Ce magnifique après-midi ensoleillé est parfait pour travailler, non, vous ne trouvez pas ? Comment ça, il fait vraiment un temps de cochon à Paris ?! Et a-lorrrrs ?! Je fais comme les Grecs avec la main et l'aile (celle d'une armée, pas celle des piafs) gauche : c'est a-po-tro-pa-ïque (encore un mot que mon correcteur orthographique ne connaît certainement pas) !
Donc, je disais, cet après-midi pourri de novembre est parfait pour travailler. Je m'en vais donc faire une note de blog, puisque c'est l'activité la plus adaptée au moment. Oui, je sais, je ferais mieux de bosser, mais c'est précisément ce que j'ai fait toute cette matinée, donc j'estime avoir droit à une petite pause post-prandiale (c'est le jour des mots nouveaux).
J'ai en effet passé toute ma matinée sur ma fameuse Thèse Incontournable de huit cents pages : j'ai décidé d'en finir avec elle en essayant d'en lire au moins cinquante pages par jours, mais je dois bien avouer que la liste des différentes "originalités" administratives et juridiques répertoriées chez Suétone a bien failli avoir raison de ma bonne volonté.
J'ai donc bûché un peu plus de trois heures sur ce fameux bouquin, toute seule dans ma chambre, sans rien faire d'autre, et, le mieux, c'est que ces trois heures de lecture/prise de notes comptent, aux yeux de certains, pour du beurre.
La plupart des gens n'évaluent en effet le degré de travail d'un étudiant (ou d'un prof ; ou d'un chercheur : c'est la même chose) qu'au nombre d'heures passées en cours (et en labo pour les scientifiques). Ce qui fait qu'on arrive à de petites phrases très sympas que j'entends depuis huit ans que j'ai choisi la filière littéraire (y compris, un matin, à la radio, par le gars manifestement pas très futé qui représente l'Unef en ce moment) : "Waow ! Vous avez vus combien les étudiants en lettres ont peu d'heures de cours ! Ce sont vraiment de grosses faignasses !"
J'ai pourtant bossé trois heures ce matin, comme hier, avant-hier et le jour d'avant aussi. Oui, mais voilà : ces heures ne sont pas comptées dans mon emploi du temps officiel, qui, lui, dit : "Lundi, mardi, mercredi, jeudi matin : pas cours" Et là, tout le monde de s'écrier : "Mais elle ne fout vraiment rien du tout, c'est insupportable !" Et ce même les matins (et/ou les après-midi) que je passe en bibli à compiler des articles, à quoi je pourrais ajouter l'heure et demie de train quand je rentre de mon patelin, mes trajets de métro et de RER pendant lesquels je suis souvent aussi plongée dans un bouquin (ce qui fait qu'il m'arrive parfois de relever le nez et de voir le panneau de la station où j'étais censée descendre s'éloigner dans le lointain...).
Mais la seule chose concrète que voient les gens, c'est mon emploi du temps, i.e., en fait, le truc où sont notés les horaires des cours que je dois suivre en plus des recherches que j'ai à faire : 4h à la fac (deux séminaires : pour diverses raisons, en particulier le fait que je suis sur deux établissements, je suis dispensée des autres), huit à l'ENS. Ce qui fait (plus ou moins) douze heures par semaine et me vaut des réflexions du type (outre celles déjà citées) "Et EN PLUS t'es payée pour ça ???!!!!".
Oui, je suis payée. Et, oui, j'estime mériter mon salaire, vu comment Ducros il se décarcasse.
Bon, arrêtons de chouiner, maintenant. Après tout, j'aime ce que je fais et j'ai suffisamment rencontré d'abrutis depuis huit ans pour avoir le cuir assez tanné.
Tout ce que je voudrais, c'est que vous essayiez de vous représenter ce que c'est que le travail d'un littéraire. La majeure partie de notre activité, c'est l'écriture et, surtout, la lecture. Même si vous ne lisez jamais, vous savez que cela prend du temps. Et même si vous ne lisez jamais, vous pouvez sans problème vous imaginer que, quand votre travail requiert de lire beaucoup, une bonne partie de ce qui vous passe sous les yeux ne rentre pas dans la catégorie "loisir" : j'ai beau aimer ce que je fais, une thèse de huit cents pages sur "Suétone historien", ce n'est pas exactement ce que je lirais pour me détendre. Surtout quand j'ai un mémoire sur ledit Suétone à rendre à la fin de l'année et une thèse qui se dessine aussi derrière.
Je ne vais pas non plus à la bibliothèque pour me détendre. J'aime beaucoup cet endroit (même si j'ai un peu de mal à y travailler), mais si, pour la plupart des gens, une bibliothèque est un endroit où on va chercher des livres pour se détendre, pour les littéraires, c'est un instrument de travail, exactement comme le laboratoire pour un scientifique. Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà expliqué dans mes posts sur les recherches bibliographiques, mais ce genre de recherches demande un nombre d'heures certain, qui n'apparaissent pas sur mon "emploi du temps", mais qui sont tout de même bien réelles. Dans mon véritable emploi du temps, mes matinées sont tout aussi remplies que mes après-midi, même si je n'y ai pas cours.
On ne peut donc pas évaluer le travail des littéraires, ni même le degré d'exigence de cette filière (car c'est de cela qu'il s'agissait en septembre avec la connerie chimiquement pure qu'a sortie le représentant de l'Unef sur France Inter) au nombre d'heures passées en cours. Si comptabiliser des heures il faut absolument, celles passées en bibliothèque doivent être prises en compte. Et, à ce moment-là, je demande aussi que celles que je passe à mon bureau, penchée sur un gros pavé et travaillant sur mon ordinateur, le soient également. Et puis, tant qu'on y est, celles aussi à lire pendant mes trajets dans les transports en commun (surtout cette année, que leur nombre a explosé puisque je suis à Nanterre).
C'est là qu'on voit, finalement, la difficulté qu'il y a à évaluer notre travail. Faire pointer les gens quand ils vont à la bibliothèque et leur interdire de travailler en dehors est absurde. Ne prendre en compte que les heures de cours est tout à fait insuffisant. Que reste-t-il, alors ? La confiance, le lâcher-prise : le travail effectué se voit avec le résultat final. Evidemment, si, à ce moment-là, il s'avère que la personne en question n'a rien foutu, c'est trop tard. Mais l'immense majorité, elle, travaille. Le problème est que, manifestement, dans la société actuelle, faire confiance aux gens et les laisser travailler comme ils le veulent, comme ils sentent que c'est mieux pour eux (après tout, quel problème y a-t-il à ce que Bidule se lève à 11h tous les matins, s'il travaille jusqu'à 4h tous les soirs et que, au finish, le travail est fait ?), les laisser aimer leur travail, ça ne va pas de soi.
Et, pour finir sur les questions d'exigence de la filière littéraire, en lettres, si vous ne faites rien, si vous ne vous défoncez pas, si vous ne lisez pas d'autres livres que ceux qu'on vous dit de lire et n'approfondissez pas les questions abordées en cours, en clair : si vous vous contentez du service minimum, vous n'arriverez jamais à rien et vous pointerez directementà l'ANPE au Pôle Emploi. J'ajouterai que les exigences de la filière sont même souvent en total décalage avec votre niveau : ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais cela veut dire qu'on attend beaucoup de vous et que vous devez donc travailler beaucoup aussi pour être à la hauteur.
Sur ce, j'y retourne : ça fait une heure que j'écris et Suétone et ma thèse de huit cents pages ne se liront pas tous seuls...!
Donc, je disais, cet après-midi pourri de novembre est parfait pour travailler. Je m'en vais donc faire une note de blog, puisque c'est l'activité la plus adaptée au moment. Oui, je sais, je ferais mieux de bosser, mais c'est précisément ce que j'ai fait toute cette matinée, donc j'estime avoir droit à une petite pause post-prandiale (c'est le jour des mots nouveaux).
J'ai en effet passé toute ma matinée sur ma fameuse Thèse Incontournable de huit cents pages : j'ai décidé d'en finir avec elle en essayant d'en lire au moins cinquante pages par jours, mais je dois bien avouer que la liste des différentes "originalités" administratives et juridiques répertoriées chez Suétone a bien failli avoir raison de ma bonne volonté.
J'ai donc bûché un peu plus de trois heures sur ce fameux bouquin, toute seule dans ma chambre, sans rien faire d'autre, et, le mieux, c'est que ces trois heures de lecture/prise de notes comptent, aux yeux de certains, pour du beurre.
La plupart des gens n'évaluent en effet le degré de travail d'un étudiant (ou d'un prof ; ou d'un chercheur : c'est la même chose) qu'au nombre d'heures passées en cours (et en labo pour les scientifiques). Ce qui fait qu'on arrive à de petites phrases très sympas que j'entends depuis huit ans que j'ai choisi la filière littéraire (y compris, un matin, à la radio, par le gars manifestement pas très futé qui représente l'Unef en ce moment) : "Waow ! Vous avez vus combien les étudiants en lettres ont peu d'heures de cours ! Ce sont vraiment de grosses faignasses !"
J'ai pourtant bossé trois heures ce matin, comme hier, avant-hier et le jour d'avant aussi. Oui, mais voilà : ces heures ne sont pas comptées dans mon emploi du temps officiel, qui, lui, dit : "Lundi, mardi, mercredi, jeudi matin : pas cours" Et là, tout le monde de s'écrier : "Mais elle ne fout vraiment rien du tout, c'est insupportable !" Et ce même les matins (et/ou les après-midi) que je passe en bibli à compiler des articles, à quoi je pourrais ajouter l'heure et demie de train quand je rentre de mon patelin, mes trajets de métro et de RER pendant lesquels je suis souvent aussi plongée dans un bouquin (ce qui fait qu'il m'arrive parfois de relever le nez et de voir le panneau de la station où j'étais censée descendre s'éloigner dans le lointain...).
Mais la seule chose concrète que voient les gens, c'est mon emploi du temps, i.e., en fait, le truc où sont notés les horaires des cours que je dois suivre en plus des recherches que j'ai à faire : 4h à la fac (deux séminaires : pour diverses raisons, en particulier le fait que je suis sur deux établissements, je suis dispensée des autres), huit à l'ENS. Ce qui fait (plus ou moins) douze heures par semaine et me vaut des réflexions du type (outre celles déjà citées) "Et EN PLUS t'es payée pour ça ???!!!!".
Oui, je suis payée. Et, oui, j'estime mériter mon salaire, vu comment Ducros il se décarcasse.
Bon, arrêtons de chouiner, maintenant. Après tout, j'aime ce que je fais et j'ai suffisamment rencontré d'abrutis depuis huit ans pour avoir le cuir assez tanné.
Tout ce que je voudrais, c'est que vous essayiez de vous représenter ce que c'est que le travail d'un littéraire. La majeure partie de notre activité, c'est l'écriture et, surtout, la lecture. Même si vous ne lisez jamais, vous savez que cela prend du temps. Et même si vous ne lisez jamais, vous pouvez sans problème vous imaginer que, quand votre travail requiert de lire beaucoup, une bonne partie de ce qui vous passe sous les yeux ne rentre pas dans la catégorie "loisir" : j'ai beau aimer ce que je fais, une thèse de huit cents pages sur "Suétone historien", ce n'est pas exactement ce que je lirais pour me détendre. Surtout quand j'ai un mémoire sur ledit Suétone à rendre à la fin de l'année et une thèse qui se dessine aussi derrière.
Je ne vais pas non plus à la bibliothèque pour me détendre. J'aime beaucoup cet endroit (même si j'ai un peu de mal à y travailler), mais si, pour la plupart des gens, une bibliothèque est un endroit où on va chercher des livres pour se détendre, pour les littéraires, c'est un instrument de travail, exactement comme le laboratoire pour un scientifique. Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà expliqué dans mes posts sur les recherches bibliographiques, mais ce genre de recherches demande un nombre d'heures certain, qui n'apparaissent pas sur mon "emploi du temps", mais qui sont tout de même bien réelles. Dans mon véritable emploi du temps, mes matinées sont tout aussi remplies que mes après-midi, même si je n'y ai pas cours.
On ne peut donc pas évaluer le travail des littéraires, ni même le degré d'exigence de cette filière (car c'est de cela qu'il s'agissait en septembre avec la connerie chimiquement pure qu'a sortie le représentant de l'Unef sur France Inter) au nombre d'heures passées en cours. Si comptabiliser des heures il faut absolument, celles passées en bibliothèque doivent être prises en compte. Et, à ce moment-là, je demande aussi que celles que je passe à mon bureau, penchée sur un gros pavé et travaillant sur mon ordinateur, le soient également. Et puis, tant qu'on y est, celles aussi à lire pendant mes trajets dans les transports en commun (surtout cette année, que leur nombre a explosé puisque je suis à Nanterre).
C'est là qu'on voit, finalement, la difficulté qu'il y a à évaluer notre travail. Faire pointer les gens quand ils vont à la bibliothèque et leur interdire de travailler en dehors est absurde. Ne prendre en compte que les heures de cours est tout à fait insuffisant. Que reste-t-il, alors ? La confiance, le lâcher-prise : le travail effectué se voit avec le résultat final. Evidemment, si, à ce moment-là, il s'avère que la personne en question n'a rien foutu, c'est trop tard. Mais l'immense majorité, elle, travaille. Le problème est que, manifestement, dans la société actuelle, faire confiance aux gens et les laisser travailler comme ils le veulent, comme ils sentent que c'est mieux pour eux (après tout, quel problème y a-t-il à ce que Bidule se lève à 11h tous les matins, s'il travaille jusqu'à 4h tous les soirs et que, au finish, le travail est fait ?), les laisser aimer leur travail, ça ne va pas de soi.
Et, pour finir sur les questions d'exigence de la filière littéraire, en lettres, si vous ne faites rien, si vous ne vous défoncez pas, si vous ne lisez pas d'autres livres que ceux qu'on vous dit de lire et n'approfondissez pas les questions abordées en cours, en clair : si vous vous contentez du service minimum, vous n'arriverez jamais à rien et vous pointerez directement
Sur ce, j'y retourne : ça fait une heure que j'écris et Suétone et ma thèse de huit cents pages ne se liront pas tous seuls...!
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