La question de la formation.
Pour entrer à Normale, il faut faire une classe préparatoire, ce qui signifie que les normaliens ne passent pas par les deux premières années de la fac. Ceci dit, cela ne signifie pas que les normaliens ne passent pas par la fac du tout : l'Ecole ne délivre pas de diplôme, ce qui veut dire que nous sommes obligés d'être au moins inscrits dans une université (pour les scientifiques) et d'en suivre également les cours (pour les littéraires). Il est donc faux de dire que nous sommes totalement étrangers à la fac : c'est dans son cadre que nous faisons nos deux années de master (+, parfois, la dernière année de licence) et notre thèse ; là que se trouve le professeur qui dirige nos recherches ; là que nous travaillerons après l'école. Nous faisons partie de la fac ; la différence avec les autres étudiants, c'est que nous suivons également d'autres cours ailleurs, ce qui, en troisième année de licence, a pour conséquence un emploi du temps démentiel, même en retirant les cours "en double".
C'est là que nous sommes confrontés aux différences de niveau avec les étudiants qui n'ont fait que la fac. Ce n'est pas vrai dans toutes les matières, mais, pour vous donner une idée, en L3 lettres classiques, je me suis retrouvée avec des gens qui en étaient encore au B.A-BA en grec, voire qui étaient tout à fait incapables de traduire un texte basique dans cette langue - alors qu'ils étaient en train de finir leur licence : c'était donc au moins la troisième année qu'ils faisaient du grec. Vous comprendrez pourquoi j'ai déserté, pour suivre le cours équivalent à Ulm : j'avais franchement l'impression de perdre mon temps, voire, pire, de perdre mon niveau (ce qui n'était pas tout à fait vrai, car les versions étaient quand même corrigées de manière assez "sèche").
D'une manière tout d'abord assez basique, i.e. en laissant, pour le moment, l'ENS en dehors du tableau, cela pose la question du niveau exigé en fac pour passer d'une année à l'autre : arriver en troisième année de lettres classiques sans connaître même les règles les plus élémentaires de la grammaire grecque me paraît tout à fait inacceptable, aussi bien pour l'université et ladite filière que, surtout, pour l'étudiant, qu'on a laissé aller droit dans le mur en klaxonnant.
"Oui, mais, me direz-vous, vu le peu d'élèves en lettres classiques, si on commence à les virer parce qu'ils n'ont pas le niveau, on va vraiment se retrouver à trois pelés et un tondu !" Le problème des lettres classiques est un autre sujet, qu'il serait sans aucun doute bon de traiter ici également en longueur : tout ce que je dirai pour le moment, c'est qu'il me semble que laisser un étudiant qui n'a très manifestement pas le niveau poursuivre jusqu'en troisième année est tout à fait inacceptable.
Donc, de deux choses l'une : soit on considère que, le problème, c'est lui et on lui explique qu'il n'est pas de son intérêt de continuer dans cette voie (après tout, l'avantage de la fac, c'est que les possibilités de réorientation sont nombreuses) ; soit on considère que, le problème, c'est nous et on revoit nos exigences face à nos étudiants et l'enseignement que nous leur délivrons (vous avez vu ? je pense déjà en prof, c'est merveilleux).
Cependant, même dans les filières où le niveau d'exigence est franchement correct, les normaliens et les ex-préparationnaires (parce que, par rapport aux étudiants qui n'ont fait que la fac, les ex-préparationnaires doivent aussi entrer en compte - il n'y a pas que les normaliens, dans la vie !) se révèlent franchement meilleurs et ce sont majoritairement eux qu'on retrouve reçus à l'agrégation et aux meilleurs rangs parmi les reçus au Capès (ce qui ne veut pas dire que les autres n'ont aucune chance de l'être aussi, heureusement).
De mon point de vue, c'est une question de méthode : la formation reçue en classe préparatoire est très axée sur la méthodologique, avec des exercices nombreux et fréquents. On a beau dire, il n'y a rien de plus efficace pour intégrer les règles de la dissertation et du commentaire de texte (je laisse de côté la nécessité intrinsèque de devenir plus ou moins une bête de travail doublée d'un génie de l'organisation, ce qui vous fait doucement rigoler lorsqu'on vous donne ensuite un mois pour rendre un devoir). A la fac, les exercices sont moins nombreux (pour vous donner une idée, mes étudiants doivent me rendre un commentaire composé à la fin du mois ; en prépa, j'en aurais déjà rendu deux et le troisième serait en route) et la méthodologie manifestement moins martelée, si on en juge, après, par les difficultés qu'éprouvent les étudiants pour organiser leurs travaux.
Que la fac soit moins "psychorigide" que la prépa n'est pas un problème : après tout, pourquoi pas ? Personne n'est obligé de suivre les chemins canoniquement formatés pour penser par soi-même et faire quelque chose de bon (c'est même un des avantages des prépas de province par rapport aux prépas parisiennes : think different, guys !). Il n'empêche qu'il faut quand même avoir intégré une certaine méthode pour y arriver et c'est souvent ce qui manque aux étudiants (pour des raisons de commodité, j'appellerai désormais "étudiants" ceux qui n'ont étudié qu'à la fac ; il ne faut cependant pas oublier que les ex-préparationnaires et les normaliens sont aussi des étudiants) : ils ne sont pas moins bons en soi, ils ont souvent du mal à organiser leur penser pour la faire aller plus loin.
On peut maintenant se demander s'ils seraient meilleurs s'ils savaient le faire. A mon avis, oui : les bons seraient encore meilleurs et auraient les mêmes armes que les autres, les médiocres le seraient moins, les mauvais auraient d'autres problèmes (ou les mêmes, mais, au moins, pour ce qui est de l'organisation de leur pensée, ils sauraient comment ils devraient idéalement faire). On me dira : "Oui, mais les meilleurs ne sont pas à la fac, ils sont en classe préparatoire !". C'est sans doute en partie vrai, mais ce que je sais, moi, c'est que les étudiants de première année que j'ai devant moi en ce moment sont tout aussi bons que des hypokhâgneux et ils ne sont pas en prépa, ce qui signifie que la fac a un potentiel immense et qu'affirmer que seuls les mauvais vont là est absolument faux.
Pour entrer à Normale, il faut faire une classe préparatoire, ce qui signifie que les normaliens ne passent pas par les deux premières années de la fac. Ceci dit, cela ne signifie pas que les normaliens ne passent pas par la fac du tout : l'Ecole ne délivre pas de diplôme, ce qui veut dire que nous sommes obligés d'être au moins inscrits dans une université (pour les scientifiques) et d'en suivre également les cours (pour les littéraires). Il est donc faux de dire que nous sommes totalement étrangers à la fac : c'est dans son cadre que nous faisons nos deux années de master (+, parfois, la dernière année de licence) et notre thèse ; là que se trouve le professeur qui dirige nos recherches ; là que nous travaillerons après l'école. Nous faisons partie de la fac ; la différence avec les autres étudiants, c'est que nous suivons également d'autres cours ailleurs, ce qui, en troisième année de licence, a pour conséquence un emploi du temps démentiel, même en retirant les cours "en double".
C'est là que nous sommes confrontés aux différences de niveau avec les étudiants qui n'ont fait que la fac. Ce n'est pas vrai dans toutes les matières, mais, pour vous donner une idée, en L3 lettres classiques, je me suis retrouvée avec des gens qui en étaient encore au B.A-BA en grec, voire qui étaient tout à fait incapables de traduire un texte basique dans cette langue - alors qu'ils étaient en train de finir leur licence : c'était donc au moins la troisième année qu'ils faisaient du grec. Vous comprendrez pourquoi j'ai déserté, pour suivre le cours équivalent à Ulm : j'avais franchement l'impression de perdre mon temps, voire, pire, de perdre mon niveau (ce qui n'était pas tout à fait vrai, car les versions étaient quand même corrigées de manière assez "sèche").
D'une manière tout d'abord assez basique, i.e. en laissant, pour le moment, l'ENS en dehors du tableau, cela pose la question du niveau exigé en fac pour passer d'une année à l'autre : arriver en troisième année de lettres classiques sans connaître même les règles les plus élémentaires de la grammaire grecque me paraît tout à fait inacceptable, aussi bien pour l'université et ladite filière que, surtout, pour l'étudiant, qu'on a laissé aller droit dans le mur en klaxonnant.
"Oui, mais, me direz-vous, vu le peu d'élèves en lettres classiques, si on commence à les virer parce qu'ils n'ont pas le niveau, on va vraiment se retrouver à trois pelés et un tondu !" Le problème des lettres classiques est un autre sujet, qu'il serait sans aucun doute bon de traiter ici également en longueur : tout ce que je dirai pour le moment, c'est qu'il me semble que laisser un étudiant qui n'a très manifestement pas le niveau poursuivre jusqu'en troisième année est tout à fait inacceptable.
Donc, de deux choses l'une : soit on considère que, le problème, c'est lui et on lui explique qu'il n'est pas de son intérêt de continuer dans cette voie (après tout, l'avantage de la fac, c'est que les possibilités de réorientation sont nombreuses) ; soit on considère que, le problème, c'est nous et on revoit nos exigences face à nos étudiants et l'enseignement que nous leur délivrons (vous avez vu ? je pense déjà en prof, c'est merveilleux).
Cependant, même dans les filières où le niveau d'exigence est franchement correct, les normaliens et les ex-préparationnaires (parce que, par rapport aux étudiants qui n'ont fait que la fac, les ex-préparationnaires doivent aussi entrer en compte - il n'y a pas que les normaliens, dans la vie !) se révèlent franchement meilleurs et ce sont majoritairement eux qu'on retrouve reçus à l'agrégation et aux meilleurs rangs parmi les reçus au Capès (ce qui ne veut pas dire que les autres n'ont aucune chance de l'être aussi, heureusement).
De mon point de vue, c'est une question de méthode : la formation reçue en classe préparatoire est très axée sur la méthodologique, avec des exercices nombreux et fréquents. On a beau dire, il n'y a rien de plus efficace pour intégrer les règles de la dissertation et du commentaire de texte (je laisse de côté la nécessité intrinsèque de devenir plus ou moins une bête de travail doublée d'un génie de l'organisation, ce qui vous fait doucement rigoler lorsqu'on vous donne ensuite un mois pour rendre un devoir). A la fac, les exercices sont moins nombreux (pour vous donner une idée, mes étudiants doivent me rendre un commentaire composé à la fin du mois ; en prépa, j'en aurais déjà rendu deux et le troisième serait en route) et la méthodologie manifestement moins martelée, si on en juge, après, par les difficultés qu'éprouvent les étudiants pour organiser leurs travaux.
Que la fac soit moins "psychorigide" que la prépa n'est pas un problème : après tout, pourquoi pas ? Personne n'est obligé de suivre les chemins canoniquement formatés pour penser par soi-même et faire quelque chose de bon (c'est même un des avantages des prépas de province par rapport aux prépas parisiennes : think different, guys !). Il n'empêche qu'il faut quand même avoir intégré une certaine méthode pour y arriver et c'est souvent ce qui manque aux étudiants (pour des raisons de commodité, j'appellerai désormais "étudiants" ceux qui n'ont étudié qu'à la fac ; il ne faut cependant pas oublier que les ex-préparationnaires et les normaliens sont aussi des étudiants) : ils ne sont pas moins bons en soi, ils ont souvent du mal à organiser leur penser pour la faire aller plus loin.
On peut maintenant se demander s'ils seraient meilleurs s'ils savaient le faire. A mon avis, oui : les bons seraient encore meilleurs et auraient les mêmes armes que les autres, les médiocres le seraient moins, les mauvais auraient d'autres problèmes (ou les mêmes, mais, au moins, pour ce qui est de l'organisation de leur pensée, ils sauraient comment ils devraient idéalement faire). On me dira : "Oui, mais les meilleurs ne sont pas à la fac, ils sont en classe préparatoire !". C'est sans doute en partie vrai, mais ce que je sais, moi, c'est que les étudiants de première année que j'ai devant moi en ce moment sont tout aussi bons que des hypokhâgneux et ils ne sont pas en prépa, ce qui signifie que la fac a un potentiel immense et qu'affirmer que seuls les mauvais vont là est absolument faux.
Autre problème : think different, c'est bien, mais, si vous voulez passer les concours de l'enseignement ou autres, c'est majoritairement sur votre capacité à vous conformer à un moule qu'on vous jugera (non que faire quelque chose d'original entraîne nécessairement un échec cuisant, mais soyons clair : à l'agrégation, ce n'est pas du tout ce qu'on attend de vous). Or ce moule correspond à l'enseignement tel qu'il est délivré en classe préparatoire, qu'on le considère bon ou non ; cela pose donc problème aux étudiants, qui partent avec un handicap.
On comprend dès lors que les normaliens et ex-préparationnaires réussissent mieux que les étudiants "tout court" : ils ont intégré depuis un moment sur quoi on allait les juger et savent s'y conformer. Après, que les normaliens se revèlent souvent meilleurs que les ex-préparationnaires (mais pas tout le temps et, surtout, pas nécessairement : pour intégrer, il faut être suffisamment bon partout, ce qui veut dire que, si vous êtes excellent en latin, mais nul en histoire et en philo, vous n'intégrerez pas ; mais, si vous continuez à étudier la littérature latine, il y a de bonnes chances pour que vous soyez aussi bon que des gens qui ont intégré : n'ayez donc aucun complexe) s'explique assez aisément : le fait qu'ils aient intégré signifie déjà que, à un moment, ils ont été meilleurs qu'eux ; ensuite, le niveau des cours à l'ENS restant haut et la préparation étant bonne, ils profitent d'autres avantages. J'ajouterai également qu'il y a des gens qui sont "faits" pour les concours (il y a même des dingues qui ne peuvent pas vivre s'ils n'ont pas de concours à passer) et des gens qui ne sont pas faits pour cela. Un de mes amis s'est entendu dire que, l'agrégation, c'était comme le mariage : pour que ça marche, il faut être deux ; c'est un peu l'idée.
On comprend dès lors que les normaliens et ex-préparationnaires réussissent mieux que les étudiants "tout court" : ils ont intégré depuis un moment sur quoi on allait les juger et savent s'y conformer. Après, que les normaliens se revèlent souvent meilleurs que les ex-préparationnaires (mais pas tout le temps et, surtout, pas nécessairement : pour intégrer, il faut être suffisamment bon partout, ce qui veut dire que, si vous êtes excellent en latin, mais nul en histoire et en philo, vous n'intégrerez pas ; mais, si vous continuez à étudier la littérature latine, il y a de bonnes chances pour que vous soyez aussi bon que des gens qui ont intégré : n'ayez donc aucun complexe) s'explique assez aisément : le fait qu'ils aient intégré signifie déjà que, à un moment, ils ont été meilleurs qu'eux ; ensuite, le niveau des cours à l'ENS restant haut et la préparation étant bonne, ils profitent d'autres avantages. J'ajouterai également qu'il y a des gens qui sont "faits" pour les concours (il y a même des dingues qui ne peuvent pas vivre s'ils n'ont pas de concours à passer) et des gens qui ne sont pas faits pour cela. Un de mes amis s'est entendu dire que, l'agrégation, c'était comme le mariage : pour que ça marche, il faut être deux ; c'est un peu l'idée.
Or cette question d'être meilleurs que les autres est cruciale, parce que c'est cela qui justifie et légimitise le salaire qu'on nous verse.
To be continued...
(je suis désolée, mais, tout cela me prenant encore plus de temps que prévu, je crains bien de ne pouvoir continuer lorsque je renterai d'Italie, i.e. à partir de lundi prochain...)
L'homme est un tout, tout manque est une faiblesse qui peut faire tout basculer, c'est tout. La répétition tue mais pas toujours.
RépondreSupprimerBonne continuation même si le salaire n'est pas celui d''un prof de fac.
Cordialement
Vous savez, j'ai vu récemment donner un M1 informatique + mathématiques à quelqu'un qui avait, disons, des connaissances assez limitées en maths (je dirais niveau L1 pas trop bon en algèbre linéaire) et qui savait à peine programmer...
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