Comme ce soir je suis fatiguée et que je n'attends qu'une chose, pouvoir me glisser sous la couette et roupiller tout mon saoul jusqu'au réveil lundimatinal, je vais me contenter de répondre à cette Question Que Vous Vous Posez Tous : ATER, kesaccò ?
Commençons par le commencement : lorsque vous commencez une thèse, si vous êtes chanceux, vous obtenez un contrat doctoral de trois ans, souvent avec mission d'enseignement (encore que, là où je suis, il semble que les difficultés financières aient pour conséquence que c'est devenu comme les antibiotiques : pas automatique). Ça, c'est moi.
(Vu le temps dont nous sommes gratifiés en ce moment, je vais faire comme mon frère, qui m'envoyait des photos de Bora-Bora par mail pendant mon année d'agrèg', ce petit vicelard ; toutes les photos de cette note ont été prises à Grand Turk, aux Caraïbes, par Gerandlg ; source : FlickR)
Théoriquement, au bout de ces trois ans, vous avez fini votre thèse. Sauf que cette durée n'a pas été fixée en fonction de ce qui était jugé nécessaire pour parvenir à un résultat scientifiquement acceptable, mais en coupant plus ou moins au milieu de la durée moyenne, en prenant comme principal référent les thèses de sciences dites "dures" (il faut dire qu'il était difficile de prendre comme référent les thèses de SHS faites en dix ans - autre temps, autres moeurs - soupir).
Résultat : si les physiciens et les biologistes, quand ils obtiennent assez vite quelque chose d'intéressant, peuvent finir dans les trois années fixées, les matheux, eux, se font souvent chier comme des rats morts au bout d'un an et demi et les gens de SHS... les gens de SHS tentent de jongler entre rendre un travail de qualité et ne pas trop tirer sur la corde, sachant que les critères selon lesquels ils seront évalués restent encore, dans un certain nombre de cas, ceux des thèses en dix ans. Cela m'a valu ce bon conseil de Chef : "Faire votre thèse en trois ans ? Non seulement ce n'est pas envisageable avec votre double corpus, mais en plus on vous attendrait au tournant."
(Je précise toutefois que je connais personnellement un cas de génie surhumain ayant brillamment fini en trois ans sur injonction de son directeur, ce que son jury de soutenance a très obligeamment pris en compte dans son évaluation.)
A cela s'ajoute que, quand bien même vous auriez fini, soutenu et tout et tout, il vous reste encore à être choisi pour un poste de maître de conférence.
A la fin du contrat doctoral, que vous ayez fini ou non, vous entrez donc dans un entre-deux et vous postulez pour des postes d'Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche, les fameux ATER.
Concrètement, qu'est-ce que ça change ?
Eh bien, dans tous les cas, vous travaillez plus que lorsque vous étiez doctorant contractuel (192 heures à temps plein, 96 heures à temps partiel, contre 64 heures maximum avant), ce qui s'explique aisément par le fait que vous êtes censé soit avoir terminé, soit être en train de terminer votre thèse (vous devriez avoir plus de temps, donc), pour gagner, en revanche, soit à peu près autant que votre ancienne bourse de thèse (environ 1600 euros par mois en temps plein), soit carrément moins (entre 1100 et 1200 euros par mois).
Université, ton univers impitoyable...
La suite dépend des disciplines. Grosses restrictions budgétaires partout obligent, il y a de moins en moins de postes d'ATER (et ce alors que les facs en auraient parfois cruellement besoin - mais ça coûte moins cher de payer des vacataires, pourtant hors université, parce qu'ils n'impliquent pas de cotisations sociales à verser). Alors soit les facs choisissent de garder des postes d'ATER pleins et donc d'en donner à moins de gens, soit elles proposent des postes de demi-ATER, qui profitent à plus de gens, qui disent adieu aux fruits et légumes et bonjour aux pommes de terre, mais qui ont au moins un revenu régulier à peu près stable (ai-je précisé que les vacataires ne commençaient à être payés qu'APRÈS la fin des cours qu'ils ont donnés ? oui, parce que, quand on est vacataire, on n'a pas besoin de sous pour la vie de tous les jours).
En ce qui me concerne, si je ne trouve rien du tout, j'ai toujours ma "bouée de sauvetage" (qu'il est assez indécent d'appeler ainsi, vu la situation actuelle en France et encore plus lorsque je suis en Italie) : l'agrèg'. Comme mon contrat arrive à sa fin, j'ai été bien obligée de me signaler au Ministère, qui devrait, dans le "pire" des cas, m'assigner un poste (probablement de TZR) à la rentrée.
Comprenez-moi : ce n'est pas que je ne veuille absolument pas enseigner dans le secondaire, malgré l'impréparation totale qui serait la mienne dans ce cas (enseigner à des étudiants, ce n'est pas la même chose que faire cours à des gosses de 14 ans, ne serait-ce que parce qu'on ne peut pas leur dire quand ils dépassent les bornes : "Vous n'êtes pas obligé d'être là ; prenez vos responsabilités, je ne vous retiens pas" - ce que, soit dit en passant, je n'ai jamais été obligée de déclarer). Je vous assure aussi que, vu mon appart' actuel, je rêverais presque de ce salaire, mirobolant vu d'où je suis (environ 1800 euros par mois, si je ne m'abuse), qui nous permettrait, à Chéri et à moi, de rassurer suffisamment un propriétaire pour qu'il nous loue un toit un peu plus grand que celui où nous sommes en ce moment. Parce que, pour le moment, une thésarde + un musicien, même sérieux et gagnant leur vie, ce n'est pas exactement le tiercé gagnant dans l'absurde et insupportable parc locatif parisien.
Le problème, c'est que, une fois sorti de l'univers universitaire, il est difficile d'y rentrer. Si j'ai bien compris, il n'est pas toujours évident, dans les commissions de recrutement, qu'un passage dans le secondaire n'est pas nécessairement synonyme de rupture totale avec le monde de la recherche, même s'il est de plus en plus fréquent (sachant que certains commissions peuvent aussi vous reprocher de ne pas avoir eu d'expérience dans le secondaire - c'est beau, la cohérence de la schizophrénie universitaire). Ce qui veut dire qu'il faudrait aussi être prêt à tuer sa mère pour avoir une vacation EN PLUS de son temps plein de prof en collège ou lycée. Et va finir ta thèse dans des conditions idéales, avec ça.
Bref, évidemment, le Top du Top de mes Rêves d'Or et d'Argent, c'est un poste d'ATER plein. Mais il ne faut pas trop rêver et, surtout, quelle que soit ma situation l'année prochaine, il y aura des avantages et des inconvénients. Comme toujours dans la vie, quoi.
N'est-ce pas encore un signe que vouloir gérer de la même façon les lettres, SHS et les différentes sciences exactes conduit à des difficultés?
RépondreSupprimerJe pense aussi. De mon point de vue, il aurait fallu que chaque discipline fixe la durée souhaitable des thèses dans son domaine, même si ce serait certainement ensuite un casse-tête administratif.
RépondreSupprimerIl n'y a toutefois pas eu que des inconvénients à cette "normalisation" idiote, sourde et aveugle : dans le contexte actuel, les thèses de dix ans en SHS ne sont plus possibles, donc ça a sans doute accéléré une adaptation qui devenait de plus en plus nécessaire.