
Instantanés (ou presque) d'aventures et mésaventures universitaires de thésards en lettres classiques.
dimanche 28 novembre 2010
Opération "Mani pulite"

lundi 22 novembre 2010
Annonce
dimanche 21 novembre 2010
"Andromaque" à la Comédie Française
samedi 20 novembre 2010
L’Antiquité au cinéma
Le retour des péplums
Si vous avez fait du latin ou du grec, ou même simplement si vous avez déjà eu droit à un cours d’histoire sur l’Antiquité gréco-romaine au collège ou au lycée, il y a de fortes chances pour que vous ayez eu droit à l’un des marronniers des activités en classe : la Projection de Péplum.
La Projection de Péplum correspond en général à une tentative d’un ou plusieurs enseignants de bonne volonté, sommés qu’ils sont de paraître actifs™ et dynamiques®, pour rendre intéressant un cours sur l’Antiquité inévitablement soupçonnable d’endormir les élèves (en vertu de la sagesse des idées reçues, dont l’une des équations est « ancien = ennuyeux »). La manœuvre consiste donc à rassembler une classe ou deux dans une salle, devant un poste de télévision, pour regarder un film (ou à tout le moins des extraits d’un film), supposé égayer leur quotidien de manuels et de polycopiés. Et quel film projeter aux élèves quand on parle d’Antiquité ? Un péplum, naturellement.
Les Derniers Jours de Pompéi, Sergio Leone, 1959 (Source : Wikipédia anglaise).
Problème : aux yeux des dernières générations, les péplums du siècle dernier ont vite fait de paraître ringards – en fait, ils étaient déjà ringards à la fin dudit siècle, au temps où votre serviteur usait ses poches arrière de pantalon sur les chaises d’un collège (ce qui ne rajeunit personne). Plusieurs raisons expliquent ce jugement sévère. Le vieillissement naturel de toute œuvre artistique est la première : des détails tout bêtes, comme la coupe de cheveux des acteurs ou le rôle dévolu aux femmes dans l'intrigue, peuvent prêter à sourire pour les générations actuelles. Le choix du film, ensuite, peut s’avérer délicat : le péplum a été un genre très fécond entre, à la louche, les années 1950 et les années 1980, et, bien sûr, il n’a pas produit que des chefs-d’œuvre. Pour peu que le film en question soit desservi par une réalisation pataude et/ou un petit budget, la séance court droit à la catastrophe.
Ce qui nous amène au dernier élément, qui a vite fait d’apporter le coup de grâce à tout péplum ayant la malchance d’être un peu ancien : les effets spéciaux. Peu de choses vieillissent plus vite au cinéma que les effets spéciaux (même les coupes de cheveux ont l’air moderne à côté), et peu d’éléments ont un effet plus radicalement dévastateur sur la bienveillance du spectateur. Même les magnifiques séquences animées image par image du fameux réalisateur d’effets spéciaux Ray Harryhausen n'échappent pas à l’outrage des années. Et comment ne pas rire sous cape devant d’autres ficelles autrement moins élégantes : armures en plastique, rochers géants en carton à l’élasticité suspecte, athlètes combattant à mains nues de féroces peluches qui peinent à se faire passer pour de vrais fauves… Mesuré à cette aune, le péplum le plus honnête s’expose à se voir relégué au pays des nanars sous le jugement sévère des spectateurs. Adieu les nouveaux médias volant au secours d’une Antiquité présupposée momifiée : le cinéma lui-même s’empoussière trop vite ! Que faire, hélas, que faire ?
Si l’intérêt pour l’Antiquité n’a jamais vraiment cessé, il y avait un bon moment (depuis en gros le début des années 1980) que le cinéma ne s’était plus risqué à de grosses productions de l’ampleur du Ben Hur de William Wyler (1959) ou du Choc des Titans de Desmond Davis (1981). Mais, pour le plus grand bonheur des antiquisants, le tournant du millénaire semble avoir coïncidé avec un renouveau du genre, essentiellement du côté des blockbusters américains, dont l’industrie est pourtant peu encline à la prise de risques.
À quoi est dû ce regain ? À une première tentative concluante : Gladiator de Ridley Scott, en l’an 2000, dont le succès a encouragé les studios, sinon à relire les œuvres antiques, du moins à remettre le nez dans leurs archives et à se demander comment redonner un coup de jeune au genre qui avait fait leurs heures de gloire quelques décennies plus tôt. Depuis Gladiator, les films à sujet antique se font de nouveau plus nombreux : Troie (Wolfgang Petersen, 2004), Alexandre (Oliver Stone, la même année), 300 (Zack Snyder, 2007), Agora (Alejandro Amenábar, 2009), Le Choc des Titans (Louis Leterrier, 2010) ou Centurion (Neil Marshall, la même année : Lina vous en avait parlé ici), pour ne citer que les plus marquants. Finis les effets spéciaux surannés, place aux images de synthèse et à la 3D.
Ces nouveaux péplums sont présents sur les affiches, dans les couloirs de métro, sur les flancs des bus, on en parle dans les médias, et, coup de chance, on invite même parfois un historien pour dire deux mots sur le sujet. Pour nous autres jeunes antiquisants, c’est un plaisir et une chance : non seulement c’est intéressant de voir ce que font les créateurs de ces films, mais c’est aussi un (beau) prétexte de parler d’Antiquité, grecque, latine ou autre, avec un public plus large.
300 de Zacky Snyder d'après Frank Miller (2007) : des hoplites spartiates affrontent des hordes d'Immortels perses aux allures de samouraïs sur fond de guitare électrique. Rassurons-nous : au bout d'un moment, on finit forcément par se douter que certains trucs n'étaient pas dans Hérodote. (Source de l'image : poster sur le site officiel du film.)
La critique est Thésée... et l’art est minotaure. Comment regarder un néo-péplum ?
Nouveau problème : un film n’est pas un manuel d’histoire, ni un cours, ni une illustration d’un texte antique. C’est d’abord… un film, c’est-à-dire une création élaborée par un réalisateur dans un cadre très variable, en fonction de contraintes multiples. Sous le terme très général de « péplum » que j’emploie ici, se dissimulent en fait toutes sortes d’approches possibles de l’Antiquité au cinéma. Sur la bonne dizaine de gros films sortis depuis Gladiator, pas un n’évoque l’Antiquité de la même façon que les autres. Et pour cause : chacun a été réalisé en fonction d’une esthétique différente, relevant d’un genre particulier.
En face de ces nouvelles visions de l’Antiquité au cinéma, une attitude trop répandue, parfois chez les antiquisants eux-mêmes (lorsqu’ils ne sont pas spécialistes du sujet, comme Claude Aziza, lequel ne s’y trompe pas), consiste à regarder d’un œil le film fraîchement sorti, de l’autre un livre d’histoire, et à jouer au jeu des sept erreurs avec le sourcil implacable du Zeus des jours d’orage. Telle date se révèle inexacte, tel détail ne concorde pas, tel personnage n’a jamais agi de cette façon, tel décor ou armure n’est pas d’époque... et voilà nos réalisateurs changés en mauvais élèves, et leurs casquettes coiffées d’autant de bonnets d’âne. Pire : on les accuse d’induire les foules en erreur, d’entretenir une vision fausse de l’Antiquité, au lieu de profiter de leur position privilégiée d’Artistes à Large Audience pour instruire leur monde. « Pour une fois qu’on parle de ces vieux machins, semble-t-on dire, ça pourrait au moins être éducatif ! »
Ces critiques n’ont pas entièrement tort : il est parfois sidérant de voir à quel point le matériau antique, qu’il soit historique, mythologique ou autre, peut être gâché par certaines grosses productions paresseuses, malgré le potentiel énorme qu’il représente pour n’importe quel cinéaste. Oui mais… on ne saurait se limiter à des critiques de ce type, pour trois raisons très simples :
- Un film n’est pas un documentaire : il n’a pas vocation à raconter l’Histoire, mais avant tout une histoire. Une comparaison terme à terme entre tel détail du film et telle vérité historique ne se justifie que pour un genre bien particulier – le film historique (et encore). Or, la majorité des films récents à sujet antique ne relèvent pas de ce genre. On ne peut juger un film qu’à partir du programme esthétique qu’il élabore, ou, en d’autres termes, du genre ou du sous-genre bien précis dont il se réclame. Ignorer cette donnée dans une critique reviendrait à chercher des statistiques sur la démographie française dans les romans de Balzac : ce serait absurde. Le film de Zack Snyder 300 (sorti en 2007), par exemple, a beau s’inspirer de la bataille de Marathon, il n’a jamais prétendu refléter une quelconque vérité historique : c’est d’abord une adaptation au cinéma du comic du même nom publié par Frank Miller en 1998, lequel est un roman graphique influencé par les codes des histoires de super-héros.
- À une échelle plus large, il faut tenir compte du langage esthétique propre au cinéma en tant qu’art (ou que support, si vous préférez). On ne peut pas dire les choses au cinéma de la même façon que dans un écrit littéraire ou universitaire. Et n’importe quel critique de cinéma un peu sagace vous dira que, dans le cas des adaptations d’œuvres littéraires au cinéma, par exemple, une trahison bien faite peut donner un résultat plus respectueux de l’esprit de l’œuvre qu’une adaptation plus servile. On ne peut donc pas reprocher au film Troie de Wolfgang Petersen (sorti en 2004) de ne pas reproduire tel quel le contenu des vingt-quatre chants de l’Iliade, tout comme on ne peut pas refuser comme des erreurs ou des trahisons les épisodes nouveaux inventés par le film sans se demander d’abord pourquoi les scénaristes ont jugé bon de les introduire dans l’histoire (ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire beaucoup d’autres reproches à ce film, mais j’en parlerai plus tard).
- À une échelle plus large encore, il faut garder en tête qu’une œuvre cinématographique n’est jamais créée dans l’abstrait, mais qu’elle s’inscrit dans une époque (en l’occurrence la nôtre) qui a son imaginaire, ses modes et ses préoccupations propres. Le choix de consacrer un film à tel ou tel sujet antique n’a rien d’innocent, mais dépend beaucoup des représentations associées à ce sujet et/ou du prétexte qu’il peut constituer pour évoquer indirectement tel autre sujet qui intéresse l’artiste et son public aujourd’hui. Pour prendre un exemple parmi les péplums classiques, lorsque, dans l’une des premières scènes de Ben Hur, Ben Hur, prince juif, retrouve son ancien ami Messala, devenu officier dans l’armée romaine, qui lui explique avec aplomb qu’il doit absolument collaborer avec les Romains qui occupent sa Judée natale, sous peine d’exposer tout son peuple à « l’extinction », il ne faut pas chercher très loin pour se rendre compte que le film adopte une vision bien précise de l’empire romain, qui le rapproche du totalitarisme nazi au temps de la Seconde guerre mondiale. De la même façon, le film Agora d’Alejandro Amenábar (2009) n’est pas une biographie d’Hypatie, philosophe et mathématicienne du IIIe siècle, ou plutôt il n’est pas seulement cela : c’est aussi, voire d’abord, une réflexion sur les extrémismes religieux, parfaitement en prise avec les problématiques politico-religieuses du monde contemporain.
Ces quelques vérités peuvent vous sembler des évidences, et tant mieux si c’est le cas, mais il est étonnant de voir à quel point la problématique simpliste « vérité ou mensonge ? » influence encore une partie des jugements sur ce type de film.
Étudier l’Antiquité en images

« Mais alors, me direz-vous peut-être, une telle conception de la critique revient à laisser carte blanche aux réalisateurs pour raconter toutes les bêtises qu’ils voudront sur l’Antiquité. Que deviendra la Projection de Péplum dont nous parlions au début ? Faut-il y renoncer ? »
Non, bien entendu, tout au contraire. Car, comme dans tous les domaines, les inégalités de savoir entraînent des inégalités entre les spectateurs. Tout le monde n’est pas armé de la même façon pour regarder un péplum. Un antiquisant, qui connaît son sujet, saura reconnaître les endroits où le film prend des libertés avec l’Histoire et, avec un peu de recul et de bonne volonté, saura apprécier l’intérêt de ces écarts et de ces inventions lorsqu’ils en ont un. Un étudiant en arts de l’image, de son côté, sera mieux renseigné sur le langage pictural propre aux différents genres cinématographiques, et, avec un peu de chance, connaîtra assez bien l’histoire du genre du péplum pour reconnaître les reprises et les allusions entre films. Mais un non spécialiste complet risque de passer à côté de beaucoup de choses.
De là la tentation, mal appropriée, de vouloir faire jouer aux réalisateurs de films un rôle qui n’est pas le leur, celui de concepteurs d’outils pédagogiques : on a peur que des œuvres de fiction entretenant un rapport trop complexe avec « la vérité » finissent par égarer les spectateurs les moins avertis. Or, ce n’est pas au cinéaste de jouer ce rôle, c’est au professeur – ou, pour être plus exact, à beaucoup plus de gens que ça : aux concepteurs des programmes scolaires, d’abord, puisque les enseignants sont tenus de se conformer aux programmes, mais aussi, dans d’autres domaines, aux enseignants-chercheurs (historiens, latinistes, hellénistes, archéologues, etc.), tant dans leur travail de recherche et dans leur enseignement universitaire que dans leur œuvre de vulgarisation auprès du grand public. C’est là un dialogue constant et attendu entre les arts et les savoirs au sein d’une société. Et surtout, c’est une constatation d’une grande banalité que de rappeler à quel point les arts de l’image tiennent une place importante dans les sociétés actuelles (ils en tenaient une tout aussi grande dans les sociétés antiques, d’ailleurs : gardons-nous de croire que les Anciens ne possédaient que des textes, il n’y a rien de plus faux !). Il est donc important, pour en rester au domaine scolaire, que les élèves soient initiés à la lecture des images, tout comme ils doivent l’être à celle des textes.
Peu de récriminations à faire à ce sujet, il me semble, du côté de l’éducation nationale : ces thématiques font peu à peu leur entrée dans les programmes scolaires du secondaire, et les études de cinéma se répandent dans les universités. Il semble, en revanche, que très peu de chercheurs se soient lancés dans l’étude précise de cette nouvelle vogue des films antiques. Les spécialistes du sujet sont rarissimes (le plus connu et le plus visible dans les médias est Claude Aziza, mais aucun chercheur ne peut couvrir à lui tout seul l’ensemble d’un champ de recherche !). Les chercheurs anglo-saxons, en revanche, semblent avoir pris ce train, puisqu’au cours de mes promenades virtuelles en quête de références, les seuls ouvrages et articles universitaires que j’aie trouvés à propos de ces nouveaux péplums, en dehors de ceux d’Aziza, figuraient dans des publications anglophones.
Il faut dire que l’exercice n’est pas facile, dès lors qu’on veut faire les choses un peu bien : en plus d’une solide formation d’antiquisant, cela suppose de connaître au moins les bases des études cinématographiques, pour pouvoir analyser de façon pertinente le scénario, le montage, les cadrages, la lumière, la correspondance entre la musique et l’image… Mais ce grand écart en vaut la peine. Et si l’on y réfléchit en termes d’enseignement, il peut aussi, dans une perspective plus large, constituer une ouverture vers une réflexion sur la représentation de l’Antiquité en images de manière générale, tout au long de la longue histoire qui va de la Grèce et de la Rome antiques jusqu’à nos cinémas, en passant par les arts de l’image antiques (peinture, céramique, sculpture, complexes architecturaux), les représentations médiévales (pensons à ces enluminures où les combattants de la guerre de Troie sont représentés en armure médiévale, comme si nous représentions Achille en treillis brandissant un fusil mitrailleur) et les tableaux et sculptures de la Renaissance et de l’époque moderne (l’exposition actuelle, au musée d'Orsay, sur la représentation de l'Histoire par le peintre pompier Jean-Léon Gérôme est un bon exemple des possibilités qu’offre une réflexion sur l’image).
Le renouveau du péplum n’est donc pas seulement la preuve que l’Antiquité intéresse toujours (pour ceux qui penseraient le contraire), il n’est pas seulement non plus une façon pour l’antiquisant de se mettre au goût du jour ou de paraître « à la mode » pour mieux attirer et retenir les élèves… C’est aussi l’occasion rêvée de replacer ces œuvres toutes récentes dans leur contexte, au sens large, en prenant au besoin un peu de recul – disons 2000 ou 3000 ans – pour faire découvrir ou redécouvrir l’importance et l’incroyable richesse des sujets antiques dans les arts figurés. Et de montrer à tous la continuité foisonnante et vertigineuse qui court depuis ces époques reculées jusqu’à la nôtre, à travers une évolution lente aux ramifications multiples.
J’ai parlé des jeux vidéo, aussi ?
mercredi 17 novembre 2010
Quelle légitimité à exister pour l'ENS ? (3)
jeudi 11 novembre 2010
Quelle légitimité à exister pour l'ENS ? (2)
Pour entrer à Normale, il faut faire une classe préparatoire, ce qui signifie que les normaliens ne passent pas par les deux premières années de la fac. Ceci dit, cela ne signifie pas que les normaliens ne passent pas par la fac du tout : l'Ecole ne délivre pas de diplôme, ce qui veut dire que nous sommes obligés d'être au moins inscrits dans une université (pour les scientifiques) et d'en suivre également les cours (pour les littéraires). Il est donc faux de dire que nous sommes totalement étrangers à la fac : c'est dans son cadre que nous faisons nos deux années de master (+, parfois, la dernière année de licence) et notre thèse ; là que se trouve le professeur qui dirige nos recherches ; là que nous travaillerons après l'école. Nous faisons partie de la fac ; la différence avec les autres étudiants, c'est que nous suivons également d'autres cours ailleurs, ce qui, en troisième année de licence, a pour conséquence un emploi du temps démentiel, même en retirant les cours "en double".
C'est là que nous sommes confrontés aux différences de niveau avec les étudiants qui n'ont fait que la fac. Ce n'est pas vrai dans toutes les matières, mais, pour vous donner une idée, en L3 lettres classiques, je me suis retrouvée avec des gens qui en étaient encore au B.A-BA en grec, voire qui étaient tout à fait incapables de traduire un texte basique dans cette langue - alors qu'ils étaient en train de finir leur licence : c'était donc au moins la troisième année qu'ils faisaient du grec. Vous comprendrez pourquoi j'ai déserté, pour suivre le cours équivalent à Ulm : j'avais franchement l'impression de perdre mon temps, voire, pire, de perdre mon niveau (ce qui n'était pas tout à fait vrai, car les versions étaient quand même corrigées de manière assez "sèche").
D'une manière tout d'abord assez basique, i.e. en laissant, pour le moment, l'ENS en dehors du tableau, cela pose la question du niveau exigé en fac pour passer d'une année à l'autre : arriver en troisième année de lettres classiques sans connaître même les règles les plus élémentaires de la grammaire grecque me paraît tout à fait inacceptable, aussi bien pour l'université et ladite filière que, surtout, pour l'étudiant, qu'on a laissé aller droit dans le mur en klaxonnant.
"Oui, mais, me direz-vous, vu le peu d'élèves en lettres classiques, si on commence à les virer parce qu'ils n'ont pas le niveau, on va vraiment se retrouver à trois pelés et un tondu !" Le problème des lettres classiques est un autre sujet, qu'il serait sans aucun doute bon de traiter ici également en longueur : tout ce que je dirai pour le moment, c'est qu'il me semble que laisser un étudiant qui n'a très manifestement pas le niveau poursuivre jusqu'en troisième année est tout à fait inacceptable.
Donc, de deux choses l'une : soit on considère que, le problème, c'est lui et on lui explique qu'il n'est pas de son intérêt de continuer dans cette voie (après tout, l'avantage de la fac, c'est que les possibilités de réorientation sont nombreuses) ; soit on considère que, le problème, c'est nous et on revoit nos exigences face à nos étudiants et l'enseignement que nous leur délivrons (vous avez vu ? je pense déjà en prof, c'est merveilleux).
Cependant, même dans les filières où le niveau d'exigence est franchement correct, les normaliens et les ex-préparationnaires (parce que, par rapport aux étudiants qui n'ont fait que la fac, les ex-préparationnaires doivent aussi entrer en compte - il n'y a pas que les normaliens, dans la vie !) se révèlent franchement meilleurs et ce sont majoritairement eux qu'on retrouve reçus à l'agrégation et aux meilleurs rangs parmi les reçus au Capès (ce qui ne veut pas dire que les autres n'ont aucune chance de l'être aussi, heureusement).
De mon point de vue, c'est une question de méthode : la formation reçue en classe préparatoire est très axée sur la méthodologique, avec des exercices nombreux et fréquents. On a beau dire, il n'y a rien de plus efficace pour intégrer les règles de la dissertation et du commentaire de texte (je laisse de côté la nécessité intrinsèque de devenir plus ou moins une bête de travail doublée d'un génie de l'organisation, ce qui vous fait doucement rigoler lorsqu'on vous donne ensuite un mois pour rendre un devoir). A la fac, les exercices sont moins nombreux (pour vous donner une idée, mes étudiants doivent me rendre un commentaire composé à la fin du mois ; en prépa, j'en aurais déjà rendu deux et le troisième serait en route) et la méthodologie manifestement moins martelée, si on en juge, après, par les difficultés qu'éprouvent les étudiants pour organiser leurs travaux.
Que la fac soit moins "psychorigide" que la prépa n'est pas un problème : après tout, pourquoi pas ? Personne n'est obligé de suivre les chemins canoniquement formatés pour penser par soi-même et faire quelque chose de bon (c'est même un des avantages des prépas de province par rapport aux prépas parisiennes : think different, guys !). Il n'empêche qu'il faut quand même avoir intégré une certaine méthode pour y arriver et c'est souvent ce qui manque aux étudiants (pour des raisons de commodité, j'appellerai désormais "étudiants" ceux qui n'ont étudié qu'à la fac ; il ne faut cependant pas oublier que les ex-préparationnaires et les normaliens sont aussi des étudiants) : ils ne sont pas moins bons en soi, ils ont souvent du mal à organiser leur penser pour la faire aller plus loin.
On peut maintenant se demander s'ils seraient meilleurs s'ils savaient le faire. A mon avis, oui : les bons seraient encore meilleurs et auraient les mêmes armes que les autres, les médiocres le seraient moins, les mauvais auraient d'autres problèmes (ou les mêmes, mais, au moins, pour ce qui est de l'organisation de leur pensée, ils sauraient comment ils devraient idéalement faire). On me dira : "Oui, mais les meilleurs ne sont pas à la fac, ils sont en classe préparatoire !". C'est sans doute en partie vrai, mais ce que je sais, moi, c'est que les étudiants de première année que j'ai devant moi en ce moment sont tout aussi bons que des hypokhâgneux et ils ne sont pas en prépa, ce qui signifie que la fac a un potentiel immense et qu'affirmer que seuls les mauvais vont là est absolument faux.
On comprend dès lors que les normaliens et ex-préparationnaires réussissent mieux que les étudiants "tout court" : ils ont intégré depuis un moment sur quoi on allait les juger et savent s'y conformer. Après, que les normaliens se revèlent souvent meilleurs que les ex-préparationnaires (mais pas tout le temps et, surtout, pas nécessairement : pour intégrer, il faut être suffisamment bon partout, ce qui veut dire que, si vous êtes excellent en latin, mais nul en histoire et en philo, vous n'intégrerez pas ; mais, si vous continuez à étudier la littérature latine, il y a de bonnes chances pour que vous soyez aussi bon que des gens qui ont intégré : n'ayez donc aucun complexe) s'explique assez aisément : le fait qu'ils aient intégré signifie déjà que, à un moment, ils ont été meilleurs qu'eux ; ensuite, le niveau des cours à l'ENS restant haut et la préparation étant bonne, ils profitent d'autres avantages. J'ajouterai également qu'il y a des gens qui sont "faits" pour les concours (il y a même des dingues qui ne peuvent pas vivre s'ils n'ont pas de concours à passer) et des gens qui ne sont pas faits pour cela. Un de mes amis s'est entendu dire que, l'agrégation, c'était comme le mariage : pour que ça marche, il faut être deux ; c'est un peu l'idée.
mardi 9 novembre 2010
Quelle légitimité à exister pour l'ENS ? (1)
lundi 8 novembre 2010
Joie, bonheur et robustesse !!!
Basiquement, vous savez ce que cela signifie ? Je vais pouvoir : 1) m'inscrire administrativement ; 2) activer mon adresse mail pro ; 3) envoyer une copie dudit contrat à l'Education nationale pour que mes trois ans de monitorat me valident bien mon agrégation ; 4) et last but (very) not least
dimanche 7 novembre 2010
To register or not to register ?
Enfin, argument final qui risque fort d'emporter le morceau, l'inscription dans l'Archicubier (l'annuaire des anciens élèves, qui sont appelés "archicubes" une fois sortis de l'Ecole) représente aussi, d'une certaine manière une sorte de preuve que vous êtes bel et bien normalien. Ce n'est pas que j'éprouve le besoin de le prouver (je m'en fous, je sais que je le suis et si vous ne le croyez pas, c'est tant pis pour vous), encore moins de le proclamer (je ne suis d'ailleurs pas sûre que ce soit très stratégique pour faire carrière dans le monde universitaire, même si on ne correspond pas au cliché du normalien arrogant et imbu de lui-même). Mais enfin, c'est quand même une manière de reconnaître un état de fait.
Et, après tout, c'est à moi d'en faire ce que je veux, de cette inscription à l'Archicubier, n'est-ce pas ?
samedi 6 novembre 2010
Nouveau contributeur
mercredi 3 novembre 2010
Il faut ce qu'il faut...
Or je déteste ce gars. Mais vraiment. Ce type est une punaise narcissique, qui ne pense qu'à une chose : se faire valoir avec toute la vanité possible et se livrer à une lèche telle que les gars de la rubrique "La brosse à reluire" du Canard enchaîné sont vraiment, vraiment, vraiment de petits joueurs. Lisez le Panégyrique de Trajan (enfin, si vous y arrivez, parce que c'est vraiment insupportable), vous comprendrez ce que je veux dire.
Ceci dit, il faut ce qu'il faut et, en bonne masochiste consciencieuse que je suis, je suis prête à sacrifier ma répulsion horripilée sur l'autel de ma thèse (je précise quand même que j'ai néanmoins l'espoir que la correspondance soit moins pire que le Panégyrique, même si, pour ce que j'en connais déjà, je ne me fais guère d'illusions...).
Heureusement, mon "ordinaire" se traduit davantage par des textes absolument géniaux que par des déploiements d'auto-satisfaction. Visez plutôt le début des Histoires de Tacite, que je vous donne en latin ET en traduction (la maison est généreuse, aujourd'hui) :
Opus adgredior opimum casibus, atrox proeliis, discors seditionibus, ipsa etiam pace saeuom : quattuor principes ferro interempti, trina bella ciuilia, plura externa ac plerumque permixta ; prosperae in Oriente, aduersae in Occidente res ; turbatum Illyricum, Galliae nutantes, perdomita Britannia et statim missa, coortae in nos Sarmatorum ac Sueborum gentes, nobilitatus cladibus mutuis Dacus, mota prope etiam Parthorum arma falsi Neronis ludibrio. Iam uero Italia nouis cladibus uel post longam saeculorum seriem repetitis adflicta : haustae aut obrutae urbes, fecundissima Campaniae ora ; et urbs incendiis uastata, consumptis antiquissimis delubris, ipso Capitolio ciuium manibus incenso. Pollutae caerimoniae, magna adulteria ; plenum exiliis mare, infesti caedibus scopuli. Atrocius in urbe saeuitum : nobilitas, opes, omissi gestique honores pro crimine et ob uirtutes certissimum exitium. Nec minus praemia delatorum inuisa quam scelera, cum alii sacerdotia et consulatum ut spolia adepti, procuratores alii et interiorem potentiam, agerent uerterent cuncta odio et terrore ; corrupti in dominos serui, in patronos liberti ; et quibus deerat inimicus per amicos oppressi.
Non tamen adeo uirtutum sterile saeculum ut non et bona exempla prodiderit. Comitatae profugos liberos matres, secutae maritos in exilia coniuges ; propinqui audentes, constantes generi, contumax etiam aduersus tormenta seruorum fides ; supremar clarorum uirorum necessitates, ipsa necessitas fortites tolerata et laudatis antiquorum mortibus pares exitus. Praeter multiplices rerum humanarum casus, caelo terraque prodigia et fulminum monitus et futurorum praesagia, laeta tristia, ambigua manifesta ; nec enim umquam atrocioribus populi Romani cladibus magisue iustiis indiciis approbatum est non esse curae deis securitatem nostram, esse ultionem.
"J'entreprends une oeuvre riche en événements, atroce par ses batailles, déchirées par des séditions, cruelle même en pleine paix : quatre empereurs tués par le fer, trois guerres civiles, davantage de guerres extérieures et, la plupart du temps, mêlées ; des succès en Orient, des échecs en Occident ; l'Illyricum agité, les Gaules chancelantes, la Bretagne totalement domptée et aussitôt perdue, les peuples sarmates et suèbes soulevés contre nous, le Dace rendu célèbre par des défaites de part et d'autre, presque même les armes des Parthes mises en mouvement par l'imposture d'un faux Néron. Et dès lors l'Italie affligée par des catastrophes nouvelles ou répétées après une longue série de générations : des villes épuisées ou rayées de la carte, sur les rives fécondes de la Campanie ; et Rome dévastée par des incendies, alors que des temples très anciens furent consumés par le feu, que le Capitole lui-même fut incendié par les mains de citoyens. Des cérémonies religieuses profanées, de grands adultères ; la mer pleine d'exilés, des rochers hideux à cause des meurtres. A Rome, on sévit plus cruellement : la noblesse, la fortune, les charges auxquelles on a renoncé ou qu'on a exercées considérées comme des crimes et une mort tout à fait certaine à cause de vertus. Et les récompenses aux délateurs ne furent pas moins odieuses que leurs crimes, comme, les uns s'étant emparés, tels des dépouilles de guerre, des sacerdoces et des consulats, les autres des procuratures et du pouvoir dans le palais, ils mettaient tout sens dessus dessous par la haine et la terreur ; des esclaves furent corrompus contre leurs maîtres, des affranchis contre leur patron ; et ceux qui étaient dépourvus d'ennemis furent écrasés par l'entremise de leurs amis.
Cette période ne fut cependant pas à ce point stérile en vertus qu'elle n'ait produit aussi de bons exemples. Des mères accompagnèrent leurs enfants dans leur fuite, des épouses suivirent leur mari en exil ; des proches furent audacieux, des gendres tinrent fermement, des esclaves furent obstinément fidèles même devant la torture ; de grands hommes supportèrent avec courage les ultimes effets de la fatalité, l'ultime fatalité elle-même et leur trépas égala les morts célèbres des anciens. Outre les multiples malheurs qui frappèrent les affaires humaines, il y eut, dans le ciel et sur terre, des prodiges, des avertissements par la foudre et des présages du futur, joyeux, tristes, ambigus, manifestes ; car on ne démontra jamais avec des catastrophes plus atroces pour le peuple romain et des signes plus justes que les dieux ne se soucient pas de notre sécurité, mais de notre punition, infligée par vengeance."
Joli programme, n'est-ce pas ? Merci Tacite !