dimanche 21 novembre 2010

"Andromaque" à la Comédie Française

Vendredi dernier, je suis allée voir, avec des amis, l' "Andromaque" de Racine à la Comédie Française. Au vu des critiques, celle du Monde (trop vieille pour que je puisse vous mettre le lien, désolée) comme celle de Pierre Assouline (dont le titre ne cesse de me plonger dans un abîme de perplexité), c'était quitte ou double : ou on accrochait et on adorait, ou on restait en rade et les deux heures sans entracte paraissaient très, très longues.

En ce qui me concerne, j'étais plutôt entre les deux : j'ai globalement bien aimé, mais les choix de mise en scène qui ont été faits m'ont aussi périodiquement amenée à lever les yeux au ciel, en soupirant d'agacement. 

Commençons par les points positifs : le décor est minimal, pour laisser toute la place aux mots de Racine, et, ça, c'est assez réussi. Effectivement, le texte suffit largement et, lorsqu'on décide de faire dans l'antique classique (colonnes, voilages), mieux vaut ne pas en faire trop, sous peine de tomber dans le "kitch péplum"

La musique en arrière-fond ne m'a pas dérangée non plus : elle n'était pas trop forte, mais, outre le fait qu'elle ne va pas très loin quand on sait ce que peut être la musique classique contemporaine aujourd'hui (mais bon, je ne suis peut-être pas très objective à ce sujet), étant donné qu'il s'agissait plus ou moins de la même séquence tournant en boucle, je finis par se demander à quoi elle pouvait bien servir. Ceci dit, pourquoi pas.

En fait, le problème de cette pièce, ce n'est pas l'archiclassicisme des décors et des costumes, mais les choix d'interprétation et de diction. 

Je ne suis pas contre la diction "racinienne" ("que nous nous imaginons racinienne" serait plus juste), consistant à prononcer le texte de manière assez hiératique et solennelle. Après tout, il y a quelque chose de solennel dans les pièces de Racine, qui fait que ses personnages n'ont pas du tout la même attitude que ceux de Corneille. 

Mais enfin, il n'était pas nécessaire : 1) de se mettre à hurler tout d'un coup, sans raison ; 2) de prendre périodiquement une voix rauque à mi-chemin entre Goldorak et Dark Vador. Vendredi soir, de mon point de vue (j'ai peut-être la dent dure), Clément Hervieu-Léger (Oreste) et Eric Ruf (Pyrrhus) ont totalement raté leur entrée à cause de ça.

Par ailleurs, le problème de cette diction, c'est que, si l'on n'est pas très bon, c'est horrible : à chaque fois qu'Aurélien Recoing (Phoenix, le confident de Pyrrhus) et Suliane Brahim (Cléone, la confidente d'Hermione) ouvraient la bouche, je ne pouvais pas m'empêcher de soupirer ; il n'était franchement pas possible d'être plus mauvais, même si je reconnais que, pendant le récit par Cléone de l'arrivée de Pyrrhus et Andromaque au temple, ça s'est nettement amélioré pendant une ou deux minutes. 

La dernière confidente, Céline Samie (Céphise), n'était, elle, pas mal, mais je me demande si ce n'est pas surtout par comparaison avec le personnage principal qu'elle accompagne, Andromaque (Cécile Brune) : prenez une bûche, mettez-lui une robe grecque et vous avez le personnage que nous avons vu évoluer sur scène vendredi soir. 

Une de mes amies m'a très justement fait remarquer que ça changeait des Andromaques mères éplorées qu'on nous sert habituellement. Certes. Et je reconnais que la représenter complètement pétrifiée dans sa douleur face à Pyrrhus n'est pas une mauvaise idée. Mais enfin, lorsqu'il n'est pas là, était-il nécessaire de la rendre aussi dépourvue d'expression et de sentiment ? "O-mon-fils-o-mon-père" : même une machine le prononcerait mieux. Même la fameuse description de la prise de Troie, exemple parfait d'hypotypose (i.e. de description tellement vivante que vous avez l'impression de l'avoir vraiment sous les yeux), est complètement ratée : elle nous laisse aussi froids qu'une récitation de liste de courses. 

En vérité, le véritable personnage principal de cette pièce telle qu'elle est mise en scène ici, c'est Hermione. Léonie Simaga est tout simplement excellente : elle rend souple la diction racinienne, fait vivre son personnage comme jamais et se révèle très manifestement au-dessus de tous ses partenaires, y compris d'un acteur expérimenté et lui aussi habituellement excellent comme Eric Ruf. 

En bref, si je n'avais qu'une suggestion à faire à la Comédie Française, ce serait de laisser tomber "Andromaque" et de renommer leur pièce en "Hermione". Ce ne serait que justice et il y aurait moins tromperie sur la "marchandise".

Pour ce qui est d'aller la voir ou non, je vous laisse libres de décider au vu de mon compte-rendu (comme d'habitude), car je ne peux ni vous le conseiller, ni vous le déconseiller. It's up to you !


(Dernière visite d'Hector à sa femme Andromaque et son fils Astyanax ; Cratère à colonne apulien à figures rouges, daté de v. 370-360 av. J.-C., trouvé à Ruvo, et conservé au Musée national du palais Jatta à Ruvo di Puglia (province de Bari), Italie ; photo par Jastrow ; source : Wikipedia Commons)

3 commentaires:

  1. mademoiselle,

    j'y vais demain et votre critique est de loin la plus honnête et la plus complète que j'ai pu lire sur Andromaque.
    thésarde en lettre classique à Paris ça doit être top non ? sur quoi porte votre thèse?
    emmanuelle

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  2. Je vous remercie du compliment et j'espère que vous repasserez par ici pour nous dire si vous êtes d'accord avec moi ou non !

    C'est effectivement assez sympa de faire sa thèse à Paris... si seulement j'avais du temps pour m'en occuper autant que je le voudrais ! La préparation des cours que je donne à la fac est un peu trop chronophage à mon goût....

    Je travaille sur l'élaboration du récit chez Tacite et Suétone, i.e. sur la façon dont ils ont essayé de concilier impératifs historiques (recherches à faire, sérieux à démontrer...) et impératifs esthétiques (qui, pour les Anciens, était le plus important dans un ouvrage d'histoire). Etant donné qu'ils écrivent plus ou moins sur le même sujet et plus ou moins à la même époque, l'idée est de comparer les différentes versions qu'ils donnent d'un même événement (ou les différentes images qu'ils donnent d'un même empereur, etc.) pour voir si cela relève d'un choix personnel, de la source qu'ils ont utilisée ou de l'événement en lui-même. Le but est de saisir comment se traduit, concrètement, la façon dont les Anciens concevaient l'histoire.

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  3. « Je ne suis pas contre la diction "racinienne" ("que nous nous imaginons racinienne" serait plus juste), »

    Hi hi hi.

    Au fait, a-t-on la moindre raison de croire que la prononciation latine que l'on fait apprendre en France (e.g. dominousse) est la prononciation effectivement pratiquée à l'époque classique?

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