samedi 28 septembre 2013

Je dis "nous" - mais ce n'est pas de la majesté

Deuxième partie de semaine moins glorieuse ou comment avoir fini de faire cours le mardi à midi est en fait un Piège Sournois qui vous amène à vous dire "Hé ! hé ! mes cours sont passés ! tout ce temps qui s'étale devant moi peut être consacré à ma thèse ! pas la peine de s'affoler frénétiquement !" Erreur. Grave Erreur. De débutante, en plus. Mais il faut dire que je n'ai jamais été dans cette situation ces trois dernières années, donc l'alternance thèse-cours était un coup de fouet plus sensible.

Je ne suis quand même pas tout à fait restée les doigts de pied en éventail. Finir mon chapitre 2 a évidemment été suivi d'une baisse de motivation, mais j'ai quand même réussi à détailler le plan de mon chapitre 3 et à rédiger son introduction. J'ai évidemment râlé au moment d'annoncer le déroulement de ma réflexion : ça a beau être important, pour celui qui va lire le chapitre comme pour celui qui ne va pas le lire, mais veut quand même avoir une idée de ce qui va s'y dire, il faut quand même reconnaître que c'est d'un ennui profond à faire.

L'avantage, c'est que c'était du coup en lien avec une des questions posées par @caro_ligne sur Twitter cette semaine, qui demandait qui préférait dire "je" lorsqu'il écrivait sa thèse (malgré les anathèmes dont on nous a menacés pendant toute notre scolarité si on le faisait) ou dire "nous", ce qui a donné lieu à deux groupes. L'idée était que, de toute façon, tout chercheur est une personne, avec ce que cela implique de centres d'intérêts, personnalité, etc. ; donc pourquoi faire comme si la recherche était quelque chose d'impersonnel et de désincarné ?

(J'évite à dessein les termes "objectivité" et "subjectivité", parce qu'il me semble qu'ils relèvent plus du domaine de la preuve que de celui de l'incarnation).

Personnellement, quand j'écris, je dis "nous". Non parce que j'abhorrerais le "je" : écrire "je" ou le cacher derrière un "nous" ne change rien, il s'agit toujours d'une apparition de l'auteur dans le texte (ça me fait d'ailleurs penser que j'ai des choses à dire sur la façon dont mes auteurs à moi disent, eux aussi, "je" ou "nous" ; laissez-moi un peu de temps, je vais vous faire ça - c'est mon chapitre 1).

De même, avoir systématiquement recours à des formules impersonnelles ne change rien quant à l'objectivité ou la subjectivité de ce qui est avancé : c'est le fond qui est subjectif ou objectif, pas la forme. Dire "je pense que la terre tourne autour du soleil" ne rend pas subjective la course de la terre autour du soleil. Qu'on écrive "je peux donc en conclure", "nous pouvons donc en conclure" ou "il est donc possible d'en conclure", il n'empêche qu'il y a toujours d'une part une personne qui parle et d'autre part le contenu de sa parole. Toute la question est de savoir si (ou plutôt : en quoi) ce qu'est cette personne, qui elle est, ce qu'elle a vécu, ce qu'elle aime et déteste, etc. a une influence sur ce qu'elle dit. Qu'on utilise "je" ou des formules impersonnelles, si on n'a pas un tout petit peu réfléchi à la part d'influence qu'a l'être humain que nous sommes sur notre travail, le problème de la subjectivité reste entier.

Il me semble donc que "je", "nous" ou "on" n'est pas si révélateur que cela. Pourquoi j'utilise "nous", alors ? Soyons honnête : en grande partie parce que j'en ai pris l'habitude (et je vous garantis que j'ai été tellement marquée par les anathèmes que, au début, j'étais partagée entre l'impression d'être une grande folle et la crainte puérile qu'on vienne me taper sur les doigts), ensuite parce que j'ai l'impression que cela donne un certain "poids" à ma parole. Un peu comme si le pluriel "de majesté" (pour penser ça, il faut vraiment ne pas m'avoir vue rédiger) accroissait, en plus du nombre grammatical, mon auctoritas.

On parle régulièrement des problèmes de légitimité qu'ont les doctorants - surtout en début de thèse -, de cette impression, parfois, qu'on est une erreur du système et que quelqu'un va nécessairement se rendre compte sous peu qu'on est une sorte d'"arnaque scientifique". Dans mon cas, je ne l'ai pas tant ressenti avec ma thèse que lorsque j'ai intégré l'ENS. Il n'empêche que, lorsque j'utilise "nous", j'ai l'impression d'être, dans ma tête, plus dans la peau d'un chercheur dont les recherches se développent en s'appuyant sur des éléments et des raisonnements valables. Si j'utilisais "je", les éléments et les raisonnements resteraient les mêmes, mais j'aurais plus le sentiment d'être un simple padawan.

Un padawan qui avance quand même petit à petit dans sa formation. J'ai reçu hier un exemplaire de la revue Lalies, où a été publiée mon intervention à Clelia de l'année dernière. Etant donné que je n'avais rien reçu du Bulletin Budé, je ne m'attendais franchement pas à ça et encore moins à recevoir en sus dix tirés à part de mon article (un tiré à part est un exemplaire de votre article tel qu'il est publié dans la revue, mais, comme son nom l'indique, imprimé à part ; c'est de plus en plus rare) ! C'est le métier qui rentre aussi  !


(Il va falloir m'expliquer pourquoi, quand on tape "Lalies" sur Google, on tombe aussi sur des montres et une série de photos de jeunes femmes assez peu vêtues - le côté hot de la recherche en lettres, sans doute)

2 commentaires:

  1. Hmmm. Attention, dans certains domaines de recherche où l'on travaille à plusieurs, "je" implique un travail personnel tandis que "nous" peut désigner aussi bien un travail personnel ("nous" académique) qu'un travail collectif, dont il est difficile d'estimer la part revenant au candidat.

    Rappel: il existe même des domaines où le directeur de thèse travaille avec le doctorant! Dingue, non?

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  2. Très juste : on est tous restés le nez dans le guidon des SHS, alors que la pratique des "sciences dures" est apparemment différente.

    Quand au directeur de thèse travaillant avec le doctorant, il paraît qu'il y en a même qui ne dirigent que deux ou trois thèses, pour pouvoir vraiment les suivre tout en faisant cours et poursuivant leurs propres recherches, mais, à Paris, ça a un parfum de légende urbaine... Ailleurs peut-être ? ;-)

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