Suétone aime le trash et Tibère n'est pas exactement l'empereur qu'il préfère. Ajoutez à cela des rumeurs d'empoisonnement de son neveu et fils adoptif, adoré par la foule, et il est aux anges. Ses Vies des douze Césars lui donnent en plus l'occasion de traiter deux fois de la mort de Germanicus, dans celle de Tibère (l'oncle, donc) et dans celle de Caligula (le fils).
Les allusions ne sont cependant pas très développées dans la Vie de Tibère : après un certain nombre d'exemples de combien Tibère n'aimait pas son neveu, Suétone ajoute, en 52.6,
Ce renchérissement intervient à la fin d'une longue série de verbes à l'indicatif, donc d'actions malveillantes présentées comme absolument avérées (ce n'est pas la même chose que de dire "il a fait" à l'indicatif et "il aurait fait" au conditionnel). Le lecteur est donc plutôt porté, par le mouvement du texte, à considérer comme fort probable cette dernière "illustration".
Suétone prend quand même des gants et modalise à qui mieux mieux (même chose : dire "il a fait" et "on dit qu'il a fait" ne revient pas au même, quant au degré de solidité de l'information) : "on croit que" (creditur), "certains pensent que" (putant quidam), "il aurait révélé" (prolaturum <esse>)... Il n'empêche que, par la suite, il en donne deux "confirmations" : 1) des inscriptions et des cris poussés de nuit, qui sont tout aussi anonymes ("on inscrivit", inscriptum est, "on cria", adclamatum est) que ses "on" et ses "certains" qui précèdent, même s'ils renvoient au peuple en général ; et 2) le comportement de Tibère lui-même (ipse confirmauit") envers la femme et les enfants de Germanicus, qu'il va développer dans les paragraphes qui suivent (à grand renfort, là aussi, de dicitur et creditur, parce qu'on va atteindre le summum de l'horreur : il décide de faire mourrir de faim l'un des fils de Germanicus, si bien que celui-ci en est réduit à manger la bourre de son matelas dans sa cellule).
Mais bon, il n'en demeure pas moins que ces cris dans la nuit ne sont pas des arguments très solides et que, étant donné que Tibère a tendance à s'en prendre à tous ses proches et en particulier aux membres de sa famille, on peut arguer que ce qui est arrivé à Agrippine l'Ancienne et ses enfants n'est pas nécessairement dû à leur lien avec Germanicus.
Suétone est par contre beaucoup plus précis dans la Vie de Caligula. Commençant, comme dans toutes les Vies, par brosser un rapide portrait des origines familiales du César en question, il s'attarde assez longuement sur Germanicus, le père de Caligula, et annonce très vite la couleur, en 1.2 : "il mourut à Antioche d'une longue maladie, non sans qu'on soupçonnât qu'il eût été empoisonné" (diuturno morbo Antiochiae obiit non sine ueneni suspicione). Suit une description presque médicale du corps :
Suétone finit sur les soupçons de tous se portant sur Pison et, à travers lui, Tibère :
De fait, la description qui précède ce passage est particulièrement précise : taches blanches (liuores) sur tout le corps, écume (spumas) aux lèvres... même avec presque vingt siècles d'écart, un tel portrait nous évoque, à nous aussi, un empoisonnement. Suétone y ajoute la conservation miraculeuse du coeur après la crémation et la croyance populaire (existimatur) que cet état était la preuve formelle d'un empoisonnement (ce qui est un moyen de suggérer "tout le monde le dit, donc c'est un fait établi").
Or, à propos de l'état du corps de Germanicus, Tacite fait une toute autre description. Il a même, d'ailleurs, une attitude assez différente face à son décès : c'est ce que nous verrons au prochain épisode (quoi ?! il faut bien maintenir le suspens, que diable ! :p J'en profite pour souhaiter un joyeux Noël à tout le monde !).
Les allusions ne sont cependant pas très développées dans la Vie de Tibère : après un certain nombre d'exemples de combien Tibère n'aimait pas son neveu, Suétone ajoute, en 52.6,
Etiam causa mortis fuisse ei per Cnaeum Pisonem legatum Syriae creditur, quem mox huius criminis reum putant quidam mandata prolaturum nisi ea secreto ostendant ***** (lacune) ; quae multifariam inscriptum et per noctes celeberrime adclamatum est "Redde Germanicum !". Quam suspicionem confirmauit ipse postea coniuge etiam ac liberis Germanici crudelem in modum afflictis.
"On croit même qu'il causa sa mort (celle de Germanicus) par l'entremise du légat de Syrie Cnaeus Pison, dont certains pensent que, accusé bientôt de ce crime, il aurait révélé ses instructions si ***** (lacune ; c'est toujours au moment le plus passionnant qu'il y en a une : grand classique des textes antiques) ; on inscrivit en plusieurs endroit et l'on cria très souvent la nuit "Rends-nous Germanicus !". Il confirma lui-même ce soupçon par la suite, en traitant aussi avec cruauté la femme et les enfants de Germanicus."
Ce renchérissement intervient à la fin d'une longue série de verbes à l'indicatif, donc d'actions malveillantes présentées comme absolument avérées (ce n'est pas la même chose que de dire "il a fait" à l'indicatif et "il aurait fait" au conditionnel). Le lecteur est donc plutôt porté, par le mouvement du texte, à considérer comme fort probable cette dernière "illustration".
Suétone prend quand même des gants et modalise à qui mieux mieux (même chose : dire "il a fait" et "on dit qu'il a fait" ne revient pas au même, quant au degré de solidité de l'information) : "on croit que" (creditur), "certains pensent que" (putant quidam), "il aurait révélé" (prolaturum <esse>)... Il n'empêche que, par la suite, il en donne deux "confirmations" : 1) des inscriptions et des cris poussés de nuit, qui sont tout aussi anonymes ("on inscrivit", inscriptum est, "on cria", adclamatum est) que ses "on" et ses "certains" qui précèdent, même s'ils renvoient au peuple en général ; et 2) le comportement de Tibère lui-même (ipse confirmauit") envers la femme et les enfants de Germanicus, qu'il va développer dans les paragraphes qui suivent (à grand renfort, là aussi, de dicitur et creditur, parce qu'on va atteindre le summum de l'horreur : il décide de faire mourrir de faim l'un des fils de Germanicus, si bien que celui-ci en est réduit à manger la bourre de son matelas dans sa cellule).
Mais bon, il n'en demeure pas moins que ces cris dans la nuit ne sont pas des arguments très solides et que, étant donné que Tibère a tendance à s'en prendre à tous ses proches et en particulier aux membres de sa famille, on peut arguer que ce qui est arrivé à Agrippine l'Ancienne et ses enfants n'est pas nécessairement dû à leur lien avec Germanicus.
Suétone est par contre beaucoup plus précis dans la Vie de Caligula. Commençant, comme dans toutes les Vies, par brosser un rapide portrait des origines familiales du César en question, il s'attarde assez longuement sur Germanicus, le père de Caligula, et annonce très vite la couleur, en 1.2 : "il mourut à Antioche d'une longue maladie, non sans qu'on soupçonnât qu'il eût été empoisonné" (diuturno morbo Antiochiae obiit non sine ueneni suspicione). Suit une description presque médicale du corps :
Nam praeter liuores, qui toto corpore erant, et spumas, quae per os fluebant, cremati quoque cor inter ossa incorruptum repertum est : cuius ea natura existimatur, ut tinctum ueneno igne confici nequeat.
"En effet, outre des taches livides, qui se trouvaient sur tout son corps, et de l'écume, qui coulait par sa bouche, après l'incinération, on trouva aussi son coeur intact parmi ses ossements : or on considère qu'il est dans cet état lorsque, imbibé de poison, il ne peut être consumé par le feu."
Suétone finit sur les soupçons de tous se portant sur Pison et, à travers lui, Tibère :
Obiit autem, ut opinio fuit, fraude Tiberi, ministerio et opera Cnaei Pisonis, qui sub idem tempus Syriae praepositus, nec dissimulans offendendum sibi aut patrem aut filium, quasi plane necesse esset, etiam aegrum Germanicum grauissimis uerborum ac rerum acerbitatibus nullo adhibito modo adfecit ; propter quae, ut Romam rediit, paene discerptus a populo, a senatu capitis damnatus est.On retrouve, dans ce troisième extrait, les mêmes procédés que dans le premier : modalisation ("comme on en fut d'avis", ut opinio fuit) et confirmation par une réaction de la foule ("il fut presque mis en pièces par le peuple", paene discerptus a populo). Mais on a surtout une décision du sénat lui-même, qui le condamne à mort, ce qui, là, pour le coup, est un argument sérieux en faveur de la thèse de sa culpabilité : ici, Suétone force la vérité historique, puisque Pison s'est en réalité suicidé et, surtout, le sénat ne l'a pas condamné pour le meurtre de Germanicus ; il est facile d'en deviner la raison : son but est de convaincre le lecteur que Pison est assurément coupable.
"Par ailleurs, il mourut, comme on en fut d'avis, victime d'un crime de Tibère, avec l'aide et les efforts de Cnaeus Pison, qui, vers la même époque, avait été mis à la tête de la Syrie et qui, ne cachant pas qu'il lui fallait offenser soit le père, soit le fils (Tibère a adopté son neveu sur ordre d'Auguste), comme c'était vraiment une nécessité, même lorsque Germanicus était malade, l'accabla, en paroles et en actes, des plus graves outrages, sans garder aucune mesure ; à cause de ce comportement, lorsqu'il revint à Rome, il fut presque mis en pièces par le peuple et condamné à mort par le sénat".
De fait, la description qui précède ce passage est particulièrement précise : taches blanches (liuores) sur tout le corps, écume (spumas) aux lèvres... même avec presque vingt siècles d'écart, un tel portrait nous évoque, à nous aussi, un empoisonnement. Suétone y ajoute la conservation miraculeuse du coeur après la crémation et la croyance populaire (existimatur) que cet état était la preuve formelle d'un empoisonnement (ce qui est un moyen de suggérer "tout le monde le dit, donc c'est un fait établi").
Or, à propos de l'état du corps de Germanicus, Tacite fait une toute autre description. Il a même, d'ailleurs, une attitude assez différente face à son décès : c'est ce que nous verrons au prochain épisode (quoi ?! il faut bien maintenir le suspens, que diable ! :p J'en profite pour souhaiter un joyeux Noël à tout le monde !).
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