vendredi 19 mars 2010

Par ici, les cochons ! :p

Un des petits plaisirs de la vie, lorsqu'on travaille sur les rumeurs dans les Douze Césars de Suétone, c'est qu'on a tout un tas d'exemples cochons à placer en plein milieu d'un développement linguistique assez technique. C'est comme les dernières pubs pour une certaine banque au charmant logo orange (non, ce n'est pas le Modem ; d'un autre côté, si c'était lui, ça voudrait dire qu'ils ont réussi à photographier les quelques pauvres électeurs qui ont voté pour eux) : on vous fait mariner pendant quelques jours en jouant sur votre mauvais esprit (avouez que vous y avez pensé ! Pas moi : j'ai deviné tout de suite que c'était une banque ; il n'y a qu'eux pour prendre suffisamment les gens pour des crétins) et ensuite, oh ! surprise ! ce n'était pas du cul, mais une ouverture de compte ! Waow ! ça doit être génial ! Je pense que je vais faire pareil, mais avec du chocolat et... Bon, bref.

La différence, c'est que, moi, c'est l'inverse : eux font passer l'amer en vous faisant croire qu'ils ont du miel ; moi, je vous donne le coup de burnous d'abord et ensuite, je l'égaye. Ça vous met l'eau à la bouche, hein ? :p

Alors exemple : dans un premier temps, je vous ai assommés en vous démontrant magistralement que le mot rumor (je ne traduis pas, c'est transparent) renvoie, comme sens premier, à un bruit relativement confus. Je continue en déclarant que ce terme n'a pas de correspondant verbal direct dans le texte de Suétone, MAIS qu'un autre verbe colle tout à fait à ce schéma "sens 1 : bruit ; sens 2 : bruit qui court" et que ce verbe, c'est percrebrescere (rien qu'en le prononçant, c'est assez évident, même si, en l'occurrence, ce n'est pas fait exprès).

A ce stade-là, si vous n'êtes toujours pas morts d'ennui (I'm trying hard, though ! :p), vous pensez que je vais vous achever lorsque je vous annonce fièrement que le mot apparaît quatre fois dans l'oeuvre. Dans trois cas sur quatre, on ne peut pas vraiment faire la différence entre le sens "bruyant" et le sens "colportant". Mais dans un cas, c'est assez parlant.

Et c'est là que je vous balance ma Botte Secrète, c'est-à-dire Tib. 45.2. C'est après un développement sur comment Tibère aurait fait pression sur des femmes pour les pousser à coucher avec lui ; l'une d'elle aurait même préféré se suicider, en dénonçant ses menées, plutôt que de lui céder (les conditionnels sont de moi : Suétone, lui, présente tout ça comme absolument vrai). Du coup, comme le seul moment où le peuple pouvait s'exprimer était les jeux, notre ami biographe écrit :

Unde mora in Atellanico exhodio proximis ludis adsensu maximo excepta percrebuit : "hircum uetulum capreis naturam ligurire

"Et c'est pour cette raison que, aux jeux qui suivirent, dans une atellane (un type de comédie) donnée comme épilogue, cette formule fut accueillie avec le plus grand accord et provoqua beaucoup de bruit : "le vieux bouc lèche le sexe des chèvres sauvages."


Et voilà le travail ! Vous êtes tout de suite ravigorés, hein ! :p J'avoue que, même pour la rédactrice, c'est assez marrant de pouvoir glisser des exemples de ce genre. :p

On peut dès lors, selon la bonne vieille règle de la conclusion ("une-conclusion-doit-résumer-les-points-principaux-du-développement-et-ouvrir-le-sujet" ; ce qui est toujours mieux que l'anglo-saxon "j'ai-annoncé-que-j'allais-dire-ça-et-j'ai-effectivement-dit-ça"), donner deux prolongements à ce post :

1) c'est quand même la preuve que Gala, Closer et Public sont franchement des petits joueurs ;

2) vous croyez que bosser sur un sujet pareil est un argument valable pour me faire payer par Paris 10 et/ou l'ENS un abonnement auxdits Gala, Closer et Public ? Je me les ferais envoyer au 45 rue d'Ulm, bien sûr, ce serait tellement plus classe ! :p


(Bûches de Noël en forme de cochons en pâte d'amande, rencontrées au détour d'une visite à Strasbourg)

4 commentaires:

  1. Je suis une souris, pas un cochon, mais je suis quand même venue par ici avec plaisir. L'exemple croustillant/émoustillant... très amusant à caser au milieu d'un développement technique, effectivement. Discours auctorial... dans les romans de Kundera... bla-bla... narrateur extradiégétique... métafictionnel... et paf, en exemple la remarque de l'auteur-narrateur sur le lien entre dégoût et excitation à partir d'un épisode de la vie sexuelle d'un de ses personnages. Et on embraye toujours avec le même sérieux. C'est délectable. Surtout chez Suétone : après les réformes agraires, un bon petit vice est toujours bienvenu (il n'y avait pas un truc sur Tibère et ses petits poissons, métaphore un brin vaseuse pour des pratiques quasi pédophiles ? - bon, je retourne me cacher dans la fange).

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  2. Oui, c'est ça, Tibère et ses "poissons", sans métaphore du tout et raconté de manière très crue. Quand j'ai lu ça, j'en ai eu la nausée et pourtant j'ai le coeur bien accroché. J'en suis à me demander s'il ne va pas falloir que je fasse des subdivisions dans ma sous-partie sur la vie sexuelle des empereurs (homosexualité, adultère, inceste, etc.) ! :p

    Autre avantage d'un sujet comme ça : tout le monde s'en souvient TRÈS bien ! Prof de fac X, l'air de rien : «Ah, oui, c'est vous qui travaillez sur les rumeurs dans les "Douze Césars" ! Et en thèse, vous pensez faire quoi ? Et vous demandez le monitorat où ?»

    Je vais peut-être lancer une suscription publique pour imprimer des copies de mon M2 : il y aurait sans doute des sous à se faire ! :p

    Sinon, je suis passée sur ton blog et il a l'air super : il y a des chances pour que tu te retrouves avec une latiniste errante pour lectrice ! :p

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  3. Une typologie de la sexualité/des vices des empereurs... il y a matière, en même temps, dans mon souvenir (lecture de 1ère).

    (Si tu erres sur mon blog, tu croiseras peut-être une autre latiniste sous le pseudo... d'Incitatus - je me demande s'il ne date pas de la même époque que la lecture de Suétone, d'ailleurs)

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  4. Pour moi, Incitatus, c'est le nom d'un conducteur de char ayant fait fortune dans les courses du Cirque, chez Martial, donc il serait un peu plus vieux que Suétone, mais c'est vrai que c'est pas mal comme pseudo !

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