samedi 9 octobre 2010

Déprime bloguesque

Je ne sais pas pourquoi, mais, souvent, lorsque je tombe sur des blogs consacrés à l'Antiquité ou sur des sites d'associations du même genre, je me sens envahie d'un terrible sentiment de déprime. Pourtant, je devrais me réjouir de ce qu'il y ait des gens sur le web pour faire en sorte que la culture antique y soit présente ; or, vu les sites en question, ma réaction est souvent : pfffffffff...

Prenons cette semaine : après des échanges très intéressants avec David Monniaux sur son blog et sur le mien, je suis tombée, via le site de "La Fabrique de l'histoire", sur celui du sociologue qu'ils avaient invité jeudi, Philippe Cibois. Il m'a l'air intéressant et j'avoue que je n'ai pas encore eu le temps de parcourir son pavé sur "comment il se fait que, de près de 20 % d'une classe d'âge faisant du latin en 5°, on se retrouve à trois pelés et un tondu en terminale" ; j'avoue aussi que je suis assez sceptique devant ses "tableaux historiques", sachant qu'il sociologue et pas historien : je n'ai pas lu en détail, par exemple, sa présentation de la citoyenneté romaine comme un "contrat social" rousseauiste, mais, enfin, après avoir lu Le Métier de citoyen à Rome de Claude Nicolet, je pense que cette formule, malgré toutes les dénégations d'anachronisme qui l'entourent, l'est bel et bien.

C'est d'ailleurs souvent le défaut des habituels promoteurs de l'Antiquité : "Regardez comme ils nous ressemblent ! Ils sont comme nous ! Donc il faut les connaître pour nous connaître nous-mêmes !" Rien de plus faux et je me demande toujours pourquoi, au contraire, on ne montre pas combien ils sont différents, parce que c'est cela qui est passionnant : ils nous semblent comme nous parce qu'on nous rabâche depuis la primaire qu'ils sont nos ancêtres, mais, en réalité, ils fonctionnaient et pensaient de manière tout aussi différente de nous que les Bantous ou les Indiens d'Amazonie. Etant donné qu'on attire en général beaucoup plus facilement les gens par la différence et la curiosité, que par la ressemblance et le mimétisme, il est étonnant que cet argument-là ne soit pas utilisé.

En même temps, pas tant que cela, car, souvent, ce qui intéresse les promoteurs de l'Antiquité et, donc, ce qu'ils mettent en avant, c'est cette illusion de ressemblance. Il y a un besoin manifeste de se dire que notre monde dérive directement des Grecs et des Romains (je comprends, c'est assez rassurant) et le grand public connaît en général très peu, voire pas, les travaux, entre autres, de Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet. Il faut dire que, même sur le plan scientifique, ils sont assez minoritaires : beaucoup de chercheurs ont continué à faire des études "classiques" sur l'Antiquité et c'est vrai qu'il est assez difficile d'expliquer le Chasseur noir à des collégiens (mais une vulgarisation auprès des lycéens serait possible) : par contre, il me semble que les travaux de John Scheid sont si clairs qu'il serait tout à fait envisageable de leur montrer en quoi la religio romaine est très éloignée de ce que nous appelons "religion".

C'est là où je suis passée sur le blogroll du site de Philippe Cibois, qui m'a amenée au blog Antiquitas semper. J'étais déjà tombée dessus en faisant des recherches plus générales sur le net, c'est choupinou, les titres sont en latins, les messages commencent pas auete et χαίρετε, on y trouve des recensements des programmes télé de la semaine qui parlent de l'Antiquité (au sens vaste, parce que bon, Chateaubriand, c'est un peu limite, je trouve, même si ça peut se défendre) et il est manifestement aussi utilisé par la personne qui le tient comme moyen de communication avec ses étudiants et ses collégiens (?).

Outre le graphisme, qui est tout aussi anachronique que celui du précédent site (le jour où les antiquisants - moi comprise, mais, moi, j'essaie de faire des efforts - cesseront de faire des sites aussi attractifs qu'un article des Echos en comic sans ms, nous aurons fait un grand pas), le contenu du site m'a donné envie de me tirer une balle dans la tête : c'est quoi, être passionné par l'Antiquité ? s'enfouir dans la poussière ? regarder religieusement tous les péplums qui passent à la télé ? On est dans une démarche de conservation par un repli sur soi fataliste et non dans une dynamique : la recherche sur l'Antiquité est vivante, il s'agirait de le montrer !

Je n'ai pas encore épluché son propre blogroll à la recherche de sites intéressants (déjà vieux réflexe de recherches bibliographiques), mais ça va venir. A la place, je suis allée voir les lectures conseillées : bon, les romans d'Odile Weulersse, c'est sympa, mais c'est quand même de la littérature pour enfants et j'imagine mal un gosse surfant sur ce site, les autres sont des polars bas de gamme, Salambô n'apparaît nulle part (Salambô, bon sang !) et la catégorie "histoire" s'ouvre sur... Fustel de Coulange : ça sent bon la naphtaline.

Bref, tout ça pour dire que, s'il s'agit de conserver l'Antiquité dans du formol, au lieu de montrer combien elle peut être passionante et encore vivante, par certains aspects, aujourd'hui, il ne faut vraiment pas s'étonner qu'il y ait si peu de jeunes qui continuent le latin et/ou le grec, qui persistent à s'y intéresser ou qui soient sincèrement convaincus que cela va leur apporter quelque chose dans la vie. Même moi, si c'est présenté comme ça, tout d'un coup, j'ai pô envie...

12 commentaires:

  1. Hola... c'est assez facile je trouve :
    Tu préfère faire quoi entre 12h30 et 13h30? T'amuser, manger ou avoir cours ? De 8 à 9 le lundi ? Dormir ou avoir cours? De 17h à 18h le vendredi? Etre en week end ou avoir cours? Les horaires de latin / grec sont fait pour dissuader les élèves d'y aller! En seconde, en latin, on était quinze... en première on était neuf... en terminal on était cinq...

    Sinon livre à lire sur l'Antiquité... ce ne manque pas... j'ai une PaL (Pile à Lire) énorme! Tantot une approche historique - que j'aime beaucoup ( je suis inscrite en équivalences Lettres Classiques / Histoire et Philo... je suis un peu folle )
    - Civilisation romaine, Pierre Grimmal
    - Spartes, Edmon Levy
    - La Grece au Ve siècle, Edmon Levy
    - L'homme romain, Andrea Giardina
    - L'homme grec, JP Vernant
    - La société romaine, Paul Veyne
    Sinon plus classique :
    - Bacchantes, Euripide
    - Des travaux et des jours, Hésiode...
    - ... plein :p

    D'ailleurs, si jamais t'as des conseils de lecture pour le sujet " Les Dieux et les Hommes " ( Culture antique cette année ) je suis preneuse! On a du lire Illiade / Odyssée et Théogonie pour le moment.

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  2. Oui, c'est à peu près le constat qu'ils faisaient jeudi dernier sur France Q : pour faire du latin et/ou du grec, il faut vraiment être motivé... En seconde, par exemple, j'avais cours le samedi matin à 8h, alors que tout le monde commençait à 10h...

    Pour le reste, effectivement, c'est une bonne PaL ! :p Le bouquin de John Scheid, "La religion des Romains", chez Armand Colin est vraiment bien pour comprendre comme ça fonctionne à Rome. Côté textes antiques, je suppose qu'on doit s'attendre à ce que vous ayez au moins des notions du "De Natura deorum" de Cicéron.

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  3. Peut-être qu'on a autant insisté sur les ressemblances avec le monde Gréco-romain (il y en a beaucoup tout de même) pour souligner notre "origine" européenne (et nier l'influence orientale).

    Je garde un souvenir assez mauvais du latin. Mon premier cours avait commencé par des déclinaisons ; je crois qu'il y a mieux pour "vendre" une discipline. Il ne faut pas s'étonner si les élèves s'enfuient au fur et à mesure qu'on les attaque à coups de temps primitifs, datif, déclinaison neutre, etc... A la fin de 3e, je me suis rendu compte que je ne savais même pas compter en latin, dire "oui", "non", "au revoir"... Le Latin (et le Grec aussi je pense) est enseigné comme une langue morte, il ne faut pas s'étonner qu'il soit en train de mourir...

    Pourtant j'aime beaucoup l'Histoire Ancienne. Pour motiver des élèves, je pense que la lecture de Suétone est ce qu'il y a de mieux. J'ai aussi beaucoup aimé Tacite (Annales et Histoires).
    A propos des ressemblances de l'Antiquité avec aujourd'hui, je conseille "L'Antiquité dans la Révolution française" de Claude Mossé ; les révolutionnaires, fondateurs de la France contemporaine, se sont en effet beaucoup inspirés de l'Antiquité, notamment Sparte (Saint-Just se pensait en un nouveau Lycurgue).
    "Rome et l'intégration de l'Empire" de Scheid et Lepelley est assez costaud (les notes en bas de pages sont dans le corps du texte, grrr) et Nicolet reste bien sûr une référence.

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  4. "Regardez comme ils nous ressemblent ! Ils sont comme nous ! Donc il faut les connaître pour nous connaître nous-mêmes !" Rien de plus faux et je me demande toujours pourquoi, au contraire, on ne montre pas combien ils sont différents, parce que c'est cela qui est passionnant : ils nous semblent comme nous parce qu'on nous rabâche depuis la primaire qu'ils sont nos ancêtres, mais, en réalité, ils fonctionnaient et pensaient de manière tout aussi différente de nous que les Bantous ou les Indiens d'Amazonie." Vous, vous devez bien vous entendre avec Florence Dupont !

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  5. @ Anonyme : c'est sûr que, si vous vouliez parler le latin comme on parle l'anglais, vous ne pouviez qu'être déçu, car le latin est enseigné pour être lu, puisqu'il n'est plus parlé.

    Ceci dit, il y a encore des associations qui essaient de parler latin. L'Assimil est conçu dans cette optique-là, par exemple. Je ne suis personnellement pas très attirée par ce genre de chose, qui relève, à mon sens, plus d'un vain folklore, un peu comme ces processions bacchiques organisées en plein Quartier Latin... Mais je peux tout à fait comprendre que cela en intéresse certains.

    Je suis d'accord au sujet de l'accent à mettre sur l'histoire ancienne et les aspects plus civilisationels, car c'est cela aussi qui permet de motiver l'apprentissage de la langue.


    @ Laurent : pas tant que cela, en fait. Je l'ai eue en cours d'agrégation sur Térence : sa perspective est très intéressante, mais, à mon avis, un peu trop sectaire, car elle ne supporte pas qu'on en ait une autre. C'était un peu la cerise sur le gâteau, mais... sans le gâteau.

    En ce qui me concerne, je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'on puisse trouver des ressemblances entre nous et les Grecs et les Romains, mais il me semble qu'il faut bien faire la différence entre ce qu'ils étaient et ce que nous nous représentons qu'ils étaient, ce que nous avons envie qu'ils aient été. Or, bien souvent, les deux ne correspondent pas du tout.

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  6. Mon professeur de grec nous apprend le grec ancien comme une langue " vivante"... Il insiste sans cesse sur la prononciation. La différence entre une " vraie" lecture et une lecture à " l'erasmienne". J'avoue que c'est pas une partie de plaisir! Je trouve ça assez spécial... A mon sens le plus important et de réussir à traduire un texte en le lisant, non pas en l'écoutant. J'avoue ne pas partager, du tout, le point de vue d'Anonyme.

    Quand tu apprends l'italien le premier cours c'est " Mi chiamo ... "; en anglais " My name is... "... Et la base du latin / grec reste les déclinaisons. C'est le seul moyen de s'exprimer. Je me souviens que sur trois heures de cours, il y avait toujours une heure dédiée qu'à la grammaire, qu'une à la civilisation mais où on apprenait le vocabulaire! Et la troisième heure cela dépendait.

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  7. @ Paige
    Je n'ai pas dit qu'il fallait parler le latin, je suis d'accord que l'essentiel de l'apprentissage se fait par et pour l'écrit. Je voulais juste dire que l'on pouvait peut-être l'enseigner d'une façon un peu moins "grammairienne". Je me souviens encore du traumatisme lors de mon premier cours en 5e quand la prof avait écrit les différents groupes verbaux au tableau. Il n'y a pas une méthode un peu plus pédagogique pour apprendre un langue morte?

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  8. latinn c tro facile arrété donc pfffff... moii g que des 20/20 en latin je vou jure vou ète purriii ppffffffffff.... oh lalalalalala vou ète tou nul

    lol

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  9. Ista ultima uerba omnia dixisse arbitror... :p

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  10. Tentative d'explication : le latin, et encore plus le grec, sont des critères de sélection pour des « classes de niveau ». Les parents informés du fonctionnement réel du système éducatif public (*) peuvent donc vouloir imposer cette option à leurs enfants. Plus tard, l'adolescent, dont les choix deviennent plus autonomes, abandonne cette option.

    (*) Ce n'est pas un hasard si certaines classes à option et numerus clausus sont surnommées « classes CAMIF », avec beaucoup d'enfants de professeurs : ces derniers savent bien quelles options prendre pour ne pas se retrouver avec le vulgum pecum. :-)

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  11. C'est un peu facile de résumer cela à un "choix" imposé par les parents, non ? La plupart des élèves de sixième est très enthousiaste lorsqu'on leur fait étudier l'Antiquité en histoire.

    De mon point de vue, la pression des parents intervient surtout en troisième : on considère en effet comme bien vu de faire du latin au collège, d'où une certaine pression pour continuer. Ensuite, au lycée, c'est le moment de "passer aux choses sérieuses", tant pour l'institution (horaires improbables) que pour les familles (nettement moins de pression parentale pour continuer).

    Ceci dit, cette histoire de "classes de niveau" est stupide : de mon point de vue, tout le monde peut faire du latin, les bons comme les "mauvais" élèves, du moment qu'ils sont motivés. D'où mon corollaire : si un élève n'a vraiment pas envie de faire du latin, ça ne sert pas à grand chose de le forcer à en faire.

    Après, pour les 20% qui décident de tenter l'aventure en cinquième, je pense que leur envie de continuer ou non dépend non de la difficulté en soi de la matière (encore à débattre), mais de la manière dont elle est enseignée.

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  12. @Lina: La dernière fois que j'ai vu une adolescente faire du latin, ça avait l'air de la faire suer et je sentais qu'elle y était poussée par maman (qui d'ailleurs, 4 ans plus tard, en était à expliquer à sa gamine quels modules suivre en fac...).

    En ce qui concerne les classes de niveau, le problème est simple. Il est interdit de faire officiellement des « classes de niveau », mais pas mal de gens veulent que leur enfants soient dans une « bonne classe », sans cas sociaux et autres fréquentations indésirables. Pour cela, la réponse de l'institution scolaire est de proposer des classes à option (éventuellement à numerus clausus) qui de fait sont des classes de niveau.

    Par exemple, dans certains lycées, il y a 20 ans, c'était l'option « technologie des systèmes automatisés » qui pouvait avoir ce rôle... Vous croyez que les élèves étaient passionnés de dessin industriel ? (Et encore, le dessin industriel ça peut être marrant, mais les bla-bla à côté...)

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