mercredi 3 novembre 2010

Il faut ce qu'il faut...

Je crains bien de devoir lire la correspondance de Pline le Jeune pour mon sujet de thèse... Etant donné, en effet, que je vais être quelque part dans un no man's land entre histoire culturelle, littéraire, des mentalités, des représentations, etc. (rayez la mention inutile), il va bien falloir que j'essaie de cerner plus avant comment pouvait bien être la société du début du IIème siècle après J.C. et, pour cela, hélas, rien de mieux que la lecture de la correspondance de Pline le Jeune...

Or je déteste ce gars. Mais vraiment. Ce type est une punaise narcissique, qui ne pense qu'à une chose : se faire valoir avec toute la vanité possible et se livrer à une lèche telle que les gars de la rubrique "La brosse à reluire" du Canard enchaîné sont vraiment, vraiment, vraiment de petits joueurs. Lisez le Panégyrique de Trajan (enfin, si vous y arrivez, parce que c'est vraiment insupportable), vous comprendrez ce que je veux dire.

Ceci dit, il faut ce qu'il faut et, en bonne masochiste consciencieuse que je suis, je suis prête à sacrifier ma répulsion horripilée sur l'autel de ma thèse (je précise quand même que j'ai néanmoins l'espoir que la correspondance soit moins pire que le Panégyrique, même si, pour ce que j'en connais déjà, je ne me fais guère d'illusions...).

Heureusement, mon "ordinaire" se traduit davantage par des textes absolument géniaux que par des déploiements d'auto-satisfaction. Visez plutôt le début des Histoires de Tacite, que je vous donne en latin ET en traduction (la maison est généreuse, aujourd'hui) :

Opus adgredior opimum casibus, atrox proeliis, discors seditionibus, ipsa etiam pace saeuom : quattuor principes ferro interempti, trina bella ciuilia, plura externa ac plerumque permixta ; prosperae in Oriente, aduersae in Occidente res ; turbatum Illyricum, Galliae nutantes, perdomita Britannia et statim missa, coortae in nos Sarmatorum ac Sueborum gentes, nobilitatus cladibus mutuis Dacus, mota prope etiam Parthorum arma falsi Neronis ludibrio. Iam uero Italia nouis cladibus uel post longam saeculorum seriem repetitis adflicta : haustae aut obrutae urbes, fecundissima Campaniae ora ; et urbs incendiis uastata, consumptis antiquissimis delubris, ipso Capitolio ciuium manibus incenso. Pollutae caerimoniae, magna adulteria ; plenum exiliis mare, infesti caedibus scopuli. Atrocius in urbe saeuitum : nobilitas, opes, omissi gestique honores pro crimine et ob uirtutes certissimum exitium. Nec minus praemia delatorum inuisa quam scelera, cum alii sacerdotia et consulatum ut spolia adepti, procuratores alii et interiorem potentiam, agerent uerterent cuncta odio et terrore ; corrupti in dominos serui, in patronos liberti ; et quibus deerat inimicus per amicos oppressi.

Non tamen adeo uirtutum sterile saeculum ut non et bona exempla prodiderit. Comitatae profugos liberos matres, secutae maritos in exilia coniuges ; propinqui audentes, constantes generi, contumax etiam aduersus tormenta seruorum fides ; supremar clarorum uirorum necessitates, ipsa necessitas fortites tolerata et laudatis antiquorum mortibus pares exitus. Praeter multiplices rerum humanarum casus, caelo terraque prodigia et fulminum monitus et futurorum praesagia, laeta tristia, ambigua manifesta ; nec enim umquam atrocioribus populi Romani cladibus magisue iustiis indiciis approbatum est non esse curae deis securitatem nostram, esse ultionem.


"J'entreprends une oeuvre riche en événements, atroce par ses batailles, déchirées par des séditions, cruelle même en pleine paix : quatre empereurs tués par le fer, trois guerres civiles, davantage de guerres extérieures et, la plupart du temps, mêlées ; des succès en Orient, des échecs en Occident ; l'Illyricum agité, les Gaules chancelantes, la Bretagne totalement domptée et aussitôt perdue, les peuples sarmates et suèbes soulevés contre nous, le Dace rendu célèbre par des défaites de part et d'autre, presque même les armes des Parthes mises en mouvement par l'imposture d'un faux Néron. Et dès lors l'Italie affligée par des catastrophes nouvelles ou répétées après une longue série de générations : des villes épuisées ou rayées de la carte, sur les rives fécondes de la Campanie ; et Rome dévastée par des incendies, alors que des temples très anciens furent consumés par le feu, que le Capitole lui-même fut incendié par les mains de citoyens. Des cérémonies religieuses profanées, de grands adultères ; la mer pleine d'exilés, des rochers hideux à cause des meurtres. A Rome, on sévit plus cruellement : la noblesse, la fortune, les charges auxquelles on a renoncé ou qu'on a exercées considérées comme des crimes et une mort tout à fait certaine à cause de vertus. Et les récompenses aux délateurs ne furent pas moins odieuses que leurs crimes, comme, les uns s'étant emparés, tels des dépouilles de guerre, des sacerdoces et des consulats, les autres des procuratures et du pouvoir dans le palais, ils mettaient tout sens dessus dessous par la haine et la terreur ; des esclaves furent corrompus contre leurs maîtres, des affranchis contre leur patron ; et ceux qui étaient dépourvus d'ennemis furent écrasés par l'entremise de leurs amis.

Cette période ne fut cependant pas à ce point stérile en vertus qu'elle n'ait produit aussi de bons exemples. Des mères accompagnèrent leurs enfants dans leur fuite, des épouses suivirent leur mari en exil ; des proches furent audacieux, des gendres tinrent fermement, des esclaves furent obstinément fidèles même devant la torture ; de grands hommes supportèrent avec courage les ultimes effets de la fatalité, l'ultime fatalité elle-même et leur trépas égala les morts célèbres des anciens. Outre les multiples malheurs qui frappèrent les affaires humaines, il y eut, dans le ciel et sur terre, des prodiges, des avertissements par la foudre et des présages du futur, joyeux, tristes, ambigus, manifestes ; car on ne démontra jamais avec des catastrophes plus atroces pour le peuple romain et des signes plus justes que les dieux ne se soucient pas de notre sécurité, mais de notre punition, infligée par vengeance."


Joli programme, n'est-ce pas ? Merci Tacite !

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