un certain Tiberius Nero, membre comme elle d'une des plus vieilles gentes romaines de la fin de la République, les Claudii. A ce titre, il n'apprécie pas vraiment que le pouvoir passe des mains du Sénat à celles d'un seul homme et se retrouve donc dans le camp opposé à celui d'Octave, le neveu de César et futur Auguste. Cela lui vaudra de devoir partir en exil pour échapper à ses adversaires, mais il sera suffisamment intelligent pour comprendre qu'il n'était pas du bon côté et aura l'échine suffisamment souple pour se faire pardonner ses "errances", Octave ayant bien retenu de son oncle que la clémence est souvent bien plus intéressante que l'exécution systématique d'opposants qui pourraient potentiellement se repentir.
(buste d'Auguste au Musée du Capitole, à Rome ; photo : Bibi)
Octave rencontre donc Livie, déjà mère de Tibère. Je ne vous vendrai pas du rêve et du romantisme, ma thèse ne m'oblige pas (encore) à creuser de ce côté-là, ce qui veut dire que je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Imaginez-vous ce que vous voulez, coup de foudre d'un côté, des deux, pur désir sexuel, calculs politiques : c'est sans doute un peu de tout cela à la fois. Toujours est-il que Tiberius Nero accepte de "donner" sa femme à Auguste, qui l'épouse alors qu'elle est à nouveau enceinte de six bons mois de son premier mari (à Rome, ça ne pose pas de problème de filiation : l'enfant reste celui du premier mari et sera éduqué dès que possible chez ce dernier et non chez sa mère ; il se trouve que Tiberius Nero mourra assez vite après, ce qui ramènera les deux garçons chez leur mère et leur beau-père).
Livie sera la compagne de vie d'Auguste, toujours à ses côtés, incarnant, dans sa politique de "restauration morale", une sorte de matrone idéale, pudique, chaste, aimante, etc. Sa maison est située tout près de celle d'Auguste, sur le Palatin. L'empereur mourra dans ses bras et les soupçons d'empoisonnement rapportés par Tacite pour faire un parallèle avec la mort de Claude sont, à juste titre à mon avis, repoussés avec des cris d'horreur (doublés d'une indulgence qu'ils n'auraient pas si c'était Suétone qui en avait parlé) par tous les biographes que j'ai pu lire jusque là.
(intérieur de la maison d'Auguste - j'ai des photos de celle de Livie, mais elles ne sont pas terribles, parce qu'elle était en travaux)
A présent, laissons de côté toutes ces questions auxquelles il est impossible et inintéressant de répondre, du genre "est-ce que Livie aimait vraiment Auguste ? ou bien que son mari ait renoncé à elle aussi facilement lui a-t-il brisé le coeur ?". Dites-vous bien qu'à Rome, en particulier pour les Romains de la fin de la République, les mariages d'amour sont de douces plaisanteries : épouser quelqu'un, c'est mettre au point une alliance politique entre deux familles, et on divorce extrêmement facilement quand les vues des uns ne correspondent plus à celles des autres. Pensez à la rupture entre Pompée et César, qui a eu lieu, comme par hasard, après la mort de la fille du second, qui, là encore comme par hasard, avait épousé le premier (d'environ quarante ans son aîné, si je ne m'abuse).
En ce qui me concerne, la figure de Livie est intéressante à deux points de vue : 1) la question de l'héritier du pouvoir ; 2) les problèmes de légitimités concurrentes.
Le point 1 découle directement de ce que Auguste a eu une fille avec sa première femme et Livie deux fils avec son premier mari, mais qu'ils n'ont jamais réussi à avoir d'enfant ensemble. Auguste n'avait donc pas de fils à qui il pouvait envisager de transmettre l'empire, ce qui, du coup, a accentué l'importance politique des mariages dans sa famille, parce que la transmission du pouvoir ne pouvait se faire que par les femmes. Tout d'abord, sa soeur, Octavie, dont le fils, Marcellus, avait l'air bien parti, mais meurt de maladie à dix-neuf ans. Pour lui, Auguste avait fait construire un immense théâtre au nord du Capitole, qui porte encore son nom et qu'il fit quand même inaugurer par sa soeur. Personnellement, je ne peux pas passer devant sans avoir un serrement de coeur en imaginant ce que ça a dû être de perdre ce gosse sur lequel tant de choses reposaient.
(Le théâtre de Marcellus ; photo : Bibi)
Deuxième femme "en lice", Julie, la fille d'Auguste, qu'il a d'abord fiancée à Marcellus, puis mariée à son ami et amiral vainqueur d'Actium (oui, c'est lui qui a fait tout le boulot), Agrippa. Ensemble, ils ont eu deux filles, mais surtout trois fils. Les deux aînés prennent le relai de Marcellus, mais meurent aussi de maladie, en missions militaires et diplomatiques loin de Rome (là encore, évidemment, Tacite fait des suggestions "innocentes"... et totalement irréalistes - et pan sur le nez du fameux principe de vraisemblance dans l'historiographie romaine). Il n'en reste donc plus qu'un, Agrippa Postumus, appelé ainsi parce que né après la mort de son père, mais les historiens romains le présentent comme non nocif, mais violent et pas très intelligent, au point qu'Auguste finira par l'exiler. Une fois de plus, il est sans héritier, ce qui l'oblige à adopter Tibère, le fils aîné de Livie. Il lui fait épouser sa fille (et oui, encore !), en espérant qu'ils auront des enfants et, là encore, ça ne marchera pas. Mais c'est une autre histoire.
Auguste est donc un pro des adoptions : son neveu, ses petits-fils, son beau-fils... et, pour finir, même sa femme. Car, dans son testament, Auguste déclare adopter Livie, qui prend alors le nom d'Augusta. L'idée était sans doute de lui donner une protection supplémentaire, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions et cela va surtout causer des problèmes à Tibère. C'est là qu'intervient mon point 2.
Car, si Livie ne commandait absolument pas aux côtés d'Auguste, en revanche elle avait l'habitude d'intervenir à des titres divers dans la vie publique romaine. Et ça, Tibère n'aime pas. Il a en effet parfaitement conscience d'être arrivé là où il est arrivé parce que sa mère a, pendant des années, plaidé sa cause auprès de son mari. Evidemment, il a de grands titres militaires, mais il en a perdu le bénéfice en décidant, du jour au lendemain et sans que personne ne sache vraiment pourquoi, de se retirer à Rhodes. Auguste l'a pris fort mal et, lorsque Tibère a voulu revenir, il lui a dit, en substance : "Tu as voulu y être, tu y restes !", ce qui n'augurait rien de bon. Là encore, c'est grâce à Livie que son fils a pu retrouver ses pénates.
(Buste de Livie, lui aussi au Musée du Capitole ; photo : Bibi)
Tibère sait donc ce qu'il doit à sa mère et tout le monde le sait avec lui. A cela s'ajoute qu'il est d'un tempérament assez "tradi", pour lequel les femmes n'ont rien à faire avec la vie publique de l'Etat romain. Il prend donc très mal toutes les initiatives que peut avoir Livie, ainsi que tous les honneurs que le Sénat a l'idée de proposer de lui décerner. Bref, c'est un sujet sensible, d'autant que l'adoption de Livie par Auguste lui confère une légitimité qu'elle utilise pour continuer sa politique, alors que son fils essaie de sortir de son ombre et de faire quelque chose de différent, tout simplement parce qu'il ne conçoit pas le gouvernement de la même manière que lui.
On a donc d'un côté la légitimité de Tibère, adopté par Auguste, revendiquant donc son héritage politique, tout en essayant de faire les choses à sa manière, et, de l'autre, celle de Livie, compagne d'Auguste et, pour ainsi dire, "naturellement" encore plus proche de lui.
D'après Suétone, leurs relations iront si mal qu'à un moment, elle lui ressortira des lettres d'Auguste déplorant son mauvais caractère ; Tibère aurait été si écoeuré qu'elle les ait gardées toutes ces années pour les lui mettre sous le nez au moment voulu qu'il se retirera à Capri : une raison comme une autre pour expliquer ce nouveau séjour sur une île, là encore assez incompréhensible pour la mentalité romaine.
On a donc d'un côté la légitimité de Tibère, adopté par Auguste, revendiquant donc son héritage politique, tout en essayant de faire les choses à sa manière, et, de l'autre, celle de Livie, compagne d'Auguste et, pour ainsi dire, "naturellement" encore plus proche de lui.
D'après Suétone, leurs relations iront si mal qu'à un moment, elle lui ressortira des lettres d'Auguste déplorant son mauvais caractère ; Tibère aurait été si écoeuré qu'elle les ait gardées toutes ces années pour les lui mettre sous le nez au moment voulu qu'il se retirera à Capri : une raison comme une autre pour expliquer ce nouveau séjour sur une île, là encore assez incompréhensible pour la mentalité romaine.
Lorsque Livie mourra, Tibère ne daignera pas faire la traversée pour assister aux obsèques. Elle sera enterrée avec tous les honneurs, mais sans qu'il soit présent. Au final, une vie assez représentative des femmes julio-claudiennes : un caractère solide et le refus de n'être qu'une potiche, avec les problèmes que cela va poser aux différents "hommes de leur vie".
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